histoires d'image 1
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Polixène
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Floralyre
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histoires d'image 1
J'ai repris le projet de recueil dont je vous avais fait lire des petits textes nommés "focale", écrits à partir de photographies d'H. Cartier Bresson. J'ai eu envie de prolonger l'expérience en écrivant pour chacun une version "poésie", en vers de 8 mots. Voici le premier :
couverture (pour chaque texte j'ai indiqué la place dans le livre)
A la fin on s’est tous retrouvés sur la terrasse couverte. Les deux garçons silencieux, assis sur sur le rebord de pierre, genoux pliés ; les deux hommes qui parlaient de pêche, d’un certain endroit de la rivière propice ; et les deux chiens qui se tournaient autour.
Nous, les deux filles adossées à la même fine colonne, on avait bu toute l’eau de la bouteille.
Personne ne se regardait. La chaleur était encore forte, le soleil faisait une ligne au bord, on ne se décidait pas à rentrer.
On suivait des yeux les ombres des peupliers, qui semblaient fuir leurs troncs si droits vers la courbe de la colline. Ma peur était tombée depuis longtemps mais je sentais encore en moi les vibrations. Les autres ne savaient rien de ce qui m’était arrivé en début d’après-midi, et je n’avais pas envie d’en parler. J’avais seulement envie d’être avec eux, d’être ensemble.
....
Le toit s’avance sur nos fronts,
protège du ciel éclatant nos yeux ; la
lumière atténuée emplit de douceur cet espace
couvert que nous partageons avec deux garçons
deux hommes et leurs deux chiens flairant.
Adossées à la fine colonne, petite amie
nos bras d'enfants dessinaient des récits
nos mains fines signaient l’air tiède
l’été ancien semblait s’être endormi.
couverture (pour chaque texte j'ai indiqué la place dans le livre)
A la fin on s’est tous retrouvés sur la terrasse couverte. Les deux garçons silencieux, assis sur sur le rebord de pierre, genoux pliés ; les deux hommes qui parlaient de pêche, d’un certain endroit de la rivière propice ; et les deux chiens qui se tournaient autour.
Nous, les deux filles adossées à la même fine colonne, on avait bu toute l’eau de la bouteille.
Personne ne se regardait. La chaleur était encore forte, le soleil faisait une ligne au bord, on ne se décidait pas à rentrer.
On suivait des yeux les ombres des peupliers, qui semblaient fuir leurs troncs si droits vers la courbe de la colline. Ma peur était tombée depuis longtemps mais je sentais encore en moi les vibrations. Les autres ne savaient rien de ce qui m’était arrivé en début d’après-midi, et je n’avais pas envie d’en parler. J’avais seulement envie d’être avec eux, d’être ensemble.
....
Le toit s’avance sur nos fronts,
protège du ciel éclatant nos yeux ; la
lumière atténuée emplit de douceur cet espace
couvert que nous partageons avec deux garçons
deux hommes et leurs deux chiens flairant.
Adossées à la fine colonne, petite amie
nos bras d'enfants dessinaient des récits
nos mains fines signaient l’air tiède
l’été ancien semblait s’être endormi.
Re: histoires d'image 1
J'aime beaucoup la juxtaposition des deux textes, la manière dont chacun m'évoque une histoire différente mais avec les mêmes visualisations d'images, le contraste entre le contexte plus large dans lequel s'inscrit le premier et le deuxième complètement suspendu dans le temps. J'aime beaucoup aussi le rythme dans la version poésie.
Floralyre- Nombre de messages : 33
Age : 31
Date d'inscription : 09/03/2020
Re: histoires d'image 1
Merci Floralyre de ce commentaire qui répond aux questions que je me posais concernant cette idée qui m'est venue d'écrire une version "poésie", à partir de la même image. Je vais continuer.
Les vers "arithmonymes", où on compte les mots, c'est une forme qui semble un peu stupide, ou en tout cas on voit mal au début ce que cela peut apporter, sinon une contrainte, un travail. Mais étrangement, cela apporte un jeu dans le rythme, quelque chose de cahotant ou de suspendu qui est pour moi très poétique.
Les vers "arithmonymes", où on compte les mots, c'est une forme qui semble un peu stupide, ou en tout cas on voit mal au début ce que cela peut apporter, sinon une contrainte, un travail. Mais étrangement, cela apporte un jeu dans le rythme, quelque chose de cahotant ou de suspendu qui est pour moi très poétique.
