Et mon corps tout entier
5 participants
Page 1 sur 1
Et mon corps tout entier
je pleure
je plume
je ris parfois
je penche mon corps sur le tien
je penche mon corps à l'oblique
je lance et balance à l'ancienne un mouvement va et vient mécanique
une mousse étoilée
une faim délivrée
une soif assouvie
et l'azur de tes yeux
et le creux de ta paume
et la croix sang griffée
j'ai le souvenir âcre d'un coton doux sein blanc
d'un repas cru de chair sur des fruits moisissures
d'un Rhum arrangé prune étoffé caramel
d'un Château chatouillant mes papilles vermeilles
j'ai l'espoir arrimé
à la coque du Triment
les vents saoulés de sucre se goinfrent dans les voiles
Haranguez mes fidèles haranguez mes brisures
puissiez-vous dans la vague cramer tous les faussaires
Affolez mes crevures enfilez la Zébrure
brisons la pierre étoile le chapitre escogriffe
je plume
je ris parfois
je penche mon corps sur le tien
je penche mon corps à l'oblique
je lance et balance à l'ancienne un mouvement va et vient mécanique
une mousse étoilée
une faim délivrée
une soif assouvie
et l'azur de tes yeux
et le creux de ta paume
et la croix sang griffée
j'ai le souvenir âcre d'un coton doux sein blanc
d'un repas cru de chair sur des fruits moisissures
d'un Rhum arrangé prune étoffé caramel
d'un Château chatouillant mes papilles vermeilles
j'ai l'espoir arrimé
à la coque du Triment
les vents saoulés de sucre se goinfrent dans les voiles
Haranguez mes fidèles haranguez mes brisures
puissiez-vous dans la vague cramer tous les faussaires
Affolez mes crevures enfilez la Zébrure
brisons la pierre étoile le chapitre escogriffe
Pussicat- Nombre de messages : 4846
Age : 57
Localisation : France
Date d'inscription : 17/02/2012
Re: Et mon corps tout entier
C'est vraiment très beau. Douloureux, étrange et sensuel, et pour finir, cette exhortation vibrante.
Re: Et mon corps tout entier
Bonjour. J'ai aimé.
Je me souviens de cetains vers surréalistes d'Eluard dans liberté : "l'étang soleil moisi", "le lac lune vivante", cette accumulation de termes à priori aléatoires et qui finalement nous livrent une vraie émotion.
J'aime aussi le rythme du début, cette simplicité.
Je me souviens de cetains vers surréalistes d'Eluard dans liberté : "l'étang soleil moisi", "le lac lune vivante", cette accumulation de termes à priori aléatoires et qui finalement nous livrent une vraie émotion.
J'aime aussi le rythme du début, cette simplicité.
Re: Et mon corps tout entier
Strophe 1
L'antithèse (vers 1 : "je pleure"/vers 3 : "je ris") figure l'état émotionnel tendu de la locutrice. L'adverbe de fréquence du vers 3 ("parfois") renvoie implicitement à un "souvent" passé pudiquement sous silence à l'entame. La douleur se présente comme point d'appui obligé. Au vers 2, le verbe "plumer" suggère que l'on épluche, sans ménagements, les strates d'une histoire amoureuse. Les vers 4, 5 et 6 se focalisent sur l'intimité la plus grande du couple, revenant sur l'acte sexuel de manière passablement ironique - dans son aspect le moins érotique, le plus machinal. Pourquoi la poétesse écrit-elle, au vers 4 : "je penche mon corps sur le tien" et non pas "je me penche sur toi", sinon pour marquer la distance, l'instrumentalisation du désir, dessiner le spectre d'une chorégraphie dépourvue d'affects, usée jusquà la trame (vers 5-6 : "à l'oblique/je lance et balance [...] un mouvement va et vient mécanique") ? Le groupe prépositionnel "à l'ancienne" (vers 6) ouvre une double interprétation. Il peut signifier "comme dans l'ancien temps", façon de marquer une pratique qui ne visait pas l'accession à un plaisir réciproque, mais à la reproduction pure et simple de l'espèce. Il peut aussi bien vouloir dire "à celle que je fus", manière de se mettre à distance de l'Autre en la singeant. Quoi qu'il en soit, le regard sur cette relation passée est amer, terriblement amer.
