Jehan des Grèves VII
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Jehan des Grèves VII
Des nouvelles de Jehan des Grèves qui a accompli sa mission à Avranches et est revenu au Mont Saint Michel accompagné de Claude, ce mystérieux personnage que lui a confié l'évêque. Le moinillon retrouve ses parents et Guillemette...
On avait installé Claude dans le logis Tiphaine aux portes du monastère. Cette belle demeure de granit, entourée d'un petit jardin et dominant l'église paroissiale avait été construite, moins d'un siècle auparavant, par le connétable Bertrand Du Guesclin qui souhaitait y mettre son épouse à l'abri durant ses campagnes.
Jehan avait eu, dès son retour, un entretien avec son supérieur. Celui-ci ne montra pas d'étonnement en apprenant que le novice ne sentait pas sa vocation assez solide pour prononcer des vœux définitifs.
Jehan savait que sa place serait bientôt prise par un de ces nombreux cadets de bonne famille qui préféraient la sécurité et la relative aisance de la vie monacale à une carrière plus incertaine dans les armes.
Le prieur lui rendit sa liberté. Il lui demanda toutefois s'il lui serait possible de servir de messager à l'abbaye quand l'occasion s'en présenterait. Il serait rétribué, bien sûr, et ces éventuelles missions ne devraient pas nuire è l'exercice du métier qu'il allait choisir. Jehan pensait reprendre, avec son père, la fabrique familiale de plombs et d'étains. Tant qu'il aurait ses parents avec lui pour tenir leur échoppe, il disposerait sans doute du temps nécessaire pour le service de l'abbaye et il accepta avec joie.
Il éprouvait un peu de nostalgie en quittant les lieux qui l'avaient abrité durant ces deux dernières années.
Contrairement à ce qu'il aurait pu craindre au début de son noviciat il ne s'était jamais senti accablé par le poids de ces hautes murailles à l'ombre desquelles glissaient les silhouettes des moines encapuchonnées de silence.
Le Mont tout entier lui avait semblé parfois dévorant par la puissance des racines qui le liaient à lui mais dans l'enceinte même de l'abbaye, posée en équilibre entre ciel et mer, il s'était senti respirer avec plus d'ampleur, plus de force.
Il regrettait de n'avoir pas eu le temps d'approfondir ses découvertes et de cultiver le savoir qu'il n'avait fait qu'effleurer en travaillant au scriptorium auprès des copistes et des enlumineurs.
Dieu n'avait, dans tout cela, qu'une importance limitée, il s'en rendait bien compte… Il aurait aimé savoir s'il en était de même pour certains de ses frères, particulièrement pour ceux qui avaient passé au monastère l'essentiel de leur vie mais on parlait si peu ici, si peu de soi, notamment!
Et puis il y avait Guillemette!
Guillemette dont l'existence ensoleillait les jours à venir, Guillemette dont la seule évocation faisait bondir en lui, avec l'exubérance d'un cabri nouveau-né, toute une cascade d'émotions.
Il fut accueilli par ses parents avec une joie profonde.
Son père surtout, qu'il n'avait pas revu depuis son entrée au monastère, lui témoigna son affection avec beaucoup de chaleur. Il avait toujours eu du mal à admettre le départ de ce fils unique bien qu'il considérât comme sacré le vœu de sa femme.
Celle-ci semblait s'être remise depuis la dernière visite de Jehan qui l'avait trouvée alitée. Elle aussi lui manifesta sa tendresse et lui dit son bonheur de le voir à nouveau auprès d'eux mais le jeune homme sentait percer, sous son émotion sincère, un regret, une déception… Bien qu'elle lui accordât le droit de choisir son avenir, le refus qu'il manifestait de s'engager dans une voie, à ses yeux exceptionnelle, la peinait plus qu'elle ne voulait l'admettre.
Jehan leur avaient raconté, avec maints détails, les évènements qu'il avait vécus ces derniers jours. Ils terminaient gaiment leur repas quand il fit part à ses parents de son projet d'épouser Guillemette sans tarder. Il les vit échanger un regard gêné.