Re: histoires d'image 1
p 13
Le vendeur de pommes a un mouchoir blanc noué autour du cou, c’est un pauvre homme. Il attend tout le jour à côté de son panier, les légumes sont de l’autre côté. Il a plusieurs espèces d’arbres dans son verger, m’a-t-il expliqué, qui produisent de juillet à novembre...et il y a les pommes de garde qu’on met au cellier, qui lentement se chargent en sucre, jusqu’en janvier.
Ce matin je suis passée et j’ai voulu parler encore avec lui, mais il semblait étrange. Il avait un regard fuyant, hanté. Il m’a dit qu’il avait eu « une crise », hier soir. Il avait vu un homme qui autrefois lui avait fait du mal, dont il rêvait parfois. Mais hier cet homme était vraiment là, dans la boutique, à le regarder sans rien dire, puis il était parti.
Je suis revenue ce soir en rentrant du travail. Il s’était endormi contre son panier. Juste à côté de lui, sur le mur, un petit garçon dessinait à la craie un personnage, un homme avec un chapeau, aux yeux écarquillés.
Je le connais cet enfant, il traîne tout le temps, avec son visage maigre et son regard trop profond, ses yeux cernés.
Il marche dans le territoire du rêve
il a plongé profond dans le sommeil
et respire l'odeur familière des pommes -
il va, au bord du fleuve étranger.
L'eau est jaune comme l'odeur miellée
des pommes. Ici, il est sourd et
aveugle, la tête renversée, les yeux clos.
Ailleurs, au bord du fleuve il marche
les yeux grand ouverts, le regard braqué.
Le vendeur de pommes a un mouchoir blanc noué autour du cou, c’est un pauvre homme. Il attend tout le jour à côté de son panier, les légumes sont de l’autre côté. Il a plusieurs espèces d’arbres dans son verger, m’a-t-il expliqué, qui produisent de juillet à novembre...et il y a les pommes de garde qu’on met au cellier, qui lentement se chargent en sucre, jusqu’en janvier.
Ce matin je suis passée et j’ai voulu parler encore avec lui, mais il semblait étrange. Il avait un regard fuyant, hanté. Il m’a dit qu’il avait eu « une crise », hier soir. Il avait vu un homme qui autrefois lui avait fait du mal, dont il rêvait parfois. Mais hier cet homme était vraiment là, dans la boutique, à le regarder sans rien dire, puis il était parti.
Je suis revenue ce soir en rentrant du travail. Il s’était endormi contre son panier. Juste à côté de lui, sur le mur, un petit garçon dessinait à la craie un personnage, un homme avec un chapeau, aux yeux écarquillés.
Je le connais cet enfant, il traîne tout le temps, avec son visage maigre et son regard trop profond, ses yeux cernés.
Il marche dans le territoire du rêve
il a plongé profond dans le sommeil
et respire l'odeur familière des pommes -
il va, au bord du fleuve étranger.
L'eau est jaune comme l'odeur miellée
des pommes. Ici, il est sourd et
aveugle, la tête renversée, les yeux clos.
Ailleurs, au bord du fleuve il marche
les yeux grand ouverts, le regard braqué.
Re: histoires d'image 1
Utile de mettre les deux en vis à vis. Si je retrouve cette forme de transe dans la poésie, elle reste "étrange" sans la hantise du marchand à la vue de l'homme.
Avec ces juxtapositions du temps qui ressortent, entre ce qu'il vit, ce qu'il dit de son passé, cette apparition de l'enfance mais dont le dessin le ramène -pour moi- à cet homme. La force du texte court. Le poème je le vois comme une illustration. C'est marrant comment partir d'une photo, vers un texte, vers un poème, vers une illustration...
Avec ces juxtapositions du temps qui ressortent, entre ce qu'il vit, ce qu'il dit de son passé, cette apparition de l'enfance mais dont le dessin le ramène -pour moi- à cet homme. La force du texte court. Le poème je le vois comme une illustration. C'est marrant comment partir d'une photo, vers un texte, vers un poème, vers une illustration...
'toM- Nombre de messages : 287
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
Re: histoires d'image 1
Sur la photo, il y a seulement l'homme endormi avec ses pommes et le dessin à la craie au-dessus de lui sur le mur.
Ce sont les yeux écarquillés du dessin qui m'ont suggéré la hantise, et un enfant avait été là pour le tracer.
