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Ma tour de Babel

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Zenati
lamainmorte
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Ma tour de Babel Empty Ma tour de Babel

Message  lamainmorte Dim 3 Jan 2010 - 23:03

Quand j’ai vu ce terrain vide en arpentant le cap d’Antibes j’ai tout de suite su qu’il était pour moi. À l’époque j’avais une trentaine d’années et peu de moyens, les oligarques russes n’avaient pas encore envahis la région pour se faire construire les maisons aux portails ostentatoires que l’on peut voir aujourd’hui tout autour du phare, des plages d’Antibes à celles de Juan les Pins, les prix restaient abordables. Le terrain était bon marché, certes recouvert d’une forêt broussailleuse de ronces, mais une fois tout ça déblayé, il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterai seul, en dessinant les plans et en allant chercher les pierres. Je voulais que cette maison soit mon havre de paix, mais aussi celui de ma famille et de mes futurs petits enfants qui eux-mêmes passeraient leurs vacances avec leurs propres enfants, jusqu’à ce que ma famille disparaisse. J’espérais qu’elle puisse perdurer jusqu’à la fin des temps, mon optimisme m’autorisait ces rêveries. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, elle se désagrègerait, comme toutes les pierres les plus dures, elle finirait par s’effriter et retomber en sable sur les plages de mon enfance. C’est dommage, mais c’est comme ça, tout finit par disparaître. Il reste quelque chose, peut-être, certes, mais rien d’assez grand pour qu’on puisse encore le voir ou l’apercevoir. Plus personne ne le sait, alors on dit que ça n’est plus, et c’est vrai, si il n’y a plus d’yeux pour sentir ce qui est, à quoi bon faire la différence.

Peu à peu j’organisais mon débarquement sur cette terre hostile, j’achetais, content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose que je saurai faire perdurer, je commencais à faire de la place dans cette jungle. Le terrain était un grande rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre était fertile et facile à creuser pour construire les combles, tout se profilait au mieux. J’imaginais déjà ma maison finie, haute, grande, avec une tour et un grand salon, une cheminée imposante, assez de chambres pour accueillir ma progéniture et la future sienne. Je voulais une ascienda, au murs grossièrement fais avec des pierres de montagne, des murs chaleureux, qui puissent contenir la chaleur en hiver et assurer une fraîcheur en été. J’imaginais plein de choses, moi qui me croyait destiné à prendre la réalité et la rejeter aussi brute qu’elle m’était venue, mon esprit décuplait ses capacités à inventer, trouver des solutions aux problèmes techniques, les appliquer avec succés, je ne m’arrêtais plus, comme une locomotive en pleine course, mon cerveau produisait une vapeur riche d’idées qui me suivait en sillons dèrrière moi. Je laissais des traces sur cette parcelle de monde, je me hissais toujours plus haut au fur et à mesure que les murs grimpaient, un étage, puis deux, et une tour pour courronner le tout. Je commencais à comprendre l’orgueil originel qui est de vouloir se placer toujours plus haut. Un soir que le gros de ma maison était construis, je me hissais sur la toitûre de ma tour de Babel, et regardais Antibes dans les lumières de la nuit. Les écureuils roux qui disparairent suite à l’intégration d’écureuils batards gris ressemblant d’avantage à des rats, grouillaient encore dans les pins des maisons avoisinantes, sautaient de branches en branches, fuyaient, poursuivaient, vivaient. Je n’entendais rien mais les imaginais, encore et encore, imaginais cette nature qui le soir disparaît dans le silence lourd de la nuit. Comme si une fois là haut, une fois que j’eu satisfais mon avidité de faire quelque chose de concret, tout m’échappais. Les animaux de la nuit me fuyaient, les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais la haut, voyais tout et ne comprenais plus rien.
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Ma tour de Babel Empty Re: Ma tour de Babel

Message  Invité Lun 4 Jan 2010 - 6:54

Un bon début, je trouve, solide et émouvant parce qu'il parle d'un temps révolu, avant une dégradation des choses. Pas mal d'erreurs de langue, notamment dans les formes verbales, que je vous signale ci-dessous :
« les oligarques russes n’avaient pas encore envahi (et non « envahis », le participe passé d’un verbe conjugué avec « avoir » ne s’accorde pas au sujet du verbe, mais à son complément d’objet direct, à condition que ce complément d’objet direct soit situé avant le verbe ; « j’ai envahi la région », « la région que j’ai envahie est belle ») la région »
« il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterais (pour la concordance des temps, c’est le conditionnel qui s’impose ici, et non le futur, car on évoque dans un récit au passé un événement futur par rapport au temps du récit) seul »
« elle se désagrégerait »
« content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose que je saurais (concordance des temps : le conditionnel s’impose et non le futur) faire perdurer »
« Le terrain était un grand (et non « grande ») rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre était fertile » : la répétition se voit, je trouve
« Je voulais une hacienda, aux murs grossièrement faits »
« moi qui me croyais destiné »
« qui me suivait en sillons derrière moi »
« Un soir que le gros de ma maison était construit, je me hissais (pour une raison de concordance des temps, je pense que le passé simple « hissai » est bien préférable à l’imparfait « hissais » : le récit raconte un événement d’un soir précis, alors que le gros de la maison était construit, et non une action habituelle qui a eu lieu plusieurs fois, qui pourrait être introduite par « Quand le gros de ma maison a été construit » par exemple) sur la toiture de ma tour de Babel, et regardais (de même ici, je crois le passé simple « regardai » préférable) Antibes »
« Les écureuils roux qui disparaîtraient suite à l’intégration d’écureuils bâtards gris »
« sautaient de branches en branches » : l’expression habituelle est « de branche en branche »
« une fois que j’avais (je pense le plus-que-parfait préférable ici) satisfait mon avidité de faire quelque chose de concret, tout m’échappait »
« j’étais là-haut »

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Ma tour de Babel Empty Re: Ma tour de Babel

Message  Zenati Lun 4 Jan 2010 - 7:10

Comme notre amie socque, je dirai simplement que c'est un bon début, moi aussi je trouve ce texte solide et émouvant...
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Message  grieg Lun 4 Jan 2010 - 7:36

après tes autres textes, voila un début qui prouve que tu as pas mal de munitions à ton arc, une palette de couleuvres assez large...
je demande à lire une suite, ou autre chose

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Message  Invité Lun 4 Jan 2010 - 9:11

Tout le long de ma lecture, je me disais que c'était une tour d'ivoire dont le narrateur rêvait... jusqu'à la dernière phrase révélatrice : les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais la haut, voyais tout et ne comprenais plus rien.
Tu penses si, tour d'ivoire ou de Babel, j'ai envie de connaître la suite !

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Ma tour de Babel Empty Re: Ma tour de Babel

Message  Invité Lun 4 Jan 2010 - 17:06

Pour une fois, c'est pas de l'intuition, c'est de la (re)connaissance :-)

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Ma tour de Babel Empty Re: Ma tour de Babel

Message  lamainmorte Lun 4 Jan 2010 - 20:20

Quand j’ai vu ce terrain vide en arpentant le cap d’Antibes j’ai tout de suite su qu’il était pour moi. À l’époque j’avais une trentaine d’années et peu de moyens, les oligarques russes n’avaient pas encore envahi la région pour se faire construire les maisons aux portails ostentatoires que l’on peut voir aujourd’hui tout autour du phare, des plages d’Antibes à celles de Juan les Pins, les prix restaient abordables. Le terrain était bon marché, certes recouvert d’une forêt broussailleuse de ronces, mais une fois tout ça déblayé, il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterais seul, en dessinant les plans et en allant chercher les pierres. Je voulais que cette maison soit mon havre de paix, mais aussi celui de ma famille et de mes futurs petits enfants qui eux-mêmes passeraient leurs vacances avec leurs propres enfants, jusqu’à ce que ma famille disparaisse. J’espérais qu’elle puisse perdurer jusqu’à la fin des temps, mon optimisme m’autorisait ces rêveries. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, elle se désagrégerait, comme toutes les pierres les plus dures, elle finirait par s’effriter et retomber en sable sur les plages de mon enfance. C’est dommage, mais c’est comme ça, tout finit par disparaître. Il reste quelque chose, peut-être, certes, mais rien d’assez grand pour qu’on puisse encore le voir ou l’apercevoir. Plus personne ne le sait, alors on dit que ça n’est plus, et c’est vrai, si il n’y a plus d’yeux pour sentir ce qui est, à quoi bon faire la différence.

Peu à peu j’organisais mon débarquement sur cette terre hostile, j’achetais, content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose que je saurais faire perdurer, je commencais à faire de la place dans cette jungle. Le terrain était un grand rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre fertile et facile à creuser pour construire les combles, tout se profilait au mieux. J’imaginais déjà ma maison finie, haute, grande, avec une tour et un grand salon, une cheminée imposante, assez de chambres pour accueillir ma progéniture et la future sienne. Je voulais une hacienda, aux murs grossièrement faits avec des pierres de montagne, des murs chaleureux, qui puissent contenir la chaleur en hiver et assurer une fraîcheur en été. J’imaginais plein de choses, moi qui me croyais destiné à prendre la réalité et la rejeter aussi brute qu’elle m’était venue, mon esprit décuplait ses capacités à inventer, trouver des solutions aux problèmes techniques, les appliquer avec succés, je ne m’arrêtais plus, comme une locomotive en pleine course, mon cerveau produisait une vapeur riche d’idées qui me suivait en sillons derrière moi. Je laissais des traces sur cette parcelle de monde, je me hissais toujours plus haut au fur et à mesure que les murs grimpaient, un étage, puis deux, et une tour pour courronner le tout. Un soir que le gros de ma maison était construit, je me hissai sur la toiture de ma tour, et regardais Antibes dans les lumières de la nuit. Les écureuils roux qui disparaîtraient suite à l’intégration d’écureuils bâtards gris ressemblant d’avantage à des rats, grouillaient encore dans les pins des maisons avoisinantes, sautaient de branche en branche, fuyaient, poursuivaient, vivaient. Je n’entendais rien mais les imaginais, encore et encore, imaginais cette nature qui le soir disparaît dans le silence assourdissant de la nuit. Comme si une fois là haut, une fois que j’avais satisfait mon avidité de faire quelque chose de concret, tout m’échappaît. Les animaux murmuraient des choses que je ne pouvais entendre, les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais là-haut, voyais tout, et ne comprenais plus rien.

Mais ma maison était finie, il ne me restait plus qu’à l’amménager de l’intérieur, organiser le jardin qui en faisait le tour et y passer les prochaines vacances pour m’y recueillir, fuir les bruits incessants de mon appartement à Paris, m’y reposer en paix sans que jamais un klaxon vienne me sortir de mon sommeil. Au matin peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerai dans un bassin creusé dans le sol et munis de petits murets dans la même pierre que celle utilisée pour ma maison, glisserai leurs lointains coassements dans le creux de mes oreilles.

Je choisissais pour le sol intérieur un dallage simple sous forme de petits carreaux de la taille d’un Chaussé au moine de supermarché couleur brique. Les grands murs seraient peins d’un rose saumon pâtiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle sans se métamorphoser en murs d’hopitaux à la couleur criarde. Quel plaisir je prenais à donner vie à maison, donner un sens à ma vie ! J’étais aveugle, aveuglé par le plaisir de mener à bien cette tâche que je m’étais incris au fer rouge sur la paume de ma main, comme si tout ce que je pû être auparavant avait été programmé pour m’ammenner au pied d’une demeure que j’aurai façonné à la sueur de mon front, à l’usure de mes mains, qui porteraient dorénavant la corne de mon travail. Plus rien ne comptait à par elle, cette maison qui était destiné à accueillir ma femme et mes enfants les avaient oublié. Dès que je pouvais m’absenter de mon travail, de mon foyer je courais à Antibes paufiner avec délicatesse les murs rugueux de mon paradis, celui que ma femme pensait s’être mué en prison. Chaque jour je peinais un peu plus à la convaincre que cette maison lui était avant tout destiné, je lui mentais, je le savais, mais il me fallait à tout prix retarder le jour ou elle ne serait plus à moi, mais à nous, le jour ou mon âme qui l’hante depuis ses fondements jusqu’au cocq dominant la tour se verrait substituée à l’esprit de famille. Je devais à tout prix repousser la date d’écroulement des murs, de toutes ces milliers de pierres, autant de blocs décrochés des falaises que de rêves qui tomberaient dans le plus grand des fracas.
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Message  Invité Lun 4 Jan 2010 - 20:46

Ok, ça se dessine.

Corrections ci-dessous :


il ne me restait plus qu’à l’aménager de l’intérieur
Au matin peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerai dans un bassin creusé dans le sol et muni de petits murets dans la
même pierre que celle utilisée pour ma maison, glisseraient leurs lointains coassements dans le creux de mes oreilles.
Les grands murs seraient peints d’un rose saumon patiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle sans se métamorphoser en murs d’hôpitaux à la couleur criarde. Quel plaisir je prenais à donner vie à la maison,
cette tâche que je m’étais incrite au fer rouge sur la paume de ma main, comme si tout ce que je pus (avais pu ?) être auparavant avait été programmé pour m’amener au pied d’une demeure que j’aurai façonnée à la sueur de mon front
Plus rien ne comptait à part elle, cette maison qui était destinée à accueillir ma femme et mes enfants les avaient oublié (???).
je courais à Antibes peaufiner avec délicatesse les murs rugueux de mon paradis, celui que ma femme pensait s’être mué en prison (dont ma femme pensait q'ul s'était mué en prison). Chaque jour je peinais un peu plus à la convaincre que cette maison lui était avant tout destinée
mais il me fallait à tout prix retarder le jour où elle ne serait plus à moi, mais à nous, le jour où mon âme qui la hante depuis ses fondements jusqu’au coq dominant la tour
de tous ces milliers de pierres,

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Message  Invité Lun 4 Jan 2010 - 20:47

(dont ma femme pensait qu'il s'était mué en prison)

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Ma tour de Babel Empty Re: Ma tour de Babel

Message  Invité Lun 4 Jan 2010 - 22:27

Toujours intéressant, mais les erreurs sur les formes verbales n'ont pas diminué me semble-t-il ; si je vous donne des explications avec les corrections, c'est dans un but que j'espère pédagogique. Dites-moi si vous avez ou ou non l'intention d'en tenir compte pour tâcher d'améliorer votre orthographe...