- Je crois bien que son père ne la mariera que si son futur gendre s'engage à reprendre son auberge… Tu comptes devenir tavernier, Jehan?
Jehan sourit et, voulant se montrer rassurant :
- Vous savez bien que je souhaite travailler à vos côtés, père, et vous aider à tenir votre commerce. Guillemette a d'autres frères et sœurs qui pourront bien, plus tard, se charger de l'hostellerie.
- Son père est beaucoup plus vieux que moi, tu sais, et il n'est pas d'une santé florissante. Ses autres enfants sont trop jeunes pour lui être utiles avant plusieurs années et je crois bien qu'il a trouvé l'homme qu'il faut à Guillemette. Ils sont d'ailleurs quasiment fiancés…
Le garçon sursauta, incrédule. Sa mère intervint alors :
- Tu le connais, Jehan, il s'agit de ton ami Pierre… Le pauvre garçon a eu bien du malheur en perdant sa jambe dans les derniers affrontements mais il s'en remettra, il est jeune! Pour se tenir devant des fourneaux une prothèse fera l'affaire!
Jehan sentait poindre du mépris dans le ton de sa mère. Certes, elle avait toujours manifesté son agacement envers ses voisins et leur bruyante clientèle mais elle avait de l'amitié pour Pierre autrefois … Et puis cette annonce de fiançailles, il ne pouvait y croire! Ni Pierre, ni Guillemette ne lui en avaient parlé et, si son camarade avait fait allusion à la jeune fille, ç'avait été juste pour souligner l'attachement que cette dernière lui avait gardé, à lui, Jehan!
Il tenta de se rassurer en se disant qu'il ne pouvait s'agir que de rumeurs infondées.
Mais il était soudain inquiet, mal à l'aise; Il décida de se rendre chez son amie dès que possible.
Ils se retrouvèrent le lendemain matin dans ce qu'ils appelaient autrefois leur grotte, au creux des rochers de la Gire.
Jehan, qui avait pourtant attendu ce moment avec impatience, était tendu, hanté par les révélations de ses parents, mais l'enthousiasme et la ferveur avec lesquelles l'accueillit la jeune fille le firent fondre, oublier tout ce qui était étranger à cet instant des retrouvailles.
Guillemette ne se montrait pas moins ardente au soleil qu'elle ne l'avait été dans l'obscurité de la cave au pied des remparts et le garçon s'enchantait de pouvoir enfin découvrir et contempler les fruits palpitants de son bonheur. Ils s'aimèrent, lisant avec ravissement sur le visage l'un de l'autre la joie partagée.
Du ballet des mouettes tournoyant au dessus d'eux, Jehan ne retiendrait que les cris extasiés qu'il associerait longtemps au souvenir de cette matinée.
Il regardait Guillemette rajuster son costume quand lui revinrent en mémoire les propos de sa mère. Il aurait aimé lancer gaiement, comme une boutade, et sans ce léger tremblement dans la voix qui le trahissait :
- Guillemette, j'ai entendu dire que tu allais te fiancer!
Elle suspendit son geste une fraction de seconde et, lissant son tablier, comme balayant une menace :
- Oh, mon père pense plus à l'avenir de son auberge qu'à mon bonheur, tu sais!
- Mais que feras-tu s'il t'impose un mari?
- Eh bien, je me marierai s'il plait à mon époux de devenir aubergiste…
Un peu d'anxiété perçait sous l'apparente désinvolture de ses paroles.
- Guillemette, où en es-tu avec Pierre? Ma mère dit que toi et lui …
Elle lui fit face. Elle se découpait à contre jour, fine silhouette dressée sur le ciel d'un bleu imperturbable. Il ne distinguait pas son visage mais sa voix lui parut soudain blanchie, hachée par l'émotion.