Ce sont les yeux écarquillés du dessin qui m'ont suggéré la hantise, et un enfant avait été là pour le tracer.
Re: histoires d'image 1
p 15
La vieille maison s’est effondrée pendant la nuit, toute seule ; il ne reste qu’un bout de façade encadrant la porte, et des amas de briques derrière.
Les voisins dormaient et ne se sont pas réveillés, il est vrai que les maisons habitées les plus proches sont au moins à trente mètres. Tout autour d’elle il n’y a plus que des terrains vagues, elle était seule encore debout, avec sa grande ouverture bouchée par de la tôle.
La poussière est retombée dans la nuit noire, lentement, sans personne pour la voir, et ce matin elle poudre tous les abords, le trottoir inégal, les buttes de terre où poussent des touffes. L’enfant voit sa soeur et deux copines passer devant lui - elles ne le voient pas, il est assis dans un recoin, de l’autre côté de la rue. Hier encore, il était entré dans la maison pour nourrir le jeune merle, se faufilant entre la tôle et l’embrasure de la porte. L’oiseau commençait à reprendre des forces, dans sa boîte à chaussures. Il n’ose pas trop aller voir.
Corps d’enfants en mouvement, dans les
ruines. Petites jambes, voix aiguës, manteaux gris.
Comme oiseaux sans ailes habitant l’air
leurs trajets effleurent les murs sans toit
les maisons sans intérieur, les choses informes.
Ils explorent, ajustés à ce monde presque englouti.
Derrière les murets effondrés ils trouvent, chercheurs
sans regrets les vestiges, les objets survivants.
La vieille maison s’est effondrée pendant la nuit, toute seule ; il ne reste qu’un bout de façade encadrant la porte, et des amas de briques derrière.
Les voisins dormaient et ne se sont pas réveillés, il est vrai que les maisons habitées les plus proches sont au moins à trente mètres. Tout autour d’elle il n’y a plus que des terrains vagues, elle était seule encore debout, avec sa grande ouverture bouchée par de la tôle.
La poussière est retombée dans la nuit noire, lentement, sans personne pour la voir, et ce matin elle poudre tous les abords, le trottoir inégal, les buttes de terre où poussent des touffes. L’enfant voit sa soeur et deux copines passer devant lui - elles ne le voient pas, il est assis dans un recoin, de l’autre côté de la rue. Hier encore, il était entré dans la maison pour nourrir le jeune merle, se faufilant entre la tôle et l’embrasure de la porte. L’oiseau commençait à reprendre des forces, dans sa boîte à chaussures. Il n’ose pas trop aller voir.
Corps d’enfants en mouvement, dans les
ruines. Petites jambes, voix aiguës, manteaux gris.
Comme oiseaux sans ailes habitant l’air
leurs trajets effleurent les murs sans toit
les maisons sans intérieur, les choses informes.
Ils explorent, ajustés à ce monde presque englouti.
Derrière les murets effondrés ils trouvent, chercheurs
sans regrets les vestiges, les objets survivants.
Re: histoires d'image 1
Tellement sensible à la forme italique en vers
compteuse conteuse de mots
7 mots par vers de 9 vers par texte / pervers Nevers
je les sens si puissants que la prose s'efface à leur profit
par la contrainte tu touches une forme qui t'invite à l'économie
- elliptique - relevant ou révélant l'essence poétique des mots
la mise en miroir reflet opposition prend sens
je kiffe
compteuse conteuse de mots
7 mots par vers de 9 vers par texte / pervers Nevers
je les sens si puissants que la prose s'efface à leur profit
par la contrainte tu touches une forme qui t'invite à l'économie
- elliptique - relevant ou révélant l'essence poétique des mots
la mise en miroir reflet opposition prend sens
je kiffe
Pussicat- Nombre de messages : 4846
Age : 57
Localisation : France
Date d'inscription : 17/02/2012
Re: histoires d'image 1
oui, merci Pussicat, tu mets la griffe dessus...je suis incapable de dire en quoi cette contrainte apporte une forme de magie, mais je le ressens ainsi.
Re: histoires d'image 1
P 17
On visitait New York. On avait l’impression d’avoir tout vu ou presque. L’étonnante ville, prise dans tous ses bras de fleuves, avec ces ponts sans fin qui se lançaient au-dessus, les tours crénelant le ciel, et comme une porte invisible grand-ouverte sur l’océan miroitant, ses îles, sa Statue. On avait parcouru les rues pleines d’arbres des vieux quartiers, pris des ascenseurs interminables, vu des panoramas où la brume atténuait de tous côtés l’horizon. On avait mangé grec, italien et russe.