Strophe 2
Cette mise en scène grotesque procure cependant une sorte de délivrance en réactivant le souvenir d'un plaisir consommé à deux (image du feu d'artifice au vers 7 : "une mousse étoilée"), d'un lâcher prise total des sens (vers 8 : "une faim délivrée", vers 9 : "une soif assouvie").
Strophe 3
Elle réactive aussi, forcément, comme une machine qui soudain s'emballe ("et" de relance des vers 10-11-12), les points d'ancrage du sentiment amoureux, la charge d'utopie de la relation (vers 10 : "l'azur de tes yeux", vers 11 : "le creux de ta paume") et aussi la trace d'une blessure (vers 12 : "la croix sang griffée").
Strophe 4
Dans les méandres du passé intime, l'image d'un festin enivrant et capiteux se dessine (vers 13 : "sein blanc", vers 14 : "repas cru de chair", majuscules électives des vers 15 et 16 : "Rhum", "un Château chatouillant mes papilles vermeilles"). Cependant, quelques éléments attirent immanquablement l'attention. D'abord, l'antithèse du vers 13 ("souvenir âcre"/"coton doux") qui signale la frustration de la locutrice. Puis cet adossement curieux de vocables (vers 14 : "fruits moisissures") qui laisse entrevoir au lecteur le poids des promesses non tenues. Au vers 15, le double sens du participe passé "arrangé" suggère l'idée d'une manipulation tandis que la "prune étoffée caramel" manifeste l'excès, une saturation qui pourrait aller jusqu'à l'écoeurement. Sous le vernis du bonheur grouillent ainsi les vers de la désillusion. On a peut-être donné un sein blanc... mais on n'aurait jamais dû donner le blanc-seing.
Strophe 5
Le thème de l'eau s'invite alors (vers 17-18 : "l'espoir arrimé/à la coque du Triment", vers 19 : "les vents [...] dans les voiles"), comme un vibrant appel du large, comme la promesse gourmande et sensuelle (vers 19 : "saoulés de sucre se goinfrent") d'un ailleurs.
Strophe 6
L'impératif, qui semble bien s'adresser au lecteur (vers 20 : "haranguez" x 2, vers 22 : "Affolez", "enfilez", vers 23 : "brisons"), apparaît comme un moyen de puiser le courage nécessaire pour s'arracher à un lieu délétère. Ce sursaut salvateur vous emportera loin du rivage (vers 21 : "dans la vague"), loin des terres lourdes du passé (image du souvenir que l'on remâche au vers 20 : "mes fidèles", thématique de la violence subie : "mes brisures" au vers 20, "mes crevures", "la Zébrure" au vers 22), loin des escroqueurs de coeur (hyperbole du vers 21 : "tous les faussaires", métaphore du vers 21 : "le chapitre escogriffe") prompts à séduire (métaphore du vers 23 : "la pierre étoile") et voués, à présent, aux gémonies (subjonctif du souhait au vers 21 : "puissiez-vous [...] cramer").
Le titre du poème (hyperbole : "Et mon corps tout entier") met en exergue cette immense charge de sensualité prête à se déployer.
Merci pour ce partage !
L'antithèse (vers 1 : "je pleure"/vers 3 : "je ris") figure l'état émotionnel tendu de la locutrice. L'adverbe de fréquence du vers 3 ("parfois") renvoie implicitement à un "souvent" passé pudiquement sous silence à l'entame. La douleur se présente comme point d'appui obligé. Au vers 2, le verbe "plumer" suggère que l'on épluche, sans ménagements, les strates d'une histoire amoureuse. Les vers 4, 5 et 6 se focalisent sur l'intimité la plus grande du couple, revenant sur l'acte sexuel de manière passablement ironique - dans son aspect le moins érotique, le plus machinal. Pourquoi la poétesse écrit-elle, au vers 4 : "je penche mon corps sur le tien" et non pas "je me penche sur toi", sinon pour marquer la distance, l'instrumentalisation du désir, dessiner le spectre d'une chorégraphie dépourvue d'affects, usée jusquà la trame (vers 5-6 : "à l'oblique/je lance et balance [...] un mouvement va et vient mécanique") ? Le groupe prépositionnel "à l'ancienne" (vers 6) ouvre une double interprétation. Il peut signifier "comme dans l'ancien temps", façon de marquer une pratique qui ne visait pas l'accession à un plaisir réciproque, mais à la reproduction pure et simple de l'espèce. Il peut aussi bien vouloir dire "à celle que je fus", manière de se mettre à distance de l'Autre en la singeant. Quoi qu'il en soit, le regard sur cette relation passée est amer, terriblement amer.