- Pierre était là, Jehan, quand tu étais à l'abbaye. Il m'écoutait lui parler de toi, lui ressasser mon désespoir. Il était d'une patience infinie. Il savait me distraire aussi, mettre du baume sur mon chagrin … Mon père l'aime bien, il a confiance en lui …
- Je ne pense pas que tu aies jamais eu l'intention d'épouser une fille d'auberge!
Ajouta-t-elle plus doucement. Puis elle reprit :
- Tes parents ont toujours eu de grandes ambitions pour toi, Jehan. Ta mère était si fière quand elle parlait de ta vocation! Imagines-tu leur déception si tu m'épousais? Verraient-ils, sans tristesse, leur fils unique devenir gargotier quand ils avaient projeté d'en faire un clerc?
Jehan allait lui répondre, lui dire qu'il avait fait son choix en dépit des vœux de sa famille, que celle-ci acceptait de le voir renoncer à la vie monastique… Elle fut plus rapide que lui :
- Même si tu quittes l'abbaye, Jehan, tu ne te contenteras pas d'une vie d'aubergiste. Tu n'as pas ta place dans ce monde-là où tu t'ennuierais vite.
Pierre, lui, ne rêve pas d'autre chose. Il aime se mêler à la clientèle, il est à son aise parmi ces gueux un peu perdus que sont souvent les pèlerins, si loin de chez eux, et qu'il faut soigner un peu comme des enfants.
Elle ne lui dit pas combien elle avait aimé les instants qu'ils venaient de partager ni si elle avait jamais vécu les mêmes transports, avec la même intensité en compagnie de Pierre. Elle ne lui dit pas si la perspective de vivre avec un infirme ne l'effrayait pas un peu.
Elle l'intimidait tout à coup, lui paraissant tellement plus mûre, plus réfléchie que lui!
Il s'était contenté, jusqu'ici, d'écouter son cœur et ses sens, concluant que toute une vie avec Guillemette suffirait à peine à le combler. Il n'avait rien imaginé de plus que le bonheur d'être auprès d'elle.
Il s'en voulait d'être incapable d'opposer à ses arguments une autre vision des choses, une solution qui leur aurait permis, peut-être, de concilier leur amour avec la réalité.
Mais l'aimait-elle, après tout? Elle disait avoir beaucoup souffert de son départ pour l'abbaye mais n'avait-elle pas été déçue par leurs retrouvailles, l'avait-elle senti changé par ces deux années de noviciat?
N'avait-elle pas accepté cette dernière rencontre pour s'assurer qu'elle le quittait sans regrets, que son choix était le bon?
Il aurait aimé la prendre à nouveau dans ses bras, la sentir fragile comme ces douces héroïnes des gestes d'autrefois mais Guillemette était d'une autre trempe. Si elle savait s'abandonner à son plaisir, s'offrir généreusement sa part de rêve, elle se gardait des dérives incertaines et restait bien ancrée dans le réel.
Jehan sentait qu'il ne faisait pas le poids dans cet univers si bien structuré. Il n'avait rien à lui offrir sinon un grand amour qu'il n'aurait peut-être pas la force de protéger longtemps contre le quotidien aux dents jaunes.
Il la regarda s'éloigner après qu'ils aient échangé un dernier baiser. Elle sautait, légère, entre les rochers paraissant à peine effleurer leurs formes sombres.
Il ne vit pas les larmes qui brouillaient le regard de son amie et que séchait le vent ne laissant que la trace de leur sel sur ses joues.
On avait installé Claude dans le logis Tiphaine aux portes du monastère. Cette belle demeure de granit, entourée d'un petit jardin et dominant l'église paroissiale avait été construite, moins d'un siècle auparavant, par le connétable Bertrand Du Guesclin qui souhaitait y mettre son épouse à l'abri durant ses campagnes.
Jehan avait eu, dès son retour, un entretien avec son supérieur. Celui-ci ne montra pas d'étonnement en apprenant que le novice ne sentait pas sa vocation assez solide pour prononcer des vœux définitifs.
