Attendre

Jeanne devrait revenir ce soir, vers cinq heures du matin

je vais l’attendre ici, avec ce carnet qu’elle m’a offert

près de moi

la grande rime des jours qui passent

l’enfance, la maison dans le nord… Dieu… Mon père…


j'écris en l’attendant

et mon Dieu silencieux qui se tait à jamais

Dieu que j’ai trahi, au fond de moi, que j’ai livré à l’abime et contre moi


terrain fichu à l'ombre

de mon grand père en son Venise

sur lui les rides définitives, brutales

les rides réelles et inconnues

de ma mère seule dans ses collages, collée à elle-même, passée

l'exigence infinie qui en partant va relire ma vie


le geste la tentative

mis de côté

avec mes restes et mon lent

à la recherche de ce monde émilien, savant de rouge ébloui

je veux revenir demain

tout sera là encore, patient

Étrange poème qui construit un lieu d'intériorité, comme une chambre perdue et nocturne.
L'attente, les figures d'attachement à la fois lointaines et vivantes, le temps et une douleur qui semble toucher à des enjeux essentiels.
La poésie c'est quand même ce qu'on trouve de mieux pour dire ces moments-là, la façon dont flotte l'esprit.

Avec la poésie, j'ai toujours du mal à commenter parce que je ne comprends pas et c'est tellement frustrant de ne pas comprendre!

Je saisis au vol des images magnifiques : "ce monde émilien, savant de rouge ébloui "et "la grande rime des jours qui passent"

celles-là me parlent mais des expressions comme :
"l'exigence infinie qui en partant va relire ma vie" ou "avec mes restes et mon lent" "terrain fichu à l'ombre" et le fait de ne pas savoir qui est Jeanne m'empêchent d'apprécier l'ensemble. C'est désolant mais j'ai toujours un gros blocage en poésie!
Merci en tout cas pour ce partage.

Il faut croire que je ne sais pas flotter! Certains ne savent pas nager; moi je ne sais pas flotter.

Les passages que tu as cités restent mystérieux pour moi aussi, voire bizarres. C'est pour ça que j'ai employé les mots : "lieu d'intériorité", parce que j'avais le sentiment que le poème semblait beaucoup se parler à soi-même, et qu'on est comme un visiteur indistinct derrière un rideau....et Jeanne, forcément reste très étrangère.
Je suis partagée par rapport à cela : je me souviens d'une critique qu'on m'avait faite et qui pourrait s'appliquer ici : tu laisses ton lecteur sur le bord. Mais depuis j'ai lu pas mal de poème de "grands poètes" qui sont tout autant obscurs, voire qui portent des références bien opaques à qui ne les connaît pas.
Donc flotter, oui. Mais c'est vrai que deux choses m'ont gênée : "mon grand-père en son Venise", et ce mon lent, qui est si abrupt qu'on dirait qu'il manque quelque chose.
Reste la lenteur méditative, les images qui semblent monter d'un fond intérieur, la beauté des mots, l'appel.

Merci pour vos commentaires à tous les deux, j'apprécie que vous ayez pris le temps de commenter.

C'est sans doute trop obscur, exercice peut être un peu raté cette fois.

On ne sait jamais trop ce qu'on perd en étant trop explicite, ou ce qu'on arrive plus à trouver justement.

A bientôt,

Antoine