Remarques :
« il ne me restait plus qu’à l’aménager (et non « amménager ») »
« Au matin peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerais (le conditionnel s’impose ici et non le futur « installerai » s’impose ici, puisque, dans un récit au passé, on évoque un événement futur par rapport au temps du récit) dans un bassin creusé dans le sol et munis de petits murets dans la même pierre que celle utilisée pour ma maison, glisseraient leurs lointains coassements »
« Je choisissais (je pense qu’un passé simple « choisis » serait préférable ici à l’imparfait) pour le sol intérieur un dallage simple »
« Chaussée au[/b]x[/b] moines » (ah, ces intellos, ils regardent pas les pubs à la télé !)
« Les grands murs seraient peints d’un rose saumon patiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle sans se métamorphoser en murs d’hôpitaux à la couleur criarde » : la couleur criarde des murs d’hôpitaux, cela m’étonne un peu…
« je prenais à donner vie à (ma ?) maison »
« cette tâche que je m’étais incrite (je m’étais inscrit quoi ? que, mis pour la tâche, et situé avant le verbe ; le participe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct) au fer rouge »
« comme si tout ce que je pouvais être auparavant »
« pour m’amener (et non « m’ammenner ») au pied d’une demeure que j’aurais (le conditionnel s’impose : dans un récit au passé, événement futur par rapport au temps du récit) façonnée (j’aurais façonné quoi ? que, mis pour la demeure, et situé avant le verbe ; le particpe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct) »
« Plus rien ne comptait à part elle »
« cette maison qui était destinée à accueillir ma femme et mes enfants les avait (et non « avaient », c’est la maison qui a oublié) oubliés (la maison avait oublié qui ? les, mis pour la femme et les enfants, et situé avant le verbe ; le participe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet) »
« cette maison lui était avant tout destinée »
« le jour où mon âme qui la hante depuis ses fondements jusqu’au coq (et non « cocq ») »
« de tous (et non « toutes ») ces milliers de pierres »

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Message  lamainmorte Lun 4 Jan 2010 - 23:56

Excusez moi d'être si ingrat face aux corrections si soignées que vous faites de mon texte, j'essayerai à l'avenir de prendre au mieux en compte vos attentions. Ci-dessous le texte corrigé et la suite je l'espère sans trop de fautes.

L'élève.


Toutes les tours d’ivoire sont une Tour de Babel.

Quand j’ai vu ce terrain vide en arpentant le cap d’Antibes j’ai tout de suite su qu’il était pour moi. À l’époque j’avais une trentaine d’années et peu de moyens, les oligarques russes n’avaient pas encore envahi la région pour se faire construire les maisons aux portails ostentatoires que l’on peut voir aujourd’hui tout autour du phare, des plages d’Antibes à celles de Juan les Pins, les prix restaient abordables. Le terrain était bon marché, certes recouvert d’une forêt broussailleuse de ronces, mais une fois tout ça déblayé, il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterais seul, en dessinant les plans et en allant chercher les pierres. Je voulais que cette maison soit mon havre de paix, mais aussi celui de ma famille et de mes futurs petits enfants qui eux-mêmes passeraient leurs vacances avec leurs propres enfants, jusqu’à ce que ma famille disparaisse. J’espérais qu’elle puisse perdurer jusqu’à la fin des temps, mon optimisme m’autorisait ces rêveries. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, elle se désagrégerait, comme toutes les pierres les plus dures, elle finirait par s’effriter et retomber en sable sur les plages de mon enfance. C’est dommage, mais c’est comme ça, tout finit par disparaître. Il reste quelque chose, peut-être, certes, mais rien d’assez grand pour qu’on puisse encore le voir ou l’apercevoir. Plus personne ne le sait, alors on dit que ça n’est plus, et c’est vrai, si il n’y a plus d’yeux pour sentir ce qui est, à quoi bon faire la différence.

Peu à peu j’organisais mon débarquement sur cette terre hostile, j’achetais, content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose que je saurais faire perdurer, je commencais à faire de la place dans cette jungle. Le terrain était un grand rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre fertile et facile à creuser pour construire les combles, tout se profilait au mieux. J’imaginais déjà ma maison finie, haute, grande, avec une tour et un grand salon, une cheminée imposante, assez de chambres pour accueillir ma progéniture et la future sienne. Je voulais une hacienda, aux murs grossièrement faits avec des pierres de montagne, des murs chaleureux, qui puissent contenir la chaleur en hiver et assurer une fraîcheur en été. J’imaginais plein de choses, moi qui me croyais destiné à prendre la réalité et la rejeter aussi brute qu’elle m’était venue, mon esprit décuplait ses capacités à inventer, trouver des solutions aux problèmes techniques, les appliquer avec succés, je ne m’arrêtais plus, comme une locomotive en pleine course, mon cerveau produisait une vapeur riche d’idées qui me suivait en sillons derrière moi. Je laissais des traces sur cette parcelle de monde, je me hissais toujours plus haut au fur et à mesure que les murs grimpaient, un étage, puis deux, et une tour pour courronner le tout. Un soir que le gros de ma maison était construit, je me hissai sur la toiture de ma tour, et regardais Antibes dans les lumières de la nuit. Les écureuils roux qui disparaîtraient suite à l’intégration d’écureuils bâtards gris ressemblant d’avantage à des rats, grouillaient encore dans les pins des maisons avoisinantes, sautaient de branche en branche, fuyaient, poursuivaient, vivaient. Je n’entendais rien mais les imaginais, encore et encore, imaginais cette nature qui le soir disparaît dans le silence assourdissant de la nuit. Comme si une fois là haut, une fois que j’avais satisfait mon avidité de faire quelque chose de concret, tout m’échappaît. Les animaux murmuraient des choses que je ne pouvais entendre, les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais là-haut, voyais tout, et ne comprenais plus rien.

Mais ma maison était finie, il ne me restait plus qu’à l’aménager de l’intérieur, organiser le jardin qui en faisait le tour et y passer les prochaines vacances pour m’y recueillir, fuir les bruits incessants de mon appartement à Paris, m’y reposer en paix sans que jamais un klaxon vienne me sortir de mon sommeil. Au matin peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerais dans un bassin creusé dans le sol et munis de petits murets dans la même pierre que celle utilisée pour ma maison, glisseraient leurs lointains coassements dans le creux de mes oreilles.

Je choisis pour le sol intérieur un dallage simple sous forme de petits carreaux de la taille d’un Chaussée aux Moines de supermarché couleur brique. Les grands murs seraient peints d’un rose saumon patiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle. Quel plaisir je prenais à donner vie à la maison, donner un sens à ma vie ! J’étais aveugle, aveuglé par le plaisir de mener à bien cette tâche que je m’étais incrite au fer rouge sur la paume de la main, comme si tout ce que je pouvais être auparavant avait été programmé pour m’amenner au pied d’une demeure que j’aurais façonnée à la sueur de mon front, à l’usure de mes mains, qui porteraient dorénavant la corne de mon travail. Plus rien ne comptait à part elle, cette maison qui était destinée à accueillir ma femme et mes enfants les avait oubliés. Dès que je pouvais m’absenter de mon travail, de mon foyer je courais à Antibes peaufiner avec délicatesse les murs rugueux de mon paradis, dont ma femme pensait qu’il s’était mué en prison. Chaque jour je peinais un peu plus à la convaincre que cette maison lui était avant tout destinée, je lui mentais, je le savais, mais il me fallait à tout prix retarder le jour où elle ne serait plus à moi, mais à nous, le jour où mon âme qui la hante depuis ses fondements jusqu’au coq dominant la tour, se verrait substituéé à l’esprit de famille. Je devais à tout prix repousser la date d’écroulement des murs, de tous ces milliers de pierres, autant de blocs décrochés des falaises que de rêves qui tomberaient dans le plus grand des fracas. Cette métaphore n’en est pas une, elle est seulement le reflet des cauchemards que je faisais à l’époque. Moi qui n’avais jamais eu de souvenirs quelconques de ma vie nocturne, je me remettais à rêver mais aussi à pleurer les yeux éteins la douleur que le jour me voilait. Tout le temps cette même image, une descente des plus classique aux enfers, quoi de plus commun quand on connaît la banalité du mal, un escalier en fusion entrain de fondre sous mes pieds carbonisés et mon viseage rouge de sueurs à n’en plus finir, une sueur épaisse, comme la graisse qui tombe d’un porc tournant autour d’une broche. Le jour, au plus haut de ma maison, réfugié dans ma tour et entouré de mes rêves, je commencais à redouter la nuit dans laquelle autrefois j’aimais me faire caresser par le silence et la douce brise du crépuscule. Tous les jours je redoutais un peu plus que ma maison s’effondre, que le ciment qui liait si fort les pierres entre elles se transforme en poussière et laisse mes pénates fondre sur elles-mêmes. Je la savais solide, en la construisant je m’étais assuré qu’elle puisse durer des millénaires, mais le jour approchant où je devais la léguer à l’adversité, me rongeait autant qu’elle.

Tout était prétexte à repartir pour Antibes, un rendez-vous de travail, un meuble à rajouter dans la maison, une fois c’était une table de nuit, l’autre un confiturier, j’inventais à chaque fois une nouvelle raison alors que nous savions tous deux les biens si je puis dire que je ramennais, mes tics qui s’étaient développés et que je venais apaiser, mes peurs de revenir et de la trouver en ruine, que je venais dissiper, en me postant des heures à la regarder sur un des bancs du jardin. Entouré de lauriers roses que j’avais planté nombreux, je me nicher au milieu de cette nature que j’avais nourris et qui maintenant autonome regardait le chien errant que j’étais devenu d’un œil vengeur. Comme autrefois, il y a de ca des années, où je me trouvais assis sur les tuiles fraîchements posées de la tour, je renouais avec ce sentiment d’étrangeté face au vivant. Mais cette fois, assis sur un banc en granit, le dos courbé et les yeux plantés sur le sol au devant de moi, je constatais que ma tour s’était rompue, laissant sous mon souvenir un tas de décombres.
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Message  Invité Mar 5 Jan 2010 - 6:07

Pourquoi cette disposition en centré ? Je ne vois vraiment pas l'intérêt. Sinon, c'est bien, le drame se noue...

Mes remarques :
« le reflet des cauchemars (et non « cauchemards » ; oui, je sais, on dit « cauchemarder », c’est bizarre) »
« à pleurer les yeux éteints (mettez au féminin : « une lumière éteinte » ; il y a donc un « t » quelque part) »
« une descente des plus classiques aux enfers »
« un escalier en fusion en train de fondre » : pléonasme, non ?
« mon visage (et non « viseage ») rouge de sueurs à n’en plus finir, une sueur épaisse » : en général, on écrit « rouge de sueur » ; je comprends « rouge de sueurs » dans ce cas, avec le « à n’en plus finir », mais dans ce cas la reprise juste après de « une sueur », alors que vous vous êtes donné la peine de dévoyer l’expression en mettant précisément « sueurs » au pluriel, est bizarre à mon avis
« mais le jour approchant où je devais la léguer à l’adversité, (pourquoi une virgule ici ? si vous souhaitez marquer une incise pour la relative « où je devais la léguer », il vaut mieux le faire complètement et ancadrer le membre de phrase de deux virgules) me rongeait »
« les biens si je puis dire que je ramenais (et non « ramenais ») »
« Entouré de lauriers-roses que j’avais plantés (j’avais planté quoi ? que, mis pour des lauriers-roses, et situé avant le verbe ; le participe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct) nombreux, je me nichais au milieu de cette nature que j’avais nourrie (j’avais nourri quoi ? que, mis pour la nature ; le participe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct) »

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Ma tour de Babel Empty Re: Ma tour de Babel

Message  Invité Mar 5 Jan 2010 - 10:13

J'aime beaucoup le dilemme du narrateur, la description de la torture mentale que cette maison lui inflige. Je me demande bien où ça va nous mener.

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Ma tour de Babel Empty Re: Ma tour de Babel

Message  lamainmorte Mar 5 Jan 2010 - 18:04

La suite à partir du paragraphe 5.

Toutes les tours d’ivoire sont une Tour de Babel.

Quand j’ai vu ce terrain vide en arpentant le cap d’Antibes j’ai tout de suite su qu’il était pour moi. À l’époque j’avais une trentaine d’années et peu de moyens, les oligarques russes n’avaient pas encore envahi la région pour se faire construire les maisons aux portails ostentatoires que l’on peut voir aujourd’hui tout autour du phare, des plages d’Antibes à celles de Juan les Pins, les prix restaient abordables. Le terrain était bon marché, certes recouvert d’une forêt broussailleuse de ronces, mais une fois tout ça déblayé, il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterais seul, en dessinant les plans et en allant chercher les pierres. Je voulais que cette maison soit mon havre de paix, mais aussi celui de ma famille et de mes futurs petits enfants qui eux-mêmes passeraient leurs vacances avec leurs propres enfants, jusqu’à ce que ma famille disparaisse. J’espérais qu’elle puisse perdurer jusqu’à la fin des temps, mon optimisme m’autorisait ces rêveries. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, elle se désagrégerait, comme toutes les pierres les plus dures, elle finirait par s’effriter et retomber en sable sur les plages de mon enfance. C’est dommage, mais c’est comme ça, tout finit par disparaître. Il reste quelque chose, peut-être, certes, mais rien d’assez grand pour qu’on puisse encore le voir ou l’apercevoir. Plus personne ne le sait, alors on dit que ça n’est plus, et c’est vrai, si il n’y a plus d’yeux pour sentir ce qui est, à quoi bon faire la différence.

Peu à peu j’organisais mon débarquement sur cette terre hostile, j’achetais, content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose que je saurais faire perdurer, je commencais à faire de la place dans cette jungle. Le terrain était un grand rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre fertile et facile à creuser pour construire les combles, tout se profilait au mieux. J’imaginais déjà ma maison finie, haute, grande, avec une tour et un grand salon, une cheminée imposante, assez de chambres pour accueillir ma progéniture et la future sienne. Je voulais une hacienda, aux murs grossièrement faits avec des pierres de montagne, des murs chaleureux, qui puissent contenir la chaleur en hiver et assurer une fraîcheur en été. J’imaginais plein de choses, moi qui me croyais destiné à prendre la réalité et la rejeter aussi brute qu’elle m’était venue, mon esprit décuplait ses capacités à inventer, trouver des solutions aux problèmes techniques, les appliquer avec succés, je ne m’arrêtais plus, comme une locomotive en pleine course, mon cerveau produisait une vapeur riche d’idées qui me suivait en sillons derrière moi. Je laissais des traces sur cette parcelle de monde, je me hissais toujours plus haut au fur et à mesure que les murs grimpaient, un étage, puis deux, et une tour pour courronner le tout. Un soir que le gros de ma maison était construit, je me hissai sur la toiture de ma tour, et regardais Antibes dans les lumières de la nuit. Les écureuils roux qui disparaîtraient suite à l’intégration d’écureuils bâtards gris ressemblant d’avantage à des rats, grouillaient encore dans les pins des maisons avoisinantes, sautaient de branche en branche, fuyaient, poursuivaient, vivaient. Je n’entendais rien mais les imaginais, encore et encore, imaginais cette nature qui le soir s’efface dans le silence assourdissant de la nuit. Comme si une fois là haut, une fois que j’avais satisfait mon avidité de faire quelque chose de concret, tout m’échappaît. Les animaux murmuraient des choses que je ne pouvais entendre, les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais là-haut, voyais tout, et ne comprenais plus rien.

Mais ma maison était finie, il ne me restait plus qu’à l’aménager de l’intérieur, organiser le jardin qui en faisait le tour et y passer les prochaines vacances pour m’y recueillir, fuir les bruits incessants de mon appartement à Paris, m’y reposer en paix sans que jamais un klaxon vienne me sortir de mon sommeil. Au matin, peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerais dans un bassin creusé dans le sol et munis de petits murets dans la même pierre que celle utilisée pour ma maison, glisseraient leurs lointains coassements dans le creux de mes oreilles.