En cette fin d’après-midi je l’ai laissé à l’hôtel, et j’ai pris le métro vers un coin de la ville encore non exploré. Dès la sortie, débouchant dans la rue, j’ai compris qu’il n’y aurait rien d’admirable à voir là. Une atmosphère de pauvreté et de désoeuvrement, des gens qui me regardaient passer depuis leurs portes. La crasse, et les célèbres escaliers extérieurs en métal, noirs sur le ciel blanc. Je marchais vite comme si j’allais quelque part, traversant rue après rue, mais intéressée.
C’est là que je l’ai vu : assis sur la bordure du trottoir, les fesses en équilibre, dans la rue étroite. Il parlait - comme on parle à quelqu’un - à un chaton pelotonné en face de lui, qui écoutait. J’ai suspendu mon pas une seconde, il m’a jeté un coup d’œil, le chaton a déguerpi.
Je suis repartie, emportant avec moi l’empreinte hostile de son regard.
Il parle pour tous ceux qui veulent
l’entendre, chats des rebords de caves,
pigeons gras miroitants, et même les passants
ses frères, bien qu’ils n’écoutent
presque rien. Il leur parle avec colère
de l’état du monde... Le chaton
s’est assis pour le regarder mieux,
alors il se penche, assis au bord
du trottoir, l’interroge sur sa vie.
On visitait New York. On avait l’impression d’avoir tout vu ou presque. L’étonnante ville, prise dans tous ses bras de fleuves, avec ces ponts sans fin qui se lançaient au-dessus, les tours crénelant le ciel, et comme une porte invisible grand-ouverte sur l’océan miroitant, ses îles, sa Statue. On avait parcouru les rues pleines d’arbres des vieux quartiers, pris des ascenseurs interminables, vu des panoramas où la brume atténuait de tous côtés l’horizon. On avait mangé grec, italien et russe.
En cette fin d’après-midi je l’ai laissé à l’hôtel, et j’ai pris le métro vers un coin de la ville encore non exploré. Dès la sortie, débouchant dans la rue, j’ai compris qu’il n’y aurait rien d’admirable à voir là. Une atmosphère de pauvreté et de désoeuvrement, des gens qui me regardaient passer depuis leurs portes. La crasse, et les célèbres escaliers extérieurs en métal, noirs sur le ciel blanc. Je marchais vite comme si j’allais quelque part, traversant rue après rue, mais intéressée.
C’est là que je l’ai vu : assis sur la bordure du trottoir, les fesses en équilibre, dans la rue étroite. Il parlait - comme on parle à quelqu’un - à un chaton pelotonné en face de lui, qui écoutait. J’ai suspendu mon pas une seconde, il m’a jeté un coup d’œil, le chaton a déguerpi.
Je suis repartie, emportant avec moi l’empreinte hostile de son regard.
Il parle pour tous ceux qui veulent
l’entendre, chats des rebords de caves,
pigeons gras miroitants, et même les passants
ses frères, bien qu’ils n’écoutent
presque rien. Il leur parle avec colère
de l’état du monde... Le chaton
s’est assis pour le regarder mieux,
alors il se penche, assis au bord
du trottoir, l’interroge sur sa vie.
Re: histoires d'image 1
La peinture au couteau, -qui taille dans le vif de l'existence- de ces deuxièmes versions est un véritable bonheur.
Polixène- Nombre de messages : 3295
Age : 61
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: histoires d'image 1
Envisages-tu leur publication?
Polixène- Nombre de messages : 3295
Age : 61
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: histoires d'image 1
Si je ne me trompe, il n'est pas possible d'accéder à l'image. Le texte ayant vocation à répondre à la photo comme s'il s'en dégageait un scénario, je regrette de ne pas pouvoir m'y frotter. Aurais-tu la gentillesse de tout simplement nous donner un lien ?
HELLION- Nombre de messages : 477
Age : 74
Date d'inscription : 19/08/2017
Re: histoires d'image 1
bonjour Polixène, bonjour Hellion.
J'ai bien fini de le travailler, ce recueil et je vais me mettre en quête d'un éditeur, oui.