Jehan savait que sa place serait bientôt prise par un de ces nombreux cadets de bonne famille qui préféraient la sécurité et la relative aisance de la vie monacale à une carrière plus incertaine dans les armes.
Le prieur lui rendit sa liberté. Il lui demanda toutefois s'il lui serait possible de servir de messager à l'abbaye quand l'occasion s'en présenterait. Il serait rétribué, bien sûr, et ces éventuelles missions ne devraient pas nuire è l'exercice du métier qu'il allait choisir. Jehan pensait reprendre, avec son père, la fabrique familiale de plombs et d'étains. Tant qu'il aurait ses parents avec lui pour tenir leur échoppe, il disposerait sans doute du temps nécessaire pour le service de l'abbaye et il accepta avec joie.
Il éprouvait un peu de nostalgie en quittant les lieux qui l'avaient abrité durant ces deux dernières années.
Contrairement à ce qu'il aurait pu craindre au début de son noviciat il ne s'était jamais senti accablé par le poids de ces hautes murailles à l'ombre desquelles glissaient les silhouettes des moines encapuchonnées de silence.
Le Mont tout entier lui avait semblé parfois dévorant par la puissance des racines qui le liaient à lui mais dans l'enceinte même de l'abbaye, posée en équilibre entre ciel et mer, il s'était senti respirer avec plus d'ampleur, plus de force.
Il regrettait de n'avoir pas eu le temps d'approfondir ses découvertes et de cultiver le savoir qu'il n'avait fait qu'effleurer en travaillant au scriptorium auprès des copistes et des enlumineurs.
Dieu n'avait, dans tout cela, qu'une importance limitée, il s'en rendait bien compte… Il aurait aimé savoir s'il en était de même pour certains de ses frères, particulièrement pour ceux qui avaient passé au monastère l'essentiel de leur vie mais on parlait si peu ici, si peu de soi, notamment!
Et puis il y avait Guillemette!
Guillemette dont l'existence ensoleillait les jours à venir, Guillemette dont la seule évocation faisait bondir en lui, avec l'exubérance d'un cabri nouveau-né, toute une cascade d'émotions.
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Il fut accueilli par ses parents avec une joie profonde.
Son père surtout, qu'il n'avait pas revu depuis son entrée au monastère, lui témoigna son affection avec beaucoup de chaleur. Il avait toujours eu du mal à admettre le départ de ce fils unique bien qu'il considérât comme sacré le vœu de sa femme.
Celle-ci semblait s'être remise depuis la dernière visite de Jehan qui l'avait trouvée alitée. Elle aussi lui manifesta sa tendresse et lui dit son bonheur de le voir à nouveau auprès d'eux mais le jeune homme sentait percer, sous son émotion sincère, un regret, une déception… Bien qu'elle lui accordât le droit de choisir son avenir, le refus qu'il manifestait de s'engager dans une voie, à ses yeux exceptionnelle, la peinait plus qu'elle ne voulait l'admettre.
Jehan leur avaient raconté, avec maints détails, les évènements qu'il avait vécus ces derniers jours. Ils terminaient gaiment leur repas quand il fit part à ses parents de son projet d'épouser Guillemette sans tarder. Il les vit échanger un regard gêné.
- Je crois bien que son père ne la mariera que si son futur gendre s'engage à reprendre son auberge… Tu comptes devenir tavernier, Jehan?
Jehan sourit et, voulant se montrer rassurant :
- Vous savez bien que je souhaite travailler à vos côtés, père, et vous aider à tenir votre commerce. Guillemette a d'autres frères et sœurs qui pourront bien, plus tard, se charger de l'hostellerie.