Je choisis pour le sol intérieur un dallage simple sous forme de petits carreaux de la taille d’un Chaussée aux Moines de supermarché couleur brique. Les grands murs seraient peints d’un rose saumon patiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle. Quel plaisir je prenais à donner vie à la maison, donner un sens à ma vie ! J’étais aveugle, aveuglé par le plaisir de mener à bien cette tâche que je m’étais incrite au fer rouge sur la paume de la main, comme si tout ce que je pouvais être auparavant avait été programmé pour m’amenner au pied d’une demeure que j’aurais façonnée à la sueur de mon front, à l’usure de mes mains, qui porteraient dorénavant la corne de mon travail. Plus rien ne comptait à part elle, cette maison qui était destinée à accueillir ma femme et mes enfants les avait oubliés. Dès que je pouvais m’absenter de mon bureau, de mon foyer je courais à Antibes peaufiner avec délicatesse les murs rugueux de mon paradis, dont ma femme pensait qu’il s’était mué en prison. Chaque jour je peinais un peu plus à la convaincre que cette maison lui était avant tout destinée, je lui mentais, je le savais, mais il me fallait à tout prix retarder le jour où elle ne serait plus à moi, mais à nous, le jour où mon âme qui la hante depuis ses fondements jusqu’au coq dominant la tour, se verrait substituéé à l’esprit de famille. Je devais à tout prix repousser la date d’écroulement des murs, de tous ces milliers de pierres, autant de blocs décrochés des falaises que de rêves qui tomberaient dans le plus grand des fracas. Cette métaphore n’en est pas une, elle est seulement le reflet des cauchemars que je faisais à l’époque. Moi qui avais toujours oublié ma vie nocturne aussitôt réveillé, je me remettais à rêver mais aussi à pleurer les yeux éteints la douleur que le jour me voilait. Tout le temps cette même image, une descente des plus classiques aux enfers, quoi de plus commun quand on connaît la banalité du mal, un escalier en fusion sous mes pieds carbonisés et mon visage rouge de sueur, une sueur épaisse, comme la graisse qui tombe d’un porc tournant autour d’une broche. Le jour, au plus haut de ma maison, réfugié dans ma tour et entouré de mes rêves, je commencais à redouter la nuit dans laquelle autrefois j’aimais me faire caresser par le silence et la douce brise du crépuscule. Tous les jours je redoutais un peu plus que ma maison s’effondre, que le ciment qui liait si fort les pierres entre elles se transforme en poussière et laisse mes pénates fondre sur elles-mêmes. Je la savais solide, en la construisant je m’étais assuré qu’elle puisse durer des millénaires, mais le jour approchant où je devais la léguer à l’adversité me rongeait autant qu’elle.

Tout était prétexte à repartir pour Antibes, un rendez-vous de travail, un meuble à rajouter dans la maison, une fois c’était une table de nuit, l’autre un confiturier, j’inventais à chaque fois une nouvelle raison alors que nous savions tous deux, les biens, si je puis dire, que je ramenais, mes tics qui s’étaient développés et que je venais apaiser, mes peurs de revenir et de la trouver en ruine, que je venais dissiper, en me postant des heures à la regarder sur un des bancs du jardin. Entouré de lauriers roses que j’avais plantés nombreux, je me nichais au milieu de cette nature que j’avais nourrie et qui maintenant autonome regardait d’une œil vengeur le chien errant que j’étais devenu. Comme autrefois, il y a de ca des années, où je me trouvais assis sur les tuiles fraîchements posées de la tour, je renouais avec ce sentiment d’étrangeté face au vivant. Mais cette fois, assis sur un banc en granit, le dos courbé et les yeux plantés sur le sol au devant de moi, je constatais que ma tour s’était rompue, laissant sous mon souvenir un tas de décombres.

À la fin de l’année scolaire, un jour ensolleillé de début juillet, nous avons pris la voiture tous ensemble pour nous rendre à Antibes. Le vieux break volvo que j’avais acheté il y a de ça quelques années connaissait la route par cœur. Il était plein à craquer, autant d’objets dans le coffre et à nos pieds qui viendraient envahir le sol, les tables et les bureaux de la demeure que j’avais édifiée. La route était longue et encombrée comme à tout départ de vacances, il me restait encore un peu de temps pour rêver à celle qui pendant des années avait en alternance hanté et apaisé mon esprit, à celle qui durant tout ce temps n’avait eu de place que pour moi. J’avais pretexté des mots de ventre pour laisser le volant à ma femme. Je le savais, il m’était impossible de conduire des étrangers jusqu’à cet endroit qui était devenu comme ma terre natale, celle où j’avais connu une renaissance, mais aussi celle qui m’avait enterré. Alors que la nuit précédent le départ je n’avais pas fermé l’œil, je passais les sept heures du trajet les yeux clos à me remémorer le temps révolu tout en luttant contre le sommeil, je savais qu’à cette échéance, me laisser emporter par les bras de Morphée, me déposerait dans ceux d’Hadès. À la sortie des autoroutes du sud, ma femme épuisée par toutes ces heures de conduites et les cris des enfants qui se chamaillaient, me donnait le volant. Je conduisais avec la même trouille au ventre que l’on peut avoir en passant son permis, la peur de faire un faux pas et d’être disqualifié. Involontairement, je me trompais de route, celle que j’avais parcouru une mutitude de fois, et engageais la voiture dans le vieil Antibes.

Il était aux alentours de midi, nous avions faim, et j’utilisais cette faute de manœuvre pour guider ma famille dans un petit restaurant où j’avais déjeuné la première fois arrivé dans la ville. Il se trouvait dans les hauteurs et en ce début d’après midi le ciel largement dégagé offrait un certain panorama sur la baie. Les grands yeux verts des enfants, écarquillés, observaient le paysage qui leur avait retiré leur père, d’Antibes à l’aéroport de Nice, la mer plate s’assombrissait à l’horizon. Je leur montrais du doigt l’Ilette qui se trouvait à quelques centaines de mètres de la plage de la Salis et leur promettais qu’une fois installés nous pourrions y aller à la nage. Pourquoi avais-je choisis d’aller au restaurant sinon pour gagner du temps ? Nous êtions tous attablés, les enfants continuaient à se quereller, ma femme et moi gardions le silence, ses yeux brillaient de bonheur. Moi qui d’habitude était plutôt radin quand nous allions au restaurant, persuadé que nous pouvions manger la même chose chez nous, je proposais cette fois que nous prenions, « par ce temps si merveilleux », un copieux apéritif suivis d’entrées et d’une parade de tapas. Là, pendant quelques heures j’étais devenu boulimique, toute cette nourriture riche qui transpirait l’huile d’olive, me rassurait et me dégoutait, l’estomac lié par le temps, je n’aurai pas même pu avaler une olive, mon ventre aurait explosé.
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Message  Invité Mar 5 Jan 2010 - 18:25

On peut dire que vous ménagez le suspense ! Attention de ne pas trop faire monter la sauce, l'intérêt peut retomber comme un soufflé si vous faites trop attendre le dénouement...

Mes remarques :
"J'avais préétexté des maux (un mal, des maux) de ventre"
"Alors que la nuit précédant le départ"
"je passai (et non "passais", le passé simple s'impose ici et non l'imparfait ; pour essayer de déterminer le temps qui va le mieux dans ce genre de cas, essayez de changer de personne : "Alors que la nuit précédant le départ il n'avait pas fermé l'œil, il passa les sept heures du trajet"... c'est plus naturel que "il passait les sept heures du trajet...", non ?) les sept heures du trajet les yeux clos"
"je savais qu’à cette échéance, (pourquoi une virgule ici ?) me laisser emporter par les bras de Morphée, (et ici ?) me déposerait dans ceux d’Hadès"
"ma femme (pour compléter l'incise que vous semblez vouloir indiquer par la virgule plus loin, je pense qu'il serait ntéressant d'en inroduire une ici) épuisée par toutes ces heures de conduites et les cris des enfants qui se chamaillaient, me donna (et non "donnait", ici aussi je crois le passé simple bien préférable à l'imparfait) le volant. Je conduisis (et non "conduisais", même remarque) avec la même trouille"
"Involontairement, je me trompai (et non "trompais"; le passé simple me paraît préférable ici) de route, celle que j’avais parcourue (j'avais parcouru quoi ? "celle que", mis pour route, situé avant le verbe ; le participe passé du verbe conjugué avec avoir s'accorde avec le complément d'objet direct. Bordel.) une mutitude de fois, et engageai (et non "engageais", le passé simple me paraît là aussi préférable à l'imparfait) la voiture dans le vieil Antibes"
"j’utilisai (et non "j'utilisais", le passé simple me paraît bien préférable à l'imparfait) cette faute de manœuvre"
"en ce début d’après-midi"
"Pourquoi avais-je choisi (et non "choisis") d’aller au restaurant"
"Moi qui d’habitude étais plutôt radin"
"je proposai (et non "proopsais", le "cette fois" indique qu'il s'agit d'un événement particulier et non habituel, imposant dans la narration le passé simple et non l'imparfait) cette fois"
"un copieux apéritif suivi (et non "suivis") d’entrées"
"Là, pendant quelques heures j’étais devenu boulimique, toute cette nourriture riche qui transpirait l’huile d’olive, (pourquoi une virgule ici ?) me rassurait et me dégoûtait, l’estomac lié par le temps, je n’aurais (regardez le verbe plus loin, vous l'avez correctement conjugué) pas même pu avaler une olive, mon ventre aurait explosé." : je trouve la phrase très peu claire, il est boulimique sur ce coup, le narrateur, ou bien incapable d'avaler une olive ?

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Message  Invité Mar 5 Jan 2010 - 19:10

Je trouve aussi qu'à force de repousser l'échéance on risque de perdre un peu d'intérêt. Pour le moment, ça va encore.

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Message  Invité Mar 5 Jan 2010 - 19:12

socque a relevé la faute dans "les mots de ventre". N'empêche, qu'est ce que ça serait tentant de vraiment faire exister cette expression !

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Message  lamainmorte Mer 6 Jan 2010 - 18:49

Chapitre premier : Toutes les tours d’ivoire sont une Tour de Babel.

Quand j’ai vu ce terrain vide en arpentant le cap d’Antibes j’ai tout de suite su qu’il était pour moi. À l’époque j’avais une trentaine d’années et peu de moyens, les oligarques russes n’avaient pas encore envahi la région pour se faire construire les maisons aux portails ostentatoires que l’on peut voir aujourd’hui tout autour du phare, des plages d’Antibes à celles de Juan les Pins, les prix restaient abordables. Le terrain était bon marché, certes recouvert d’une forêt broussailleuse de ronces, mais une fois tout ça déblayé, il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterais seul, en dessinant les plans et en allant chercher les pierres. Je voulais que cette maison soit mon havre de paix, mais aussi celui de ma famille et de mes futurs petits enfants qui eux-mêmes passeraient leurs vacances avec leurs propres enfants, jusqu’à ce que ma famille disparaisse. J’espérais qu’elle puisse perdurer jusqu’à la fin des temps, mon optimisme m’autorisait ces rêveries. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, elle se désagrégerait, comme toutes les pierres les plus dures, elle finirait par s’effriter et retomber en sable sur les plages de mon enfance. C’est dommage, mais c’est comme ça, tout finit par disparaître. Il reste quelque chose, peut-être, certes, mais rien d’assez grand pour qu’on puisse encore le voir ou l’apercevoir. Plus personne ne le sait, alors on dit que ça n’est plus, et c’est vrai, si il n’y a plus d’yeux pour sentir ce qui est, à quoi bon faire la différence.

Peu à peu j’organisais mon débarquement sur cette terre hostile, j’achetais, content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose que je saurais faire perdurer, je commencais à faire de la place dans cette jungle. Le terrain était un grand rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre fertile et facile à creuser pour construire les combles, tout se profilait au mieux. J’imaginais déjà ma maison finie, haute, grande, avec une tour et un grand salon, une cheminée imposante, assez de chambres pour accueillir ma progéniture et la future sienne. Je voulais une hacienda, aux murs grossièrement faits avec des pierres de montagne, des murs chaleureux, qui puissent contenir la chaleur en hiver et assurer une fraîcheur en été. J’imaginais plein de choses, moi qui me croyais destiné à prendre la réalité et la rejeter aussi brute qu’elle m’était venue, mon esprit décuplait ses capacités à inventer, trouver des solutions aux problèmes techniques, les appliquer avec succés, je ne m’arrêtais plus, comme une locomotive en pleine course, mon cerveau produisait une vapeur riche d’idées qui me suivait en sillons derrière moi. Je laissais des traces sur cette parcelle de monde, je me hissais toujours plus haut au fur et à mesure que les murs grimpaient, un étage, puis deux, et une tour pour courronner le tout. Un soir que le gros de ma maison était construit, je me hissai sur la toiture de ma tour, et regardais Antibes dans les lumières de la nuit. Les écureuils roux qui disparaîtraient suite à l’intégration d’écureuils bâtards gris ressemblant d’avantage à des rats, grouillaient encore dans les pins des maisons avoisinantes, sautaient de branche en branche, fuyaient, poursuivaient, vivaient. Je n’entendais rien mais les imaginais, encore et encore, imaginais cette nature qui le soir s’efface dans le silence assourdissant de la nuit. Comme si une fois là haut, une fois que j’avais satisfait mon avidité de faire quelque chose de concret, tout m’échappaît. Les animaux murmuraient des choses que je ne pouvais entendre, les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais là-haut, voyais tout, et ne comprenais plus rien.

Mais ma maison était finie, il ne me restait plus qu’à l’aménager de l’intérieur, organiser le jardin qui en faisait le tour et y passer les prochaines vacances pour m’y recueillir, fuir les bruits incessants de mon appartement à Paris, m’y reposer en paix sans que jamais un klaxon vienne me sortir de mon sommeil. Au matin, peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerais dans un bassin creusé dans le sol et munis de petits murets dans la même pierre que celle utilisée pour ma maison, glisseraient leurs lointains coassements dans le creux de mes oreilles.

Je choisis pour le sol intérieur un dallage simple sous forme de petits carreaux de la taille d’un Chaussée aux Moines de supermarché couleur brique. Les grands murs seraient peints d’un rose saumon patiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle. Quel plaisir je prenais à donner vie à la maison, donner un sens à ma vie ! J’étais aveugle, aveuglé par le plaisir de mener à bien cette tâche que je m’étais incrite au fer rouge sur la paume de la main, comme si tout ce que je pouvais être auparavant avait été programmé pour m’amenner au pied d’une demeure que j’aurais façonnée à la sueur de mon front, à l’usure de mes mains, qui porteraient dorénavant la corne de mon travail. Plus rien ne comptait à part elle, cette maison qui était destinée à accueillir ma femme et mes enfants les avait oubliés. Dès que je pouvais m’absenter de mon bureau, de mon foyer je courais à Antibes peaufiner avec délicatesse les murs rugueux de mon paradis, dont ma femme pensait qu’il s’était mué en prison. Chaque jour je peinais un peu plus à la convaincre que cette maison lui était avant tout destinée, je lui mentais, je le savais, mais il me fallait à tout prix retarder le jour où elle ne serait plus à moi, mais à nous, le jour où mon âme qui la hante depuis ses fondements jusqu’au coq dominant la tour, se verrait substituéé à l’esprit de famille. Je devais à tout prix repousser la date d’écroulement des murs, de tous ces milliers de pierres, autant de blocs décrochés des falaises que de rêves qui tomberaient dans le plus grand des fracas. Cette métaphore n’en est pas une, elle est seulement le reflet des cauchemars que je faisais à l’époque. Moi qui avais toujours oublié ma vie nocturne aussitôt réveillé, je me remettais à rêver mais aussi à pleurer les yeux éteints la douleur que le jour me voilait. Tout le temps cette même image, une descente des plus classiques aux enfers, quoi de plus commun quand on connaît la banalité du mal, un escalier en fusion sous mes pieds carbonisés et mon visage rouge de sueur, une sueur épaisse, comme la graisse qui dégouline d’un porc tournant autour d’une broche. Le jour, au plus haut de ma maison, réfugié dans ma tour et entouré de mes rêves, je commencais à redouter la nuit dans laquelle autrefois j’aimais me faire caresser par le silence et la douce brise du crépuscule. Tous les jours je redoutais un peu plus que ma maison s’effondre, que le ciment qui liait si fort les pierres entre elles se transforme en poussière et laisse mes pénates fondre sur elles-mêmes. Je la savais solide, en la construisant je m’étais assuré qu’elle puisse durer des millénaires, mais le jour approchant où je devais la léguer à l’adversité me rongeait autant qu’elle.