L'image, je l'ai cherchée sur le web, je n'arrive pas à poster le lien. Si vous tapez sur google "Henry Cartier Bresson : l'homme au chat", vous obtenez une série de photos et c'est la 5ème, très proche de la description que j'en ai faite.
J'ai bien fini de le travailler, ce recueil et je vais me mettre en quête d'un éditeur, oui.
L'image, je l'ai cherchée sur le web, je n'arrive pas à poster le lien. Si vous tapez sur google "Henry Cartier Bresson : l'homme au chat", vous obtenez une série de photos et c'est la 5ème, très proche de la description que j'en ai faite.
Re: histoires d'image 1
non, ce n'est pas celle-ci, c'est la suivante, prise dans une rue très étroite à New York.
Re: histoires d'image 1
on voit un petit bout de ciel
moment de solitude ou de réconfort avec le chat
moment de solitude ou de réconfort avec le chat
So-Back- Nombre de messages : 3652
Age : 101
Date d'inscription : 04/04/2014
Re: histoires d'image 1
Je cite :
"On visitait New York. On avait l’impression d’avoir tout vu ou presque. L’étonnante ville, prise dans tous ses bras de fleuves, avec ces ponts sans fin qui se lançaient au-dessus, les tours crénelant le ciel, et comme une porte invisible grand-ouverte sur l’océan miroitant, ses îles, sa Statue. On avait parcouru les rues pleines d’arbres des vieux quartiers, pris des ascenseurs interminables, vu des panoramas où la brume atténuait de tous côtés l’horizon. On avait mangé grec, italien et russe.
En cette fin d’après-midi je l’ai laissé à l’hôtel, et j’ai pris le métro vers un coin de la ville encore non exploré. Dès la sortie, débouchant dans la rue, j’ai compris qu’il n’y aurait rien d’admirable à voir là. Une atmosphère de pauvreté et de désœuvrement, des gens qui me regardaient passer depuis leurs portes. La crasse, et les célèbres escaliers extérieurs en métal, noirs sur le ciel blanc. Je marchais vite comme si j’allais quelque part, traversant rue après rue, mais intéressée.
C’est là que je l’ai vu : assis sur la bordure du trottoir, les fesses en équilibre, dans la rue étroite. Il parlait - comme on parle à quelqu’un - à un chaton pelotonné en face de lui, qui écoutait. J’ai suspendu mon pas une seconde, il m’a jeté un coup d’œil, le chaton a déguerpi.
Je suis repartie, emportant avec moi l’empreinte hostile de son regard.
Il parle pour tous ceux qui veulent
l’entendre, chats des rebords de caves,
pigeons gras miroitants, et même les passants
ses frères, bien qu’ils n’écoutent
presque rien. Il leur parle avec colère
de l’état du monde... Le chaton
s’est assis pour le regarder mieux,
alors il se penche, assis au bord
du trottoir, l’interroge sur sa vie. "
Pour cet opus, je trouve beaucoup plus de force dans la version poétique. Autant le dire parce que je crois que c’est le seul des 4 ou 5 que j'ai revisités, où j’ai senti cette préférence. « Il » est en pleine lumière. Immédiat. J’aime ce caractère distancié, assez violent. Et contrasté. Et la faveur donnée à ce chat. Privilégié.
Mais si je lis le texte en prose, il faut que je traverse une mise en place très « clinique », très méthodique du décor, et du contexte dans le temps. Je sens comme une nécessité de la mise en contraste sombre autour/personnage dans la lumière, comme sur la photo. Ok. Mais quand tu dis « C’est là que je l’ai vu : assis sur la bordure du trottoir, les fesses en équilibre », je suis ferré, j’ai pu oublier ce qu’il y avait avant, sans perte de force, de percussion.
J’ai toujours du mal à trouver du sens à la juxtaposition des deux textes. La succession, la mise en regard. A mon avis ils méritent de se rencontrer, de se croiser, autrement. De plus près. Dans un même corps de texte. Vivants l’un grâce à l’autre.
Globalement, il me semble que la description de l’image prend souvent trop de poids par rapport à l’imaginaire que tu voudrais y mettre. Que tu en aies eu besoin, toi, pour l’écrire, sûrement. Mais Laurence Vilaine nous parlait souvent des échafaudages, et de s’interroger sur la nécessité de les gommer, ou de les garder.
Voilà, j'aime beaucoup ton regard sur cette image, que je ne connais pas (encore). Et c'est pourquoi je ne lui fais pas de cadeau.