- Son père est beaucoup plus vieux que moi, tu sais, et il n'est pas d'une santé florissante. Ses autres enfants sont trop jeunes pour lui être utiles avant plusieurs années et je crois bien qu'il a trouvé l'homme qu'il faut à Guillemette. Ils sont d'ailleurs quasiment fiancés…
Le garçon sursauta, incrédule. Sa mère intervint alors :
- Tu le connais, Jehan, il s'agit de ton ami Pierre… Le pauvre garçon a eu bien du malheur en perdant sa jambe dans les derniers affrontements mais il s'en remettra, il est jeune! Pour se tenir devant des fourneaux une prothèse fera l'affaire!
Jehan sentait poindre du mépris dans le ton de sa mère. Certes, elle avait toujours manifesté son agacement envers ses voisins et leur bruyante clientèle mais elle avait de l'amitié pour Pierre autrefois … Et puis cette annonce de fiançailles, il ne pouvait y croire! Ni Pierre, ni Guillemette ne lui en avaient parlé et, si son camarade avait fait allusion à la jeune fille, ç'avait été juste pour souligner l'attachement que cette dernière lui avait gardé, à lui, Jehan!
Il tenta de se rassurer en se disant qu'il ne pouvait s'agir que de rumeurs infondées.
Mais il était soudain inquiet, mal à l'aise; Il décida de se rendre chez son amie dès que possible.
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Ils se retrouvèrent le lendemain matin dans ce qu'ils appelaient autrefois leur grotte, au creux des rochers de la Gire.
Jehan, qui avait pourtant attendu ce moment avec impatience, était tendu, hanté par les révélations de ses parents, mais l'enthousiasme et la ferveur avec lesquelles l'accueillit la jeune fille le firent fondre, oublier tout ce qui était étranger à cet instant des retrouvailles.
Guillemette ne se montrait pas moins ardente au soleil qu'elle ne l'avait été dans l'obscurité de la cave au pied des remparts et le garçon s'enchantait de pouvoir enfin découvrir et contempler les fruits palpitants de son bonheur. Ils s'aimèrent, lisant avec ravissement sur le visage l'un de l'autre la joie partagée.
Du ballet des mouettes tournoyant au dessus d'eux, Jehan ne retiendrait que les cris extasiés qu'il associerait longtemps au souvenir de cette matinée.
Il regardait Guillemette rajuster son costume quand lui revinrent en mémoire les propos de sa mère. Il aurait aimé lancer gaiement, comme une boutade, et sans ce léger tremblement dans la voix qui le trahissait :
- Guillemette, j'ai entendu dire que tu allais te fiancer!
Elle suspendit son geste une fraction de seconde et, lissant son tablier, comme balayant une menace :
- Oh, mon père pense plus à l'avenir de son auberge qu'à mon bonheur, tu sais!
- Mais que feras-tu s'il t'impose un mari?
- Eh bien, je me marierai s'il plait à mon époux de devenir aubergiste…
Un peu d'anxiété perçait sous l'apparente désinvolture de ses paroles.
- Guillemette, où en es-tu avec Pierre? Ma mère dit que toi et lui …
Elle lui fit face. Elle se découpait à contre jour, fine silhouette dressée sur le ciel d'un bleu imperturbable. Il ne distinguait pas son visage mais sa voix lui parut soudain blanchie, hachée par l'émotion.
- Pierre était là, Jehan, quand tu étais à l'abbaye. Il m'écoutait lui parler de toi, lui ressasser mon désespoir. Il était d'une patience infinie. Il savait me distraire aussi, mettre du baume sur mon chagrin … Mon père l'aime bien, il a confiance en lui …
- Je ne pense pas que tu aies jamais eu l'intention d'épouser une fille d'auberge!
Ajouta-t-elle plus doucement. Puis elle reprit :
- Tes parents ont toujours eu de grandes ambitions pour toi, Jehan. Ta mère était si fière quand elle parlait de ta vocation! Imagines-tu leur déception si tu m'épousais? Verraient-ils, sans tristesse, leur fils unique devenir gargotier quand ils avaient projeté d'en faire un clerc?