Tout était prétexte à repartir pour Antibes, un rendez-vous de travail, un meuble à rajouter dans la maison, une fois c’était une table de nuit, l’autre un confiturier, j’inventais à chaque fois une nouvelle raison alors que nous savions tous deux, les biens, si je puis dire, que je ramenais, mes tics qui s’étaient développés et que je venais apaiser, mes peurs de revenir et de la trouver en ruine, que je venais dissiper, en me postant des heures à la regarder sur un des bancs du jardin. Entouré de lauriers roses que j’avais plantés nombreux, je me nichais au milieu de cette nature que j’avais nourrie et qui maintenant autonome regardait d’un œil vengeur le chien errant que j’étais devenu. Comme autrefois, il y a de ca des années, où je me trouvais assis sur les tuiles fraîchements posées de la tour, je renouais avec ce sentiment d’étrangeté face au vivant. Mais cette fois, assis sur un banc en granit, le dos courbé et les yeux plantés sur le sol au devant de moi, je constatais que ma tour s’était rompue, laissant sous mon souvenir un tas de décombres.

À la fin de l’année scolaire, un jour ensolleillé de début juillet, nous avons pris la voiture tous ensemble pour nous rendre à Antibes. Le vieux break volvo que j’avais acheté il y a de ça quelques années connaissait la route par cœur. Il était plein à craquer, autant d’objets dans le coffre et à nos pieds qui viendraient envahir le sol, les tables et les bureaux de la demeure. La route était longue et encombrée comme à tout départ de vacances, il me restait encore un peu de temps pour rêver à celle qui pendant des années avait en alternance hanté et apaisé mon esprit, à celle qui durant tout ce temps n’avait eu de place que pour moi. J’avais préétexté des mots de ventre pour laisser le volant à ma femme. Je le savais, il m’était impossible de conduire des étrangers jusqu’à cet endroit qui était devenu comme ma terre natale, celle où j’avais connu une renaissance, mais aussi celle qui m’avait enterré. Alors que la nuit précédant le départ je n’avais pas fermé l’œil, je passai les sept heures du trajet les yeux clos à me remémorer le temps révolu tout en luttant contre le sommeil, je savais qu’à cette échéance me laisser emporter par les bras de Morphée me déposerait dans ceux d’Hadès. À la sortie des autoroutes du sud, ma femme, épuisée par toutes ces heures de conduites et les cris des enfants qui se chamaillaient, me donna le volant. Je conduisis avec la même trouille au ventre que l’on peut avoir en passant son permis, la peur de faire un faux pas et d’être disqualifié. Involontairement, je me trompai de route, celle que j’avais parcourue une mutitude de fois, et engageai la voiture dans le vieil Antibes.

Il était aux alentours de midi, nous avions faim, et j’utilisai cette faute de manœuvre pour guider ma famille dans un petit restaurant où j’avais déjeuné la première fois arrivé dans la ville. Il se trouvait dans les hauteurs et en ce début d’après-midi le ciel largement dégagé offrait une vue imprenable sur la baie. Les grands yeux des enfants, écarquillés, observaient le paysage qui leur avait pris leur père, d’Antibes à l’aéroport de Nice, la mer plate s’assombrissait à l’horizon. Je leur montrais du doigt l’Ilette qui se trouvait à quelques centaines de mètres de la plage de la Salis et leur promettais qu’une fois installés nous pourrions y aller à la nage. Pourquoi avais-je choisi d’aller au restaurant sinon pour gagner du temps ? Nous êtions tous attablés, les enfants continuaient à se quereller, ma femme et moi gardions le silence, ses yeux brillaient de bonheur. Moi qui d’habitude étais plutôt radin quand nous allions au restaurant, persuadé que nous pouvions manger la même chose chez nous, je proposai cette fois que nous prenions, « par ce temps si merveilleux », un copieux apéritif suivi d’entrées et d’une parade de tapas. Toute cette nourriture riche qui transpirait l’huile d’olive me rassurait et me dégoûtait, l’estomac lié par le temps, je n’aurai pas même pu avaler une olive, mon ventre aurait explosé.

Le déjeuner était terminé, nous remontions en voiture et je nous conduisais jusqu’à la maison. Le teint livide, je maniais l’automobile comme un automate ou un enfant en bas âge dans une fête forraine, j’étais sur les rails, les feux rouges passaient au vert quand je m’en rapprochais, il n’y avait pas de bifurcations, cinq minutes plus tard nous êtions arrivés.





Chapitre deuxième : En sortant du Jardin d’Eden.

Une fois à destination, je sortai de la voiture pour aller ouvrir le portail en bois. Une allée tortueuse sur laquelle tombait les branches des arbres de maisons voisines y menait. Je l’avais fait faire par le même artisan qui avait confectionné la plupart des meubles de la maison comme la table basse du salon aux pieds torsadés ou le fauteuil en chêne qui traînait souvent auprès de la cheminée. Ma femme rentrait la voiture sur le terrain et descendait la pente qui menait au garage pour l’y garer. Les enfants étaient surexcités, ils avaient déjà eu un aperçu de la demeure en passant le portail, ils avaient vu la tour et ne savaient pas encore que celle-ci abritait leur chambre, une chambre dans laquelle j’avais passé des journées mais aussi des nuits à placer les meubles, évaluer les peintures et la maçonnerie des ouvriers, à la décorer de telle manière qu’ils puissent se sentir chez eux, comme dans leur chambre parisienne qu’ils aimaient tant, mais avec cet exotisme en plus, les lauriers roses, toujours eux, qu’ils pourraient voir de leur fenêtre tapisser le jardin, les coassements des grenouilles qui les berceraient la nuit tombée et les réveilleraient au matin, accompagnés des quelques rayons de soleil qui toujours se faufilent entre les stores véniciens, venant vous caresser le visage au rythme d’un clignement d’œil, d’une chaleur qui n’est là seulement pour faire corps avec la fraîcheur de la nuit, se posant sur la peau comme un gant de soie humide et tiède.

Les enfants posaient leurs affaires dans le hall d’entrée et couraient aussitôt se réfugier dans la tour. Cette tour qui jusque là n’avait existé qu’en mignature lorsqu’ils empilaient des Cluedo, se voyait gagner la réalité, une tour, une vraie, avec un escalier en colimaçon et une mezzanine aux meurtières obligeant les yeux à plonger sur la mer. Après que ma femme et moi ayons fais le tour de la maison pour qu’elle la découvre, main dans la main, nous nous sommes engagés dans le jardin pour nous faufiler entre les arbres et arbustes que j’avais tenu à diposer de manière aléatoire. L’ambiance y était particulière, ce désordre organisé donnait un charme hors du commun à la nature tout en cachant aux yeux de celle que j’aime, les traces que l’homme y avait posé. Elle m’avait dit avoir l’impression de connaître ce jardin, en gardant le silence, j’avais esquissé un sourire.
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Message  Peter Pan Mer 6 Jan 2010 - 19:14

Bonsoir lamainmorte,

j'ai trouvé votre texte bien écrit et l'histoire intéressante, ça donne envie d'en lire plus... Je n'ai néanmoins pas aimé la répétition du mot "perdurer", le deuxième aurait pu trouvé synonyme ou autre tournure je pense...
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Message  Peter Pan Mer 6 Jan 2010 - 19:16

Je n'avais pas vu que vous aviez continué le texte ! ma lecture s'est arrêtée au texte initial, men irai lire la suite plus tard...
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Message  lamainmorte Mer 6 Jan 2010 - 19:27

Bonsoir Peter !

Merci d'avoir remarqué cette répétition, en effet, elle se voyait et je l'ai immédiatement corrigée. J'ai remplacé perdurer par éterniser, en plus ça colle je pense encore mieux à l'idée qu'à ce moment de l'histoire il se fait de sa demeure. J'invente la suite au fur et à mesure, pour l'instant j'espère réussir à faire retomber le suspens qui né de ses angoisses sans rompre le cours du récit, c'est dur d'écrire dit donc !
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Message  Peter Pan Mer 6 Jan 2010 - 19:38

De rien, mais même si c'est dur d'écrire, je trouve que pour l'instant vous (tu ?) le faites vachement pas trop mal !

Le texte est en haut Modération hein, c'est pour ça que lamainmorte a répondu et que moi aussi du coup, même si je conçois que si on n'arrête pas de se répondre il restera toujours à cette place !!!
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Message  Claire d'Orée Mer 6 Jan 2010 - 19:58

Comme le dit Virginia Woolf dans "Une Chambre à soi", nous avons tous besoin d'une habitation dans laquelle nous puissions être libres d'écrire sans être dérangés par des visites intempestives, qui soit bien à nous. J'ai toujours considéré la propriété comme l'une des conditions de la liberté d'"habiter, comme le dit Hölderlin, poétiquement le monde". Mais dans votre texte, bien que les conditions matérielles soient remplis, vous ne comprenez plus le langage de la Nature. Il faut faire attention à cette forme d'enfermement.
Amicalement
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Message  Modération Mer 6 Jan 2010 - 20:00

Peter Pan a écrit:Le texte est en haut Modération hein, c'est pour ça que lamainmorte a répondu et que moi aussi du coup, même si je conçois que si on n'arrête pas de se répondre il restera toujours à cette place !!!
Pas de souci, Peter Pan, cela se remarque sans difficulté.
Dans ce cas précis, il n'y a pas de souci pour continuer des échanges quasi "en direct".
C'est vivant.
Ce sont les retours de l'auteur plusieurs heures, voire plusieurs jours après le dernier commentaire qui crée le problème.
Merci de cette remarque.
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Message  Peter Pan Mer 6 Jan 2010 - 20:06

J'en prends bonne note et arrête de faire remonter le texte de lamainmorte, merci de la précision chère Modération :-)
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Message  Modération Mer 6 Jan 2010 - 20:16

Peter Pan a écrit:J'en prends bonne note et arrête de faire remonter le texte de lamainmorte, merci de la précision chère Modération :-)
< Non, pas de souci pour qu'un commentateur continue un échange avec l'auteur, comme il est dit plus haut, à partir du moment où ce n'est pas l'auteur lui-même qui a fait remonter son texte.
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Message  Invité Mer 6 Jan 2010 - 20:57

On avance, on avance.

cinq minutes plus tard nous étions arrivés.
je sortis de la voiture pour aller ouvrir le portail en bois. Une allée tortueuse sur laquelle tombaient les branches des arbres
quelques rayons de soleil qui toujours se faufilent entre les stores vénitiens, venant vous caresser le visage au rythme d’un clignement d’œil, d’une chaleur qui n’est là seulement pour faire corps avec la fraîcheur de la nuit (ou "qui n'est là que pour...")
Cette tour qui jusque là n’avait existé qu’en miniature
Après que ma femme et moi avions/eûmes fait le tour de la maison pour qu’elle la découvre,
ce désordre organisé donnait un charme hors du commun à la nature, (virgule) tout en cachant aux yeux de celle que j’aime, les traces que l’homme y avait posées.

Je trouve drôlement encombrant et maladroit l'emploi de l'imparfait dans le dernier paragraphe du premier chapitre. Il me semble que le passé simple conviendrait bien mieux.

Par ailleurs, dans le deuxième chapitre, la 5eme phrase (commençant par " Les enfants étaient surexcités") est exagérément longue.

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Message  Invité Mer 6 Jan 2010 - 22:25

Ça me plaît toujours, mais, sérieux, faites gaffe à vos formes verbales et à la concordance des temps, ou alors dites-moi carrément que vous n'en avez rien à foutre, cela ne me vexera pas. En tout cas, me semble-t-il, vous n'utilisez pas du tout, dans ce que vous écrivez au fur et à mesure, les indications que je vous donne.

Mes remarques :
« Le déjeuner était terminé, nous remontâmes (ici, le passé simple s’impose absolument, je n’y peux rien ; l’imparfait est franchement impossible puisqu’on parle d’une action unique dans le récit) en voiture et je nous conduisis (et non « conduisais ; même remarque) jusqu’à la maison »
« une fête foraine (et non « forraine ») »
« cinq minutes plus tard nous étions arrivés »
« je sortis de la voiture »
« Une allée tortueuse sur laquelle tombaient (ce sont les branches qui tombent) les branches des arbres »
« les lauriers-roses »
« les stores vénitiens »
« d’une chaleur qui est (et non « n’est », à cause du « seulement » : la forme est positive) là seulement pour faire corps »
« Cette tour qui jusque-là n’avait existé qu’en miniature lorsqu’ils empilaient des Cluedo, (si vous mettez une virgule ici, ce qui me paraît une bonne idée, je pense qu’il vaut mieux la compléter par une mise en incise de « jusque-là ») se voyait gagner la réalité »
« Après que ma femme et moi eûmes fait (après « après que », on met le verbe à l’indicatif et non au subjonctif ; je pense que le mieux, ici, c’est le passé antérieur) le tour de la maison »
« donnait un charme hors du commun à la nature tout en cachant aux yeux de celle que j’aime, (si vous mettez une virgule ici, il me paraît préférable de compléter l’incise en en ajoutant une après « nature ») les traces que l’homme y avait posées. (l’homme avait posé quoi ? « que », mis pour « les traces », situé avant le verbe ; dans ce cas de figure, le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct) Elle m’avait dit avoir l’impression de connaître ce jardin, en gardant le silence, j’avais esquissé un sourire. (ce passage brutal au plus-que-parfait m’étonne, parce qu’on ne voit pas en quelle circonstance antérieure l’épouse a fait cette déclaration ; si elle la fait dans le temps du récit, vous devez mettre la phrase au passé simple) »

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Message  lamainmorte Ven 8 Jan 2010 - 9:03

Je suis en liberté surveillée par la modération, je suis destiné à me lamenter sur ce mur, voici la suite de mes mots ( suite dans les trois derniers paragraphes ) :

Chapitre premier : Toutes les tours d’ivoire sont une Tour de Babel.

