Des plumes doigts pour un poète à la con

Des plumes doigts pour un poète à la con

J’ai des plumes doigts
Des plumes lèvent l’encre
Des plumes recto
Verso
Cinq par main

J’ai des plumes dans le dos
Aussi
Plumes aux
Nettoient poussière
Des mots

J’ai des plumes doigts
Alors je l’écris
Encore une fois au bistrot
Décidément on change pas
« Des plumes doigts » c’est beau

Autour du cou j’ai un kéfié rouge et blanc.
Il s’approche, fait : « T’as pas honte connard ?! »
J’y crois pas trop. Je me dis : il parle à quelqu’un d’autre
Aussi, je lève pas la tête de mes plumes
Plumes âge des mots

Mais il insiste : « Èh connard, je te parle ! »
Puis :
Enchaîne par un : « Les mecs qu’aiment la guerre, moi je peux pas les blairer »
Il a l’air sérieux
Il y croit
Y croit à mort.
Ajoute :
« Putain ça me débecte la propagande violence ! »
Le dit moins bien que ça
Mais le dit
Je lève les yeux de mes plumes
Me lève
Hésite un peu à les quitter

« Enlève ça ! » il gueule

Alors lesdites plumes, je me les fais plumes en pennes
Et de la peine j’en ai
Voyez :

J’ai ramassé un kéfié
Il y a longtemps de ça
Dans un bled loin là-bas
C’était une journée d’acier
Comme s’il en pleuvait
Sur le trottoir
Restait que ça
Et des membres épars
Je me suis baissé
L’ai ramassé
Autour du cou me le suis mis
Et j’ai pensé
« Plus jamais »
Ou à peu près

« Enlève ça ! » il regueule

J’ai des plumes doigts

« Enlève ça ! »

Des plumes à façon

« Enlève ça ! Je te le dirai pas deux fois »

Contrefaçon : ça fait déjà trois fois

« Enlève ça sinon… »

Des plumes doigts qui se ferment en poings

« Et regarde-moi quand je te parle »

Des plumes doigts qui se rassemblent,
se réunissent pilons, et :
Oui !
Oui je vais te regarder
Te regarder toi
Toi qui t’es jamais baissé
Sur un trottoir défoncé de bêtise
Chair explosée
Te regarder
Te regarder, et dans les yeux encore
Et te dire : « Dis, tu veux quoi toi ? Et qu’est-ce que tu sais toi ? Vas y, approche plus près pour reprocher. Essaie seulement ! »

Il essaie

J’ai des plumes doigts
Des plumes lèvent l’encre
Des plumes recto
Verso
Cinq par poing
Soit
Deux qui frappent
Et frappent dur
Ordure

J’ai des plumes doigts
Pendants aux bouts des bras
Et maintenant
A pleurer dedans
Tissu rouge et blanc
Et assis sur un banc de nuit
J’ai honte

J’ai ramassé un kéfié
Il y a longtemps de ça
Dans un bled loin là-bas
C’était une journée d’acier
Comme s’il en pleuvait
Sur le trottoir
Restait que ça et des membres épars
Je me suis baissé
L’ai ramassé
Autour du cou me le suis mis
C’était celui d’un garçon
Répandu- mille-morceaux
Sur un bout de chaussée chaos
Un adolescent
Presque un enfant
Et j’ai pensé
« Plus jamais ça »
Ou à peu près

Sauf que voilà
J’y arrive pas

J’ai des plumes doigts.
Oui
Mais des plumes dans le dos
Vrai : j’en ai pas
Et ça fait mal aux phalanges
Mal à l’ange
D’avoir mal aux plumes
Comme ça

Et vas-y
Chiale ta violence
Poète à la con

J'ai beaucoup aimé Yali. C'est fort et en même temps la "plume" dans tous ses états adoucit et humanise. Je ne sais si c'est en raison des répétitions de partie du texte mais ça pourrait faire une très belle chanson aussi.

Yali, c'est...

C'est... beau comme un orage. Voilà.

Le début me plait beaucoup, c’est rythmé ; l’image des plumes est très belle et filée avec beaucoup habileté sur toute la longueur du poème.
Mais lorsque tu commences à raconter (« Autour du cou j’ai un kéfié rouge et blanc »), je décroche un peu. La forme colle mal au fond, c’est de la prose, je regrette que tu en aies fait des vers.
Et puis le récit redevient pour moi poésie ici : « J’ai ramassé un kéfié.. »; tu le reprends plus loin comme un refrain et ça sonne bien.
Je décroche à nouveau là « Des plumes doigts qui se rassemblent » replonge avec « Il essaie » et n’en ressors plus. Toute cette partie finale dégage beaucoup de force et d’émotions. Des images à la fois dures et sensible. J’aime.