"On visitait New York. On avait l’impression d’avoir tout vu ou presque. L’étonnante ville, prise dans tous ses bras de fleuves, avec ces ponts sans fin qui se lançaient au-dessus, les tours crénelant le ciel, et comme une porte invisible grand-ouverte sur l’océan miroitant, ses îles, sa Statue. On avait parcouru les rues pleines d’arbres des vieux quartiers, pris des ascenseurs interminables, vu des panoramas où la brume atténuait de tous côtés l’horizon. On avait mangé grec, italien et russe.
En cette fin d’après-midi je l’ai laissé à l’hôtel, et j’ai pris le métro vers un coin de la ville encore non exploré. Dès la sortie, débouchant dans la rue, j’ai compris qu’il n’y aurait rien d’admirable à voir là. Une atmosphère de pauvreté et de désœuvrement, des gens qui me regardaient passer depuis leurs portes. La crasse, et les célèbres escaliers extérieurs en métal, noirs sur le ciel blanc. Je marchais vite comme si j’allais quelque part, traversant rue après rue, mais intéressée.
C’est là que je l’ai vu : assis sur la bordure du trottoir, les fesses en équilibre, dans la rue étroite. Il parlait - comme on parle à quelqu’un - à un chaton pelotonné en face de lui, qui écoutait. J’ai suspendu mon pas une seconde, il m’a jeté un coup d’œil, le chaton a déguerpi.
Je suis repartie, emportant avec moi l’empreinte hostile de son regard.
Il parle pour tous ceux qui veulent
l’entendre, chats des rebords de caves,
pigeons gras miroitants, et même les passants
ses frères, bien qu’ils n’écoutent
presque rien. Il leur parle avec colère
de l’état du monde... Le chaton
s’est assis pour le regarder mieux,
alors il se penche, assis au bord
du trottoir, l’interroge sur sa vie. "
Pour cet opus, je trouve beaucoup plus de force dans la version poétique. Autant le dire parce que je crois que c’est le seul des 4 ou 5 que j'ai revisités, où j’ai senti cette préférence. « Il » est en pleine lumière. Immédiat. J’aime ce caractère distancié, assez violent. Et contrasté. Et la faveur donnée à ce chat. Privilégié.
Mais si je lis le texte en prose, il faut que je traverse une mise en place très « clinique », très méthodique du décor, et du contexte dans le temps. Je sens comme une nécessité de la mise en contraste sombre autour/personnage dans la lumière, comme sur la photo. Ok. Mais quand tu dis « C’est là que je l’ai vu : assis sur la bordure du trottoir, les fesses en équilibre », je suis ferré, j’ai pu oublier ce qu’il y avait avant, sans perte de force, de percussion.
J’ai toujours du mal à trouver du sens à la juxtaposition des deux textes. La succession, la mise en regard. A mon avis ils méritent de se rencontrer, de se croiser, autrement. De plus près. Dans un même corps de texte. Vivants l’un grâce à l’autre.
Globalement, il me semble que la description de l’image prend souvent trop de poids par rapport à l’imaginaire que tu voudrais y mettre. Que tu en aies eu besoin, toi, pour l’écrire, sûrement. Mais Laurence Vilaine nous parlait souvent des échafaudages, et de s’interroger sur la nécessité de les gommer, ou de les garder.
Voilà, j'aime beaucoup ton regard sur cette image, que je ne connais pas (encore). Et c'est pourquoi je ne lui fais pas de cadeau.
'toM- Nombre de messages : 287
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
Re: histoires d'image 1
Merci de m'accompagner dans ces réflexions. Si je cherche le point commun de tous ces récits en prose élaborés à partir d'une image unique, il me semble qu'ils racontent un moment signifiant, singulier, révélateur, et peut-être cela leur permet-il d'être brefs.
Pour la partie "poésie", c'est comme si je cessait d'"accomoder", que le champ visuel s'élargisse et devienne plus flou : ce qui se produit quand on cesse de regarder attentivement, qu'on passe à la rêverie, à l'association ou à un souvenir et donc à une évocation plus large. Ça renvoie bien à l'inspiration poétique qui échappe à la volonté et presque à la pensée.
Mais il faut que j'attende d'avoir plus de temps pour approfondir un peu tout ça et également ce que tu me semblais dire de la brièveté des récits.
J'espère pouvoir le faire en septembre et partager cela ici.