Quand j’ai vu ce terrain vide en arpentant le cap d’Antibes j’ai tout de suite su qu’il était pour moi. À l’époque j’avais une trentaine d’années et peu de moyens, les oligarques russes n’avaient pas encore envahi la région pour se faire construire les maisons aux portails ostentatoires que l’on peut voir aujourd’hui tout autour du phare, des plages d’Antibes à celles de Juan les Pins, les prix restaient abordables. Le terrain était bon marché, certes recouvert d’une forêt broussailleuse de ronces, mais une fois tout ça déblayé, il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterais seul, en dessinant les plans et en allant chercher les pierres. Je voulais que cette maison soit mon havre de paix, mais aussi celui de ma famille et de mes futurs petits enfants qui eux-mêmes passeraient leurs vacances avec leurs propres enfants, jusqu’à ce que ma famille disparaisse. J’espérais qu’elle puisse perdurer jusqu’à la fin des temps, mon optimisme m’autorisait ces rêveries. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, elle se désagrégerait, comme toutes les pierres les plus dures, elle finirait par s’effriter et retomber en sable sur les plages de mon enfance. C’est dommage, mais c’est comme ça, tout finit par disparaître. Il reste quelque chose, peut-être, certes, mais rien d’assez grand pour qu’on puisse encore le voir ou l’apercevoir. Plus personne ne le sait, alors on dit que ça n’est plus, et c’est vrai, si il n’y a plus d’yeux pour sentir ce qui est, à quoi bon faire la différence.

Peu à peu j’organisais mon débarquement sur cette terre hostile, j’achetais, content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose que j’espérais éterniser, je commencais à faire de la place dans cette jungle. Le terrain était un grand rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre fertile et facile à creuser pour construire les combles, tout se profilait au mieux. J’imaginais déjà ma maison finie, haute, grande, avec une tour et un grand salon, une cheminée imposante, assez de chambres pour accueillir ma progéniture et la future sienne. Je voulais une hacienda, aux murs grossièrement faits de pierres de montagne, chaleureux, qui puissent contenir la chaleur en hiver et assurer une fraîcheur en été. J’imaginais plein de choses, moi qui me croyais destiné à prendre la réalité et la rejeter aussi brute qu’elle m’était venue, mon esprit décuplait ses capacités à inventer, trouver des solutions aux problèmes techniques, les appliquer avec succés, je ne m’arrêtais plus, comme une locomotive en pleine course, mon cerveau produisait une vapeur riche d’idées qui me suivait en sillons derrière moi. Je laissais des traces sur cette parcelle de monde, je me hissais toujours plus haut au fur et à mesure que les murs grimpaient, un étage, puis deux, et une tour pour courronner le tout. Un soir que le gros de ma maison était construit, je me hissai sur la toiture de ma tour, et regardais Antibes dans les lumières de la nuit. Les écureuils roux qui disparaîtraient suite à l’intégration d’écureuils bâtards gris ressemblant d’avantage à des rats, grouillaient encore dans les pins des maisons avoisinantes, sautaient de branche en branche, fuyaient, poursuivaient, vivaient. Je n’entendais rien mais les imaginais, encore et encore, imaginais cette nature qui le soir s’efface dans le silence assourdissant de la nuit. Comme si une fois là haut, une fois que j’avais satisfait mon avidité de faire quelque chose de concret, tout m’échappaît. Les animaux murmuraient des choses que je ne pouvais entendre, les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais là-haut, voyais tout, et ne comprenais plus rien.

Mais ma maison était finie, il ne me restait plus qu’à l’aménager de l’intérieur, organiser le jardin qui en faisait le tour et y passer les prochaines vacances pour m’y recueillir, fuir les bruits incessants de mon appartement parisien, m’y reposer en paix sans que jamais un klaxon vienne me sortir de mon sommeil. Au matin, peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerais dans un bassin creusé dans le sol et munis de petits murets dans la même pierre que celle utilisée pour ma maison, glisseraient leurs lointains coassements dans le creux de mes oreilles.

Je choisis pour le sol intérieur un dallage simple sous forme de petits carreaux de la taille d’un Chaussée aux Moines de supermarché couleur brique. Les grands murs seraient peints d’un rose saumon patiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle. Quel plaisir je prenais à donner vie à la maison, donner un sens à ma vie ! J’étais aveugle, aveuglé par le plaisir de mener à bien cette tâche que je m’étais incrite au fer rouge sur la paume de la main, comme si tout ce que je pouvais être auparavant avait été programmé pour m’amenner au pied d’une demeure que j’aurais façonnée à la sueur de mon front, à l’usure de mes mains, qui porteraient dorénavant la corne de mon travail. Plus rien ne comptait à part elle, cette maison qui était destinée à accueillir ma femme et mes enfants les avait oubliés. Dès que je pouvais m’absenter de mon bureau, de mon foyer je courais à Antibes peaufiner avec délicatesse les murs rugueux de mon paradis, dont ma femme pensait qu’il s’était mué en prison. Chaque jour je peinais un peu plus à la convaincre que cette maison lui était avant tout destinée, je lui mentais, je le savais, mais il me fallait à tout prix retarder le jour où elle ne serait plus à moi, mais à nous, le jour où mon âme qui la hante depuis ses fondements jusqu’au coq dominant la tour, se verrait substituéé à l’esprit de famille. Je devais à tout prix repousser la date d’écroulement des murs, de tous ces milliers de pierres, autant de blocs décrochés des falaises que de rêves qui tomberaient dans le plus grand des fracas. Cette métaphore n’en est pas une, elle est seulement le reflet des cauchemars que je faisais à l’époque. Moi qui avais toujours oublié ma vie nocturne aussitôt réveillé, je me remettais à rêver mais aussi à pleurer les yeux éteints la douleur que le jour me voilait. Tout le temps cette même image, une descente des plus classiques aux enfers, quoi de plus commun quand on connaît la banalité du mal, un escalier en fusion sous mes pieds carbonisés et mon visage rouge de sueur, une sueur épaisse, comme la graisse qui dégouline d’un porc tournant autour d’une broche. Le jour, au plus haut de ma maison, réfugié dans ma tour et entouré de mes rêves, je commencais à redouter la nuit dans laquelle autrefois j’aimais me faire caresser par le silence et la douce brise du crépuscule. Tous les jours je redoutais un peu plus que ma maison s’effondre, que le ciment qui liait si fort les pierres entre elles se transforme en poussière et laisse mes pénates fondre sur elles-mêmes. Je la savais solide, en la construisant je m’étais assuré qu’elle puisse durer des millénaires, mais le jour approchant où je devais la léguer à l’adversité me rongeait autant qu’elle.

Tout était prétexte à repartir pour Antibes, un rendez-vous de travail, un meuble à rajouter dans la maison, une fois c’était une table de nuit, l’autre un confiturier, j’inventais à chaque fois une nouvelle raison alors que nous savions tous deux, les biens, si je puis dire, que je ramenais, mes tics qui s’étaient développés et que je venais apaiser, mes peurs de revenir et de la trouver en ruine, que je venais dissiper, en me postant des heures à la regarder sur un des bancs du jardin. Entouré de lauriers roses que j’avais plantés nombreux, je me nichais au milieu de cette nature que j’avais nourrie et qui maintenant autonome regardait d’un œil vengeur le chien errant que j’étais devenu. Comme autrefois, il y a de ca des années, où je me trouvais assis sur les tuiles fraîchements posées de la tour, je renouais avec ce sentiment d’étrangeté face au vivant. Mais cette fois, assis sur un banc en granit, le dos courbé et les yeux plantés sur le sol au devant de moi, je constatais que ma tour s’était rompue, laissant sous mon souvenir un tas de décombres.

À la fin de l’année scolaire, un jour ensolleillé de début juillet, nous avons pris la voiture tous ensemble pour nous rendre à Antibes. Le vieux break volvo que j’avais acheté il y a de ça quelques années connaissait la route par cœur. Il était plein à craquer, autant d’objets dans le coffre et à nos pieds qui viendraient envahir le sol, les tables et les bureaux de la demeure. La route était longue et encombrée comme à tout départ de vacances, il me restait encore un peu de temps pour rêver à celle qui pendant des années avait en alternance hanté et apaisé mon esprit, à celle qui durant tout ce temps n’avait eu de place que pour moi. J’avais préétexté des mots de ventre pour laisser le volant à ma femme. Je le savais, il m’était impossible de conduire des étrangers jusqu’à cet endroit qui était devenu comme ma terre natale, celle où j’avais connu une renaissance, mais aussi celle qui m’avait enterré. Alors que la nuit précédant le départ je n’avais pas fermé l’œil, je passai les sept heures du trajet les yeux clos à me remémorer le temps révolu tout en luttant contre le sommeil, je savais qu’à cette échéance me laisser emporter par les bras de Morphée me déposerait dans ceux d’Hadès. À la sortie des autoroutes du sud, ma femme, épuisée par toutes ces heures de conduites et les cris des enfants qui se chamaillaient, me donna le volant. Je conduisis avec la même trouille au ventre que l’on peut avoir en passant son permis, la peur de faire un faux pas et d’être disqualifié. Involontairement, je me trompai de route, celle que j’avais parcourue une mutitude de fois, et engageai la voiture dans le vieil Antibes.

Il était aux alentours de midi, nous avions faim, et j’utilisai cette faute de manœuvre pour guider ma famille dans un petit restaurant où j’avais déjeuné la première fois arrivé dans la ville. Il se trouvait dans les hauteurs et en ce début d’après-midi le ciel largement dégagé offrait une vue imprenable sur la baie. Les grands yeux des enfants, écarquillés, observaient le paysage qui leur avait pris leur père, d’Antibes à l’aéroport de Nice, la mer plate s’assombrissait à l’horizon. Je leur montrais du doigt l’Ilette qui se trouvait à quelques centaines de mètres de la plage de la Salis et leur promettais qu’une fois installés nous pourrions y aller à la nage. Pourquoi avais-je choisi d’aller au restaurant sinon pour gagner du temps ? Nous êtions tous attablés, les enfants continuaient à se quereller, ma femme et moi gardions le silence, ses yeux brillaient de bonheur. Moi qui d’habitude étais plutôt radin quand nous allions au restaurant, persuadé que nous pouvions manger la même chose chez nous, je proposai cette fois que nous prenions, « par ce temps si merveilleux », un copieux apéritif suivi d’entrées et d’une parade de tapas. Toute cette nourriture riche qui transpirait l’huile d’olive me rassurait et me dégoûtait, l’estomac lié par le temps, je n’aurai pas même pu avaler une olive, mon ventre aurait explosé.

Le déjeuner était terminé, nous remontâmes en voiture et je nous conduisis jusqu’à la maison. Le teint livide, je maniais l’automobile comme un automate ou un enfant en bas âge dans une fête foraine, j’étais sur les rails, les feux rouges passaient au vert quand je m’en rapprochais, il n’y avait pas de bifurcations, cinq minutes plus tard nous étions arrivés.





Chapitre deuxième : En sortant du Jardin d’Eden.

Je sortai de la voiture pour aller ouvrir le portail en bois. Une allée tortueuse sur laquelle tombaient les branches des arbres de maisons voisines y menait. Je l’avais fait faire par le même artisan qui avait confectionné la plupart des meubles de la maison comme la table basse du salon aux pieds torsadés ou le fauteuil en chêne qui traînait souvent auprès de la cheminée. Ma femme rentrait la voiture sur le terrain et descendait la pente qui menait au garage pour l’y garer. Les enfants étaient surexcités, ils avaient aperçu la demeure en passant le portail et avaient et ainsi la tour. Ils ne savaient pas encore que celle-ci abritait leur chambre, une chambre dans laquelle j’avais passé des journées mais aussi des nuits à placer les meubles, évaluer les peintures et la maçonnerie des ouvriers, à la décorer de telle manière qu’ils puissent se sentir chez eux, comme dans leur chambre parisienne qu’ils aimaient tant. Mais avec cet exotisme en plus, les lauriers-roses, toujours eux, qu’ils pourraient voir de leur fenêtre tapisser le jardin, les coassements des grenouilles qui les berceraient la nuit tombée et les réveilleraient au matin, accompagnés des quelques rayons de soleil qui toujours se faufilent entre les stores vénitiens, venant vous caresser le visage au rythme d’un clignement d’œil, d’une chaleur qui est là seulement pour faire corps avec la fraîcheur de la nuit, se posant sur la peau comme un gant de soie humide et tiède.

Les enfants posaient leurs affaires dans le hall d’entrée et couraient aussitôt se réfugier dans la tour. Cette tour qui n’avait existé qu’en mignature lorsqu’ils empilaient des Cluedo, se voyait gagner la réalité, une tour, une vraie, avec un escalier en colimaçon et une mezzanine aux meurtières obligeant les yeux à plonger sur la mer. Après que ma femme et moi eûmes fait le tour de la maison pour qu’elle la découvre, main dans la main, nous nous sommes engagés dans le jardin pour nous faufiler entre les arbres et arbustes que j’avais tenu à diposer de manière aléatoire. L’ambiance y était particulière, ce désordre organisé donnait un charme hors du commun à la nature, tout en cachant aux yeux de celle que j’aime, les traces que l’homme y avait posées. Elle me dit avoir l’impression de connaître ce jardin, en gardant le silence, j’esquissai un sourire.

Cela faisait longtemps que nous ne nous êtions pas ainsi pris par la main comme les Amoureux des bancs Publics, mais ce qui comptait alors le plus pour moi n’était pas cet amour qui allait refaire surface, mais mon âme retrouvée qui lui permettrait son ascencion. Celle que je croyais enfouie dans les combles de la maison se trouvait dans ce jardin, et il fallait que quelqu’un qui m’y ammène. Tous les jardins, sauf peut-être ces jardins allemands aux formes géométriques qui vous donnent l’impression d’évoluer entre des troupes en attente, regagnent après que ses jardiniers s’en soient allés, une part de leur virgnité. Cette nature avait repris tout ce qu’elle pouvait et s’était amplement servie dans mon âme en ne me laissant que quelques minces fragments. C’était assez pour survivre.

Deux semaines plus tard j’étais pratiquement soigné. J’avais retrouvé ma joie de vivre d’antan, nous allions à la plage tous les jours et y passaient de longues heures à se laisser brunir la peau. Ma femme et moi lisions nos livres respectifs tandis que les enfants restaient dans l’eau de longues heures à pourchasser, masque sur le visage et tuba dans la bouche, les solettes qui se trainaient sur le sable. Plusieurs fois, j’ étais même rentré seul à Paris laissant ma petite famille se languir et s’occuper de la maison. La peur de la voir disparaître s’était envolée, une fois là bas je n’y pensais plus. Un jour, je su que j’étais guéri, enfin je le cru : alors que j’étais à Paris, affalé dans le canapé du salon à lire mon journal, je regardai ma montre et constatai dans la plus grande indifférence que j’avais raté le train pour Antibes depuis déjà une heure. Je me grattai le nez entre le pouce et l’index comme j’en ai l’habitude et me replongeai dans cet article passionant sur la « rénovation des mille et un châteaux de Dordogne ».