Suis très souvent en phase avec tes commentaires, Krystelle, mais ici, non. Je trouve que le côté hybride de la forme, poésie/prose, apporte justement beaucoup de force et de cohérence à l'ensemble.

kilis a écrit:Suis très souvent en phase avec tes commentaires, Krystelle, mais ici, non. Je trouve que le côté hybride de la forme, poésie/prose, apporte justement beaucoup de force et de cohérence à l'ensemble.

Oui l'idée ne me déplait pas sauf qu'ici le mélange me coupe l'émotion ... C'est toujours délicat de transformer en vers des évènements très prosaïques et ça peut fonctionner mais là il me manque quelque chose pour ne pas décrocher.

Suis un peu partagée.
D'abord par les alternances poésie/prose. Non que cela me gêne véritablement, mais je trouve qu'il y a inégalité de contenu entre les deux. Ou plutôt inégalité de force. Chaque partie a ses qualités propres, son message qu'il distille de manière claire, mais les deux ensemble, je sais pas, y a un truc qui fait que je trouve ça moins heureux que chaque partie prise séparément. Est-ce la succession de mots poétiques doux avec une prose plus dure (les insultes) qui me dérange? C'est possible, difficile à identifier clairement, mais le côté hybride du texte le rend moins harmonieux à mes yeux.

Ben ça fait longtemps que j'ai pas lu un poème qui m'ait vraiment ému comme le tien, surtout que je trouve qu'il y a une force énorme qui se dégage de ton texte. Pas de mièvrerie ici, non, plutôt une puissance qui éblouit. Totalement subjuguée donc.

Ce mélange me plait beaucoup, à moi, comme un mélange de cultures, comme une contradiction vitale, c'est beau.

J'aime bien. Et le mélange prose/poésie me plait je trouve que ça se mèle plutôt naturellement. J'aime la métaphore filée de la plume, j'aime les jeux de mots, c'est fort, et c'est tout de même agréable à l'oreille. De très jolies expressions, je me suis juste un peu perdue dans le sens à un moment, mais en relisant, on reprend le fil. Original.

Oui subtil mélange que celui-là. Et derrière l'apparente poésie et la petite anecdote se cache un message universel. Oui j'ai aimé cette histoire qui progresse petit à petit, cette colère qui monte petit à petit... Et dire que j'ai failli passer à côté....-)

J'ai eu du mal à suivre au début puis ensuite ça prend au ventre petit à petit. j'ai buté sur certains vers mais les frissons m'ont submergé surtout sur la fin. Très belle façon de traité à la fois deux sujets délicats, je ne connaissais pas ce côté là de toi. par contre certains passages comme les insultes m'ont détourné du fil. Elles faisaient "pas à leur place".
voili voilou

Une si jolie plume ;-)

Merci pour ton texte.
J'ai l'impression d'être moins con après l'avoir lu.
Merci, merci, merci.
Encore...

Une imagination tout à fait étonnante pour créer un très beau poème, très personnel, très, très original et dans une forme d'une liberté jubilatoire...
Ben... c'est du Yali !

Au début j'étais un peu géné par l'harmonie des mots sur certains passages, mais bien vite je me suis fait happer par ton texte que je trouve admirable.
Un très bon moment, bravo !

Ah ben ça !
Je lisais le début, j'étais prête à m'ennuyer, mais, les jeux de plumes, ça le faisait bien, donc, je continuais à lire.
Et puis, et puis... je ne m'y attendais pas du tout à cette violence, j'avais envie de me cacher tellement.
La honte d'avoir cru que (?)
La peur de lire plus (?)
Malaise (!)

Belle surprise, bravo !

Merci Yali.

Spoiler:

En dehors du thème dont on ne peut traiter avec recul en ces temps agités, j'ai bien aimé ce " ballet de plumes ".

Bonsoir Yali,

et merci à Mure d'avoir fait remonter...

J'ai lu vos mots comme ils venaient sans chercher à savoir s'il s'agissait de prose ou de poésie et je fus bouleversé par le résultat ; pour moi ce n'est ni l'une ni l'autre, c'est tout simplement une belle leçon d'écriture et de vie...

il y a des jours je me demande pourquoi j'écris....j'ai l'impression que c'est nul, quand je lis des trucs comme ça!

loic a écrit:il y a des jours je me demande pourquoi j'écris....j'ai l'impression que c'est nul, quand je lis des trucs comme ça!

pareil
sauf que
heureusement que j'écris pas
;-)

C'est toujours d'aplomb.

Un texte aérien qui frappe fort

je m'associe avec plaisir aux éloges semble t'il unanimes que recoivent ce super poème et son super auteur, mais pourquoi en allant plus loin, prenant en compte le ¨manque¨où se trouvent néanmmoins certains, ne pas proposer de travailler encore sur ce poème: il le mérite... je suis sûr que le résultat serait exceptionnel: allez! super poète, courage! ça va être payant pour la poésie pour vous et pour nous...