Pour la partie "poésie", c'est comme si je cessait d'"accomoder", que le champ visuel s'élargisse et devienne plus flou : ce qui se produit quand on cesse de regarder attentivement, qu'on passe à la rêverie, à l'association ou à un souvenir et donc à une évocation plus large. Ça renvoie bien à l'inspiration poétique qui échappe à la volonté et presque à la pensée.
Mais il faut que j'attende d'avoir plus de temps pour approfondir un peu tout ça et également ce que tu me semblais dire de la brièveté des récits.
J'espère pouvoir le faire en septembre et partager cela ici.
Re: histoires d'image 1
Je comprends ce que tu cherches avec la part poétique, ce flou, entre deux.
C'est à toi de choisir si il doit être présenté en même temps ou à part.
Sur le "récit", je ne le trouve pas trop bref, je le trouve prudent, par ce choix de l'instantané révélateur, plutôt que dans l'exploration, imaginaire, d'un passé où cet instant s'inscrit. Mais tu as compris que c'était ma lecture. Cette impression a été encore plus forte en lisant le Simiane, où tu as choisi de ne faire parler qu'un des personnages (c'est curieux, j'ai parlé de cette photo à une amie qui reconnait sa cousine. C'est un endroit fort, on peut y imaginer une sorte de théâtre. Mais je ne l'ai connu que vide).
C'est à toi de choisir si il doit être présenté en même temps ou à part.
Sur le "récit", je ne le trouve pas trop bref, je le trouve prudent, par ce choix de l'instantané révélateur, plutôt que dans l'exploration, imaginaire, d'un passé où cet instant s'inscrit. Mais tu as compris que c'était ma lecture. Cette impression a été encore plus forte en lisant le Simiane, où tu as choisi de ne faire parler qu'un des personnages (c'est curieux, j'ai parlé de cette photo à une amie qui reconnait sa cousine. C'est un endroit fort, on peut y imaginer une sorte de théâtre. Mais je ne l'ai connu que vide).
'toM- Nombre de messages : 287
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
Re: histoires d'image 1
Sur les textes de la page 17 :
Pardon si je caricature un peu mais voilà ma pensée:
On peut aimer le poème mais le poème sans la prose n'est rien . Au mieux , seul , c'est un poème presque quelconque . C'est la confrontation des deux qui est superbe. Plus exactement la confrontation des trois dernières lignes de la prose avec le poème. L'inclusion, oui c'est ça , l'inclusion.
Un mot du récit est important et ouvre (sur) le poème : " suspendu" (T1)
C'est dans cette suspension d'une fraction de seconde que se développe précisément le poème. Il n'a guère de relief tout seul; il n'en prend que parce qu'il est un moment suspendu, une révélation enchâssés dans la déambulation du narrateur. Et il ne peut y avoir révélation s'il n'y a pas eu auparavant toute l'errance dans NY. Elle justifie le processus :
1 Visite classique de NY
Curiosité du narrateur
La photo plus une tentative immédiate de compréhension
2 poème qui donne une interprétation plus réfléchie
Le chemin pour moi se révèle entre "hostile" (T1) , "colère" (T2) et l'écho final "sa vie "/notre vie
Du coup tout me paraît nécessaire et quasiment "emboîté".
obi- Nombre de messages : 566
Date d'inscription : 24/02/2013
Re: histoires d'image 1
Merci obi.
C'est vrai, le poème ne peut exister sans la photo puis sans le récit qu'elle me fait imaginer.
Ces petits poèmes, ils viennent tout seuls, très vite, en relisant l'histoire, aucun problème d'inspiration. Après, il y a le travail de mise en forme, cette histoire de compter les mots, qui est un peu laborieuse parfois, mais au bon sens du terme.
Parce que sans pouvoir l'expliquer je suis convaincue que c'est l'étrangeté qu'elle induit qui donne sa valeur au poème
C'est vrai, le poème ne peut exister sans la photo puis sans le récit qu'elle me fait imaginer.
Ces petits poèmes, ils viennent tout seuls, très vite, en relisant l'histoire, aucun problème d'inspiration. Après, il y a le travail de mise en forme, cette histoire de compter les mots, qui est un peu laborieuse parfois, mais au bon sens du terme.
Parce que sans pouvoir l'expliquer je suis convaincue que c'est l'étrangeté qu'elle induit qui donne sa valeur au poème
Re: histoires d'image 1
Je dois dire seyne que je n'avais pas remarqué ces poèmes que vous avez écrits.