Le fin du mois de juillet s’annonçait, nous commençions à ranger la maison. Je m’occupais de l’intérieur, nettoyais les sols, vidais les chambres des milles objets qui y avaient été déposés, et que toujours la vie éparpille parce qu’elle est comme ça : un grand bordel. Ma femme, quant à elle, avait été absorbée par le jardin, elle installait l’arrosage automatique pour que les plantes les plus fragiles ne dépérissent pas, finissait d’arracher de la terre les quelque pousses étrangères, de tailler, de couper. J’aimais la regarder car j’aimais cette façon qu’elle avait de faire les choses, elle n’allait que très rarement au plus pratique, mais l’osmose qui naissait de l’association de ses milliers de gestes, recréait un ordre qui ne pouvait laisser indifférent et faisait oublier la seule pensée d’un agencement plus pragmatique. Ma Nathalie ! Enfin, j’aimais plus que tout cette manière délicate qu’elle avait de dire à l’ordre établis d’aller se faire voir. En plaisantant, je lui faisais part de l’ingratitude de notre jardin, que l’on avait chéri pendant tout ce mois, arrosé comme il le faut et fertilisé par la dépose d’angrais appropriés, et qui après notre départ se mettrait à vivre de lui-même, s’autodétruire en devéloppant des mauvaises herbes que nos perfusions viendraient engraisser. On vient souvent comparer l’entretiens consciencieux de telle ou telle chose à celui d’un enfant, on s’en occupe, on le chérit, et il finit par vouloir partir, s’enfuir même, et voler de ses propres ailes. J’apprécie cette comparaison, mais ce qui me touche le plus, et en premier lieu, c’est à quel point ceux qu’on a aidé à vivre en auront toujours besoin et garderont au fond d’eux-mêmes les traits que nous avons inscris. Oh combien ils ne pourront jamais se passer, comme mon jardin, des perfusions du premier jour.

< Il semble décidément qu'il y ait quelque chose de difficile à comprendre dans notre fonctionnement...
L'auteur a TOUTES LIBERTES de poster autant de suite qu'il le désire dans un sujet commencé et destiné à comporter plusieurs épisodes.
Ce qui est demandé est d'être "modéré" dans les réponses de l'auteur aux commentaires. De façon à ce que l'auteur ne fasse pas remonter lui-même son texte en haut de page en répondant aux commentateurs.
Mais s'il s'agit de poster une suite, aucun souci, le texte remonte, rien d'anormal.
Votre texte est donc déplacé ici ainsi que le commentaire de socque qui l'a suivi.
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Message  Invité Ven 8 Jan 2010 - 9:15

J'aime toujours, mais je commence à trouver que vous vous attardez... Par ailleurs, à mon avis, vous avez plutôt intérêt à poursuivre votre texte dans le même sujet, silene82 et lu-k, pour ne citer qu'eux, procèdent ainsi pour les textes à plusieurs épisodes, et silene82, dans ses moments de grande prodigalité, ajoutait un nouveau développement tous les jours ou presque. On ne lui a jamais rien dit. Votre texte n'est pas à sa place dans les réponses aux commentaires, selon moi.

Sinon, mes remarques :
« il fallait que quelqu’un qui m’y amène (et non « ammène ») »
« regagnent après que ses jardiniers s’en sont (et non « soient » ; « après que » est suivi de l’indicatif et non du subjonctif) allés, (si vous tenez à la virgule ici, il est à mon avis préférable de compléter l’incise en en insérant une autre après « regagnent ») une part de leur virgnité »
« nous allions à la plage tous les jours et y passions de longues heures à nous laisser brunir la peau »
« les solettes qui se traînaient »
« une fois là-bas »
« Un jour, je sus que j’étais guéri, enfin je le crus »
« vidais les chambres des mille (et non « milles » ; « mille » est rigoureusement invariable) objets »
« les quelques pousses étrangères »
« mais l’osmose qui naissait de l’association de ses milliers de gestes, (pourquoi une virgule ici ?) recréait un ordre qui ne pouvait laisser indifférent » : je trouve lourdes les deux relatives imbriquées introduites par « qui »
« l’ordre établi (et non « établis ») »
« la dépose d’e[b]ngrais »
« l’entretien [b](et non « l’entretiens »)
consciencieux »
« les traits que nous avons inscrits (bravo pour l’accord, au fait !) »

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Message  lamainmorte Dim 10 Jan 2010 - 19:37

Chapitre premier : Toutes les tours d’ivoire sont une Tour de Babel.

Quand j’ai vu ce terrain vide en arpentant le cap d’Antibes j’ai tout de suite su qu’il était pour moi. À l’époque j’avais une trentaine d’années et peu de moyens, les oligarques russes n’avaient pas encore envahi la région pour se faire construire les maisons aux portails m’as-tu-vus que l’on peut voir aujourd’hui. Tout autour du phare, des plages d’Antibes à celles de Juan les Pins, les prix restaient abordables. Le terrain était bon marché, certes recouvert d’une forêt broussailleuse de ronces, mais une fois tout ça déblayé, il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterais seul, en dessinant les plans et en allant chercher les pierres. Je voulais que cette maison soit mon havre de paix, mais aussi celui de ma famille et de mes futurs petits enfants qui eux-mêmes passeraient leurs vacances avec leurs propres enfants, jusqu’à ce que ma famille disparaisse. J’espérais qu’elle puisse perdurer jusqu’à la fin des temps, mon optimisme m’autorisait ces rêveries. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, elle se désagrégerait, comme toutes les pierres les plus dures, elle finirait par s’effriter et retomber en sable sur les plages de mon enfance. C’est dommage, mais c’est comme ça, tout finit par disparaître. Il reste quelque chose, peut-être, certes, mais rien d’assez grand pour qu’on puisse encore le voir ou l’apercevoir. Plus personne ne le sait, alors on dit que ça n’est plus, et c’est vrai, si il n’y a plus d’yeux pour sentir ce qui est, à quoi bon faire la différence.

Peu à peu j’organisais mon débarquement sur cette terre hostile, j’achetais, content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose dont je saurai profiter je commencais à faire de la place dans cette jungle. Le terrain était un grand rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre fertile et facile à creuser pour construire les combles, tout se profilait au mieux. J’imaginais déjà ma maison finie, haute, profonde, avec une tour et un vaste salon, une cheminée imposante et assez de chambres pour accueillir une grande famille. Je voulais une hacienda chaleureuse, aux murs de pierres de montagne grossièrement taillées qui puissent contenir la chaleur en hiver et assurer une fraîcheur en été. J’imaginais plein de choses, moi qui me croyais destiné à prendre la réalité et la rejeter aussi brute qu’elle m’était venue jusqu’à la fin de ma vie, mon esprit décuplait ses capacités à inventer, trouver des solutions aux problèmes, les appliquer avec succés, je ne m’arrêtais plus, comme une locomotive en pleine course, mon cerveau produisait une vapeur riche d’idées qui me suivait en sillons derrière moi. Je laissais des traces sur cette parcelle de monde et me hissais toujours plus haut au fur et à mesure que les murs grimpaient, un étage, puis deux, et une tour pour courronner le tout.

Un soir que le gros de ma maison était construit, je me hissai sur la toiture de ma tour, et regardais Antibes dans les lumières de la nuit. Les écureuils roux qui disparaîtraient suite à l’intégration de lointains cousins bâtards gris ressemblant d’avantage à des rats, grouillaient encore dans les pins des maisons avoisinantes, sautaient de branche en branche, fuyaient, poursuivaient, vivaient. Je n’entendais rien mais les imaginais, encore et encore, imaginais cette nature qui le soir s’efface dans le silence assourdissant de la nuit. Comme si une fois là haut, une fois que j’avais satisfait mon avidité d’accomplir quelque chose de concret, tout m’échappaît. Les animaux murmuraient des choses que je ne pouvais entendre, les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais là-haut, voyais tout, et ne comprenais plus rien.

Mais ma maison était finie, il ne me restait plus qu’à l’aménager de l’intérieur et organiser le jardin qui en faisait le tour pour y passer les prochaines vacances. J’allais m’y recueillir, fuir les bruits incessants de mon appartement parisien et m’y reposer en paix sans que jamais un klaxon vienne me sortir de mon sommeil. Au matin, peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerais dans un bassin creusé dans le sol et munis de petits murets, glisseraient leurs lointains coassements dans le creux de mes oreilles.

Je choisis pour le sol intérieur un dallage simple sous forme de petits carreaux de la taille d’un Chaussée aux Moines de supermarché couleur brique. Les grands murs seraient peints d’un rose saumon patiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle. Quel plaisir je prenais à donner vie à la maison, donner un sens à ma vie ! J’étais aveugle, aveuglé par le plaisir de mener à bien cette tâche que je m’étais incrite au fer rouge sur la paume de la main. Comme si tout ce que je pouvais être auparavant avait été programmé pour m’amener au pied d’une demeure que j’aurais façonnée à la sueur de mon front, à l’usure de mes mains et qui porteraient dorénavant la corne de mon travail. Plus rien ne comptait à part elle, cette maison qui était destinée à accueillir ma femme et mes enfants les avait oubliés. Dès que je pouvais m’absenter de mon bureau ou de mon foyer je courais à Antibes peaufiner avec délicatesse les murs rugueux de mon paradis, dont ma femme pensait qu’il s’était mué en prison. Chaque jour je peinais un peu plus à la convaincre que cette maison lui était avant tout destinée, je lui mentais, je le savais, mais il me fallait à tout prix retarder le jour où elle ne serait plus à moi, mais à nous, le jour où mon âme qui la hante depuis ses fondements jusqu’au coq dominant la tour, se verrait substituéé à l’esprit de famille. Je devais à tout prix repousser la date d’écroulement des murs, de tous ces milliers de pierres, autant de blocs décrochés des falaises que de rêves qui tomberaient dans le plus grand des fracas.
Moi qui avais toujours oublié ma vie nocturne aussitôt réveillé, je me remettais à rêver mais aussi à pleurer les yeux éteints la douleur que le jour me voilait. Tout le temps cette même image, une descente des plus classiques aux enfers, quoi de plus commun quand on connaît la banalité du mal, un escalier en fusion sous mes pieds carbonisés et mon visage rouge de sueur, une sueur épaisse, comme la graisse qui dégouline d’un porc tournant autour d’une broche. Le jour, au plus haut de ma maison, réfugié dans ma tour et entouré de mes rêves, je commencais à redouter la nuit dans laquelle autrefois j’aimais me faire caresser par le silence et la douce brise du crépuscule. Tous les jours je redoutais un peu plus que ma maison s’effondre, que le ciment qui liait si fort les pierres entre elles se transforme en poussière et laisse mes pénates fondre sur elles-mêmes. Je la savais solide, mais le jour approchant où je devais la léguer à l’adversité me rongeait autant qu’elle.

Tout était prétexte à repartir pour Antibes, un rendez-vous de travail, un meuble à rajouter dans la maison. Une fois c’était une table de nuit, l’autre un confiturier, j’inventais à chaque fois une nouvelle raison alors que nous savions tous deux, les biens, si je puis dire, que je ramenais ; mes tics qui s’étaient développés et que je venais apaiser, mes peurs de revenir et de la trouver en ruine, que je venais dissiper, en me postant des heures à la regarder sur un des bancs du jardin. Entouré de lauriers roses que j’avais plantés nombreux, je me nichais au milieu de cette nature que j’avais nourrie et qui maintenant autonome regardait d’un œil vengeur le chien errant que j’étais devenu. Comme autrefois, il y a de ça des années, où je me trouvais assis sur les tuiles fraîchements posées de la tour, je renouais avec ce sentiment d’étrangeté face au vivant. Mais cette fois, assis sur un banc de granit, le dos courbé et les yeux plantés sur le sol au devant de moi, je constatais que ma tour s’était rompue, laissant sous mon souvenir un tas de décombres.

À la fin de l’année scolaire, nous avons pris la voiture tous ensemble pour nous rendre à Antibes. Le vieux break volvo que j’avais acheté il y a de ça quelques années connaissait la route par cœur. Il était plein à craquer, autant d’objets dans le coffre et à nos pieds qui viendraient envahir le sol, les tables et les bureaux de la demeure. La route était longue et encombrée comme à tout départ de vacances, il me restait encore un peu de temps pour rêver à celle qui pendant des années avait en alternance hanté et apaisé mon esprit, à celle qui durant tout ce temps n’avait eu de place que pour moi. J’avais préétexté des maux de ventre pour laisser le volant à ma femme. Je le savais, il m’était impossible de conduire des étrangers jusqu’à cet endroit qui était devenu comme ma terre natale, celle où j’avais connu une renaissance, mais aussi celle qui m’avait enterré. Alors que la nuit précédant le départ je n’avais pas fermé l’œil, je passai les sept heures du trajet les yeux clos à me remémorer le temps révolu tout en luttant contre le sommeil. Je savais qu’à cette échéance me laisser emporter par les bras de Morphée me déposerait dans ceux d’Hadès. À la sortie des autoroutes du sud, ma femme, épuisée par toutes ces heures de conduites et les cris des enfants qui se chamaillaient, me donna le volant. Je conduisis avec la même trouille au ventre que l’on peut avoir en passant son permis, la peur de faire un faux pas et d’être disqualifié. Involontairement, je me trompai de route, celle que j’avais parcourue une mutitude de fois, et engageai la voiture dans le vieil Antibes.

Il était aux alentours de midi et nous avions faim. J’utilisai cette faute de manœuvre pour guider ma famille dans un petit restaurant où j’avais déjeuné la première fois arrivé dans la ville. Il se situait dans les hauteurs et en ce début d’après-midi le ciel largement dégagé offrait une vue imprenable sur la baie. Les grands yeux des enfants, écarquillés, observaient le paysage qui leur avait pris leur père. D’Antibes à l’aéroport de Nice, la mer plate s’assombrissait à l’horizon. Pourquoi avais-je choisi d’aller au restaurant sinon pour gagner du temps ? Nous étions tous attablés, les enfants continuaient à se chicaner. Ma femme et moi gardions le silence, ses yeux brillaient de bonheur. Moi qui d’habitude étais plutôt radin quand nous allions au restaurant, persuadé que nous pouvions manger la même chose chez nous, je proposai cette fois que nous prenions, « par ce temps si merveilleux », un copieux apéritif suivi d’entrées et d’une parade de tapas . Toute cette nourriture riche qui transpirait l’huile d’olive me rassurait et me dégoûtait. L’estomac lié par le temps, je n’aurai pas même pu avaler une olive, mon ventre aurait explosé .

Le déjeuner était terminé, nous remontâmes en voiture et je nous conduisis jusqu’à la maison. Le teint livide, je maniais l’automobile comme un automate ou un enfant en bas âge dans une fête foraine, j’étais sur les rails, les feux rouges passaient au vert quand je m’en rapprochais, il n’y avait pas de bifurcations. Cinq minutes plus tard nous étions arrivés.



Chapitre deuxième : En sortant du Jardin d’Eden.

Je sortai de la voiture pour aller ouvrir le portail en bois. Une allée tortueuse sur laquelle tombaient les branches des arbres de maisons voisines y menait comme un tunnel jusqu’à un puit de lumière. Je l’avais fait fabriquer par le même artisan qui avait confectionné la plupart des meubles de la maison à l’instar de la table basse du salon aux pieds torsadés et le fauteuil en chêne qui traînait souvent auprès de la cheminée. Ma femme rentrait la voiture sur le terrain et descendait la pente qui menait au sous-sol pour l’y garer. En passant le portail, les enfants avaient vu la tour. Ils ne savaient pas encore qu’elle abriterait leur chambre, une chambre dans laquelle j’avais passé des journées mais aussi des nuits à placer les meubles, évaluer les peintures et la maçonnerie des ouvriers, à la décorer et imprimer sur ses murs une familiarité qui puissent les faire se sentir comme dans leur chambre parisienne. Mais avec cet exotisme en plus, les lauriers-roses, toujours eux, qu’ils pourraient voir de leur fenêtre tapisser le jardin, les coassements des grenouilles qui les berceraient la nuit tombée et les réveilleraient au matin, accompagnés des quelques rayons de soleil qui toujours se faufilent entre les stores vénitiens, venant vous caresser le visage au rythme d’un clignement d’œil, d’une chaleur faisant corps avec la fraîcheur de la nuit, se posant sur la peau comme un gant de soie humide et tiède.