Jehan allait lui répondre, lui dire qu'il avait fait son choix en dépit des vœux de sa famille, que celle-ci acceptait de le voir renoncer à la vie monastique… Elle fut plus rapide que lui :
- Même si tu quittes l'abbaye, Jehan, tu ne te contenteras pas d'une vie d'aubergiste. Tu n'as pas ta place dans ce monde-là où tu t'ennuierais vite.
Pierre, lui, ne rêve pas d'autre chose. Il aime se mêler à la clientèle, il est à son aise parmi ces gueux un peu perdus que sont souvent les pèlerins, si loin de chez eux, et qu'il faut soigner un peu comme des enfants.
Elle ne lui dit pas combien elle avait aimé les instants qu'ils venaient de partager ni si elle avait jamais vécu les mêmes transports, avec la même intensité en compagnie de Pierre. Elle ne lui dit pas si la perspective de vivre avec un infirme ne l'effrayait pas un peu.
Elle l'intimidait tout à coup, lui paraissant tellement plus mûre, plus réfléchie que lui!
Il s'était contenté, jusqu'ici, d'écouter son cœur et ses sens, concluant que toute une vie avec Guillemette suffirait à peine à le combler. Il n'avait rien imaginé de plus que le bonheur d'être auprès d'elle.
Il s'en voulait d'être incapable d'opposer à ses arguments une autre vision des choses, une solution qui leur aurait permis, peut-être, de concilier leur amour avec la réalité.
Mais l'aimait-elle, après tout? Elle disait avoir beaucoup souffert de son départ pour l'abbaye mais n'avait-elle pas été déçue par leurs retrouvailles, l'avait-elle senti changé par ces deux années de noviciat?
N'avait-elle pas accepté cette dernière rencontre pour s'assurer qu'elle le quittait sans regrets, que son choix était le bon?
Il aurait aimé la prendre à nouveau dans ses bras, la sentir fragile comme ces douces héroïnes des gestes d'autrefois mais Guillemette était d'une autre trempe. Si elle savait s'abandonner à son plaisir, s'offrir généreusement sa part de rêve, elle se gardait des dérives incertaines et restait bien ancrée dans le réel.
Jehan sentait qu'il ne faisait pas le poids dans cet univers si bien structuré. Il n'avait rien à lui offrir sinon un grand amour qu'il n'aurait peut-être pas la force de protéger longtemps contre le quotidien aux dents jaunes.
Il la regarda s'éloigner après qu'ils aient échangé un dernier baiser. Elle sautait, légère, entre les rochers paraissant à peine effleurer leurs formes sombres.
Il ne vit pas les larmes qui brouillaient le regard de son amie et que séchait le vent ne laissant que la trace de leur sel sur ses joues.
Re: Jehan des Grèves VII
Pourquoi VII Arielle? Ce n'est pas plutôt IV?
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Jehan des Grèves VII
Sahkti a écrit:Pourquoi VII Arielle? Ce n'est pas plutôt IV?
Parce que je ne voudrais pas encombrer le forum avec cette histoire que je compte faire durer encore un moment. Je préfère en glisser de temps en temps un épisode que chacun peut lire même s'il ne connaît pas le début. Si tu le souhaites, je peux t'envoyer par courrier les sept premiers chapitres déjà rédigés et s'il y a d'autres amateurs...
Re: Jehan des Grèves VII
Oui, volontiers (mon pseudo chez Hotmail)
Mais tu ne crains pas que des lecteurs du site perdent le fil si tu postes en passant des parties?
Mais tu ne crains pas que des lecteurs du site perdent le fil si tu postes en passant des parties?
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Jehan des Grèves VII
On saute donc des passages pour retrouver Jéhan plus tard. Soit. Personnellement je m'y retrouve, mais il n'est pas sûr que ce soit le cas pour ceux qui n'ont pas lu les 1ers textes... Ceci dit, il m'est de plus en plus sympathique ce Jéhan et la jeune Guillemette aussi avec son caractère bien trempé. On a hâte de savoir ce que l'avenir leur réserve...