Je les trouve très beaux - pour ma part, je n'ai pas eu besoin des photographies, et j'ai préféré même ne pas les regarder.
J'ai le sentiment qu'obi a raison quand il identifie l'effet de cette "inclusion", ce point de passage où on décide de prendre du recul et de dire qu'il est important de s'arrêter pour regarder. Le lien avec la photographie s'insinue dans ce parti-pris avec une certaine évidence.
Je trouve que l'ensemble est très émouvant sans pouvoir distinguer précisément d'où viendrait cette émotion, des passages en prose que j'ai bien sûr relus en même temps, des poèmes, de l'effet de cette juxtaposition.
Pour moi le premier texte et son poème sont spécialement réussis. Est-ce que je me trompe si je lis dans ces quelques vers, sans pouvoir l'expliquer, le coeur de votre démarche :
"la
lumière atténuée emplit de douceur cet espace
couvert que nous partageons avec deux garçons"
raconter presque de la même façon, mais pas tout à fait.
Merci pour ce partage,
Antoine
Je les trouve très beaux - pour ma part, je n'ai pas eu besoin des photographies, et j'ai préféré même ne pas les regarder.
J'ai le sentiment qu'obi a raison quand il identifie l'effet de cette "inclusion", ce point de passage où on décide de prendre du recul et de dire qu'il est important de s'arrêter pour regarder. Le lien avec la photographie s'insinue dans ce parti-pris avec une certaine évidence.
Je trouve que l'ensemble est très émouvant sans pouvoir distinguer précisément d'où viendrait cette émotion, des passages en prose que j'ai bien sûr relus en même temps, des poèmes, de l'effet de cette juxtaposition.
Pour moi le premier texte et son poème sont spécialement réussis. Est-ce que je me trompe si je lis dans ces quelques vers, sans pouvoir l'expliquer, le coeur de votre démarche :
"la
lumière atténuée emplit de douceur cet espace
couvert que nous partageons avec deux garçons"
raconter presque de la même façon, mais pas tout à fait.
Merci pour ce partage,
Antoine
Jand- Nombre de messages : 306
Age : 27
Date d'inscription : 05/04/2016
Re: histoires d'image 1
Merci pour ce commentaire qui entre en écho avec quelque chose que j'ai écrit à un ami à propos du vers arithmonyme :
"... Là où ça se corse, c’est quand je me suis décidée à faire suivre le récit imaginaire en prose par un petit poème en vers arithmonymes.
Tu me demandais comment j’écris cela, c’est simple : à partir du petit récit en prose, le poème s’écrit très rapidement. L’inspiration est là aussitôt. Le poème est comme décalé par rapport au récit, comme si je faisais un arrêt, un pas en arrière, comme si je changeais de focale. Il y a une sorte de flou, une immobilité d’où coule le poème.
En général j’écris la première phrase qui sert de règle (je compte le nombre de mots) et ensuite je bricole, très vite, ce qui vient doit entrer dans le moule et comme toujours en poésie, c’est « l’oreille intérieure » qui dicte les choses. Il faut que ce soit un objet avec des étrangetés, des trous, mais aussi une continuité, une douceur, et quelque chose d’universel.
Voilà, je ne peux pas mieux expliquer ma méthode. J’ajoute qu’il y a une dimension du « jeu », un jeu d’enfant. C’est très plaisant à faire."
"... Là où ça se corse, c’est quand je me suis décidée à faire suivre le récit imaginaire en prose par un petit poème en vers arithmonymes.
Tu me demandais comment j’écris cela, c’est simple : à partir du petit récit en prose, le poème s’écrit très rapidement. L’inspiration est là aussitôt. Le poème est comme décalé par rapport au récit, comme si je faisais un arrêt, un pas en arrière, comme si je changeais de focale. Il y a une sorte de flou, une immobilité d’où coule le poème.
En général j’écris la première phrase qui sert de règle (je compte le nombre de mots) et ensuite je bricole, très vite, ce qui vient doit entrer dans le moule et comme toujours en poésie, c’est « l’oreille intérieure » qui dicte les choses. Il faut que ce soit un objet avec des étrangetés, des trous, mais aussi une continuité, une douceur, et quelque chose d’universel.
Voilà, je ne peux pas mieux expliquer ma méthode. J’ajoute qu’il y a une dimension du « jeu », un jeu d’enfant. C’est très plaisant à faire."
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