Strophe 2
Cette mise en scène grotesque procure cependant une sorte de délivrance en réactivant le souvenir d'un plaisir consommé à deux (image du feu d'artifice au vers 7 : "une mousse étoilée"), d'un lâcher prise total des sens (vers 8 : "une faim délivrée", vers 9 : "une soif assouvie").
Strophe 3
Elle réactive aussi, forcément, comme une machine qui soudain s'emballe ("et" de relance des vers 10-11-12), les points d'ancrage du sentiment amoureux, la charge d'utopie de la relation (vers 10 : "l'azur de tes yeux", vers 11 : "le creux de ta paume") et aussi la trace d'une blessure (vers 12 : "la croix sang griffée").
Strophe 4
Dans les méandres du passé intime, l'image d'un festin enivrant et capiteux se dessine (vers 13 : "sein blanc", vers 14 : "repas cru de chair", majuscules électives des vers 15 et 16 : "Rhum", "un Château chatouillant mes papilles vermeilles"). Cependant, quelques éléments attirent immanquablement l'attention. D'abord, l'antithèse du vers 13 ("souvenir âcre"/"coton doux") qui signale la frustration de la locutrice. Puis cet adossement curieux de vocables (vers 14 : "fruits moisissures") qui laisse entrevoir au lecteur le poids des promesses non tenues. Au vers 15, le double sens du participe passé "arrangé" suggère l'idée d'une manipulation tandis que la "prune étoffée caramel" manifeste l'excès, une saturation qui pourrait aller jusqu'à l'écoeurement. Sous le vernis du bonheur grouillent ainsi les vers de la désillusion. On a peut-être donné un sein blanc... mais on n'aurait jamais dû donner le blanc-seing.
Strophe 5
Le thème de l'eau s'invite alors (vers 17-18 : "l'espoir arrimé/à la coque du Triment", vers 19 : "les vents [...] dans les voiles"), comme un vibrant appel du large, comme la promesse gourmande et sensuelle (vers 19 : "saoulés de sucre se goinfrent") d'un ailleurs.
Strophe 6
L'impératif, qui semble bien s'adresser au lecteur (vers 20 : "haranguez" x 2, vers 22 : "Affolez", "enfilez", vers 23 : "brisons"), apparaît comme un moyen de puiser le courage nécessaire pour s'arracher à un lieu délétère. Ce sursaut salvateur vous emportera loin du rivage (vers 21 : "dans la vague"), loin des terres lourdes du passé (image du souvenir que l'on remâche au vers 20 : "mes fidèles", thématique de la violence subie : "mes brisures" au vers 20, "mes crevures", "la Zébrure" au vers 22), loin des escroqueurs de coeur (hyperbole du vers 21 : "tous les faussaires", métaphore du vers 21 : "le chapitre escogriffe") prompts à séduire (métaphore du vers 23 : "la pierre étoile") et voués, à présent, aux gémonies (subjonctif du souhait au vers 21 : "puissiez-vous [...] cramer").
Le titre du poème (hyperbole : "Et mon corps tout entier") met en exergue cette immense charge de sensualité prête à se déployer.
Merci pour ce partage !
jfmoods- Nombre de messages : 692
Age : 59
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013
Re: Et mon corps tout entier
J'aime le ressentit que tu fais passer
"j'ai l'espoir arrimé
à la coque du Triment
les vents saoulés de sucre se goinfrent dans les voiles"
quelle belle image
"j'ai l'espoir arrimé
à la coque du Triment
les vents saoulés de sucre se goinfrent dans les voiles"
quelle belle image
So-Back- Nombre de messages : 3652
Age : 101
Date d'inscription : 04/04/2014
Sujets similaires
» Celui qui lit ça en entier a gagné !
» Toije et Moije face au mondentier...
» EN CORPS
» Corps-don
» Le corps
» Toije et Moije face au mondentier...
» EN CORPS
» Corps-don
» Le corps
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|