Puisque tu le proposes, je lirai avec grand plaisir les épisodes intermédiaires si tu veux bien me les envoyer.
Et comme il est plus aisé de voir les fautes des autres que les siennes propres, voici :
Puisque tu le proposes, je lirai avec grand plaisir les épisodes intermédiaires si tu veux bien me les envoyer.
Et comme il est plus aisé de voir les fautes des autres que les siennes propres, voici :
Jehan leur avait raconté
gaiement
Il la regarda s'éloigner après qu'ils aient échangé un dernier baiser : jamais de subjonctif après "après que"= > "eurent", ou la forme infinitive- peut-être plus légère
Invité- Invité
Re: Jehan des Grèves VII
Merci Sahkti et Island pour l'intérêt que vous portez au petit Jehan.
Sahkti, c'est en route!
Island, merci pour les corrections dont je prends bonne note.
Envoie-moi un mail privé avec ton adresse pour que je puisse te répondre par la même voie.
Sahkti, c'est en route!
Island, merci pour les corrections dont je prends bonne note.
Envoie-moi un mail privé avec ton adresse pour que je puisse te répondre par la même voie.
Re: Jehan des Grèves VII
avait ;Jehan leur avaient raconté
lesquels ;l'enthousiasme et la ferveur avec lesquelles
regret.qu'elle le quittait sans regrets
Beaucoup de mais.
Gaiment est plus joli avec un e : gaiement (à mon goût) .
Pour l'histoire, tu tiens un excellent sujet à travers lequel tu nous "ballades"
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Jehan des Grèves VII
Bertrand, j'avais un doute au sujet de regret mais grâce à toi j'ai appris qu'il fait partie de la liste des toujours singulier après sans
Ballade au sens où l'entendent Villon et Brassens, je le prends comme un compliment, merci!
Ballade au sens où l'entendent Villon et Brassens, je le prends comme un compliment, merci!
Re: Jehan des Grèves VII
Bertrand a relevé :
Une bonne douzaine à écrémer dans cet épisode, effectivement!
On ne se relit jamais assez
Beaucoup de mais.
Une bonne douzaine à écrémer dans cet épisode, effectivement!
On ne se relit jamais assez
Re: Jehan des Grèves VII
Beaucoup de "mais", en effet, et, peut-être, aussi, un sentiment de distance vis à vis des personnages que je n'avais pas senti jusque là.
pierre-henri- Nombre de messages : 699
Age : 66
Localisation : Raiatea
Date d'inscription : 17/02/2008
Re: Jehan des Grèves VII
Argh, je viens d'effacer par erreur le long commentaire que j'avais écrit !
Pour résumer, je disais que l'écriture était toujours aussi agréable et que cela contribuait largement à rendre ce texte plaisant.
P.H. parlait d'un sentiment de "distance" et je le rejoins un peu. De mon point de vue, c'est lié à la succession de faits importants dans la trame du récit (départ du monastère, l'annonce aux parents, les retrouvailles avec Guillemette etc...) qui s'enchaînent peut-être (trop ?) rapidement.
Néanmoins, tu as une vision d'ensemble que moi, lectrice, je n'ai pas, et tout cela est sans doute parfaitement maîtrisé.
Si tu m'envoies les épisodes manquants (via l'icône "www" sous mes messages) je les lirai avec plaisir...
Pour résumer, je disais que l'écriture était toujours aussi agréable et que cela contribuait largement à rendre ce texte plaisant.
P.H. parlait d'un sentiment de "distance" et je le rejoins un peu. De mon point de vue, c'est lié à la succession de faits importants dans la trame du récit (départ du monastère, l'annonce aux parents, les retrouvailles avec Guillemette etc...) qui s'enchaînent peut-être (trop ?) rapidement.
Néanmoins, tu as une vision d'ensemble que moi, lectrice, je n'ai pas, et tout cela est sans doute parfaitement maîtrisé.
Si tu m'envoies les épisodes manquants (via l'icône "www" sous mes messages) je les lirai avec plaisir...
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