Babel 2

c’est à côté du tas de compost qu’elle dort
deux mouches sous son cou.
ailes grises d’un ange si bien repliées
dors, oiseau, dors ma belle, roucoule ailleurs
bientôt tu pueras
je reviendrai voir ton fin squelette.

vois la fille courir
sur la plage de sable noir
sautant vers la lumière du nord
bondissante, le soleil gris s’est endormi, aussi
le corps de la fille est une lumière
ses cheveux roux
elle pourrait être nue, sans rien changer.

on n’est ni du nord ni du sud
les larmes montent quand même
devant des larmes sincères.

on n’est ni du nord ni du sud

et pourtant les relations Nord-Sud sont toujours plus ou moins conflictuelles

le corps de la fille est une lumière
ses cheveux roux
elle pourrait être nue, sans rien changer

c'est un plan sequence, dans un film de Lelouch

bientôt tu pueras
je reviendrai voir ton fin squelette

réalité odieuse , mais réalité, reste la cremation , mais alors quid des cimetières et des ifs , de leur l'ombre estivale, ou dormir pour l'éternité permet d'imaginer

belle description dans ce texte d'ambiance

seyne a écrit:
vois la fille courir
sur la plage de sable noir
sautant vers la lumière du nord
bondissante, le soleil gris s’est endormi, aussi
le corps de la fille est une lumière
ses cheveux roux
elle pourrait être nue, sans rien changer.

on n’est ni du nord ni du sud
les larmes montent quand même

Ça c'est bien, encore mieux ainsi épuré, recentré. Le reste... j'ai du mal à supporter la culture trash, du morbide et du mortuaire. Pourrissement d'une société qui se laisse envahir par la mort, les images et le sentiment de la mort. Et l'on voudrait que des dingos religio-mortifères n'existent pas ? La poésie c'est le contraire de la culture de la mort.

merci à vous deux.

je voudrais expliciter un peu le thème du poème, que j'ai construit comme un collage, pour répondre à la critique de Teverino.

trois scènes :
- la première réelle = une tourterelle morte dans mon jardin, telle que je l'ai décrite, ainsi les pensées qui me sont venues (je ne connais rien qui fassent mieux percevoir l'horreur de la mort que la terrible odeur de la putréfaction, et j'appréhendais cela...mais en réalité, la tourterelle avait disparu une heure après)
- la seconde = une vidéo aperçue sur youtube, accompagnant le chant très beau d'un groupe islandais.
- la troisième = une autre vidéo, de Nicole Ferroni, où elle évoque Alep.

C'est difficile de dire pourquoi l'idée m'est m'est venue de rapprocher ces trois scènes, ni pourquoi cel m'a semblé dire quelque chose, ni pourquoi la violence du "tu pueras" me semble nécessaire. Peut-être j'aurais dû appeler le poème "guerre et paix" pour mieux guider le lecteur ?

la vidéo de Nicole Ferroni :  

Nicole , très émouvante dans le parallèle cannibalisme et guerre
la barbarie n'a pas 'âge

J'avais pris le parti d'en rester là de l'échange avec teverino, qui je crois touche à l'essentiel de deux conceptions de l'art, son rôle et ses moyens, mais par hasard je viens d'écouter sur France Culture une émission consacrée à l'odorat chez Baudelaire, avec lecture du célèbre poème "La charogne". Alors, suivons le hasard...
Je n'aime pas les artistes qui comptent sur le "gore" pour donner une intensité facile à leur travail en choquant le bourgeois et je ne crois pas recourir à cela si souvent pour m'attirer ce reproche.
On ne le fera pas non plus à Baudelaire, bien qu'il lui ait été adressé à l'époque. "La charogne" est d'une grande profondeur métaphysique.

Je ne suis pas d'accord non plus avec une pratique idéalisante de l'art qui nous permettrait de ne regarder et dire que le "Beau", nous aidant à oublier ou supporter le reste. Pour moi l'art doit rendre compte de tout, et nous conduire vers le réel sans jugement de valeur, dans toute sa complexité et sa présence. Il doit nous permettre de le "voir" pleinement et c'est cette acceptation qui permet d'agir efficacement sur lui, et de vivre vraiment.
Oublions mon petit poème, que je relirai dans quelques mois et trouverai sans doute à reprendre, c'est juste ce débat que je voulais prolonger.

Ton poème n'est pas petit. Il est d'une simplicité absolue: c'est pour cela qu'il me touche. Je regrette de savoir qu'il vient de l'assemblage de trois éléments, ça me gâche un peu sa vérité lumineuse: la mort, la vie c'est du pareil au même, si proche et doux parfois....Larmes du beau.

merci...on ne devrait jamais démonter ses propres poèmes, mais c'était une façon parler de ce qui se passe parfois. On met "par hasard" des choses côte à côte et une espèce de nécessité commune apparaît, un sens qu'on n'avait pas vu, tout se met en place comme un puzzle.

A l'instar de Obi , je regrette d'avoir cédé à la tentation de lire les commentaires, car le travail de fermentation qui s'opérait malgré moi pour fabriquer un lien entre les trois parties a été interrompu par la recette de fabrication!
Tant pis pour moi, ça m'apprendra!
Quant à l'art...il EST le réel! Il nous en offre le verso, la version "oxydée" des yeux intérieurs, universelle. Il est sans filtre et sans message, à prendre ou à laisser.