Les enfants posaient leurs affaires dans le hall d’entrée et couraient aussitôt se réfugier dans la tour. Cette tour qui n’avait existé qu’en miniature lorsqu’ils empilaient des Legos se voyait gagner la réalité, une tour, une vraie, avec un escalier en colimaçon et une mezzanine aux meurtières obligeant les yeux à plonger sur la mer.

Après que ma femme et moi eûmes fait le tour de la maison pour qu’elle la découvre, main dans la main, nous nous engagâmes dans le jardin pour nous faufiler entre les arbres et les arbustes. L’ambiance y était particulière, ce désordre organisé donnait un charme hors du commun à la nature tout en cachant aux yeux de celle que j’aime, les traces que l’homme y avait posées. Elle me dit avoir l’impression de connaître ce jardin, en gardant le silence, j’esquissai un sourire...

Cela faisait longtemps que nous ne nous êtions pas ainsi pris par la main comme les Amoureux des bancs Publics, mais ce qui comptait alors le plus pour moi n’était pas cet amour qui allait refaire surface, mais mon âme retrouvée qui lui permettrait son ascencion. Celle que je croyais enfouie dans les combles de la maison se trouvait dans ce jardin, et il fallait que quelqu’un qui m’y amène. Tous les jardins, sauf peut-être ces jardins allemands aux formes géométriques qui vous donnent l’impression d’évoluer entre des troupes en attente, regagnent après que ses jardiniers s’en sont allés, une part de leur virgnité. Cette nature avait repris tout ce qu’elle pouvait et s’était amplement servie dans mon âme en ne me laissant que quelques minces fragments. C’était assez pour survivre.

Deux semaines plus tard j’étais pratiquement soigné. J’avais retrouvé ma joie de vivre d’antan, nous allions tous les jours à la plage et y passions de longues heures à nous laisser brunir la peau. Ma femme et moi lisions nos livres respectifs tandis que les enfants, qu’elle avait recouvert de crème solaire des pieds à la tête, restaient dans l’eau de longues heures à pourchasser, masque sur le visage et tuba dans la bouche, les solettes qui se traînaient sur le sable. Plusieurs fois, j’étais même rentré seul à Paris. La peur de la voir disparaître s’était envolée, une fois là-bas je n’y pensais plus. Un jour, je sus que j’étais guéri, enfin je le crus : alors que j’étais à Paris, affalé dans le canapé du salon à lire mon journal, je regardai ma montre et constatai dans la plus grande indifférence que j’avais raté le train pour Antibes depuis déjà une heure. Je me grattai le nez entre le pouce et l’index comme j’en ai l’habitude et me replongeai dans cet article passionant sur la « rénovation des mille et un châteaux de Dordogne ».

La fin du mois de juillet s’annonçait et nous commencions à ranger la maison. Je m’occupais de l’intérieur, nettoyais les sols, vidais les chambres des mille objets qui y avaient été déposés, et que toujours la vie éparpille parce qu’elle est comme ça : un grand bordel. Ma femme, quant à elle, avait été absorbée par le jardin, elle installait l’arrosage automatique pour que les plantes les plus fragiles survivent, finissait d’arracher de la terre les quelques pousses étrangères, de tailler, de couper. J’aimais la regarder car j’aimais cette façon qu’elle avait de faire les choses, elle n’allait que très rarement au plus pratique, mais l’osmose naissant de l’association de ses milliers de gestes recréait un ordre qui ne pouvait laisser indifférent et faisait oublier aussitôt la seule pensée d’un agencement plus pragmatique. Enfin, j’aimais plus que tout cette manière délicate qu’elle avait de dire à l’ordre établi d’aller se faire voir. En plaisantant, je lui faisais part de l’ingratitude de notre jardin que nous avions chéri pendant tout ce mois, arrosé comme il le faut et fertilisé par la dépose d’engrais. Jardin qui après notre départ se mettrait à vivre par lui-même et s’autodétruire en devéloppant les mauvaises herbes que nos perfusions viendraient engraisser. On vient souvent comparer l’entretien consciencieux de telle ou telle chose à celui d’un enfant, on s’en occupe, on le chérit, et il finit par s’enfuir et voler de ses propres ailes. J’apprécie cette comparaison, mais ce qui me touche le plus et me réconforte, c’est à quel point ceux qu’on a aidé à vivre en auront toujours besoin et garderont au fond d’eux-mêmes les traits que nous avons inscrits. Oh combien ils ne pourront jamais se passer, comme ce jardin, des perfusions du premier jour.

C’était le 28 Juillet 1964. Nous avions fini de charger la voiture. Ma femme et moi avions eu cette discussion où elle me faisait promettre de ne plus jamais retourner à Antibes sans elle, de ne plus jamais agir comme je l’avais fait, comme un célibataire et un père irresponsable. Nous étions dans notre chambre, la plus grande, celle avec une terrasse donnant sur l’arrière de la maison et la fenêtre côté patio. Et j’avais promis. J’avais juré de tenir ma parole, celle qu’un mois plus tard j’allais baffouer.

Je fis un dernier tour de la maison pour m’assurer que nous n’avions rien oublié, pour me convaincre et pour toucher, glisser mes mains sur les commodes qui venaient d’être cirées, ouvrir les tiroirs et aussitôt les refermer sans avoir regardé ce qu’il y avait dedans. J’agissais comme un fou, comme une femme qui a perdu son alliance et qui jète des regards désespérés dans tous les sens, les yeux allant de haut en bas puis de bas en haut en l’espace d’un instant, un regard, non même plus un regard, juste deux globes qui tournoient sur eux-mêmes à la recherche d’un point fixe. Une minute avant de partir je venai de perdre ma position, l’espace s’écroulait au dessus de moi, il se compressait pour me réduire à néant. Je voulais être partout et me retrouvais nulle part, juste là comme un con, un insensé. J’étais l’aliéné, celui qu’on croit errer en le voyant marcher, le même dont on se persuade qu’il délire pour ensuite venir nous écrouler dans ce confortable canapé Made in Normality. Avais-je oublié mon objectif ou avait-on manquer de me le donner, je ne sais pas. Je le ressentais si fort qu’en fermant les yeux j’aurai pu le toucher. Mais une fois la lumière au fond de mes pupilles, j’étais éblouis, le point s’était transformé en une tâche noire et floue. J’avais cassé ma plume sur un dessin, une esquisse de moi, l’encre formait déjà une flaque sombre sur ma peau : je sortai du Jardin.
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Message  Invité Dim 10 Jan 2010 - 19:51

Soit, et vous relevez l'intérêt avec cette anticipation comme quoi le narrateur va violer sa parole... mais là, craiment, j'ai envie que ça bouge, que la catastrophe pendante intervienne !

Mes remarques :
« celle qu’un mois plus tard j’allais bafouer (et non « baffouer ») »
« qui jette des regards désespérés »
« je venais de perdre ma position, l’espace s’écroulait au-dessus de moi »
« avait-on manqué (en outre, je trouve l’espression maladroite, d’un niveau de langue en-dessous de l’ensemble du texte) de me le donner »
« en fermant les yeux j’aurais pu le toucher »
« j’étais ébloui (et non « éblouis ») »
« une tache (une tache est une souillure, une tâche un boulot à faire) noire »
« je sortais du Jardin »

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Message  Invité Dim 10 Jan 2010 - 19:53

"l'expression"

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Message  Invité Dim 10 Jan 2010 - 20:08

Oui, tu atermoies, il va falloir lâcher le morceau, on est prêts je crois.

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Message  lamainmorte Dim 10 Jan 2010 - 20:17

Sadiques !
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Ma tour de Babel Empty Toutes les tours d'ivoire sont des tours de Babel -

Message  lamainmorte Mer 13 Jan 2010 - 21:55

Chapitre premier : Toutes les tours d’ivoire sont une Tour de Babel.

Quand j’ai vu ce terrain vide en arpentant le cap d’Antibes j’ai tout de suite su qu’il était pour moi. À l’époque j’avais une trentaine d’années et peu de moyens, les oligarques russes n’avaient pas encore envahi la région pour se faire construire les maisons aux portails m’as-tu-vus que l’on peut voir aujourd’hui. Tout autour du phare, des plages d’Antibes à celles de Juan les Pins, les prix restaient abordables. Le terrain était bon marché, certes recouvert d’une forêt broussailleuse de ronces, mais une fois tout ça déblayé, il avait le potentiel d’accueillir mon paradis, celui que je monterais seul, en dessinant les plans et en allant chercher les pierres. Je voulais que cette maison soit mon havre de paix, mais aussi celui de ma famille et de mes futurs petits enfants qui eux-mêmes passeraient leurs vacances avec leurs propres enfants, jusqu’à ce que ma famille disparaisse. J’espérais qu’elle puisse perdurer jusqu’à la fin des temps, mon optimisme m’autorisait ces rêveries. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, elle se désagrégerait, comme toutes les pierres les plus dures, elle finirait par s’effriter et retomber en sable sur les plages de mon enfance. C’est dommage, mais c’est comme ça, tout finit par disparaître. Il reste quelque chose, peut-être, certes, mais rien d’assez grand pour qu’on puisse encore le voir ou l’apercevoir. Plus personne ne le sait, alors on dit que ça n’est plus, et c’est vrai, si il n’y a plus d’yeux pour sentir ce qui est, à quoi bon faire la différence.

Peu à peu j’organisais mon débarquement sur cette terre hostile, j’achetais, content d’avoir dépensé de l’argent pour quelque chose dont je saurai profiter je commencais à faire de la place dans cette jungle. Le terrain était un grand rectangle d’une centaine de mètres de longueur sur cinquante mètres de large, la terre fertile et facile à creuser pour construire les combles, tout se profilait au mieux. J’imaginais déjà ma maison finie, haute, profonde, avec une tour et un vaste salon, une cheminée imposante et assez de chambres pour accueillir une grande famille. Je voulais une hacienda chaleureuse, aux murs de pierres de montagne grossièrement taillées qui puissent contenir la chaleur en hiver et assurer une fraîcheur en été. J’imaginais plein de choses, moi qui me croyais destiné à prendre la réalité et la rejeter aussi brute qu’elle m’était venue jusqu’à la fin de ma vie, mon esprit décuplait ses capacités à inventer, trouver des solutions aux problèmes, les appliquer avec succés, je ne m’arrêtais plus, comme une locomotive en pleine course, mon cerveau produisait une vapeur riche d’idées qui me suivait en sillons derrière moi. Je laissais des traces sur cette parcelle de monde et me hissais toujours plus haut au fur et à mesure que les murs grimpaient, un étage, puis deux, et une tour pour courronner le tout.

Un soir que le gros de ma maison était construit, je me hissai sur la toiture de ma tour, et regardais Antibes dans les lumières de la nuit. Les écureuils roux qui disparaîtraient suite à l’intégration de lointains cousins bâtards gris ressemblant d’avantage à des rats, grouillaient encore dans les pins des maisons avoisinantes, sautaient de branche en branche, fuyaient, poursuivaient, vivaient. Je n’entendais rien mais les imaginais, encore et encore, imaginais cette nature qui le soir s’efface dans le silence assourdissant de la nuit. Comme si une fois là haut, une fois que j’avais satisfait mon avidité d’accomplir quelque chose de concret, tout m’échappaît. Les animaux murmuraient des choses que je ne pouvais entendre, les arbres parlaient un language incompréhensible, j’étais là-haut, voyais tout, et ne comprenais plus rien.

Mais ma maison était finie, il ne me restait plus qu’à l’aménager de l’intérieur et organiser le jardin qui en faisait le tour pour y passer les prochaines vacances. J’allais m’y recueillir, fuir les bruits incessants de mon appartement parisien et m’y reposer en paix sans que jamais un klaxon vienne me sortir de mon sommeil. Au matin, peut-être seulement les bruits de grenouilles que j’installerais dans un bassin creusé dans le sol et munis de petits murets, glisseraient leurs lointains coassements dans le creux de mes oreilles.

Je choisis pour le sol intérieur un dallage simple sous forme de petits carreaux de la taille d’un Chaussée aux Moines de supermarché couleur brique. Les grands murs seraient peints d’un rose saumon patiné afin qu’ils perdent de leur austérité originelle. Quel plaisir je prenais à donner vie à la maison, donner un sens à ma vie ! J’étais aveugle, aveuglé par le plaisir de mener à bien cette tâche que je m’étais incrite au fer rouge sur la paume de la main. Comme si tout ce que je pouvais être auparavant avait été programmé pour m’amener au pied d’une demeure que j’aurais façonnée à la sueur de mon front, à l’usure de mes mains et qui porteraient dorénavant la corne de mon travail. Plus rien ne comptait à part elle, cette maison qui était destinée à accueillir ma femme et mes enfants les avait oubliés. Dès que je pouvais m’absenter de mon bureau ou de mon foyer je courais à Antibes peaufiner avec délicatesse les murs rugueux de mon paradis, dont ma femme pensait qu’il s’était mué en prison. Chaque jour je peinais un peu plus à la convaincre que cette maison lui était avant tout destinée, je lui mentais, je le savais, mais il me fallait à tout prix retarder le jour où elle ne serait plus à moi, mais à nous, le jour où mon âme qui la hante depuis ses fondements jusqu’au coq dominant la tour, se verrait substituéé à l’esprit de famille. Je devais à tout prix repousser la date d’écroulement des murs, de tous ces milliers de pierres, autant de blocs décrochés des falaises que de rêves qui tomberaient dans le plus grand des fracas.
Moi qui avais toujours oublié ma vie nocturne aussitôt réveillé, je me remettais à rêver mais aussi à pleurer les yeux éteints la douleur que le jour me voilait. Tout le temps cette même image, une descente des plus classiques aux enfers, quoi de plus commun quand on connaît la banalité du mal, un escalier en fusion sous mes pieds carbonisés et mon visage rouge de sueur, une sueur épaisse, comme la graisse qui dégouline d’un porc tournant autour d’une broche. Le jour, au plus haut de ma maison, réfugié dans ma tour et entouré de mes rêves, je commencais à redouter la nuit dans laquelle autrefois j’aimais me faire caresser par le silence et la douce brise du crépuscule. Tous les jours je redoutais un peu plus que ma maison s’effondre, que le ciment qui liait si fort les pierres entre elles se transforme en poussière et laisse mes pénates fondre sur elles-mêmes. Je la savais solide, mais le jour approchant où je devais la léguer à l’adversité me rongeait autant qu’elle.

Tout était prétexte à repartir pour Antibes, un rendez-vous de travail, un meuble à rajouter dans la maison. Une fois c’était une table de nuit, l’autre un confiturier, j’inventais à chaque fois une nouvelle raison alors que nous savions tous deux, les biens, si je puis dire, que je ramenais ; mes tics qui s’étaient développés et que je venais apaiser, mes peurs de revenir et de la trouver en ruine, que je venais dissiper, en me postant des heures à la regarder sur un des bancs du jardin. Entouré de lauriers roses que j’avais plantés nombreux, je me nichais au milieu de cette nature que j’avais nourrie et qui maintenant autonome regardait d’un œil vengeur le chien errant que j’étais devenu. Comme autrefois, il y a de ça des années, où je me trouvais assis sur les tuiles fraîchements posées de la tour, je renouais avec ce sentiment d’étrangeté face au vivant. Mais cette fois, assis sur un banc de granit, le dos courbé et les yeux plantés sur le sol au devant de moi, je constatais que ma tour s’était rompue, laissant sous mon souvenir un tas de décombres.

À la fin de l’année scolaire, nous avons pris la voiture tous ensemble pour nous rendre à Antibes. Le vieux break volvo que j’avais acheté il y a de ça quelques années connaissait la route par cœur. Il était plein à craquer, autant d’objets dans le coffre et à nos pieds qui viendraient envahir le sol, les tables et les bureaux de la demeure. La route était longue et encombrée comme à tout départ de vacances, il me restait encore un peu de temps pour rêver à celle qui pendant des années avait en alternance hanté et apaisé mon esprit, à celle qui durant tout ce temps n’avait eu de place que pour moi. J’avais préétexté des maux de ventre pour laisser le volant à ma femme. Je le savais, il m’était impossible de conduire des étrangers jusqu’à cet endroit qui était devenu comme ma terre natale, celle où j’avais connu une renaissance, mais aussi celle qui m’avait enterré. Alors que la nuit précédant le départ je n’avais pas fermé l’œil, je passai les sept heures du trajet les yeux clos à me remémorer le temps révolu tout en luttant contre le sommeil. Je savais qu’à cette échéance me laisser emporter par les bras de Morphée me déposerait dans ceux d’Hadès. À la sortie des autoroutes du sud, ma femme, épuisée par toutes ces heures de conduites et les cris des enfants qui se chamaillaient, me donna le volant. Je conduisis avec la même trouille au ventre que l’on peut avoir en passant son permis, la peur de faire un faux pas et d’être disqualifié. Involontairement, je me trompai de route, celle que j’avais parcourue une mutitude de fois, et engageai la voiture dans le vieil Antibes.

Il était aux alentours de midi et nous avions faim. J’utilisai cette faute de manœuvre pour guider ma famille dans un petit restaurant où j’avais déjeuné la première fois arrivé dans la ville. Il se situait dans les hauteurs et en ce début d’après-midi le ciel largement dégagé offrait une vue imprenable sur la baie. Les grands yeux des enfants, écarquillés, observaient le paysage qui leur avait pris leur père. D’Antibes à l’aéroport de Nice, la mer plate s’assombrissait à l’horizon. Pourquoi avais-je choisi d’aller au restaurant sinon pour gagner du temps ? Nous étions tous attablés, les enfants continuaient à se chicaner. Ma femme et moi gardions le silence, ses yeux brillaient de bonheur. Moi qui d’habitude étais plutôt radin quand nous allions au restaurant, persuadé que nous pouvions manger la même chose chez nous, je proposai cette fois que nous prenions, « par ce temps si merveilleux », un copieux apéritif suivi d’entrées et d’une parade de tapas . Toute cette nourriture riche qui transpirait l’huile d’olive me rassurait et me dégoûtait. L’estomac lié par le temps, je n’aurai pas même pu avaler une olive, mon ventre aurait explosé .

Le déjeuner était terminé, nous remontâmes en voiture et je nous conduisis jusqu’à la maison. Le teint livide, je maniais l’automobile comme un automate ou un enfant en bas âge dans une fête foraine, je glissais sur les rails, les feux rouges passaient au vert quand je m’en rapprochais, il n’y avait pas de bifurcations. Cinq minutes plus tard nous étions arrivés.


Chapitre deuxième : En sortant du Jardin d’Eden.

Je sortai de la voiture pour aller ouvrir le portail en bois. Une allée tortueuse sur laquelle tombaient les branches des arbres de maisons voisines y menait comme un tunnel jusqu’à un puit de lumière. Je l’avais fait fabriquer par le même artisan qui avait confectionné la plupart des meubles de la maison à l’instar de la table basse du salon aux pieds torsadés et le fauteuil en chêne qui traînait souvent auprès de la cheminée. Ma femme rentrait la voiture sur le terrain et descendait la pente qui menait au sous-sol pour l’y garer. En passant le portail, les enfants avaient vu la tour. Ils ne savaient pas encore qu’elle abriterait leur chambre, une chambre dans laquelle j’avais passé des journées mais aussi des nuits à placer les meubles, évaluer les peintures et la maçonnerie des ouvriers, à la décorer et imprimer sur ses murs une familiarité qui puissent les faire se sentir comme dans leur chambre parisienne. Mais avec cet exotisme en plus, les lauriers-roses, toujours eux, qu’ils pourraient voir de leur fenêtre tapisser le jardin, les coassements des grenouilles qui les berceraient la nuit tombée et les réveilleraient au matin, accompagnés des quelques rayons de soleil qui toujours se faufilent entre les stores vénitiens, venant vous caresser le visage au rythme d’un clignement d’œil, d’une chaleur faisant corps avec la fraîcheur de la nuit, se posant sur la peau comme un gant de soie humide et tiède.

Les enfants posaient leurs affaires dans le hall d’entrée et couraient aussitôt se réfugier dans la tour. Cette tour qui n’avait existé qu’en miniature lorsqu’ils empilaient des Legos se voyait gagner la réalité, une tour, une vraie, avec un escalier en colimaçon et une mezzanine aux meurtières obligeant les yeux à plonger sur la mer.

Après que ma femme et moi eûmes fait le tour de la maison pour qu’elle la découvre, main dans la main, nous nous engagâmes dans le jardin pour nous faufiler entre les arbres et les arbustes. L’ambiance y était particulière, ce désordre organisé donnait un charme hors du commun à la nature tout en cachant aux yeux de celle que j’aime, les traces que l’homme y avait posées. Elle me dit avoir l’impression de connaître ce jardin, en gardant le silence, j’esquissai un sourire...

Cela faisait longtemps que nous ne nous êtions pas ainsi pris par la main comme les Amoureux des bancs Publics, mais ce qui comptait alors le plus pour moi n’était pas cet amour qui allait refaire surface, mais mon âme retrouvée qui lui permettrait son ascencion. Celle que je croyais enfouie dans les combles de la maison se trouvait dans ce jardin, et il fallait que quelqu’un qui m’y amène. Tous les jardins, sauf peut-être ces jardins allemands aux formes géométriques qui vous donnent l’impression d’évoluer entre des troupes en attente, regagnent après que ses jardiniers s’en sont allés, une part de leur virgnité. Cette nature avait repris tout ce qu’elle pouvait et s’était amplement servie dans mon âme en ne me laissant que quelques minces fragments. C’était assez pour survivre.

Deux semaines plus tard j’étais pratiquement soigné. J’avais retrouvé ma joie de vivre d’antan, nous allions tous les jours à la plage et y passions de longues heures à nous laisser brunir la peau. Ma femme et moi lisions nos livres respectifs tandis que les enfants, qu’elle avait recouvert de crème solaire des pieds à la tête, restaient dans l’eau de longues heures à pourchasser, masque sur le visage et tuba dans la bouche, les solettes qui se traînaient sur le sable. Plusieurs fois, j’étais même rentré seul à Paris. La peur de la voir disparaître s’était envolée, une fois là-bas je n’y pensais plus. Un jour, je sus que j’étais guéri, enfin je le crus : alors que j’étais à Paris, affalé dans le canapé du salon à lire mon journal, je regardai ma montre et constatai dans la plus grande indifférence que j’avais raté le train pour Antibes depuis déjà une heure. Je me grattai le nez entre le pouce et l’index comme j’en ai l’habitude et me replongeai dans cet article passionant sur la « rénovation des mille et un châteaux de Dordogne ».

La fin du mois de juillet s’annonçait et nous commencions à ranger la maison. Je m’occupais de l’intérieur, nettoyais les sols, vidais les chambres des mille objets qui y avaient été déposés, et que toujours la vie éparpille parce qu’elle est comme ça : un grand bordel. Ma femme, quant à elle, avait été absorbée par le jardin, elle installait l’arrosage automatique pour que les plantes les plus fragiles survivent, finissait d’arracher de la terre les quelques pousses étrangères, de tailler, de couper. J’aimais la regarder car j’aimais cette façon qu’elle avait de faire les choses, elle n’allait que très rarement au plus pratique, mais l’osmose naissant de l’association de ses milliers de gestes recréait un ordre qui ne pouvait laisser indifférent et faisait oublier aussitôt la seule pensée d’un agencement plus pragmatique. Enfin, j’aimais plus que tout cette manière délicate qu’elle avait de dire à l’ordre établi d’aller se faire voir. En plaisantant, je lui faisais part de l’ingratitude de notre jardin que nous avions chéri pendant tout ce mois, arrosé comme il le faut et fertilisé par la dépose d’engrais. Jardin qui après notre départ se mettrait à vivre par lui-même et s’autodétruire en devéloppant les mauvaises herbes que nos perfusions viendraient engraisser. On vient souvent comparer l’entretien consciencieux de telle ou telle chose à celui d’un enfant, on s’en occupe, on le chérit, et il finit par s’enfuir et voler de ses propres ailes. J’apprécie cette comparaison, mais ce qui me touche le plus et me réconforte, c’est à quel point ceux qu’on a aidé à vivre en auront toujours besoin et garderont au fond d’eux-mêmes les traits que nous avons inscrits. Oh combien ils ne pourront jamais se passer, comme ce jardin, des perfusions du premier jour.

C’était le 28 Juillet 1964. Nous avions fini de charger la voiture. Ma femme et moi avions eu cette discussion où elle me faisait promettre de ne plus jamais retourner à Antibes sans elle, de ne plus jamais agir comme je l’avais fait, comme un célibataire et un père irresponsable. Nous étions dans notre chambre, la plus grande, celle avec une terrasse donnant sur l’arrière de la maison et la fenêtre côté patio. Et j’avais promis. J’avais juré de tenir ma parole, celle qu’un mois plus tard j’allais baffouer.

- T’as jeté un coup d’œil dans la chambre des enfants pour t’assurer qu’ils n’ont rien oublié ? Je les connais, ils laissent leurs affaires partout, les oublient et ensuite se plaignent que telle ou telle chose leur manque. J’ai déjà regardé rapidement en leur demandant de descendre leurs valises, mais on ne sait jamais, vas-y.

Pareil au plus triste des clowns qui tente envain de décrocher un rire aux enfants par ses mimiques d’acteur abbatu, je hochai la tête et haussai les épaules, pour lui dire qu’elle avait sûrement raison. Le dos courbé comme le clown qui s’en va de la scène en poussant la plaisanterie trop loin, je sortai de la pièce et me dirigeai vers la chambre de la tour. Les enfants étaient remontés. Assis sagement sur le bord du lit comme en attente, mon entrée les fit sortir de leurs rêveries et sur leurs visages se dessinèrent deux grands sourirs. Des sourirs de ceux qu’on colle sur soi quand votre patron vous fait une blague de mauvais goût. Je pouvais voir les cicatrices de l’opération, elle leur avait soudée ces leurres, ces deux courbes hyppocrites. Un sourir tiré du plus froid des dessins, un dessin d’enfant en somme. On peut y voir crayonné un sourir trop parfait au milieu d’un rond ; on peut y voir un visage qui ne sourit pas.

Ces enfants si purs avaient-il eux aussi succombés à la tentation d’un chez-soi dont on ne sort plus ? Que voulaient dire ces deux visages aux dents blanches, d’une blancheur qui ne puisse inspirer que la plus grande des puretés ? Essayaient-ils de me réconforter ? Le mal, non content d’avoir tailladé leurs sourires innocents, avait-il infiltré leurs grands yeux verts ?

Je fis un dernier tour de la maison pour m’assurer que nous n’avions rien oublié, pour me convaincre et pour toucher, glisser mes mains sur les commodes qui venaient d’être cirées, ouvrir les tiroirs et aussitôt les refermer sans avoir regardé ce qu’il y avait dedans. J’agissais comme un fou, telle une femme à la recherche de son alliance qui jète des regards désespérés dans tous les sens, les yeux allant de haut en bas puis de bas en haut en l’espace d’un instant, un regard, non même plus un regard, juste deux globes qui tournoient sur eux-mêmes à la recherche d’un point fixe. Une minute avant de partir je venai de perdre ma position, l’espace s’écroulait au dessus de moi et se compressait me réduisant à néant. Je voulais être partout et me retrouvais nulle part, juste là comme un vieux con sur les allées trop propres d’un hopital. J’étais l’aliéné, celui qu’on croit errer en le voyant marcher, le même dont on se persuade qu’il délire pour ensuite venir nous écrouler dans ce confortable canapé Made in Normality. Avais-je oublié mon objectif ou avait-on manquer de me le donner, je ne sais pas. Je le ressentais si fort qu’en fermant les yeux j’aurai pu le toucher. Mais une fois la lumière au fond de mes pupilles, j’étais éblouis, le point s’était transformé en une tâche noire et floue. J’avais cassé ma plume sur un dessin, une esquisse de moi, et l’encre formait déjà une flaque sombre sur le blanc de ma peau : je sortai du Jardin.
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Message  Invité Mer 13 Jan 2010 - 22:30

je sortai du Jardin.
Enfin !!!
Je trouve que ça fait un peu remplissage par endroits avec des phrases assez creuses, comme si tu essayais encore et toujours de repousser l'échéance...



J’avais juré de tenir ma parole, celle qu’un mois plus tard j’allais bafouer.
Pareil au plus triste des clowns qui tente en vain de décrocher un rire aux enfants par ses mimiques d’acteur abattu,
Le dos courbé comme le clown qui s’en va de la scène en poussant la plaisanterie trop loin, je sortis de la pièce
sur leurs visages se dessinèrent deux grands sourires. Des sourires de ceux
Je pouvais voir les cicatrices de l’opération, elle leur avait soudé (= elle avait soudé à eux, pas d'accord avec "avoir") ces leurres, ces deux courbes hypocrites. Un sourire tiré du plus froid des dessins, un dessin d’enfant en somme. On peut y voir crayonné un sourire trop parfait au milieu d’un rond ; on peut y voir un visage qui ne sourit pas.

Ces enfants si purs avaient-il eux aussi succombé à la tentation d’un chez soi (sans tiret) dont on ne sort plus ?

J’agissais comme un fou, telle une femme à la recherche de son alliance qui jettee des regards désespérés dans tous les sens, l

Une minute avant de partir je venais de perdre ma position, l’espace s’écroulait au-dessus (tiret) de moi et se compressait, (virgule) me réduisant à néant.
juste là comme un vieux con sur les allées trop propres d’un hôpital. J’étais l’aliéné, celui qu’on croit errer ("celui dont on croit qu'il erre") en le voyant marcher
ou avait-on manqué de me le donner, je ne sais pas. Je le ressentais si fort qu’en fermant les yeux j’aurais (conditionnel passé) pu le toucher. Mais une fois la lumière au fond de mes pupilles, j’étais ébloui, le point s’était transformé en une tache noire et floue. J’avais cassé ma plume sur un dessin, une esquisse de moi, et l’encre formait déjà une flaque sombre sur le blanc de ma peau : je sortais (imparfait, ou "sortis" passé simple ? du Jardin.

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