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LOISEAU : Le sale air de l'acteur

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Message  grieg Lun 10 Avr 2006 - 13:58

Matin de pêche



Je me suis toujours demandé comment un mec pouvait passer autant de temps à faire des trous dans un mur sans que celui-ci ne lui tombe sur la gueule.

Je suis à la fenêtre, depuis des heures, à attendre que Lardieu, mon con de voisin, cesse de faire vibrer l'air avec sa perceuse. Je regarde la pendule. La grande aiguille tremble. Une pile de bouquins en attente d'un lecteur volontaire s'écroule sur le sol, c'est un signe ; c'est la culture que ce type saccage.
S'il continue, il va me gâcher les répétitions de piano de ma petite voisine, et ça, je ne pourrai jamais lui pardonner.

Cette femme est une bombe qui m'éclate, et depuis qu'elle a emménagé, qu'elle pianote tous les jours, je vis avec moins que rien en ayant l'essentiel. Quand je la croise le matin, son sourire illumine ma journée.
Cette femme est mon évidence, elle me manque depuis toujours.
C'est bien simple, je n'imagine plus la vie sans elle et sa musique, je n'imagine pas d'après. Ces moments comptent plus que tout.

J'ai l'impression que nos regards se font plus insistants ces derniers temps. On se mate dans le couloir, presque complices, à la limite du sensuel.
Je sens qu'elle commence à m'aimer. Ça me rend de si bonne humeur que j'évite les clochards de peur d'avoir envie de leur filer tout mon blé. Bref, je ne sors plus les jours de pluie pour épargner mes godasses, parce qu'elle me donne envie de sauter à pieds joints dans les flaques en chantant comme un couillon.
Je sais qu'elle vit seule.
Un de ces jours, je vais lui avouer ma flamme.
Je me vois bien frapper à sa porte, gros bouquet, sourire béat :

« Je vous aime ! C'est un peu tôt ? ».

Le côté positif du boucan des travaux, c'est que Perfide, mon chat, est planqué et qu'il ne m'a pas encore lacéré la jambe ce matin. Un autre avantage, c'est que je n'ai pas entendu la dizaine de créanciers potentiels qui chaque jour me rendent visite. Par contre, je ne peux pas ignorer la porte qui gémit sur ses gonds, le bois qui se gonfle sous les coups répétés. Wanda, plus forte que la machine, s'annonce avec son style sans détour. Dès que j'ouvre, elle se rue à l'intérieur, renverse tout sur son passage, me traite de porc, balance mes slips et mes fringues à grands coups de pied, dégage le canapé des restes de pizza et s'assoit, essoufflée d'avoir grimpé en cavalant mes trois étages. Il y a un taureau dans la Reine Wanda et je suis un aficionado.
Elle me dit entre deux aspirations pénibles :

- Tu sais que j'ai toujours considéré les dépressifs comme des couillons égocentriques, qu'ils m'emmerdent quoi ! Alors, tu peux m'expliquer pourquoi je continue à venir dans la cage de la plus belle espèce de volatile dépressif que je connaisse. Fred Loiseau, t'es un gros dégueulasse en plus… Passons ! figure-toi que j'ai une bonne femme, en bas, au café, qui prétend te connaître. J'allais tranquillement lui demander si elle voulait que je lui tire les cartes quand elle m'a annoncé qu'elle se foutait pas mal de mes révélations et qu'elle était là pour te voir.
- Genre ?
- Pas le tien ! plutôt moineau défraîchi ! ça pourrait être ta mère.
- On a dit, pas la famille Wanda ! Pas la famille !
- En attendant, elle est en bas, au café et elle t'attend… Tu pourrais pas brancher ton portable quand t'es chez toi ? et puis, tu te le fais réinstaller quand le fixe ?
- Quand t'auras perdu dix kilos.

Wanda se jette en avant pour m'en coller une. Elle pose le pied dans le plat de soupe que mon autre voisine, Madame Dubreuil, ma petite vieille adorée, m'a préparé hier, et s'étale sur une autre pile de bouquins, fragile tour de Babel, jusqu'alors encore fièrement dressée. Je préfère me barrer avant qu'elle ne me fracasse la tête à coups d'assiette. Je dévale les escaliers. Le fracas de mes talons sur les marches et la perceuse m'empêchent de comprendre les insultes qu'elle hurle de là-haut. Elle n'a pas besoin de perdre, ni un, ni dix kilos, elle est parfaite.

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Message  grieg Lun 10 Avr 2006 - 13:59

À l'estaminet rien de nouveau



J'ai deux amours, trois, quatre, plus… Mais pour les villes , mon cœur balance entre Liège et Paris. Je partage mon temps entre la provinciale belge et la frimeuse essoufflée.
Paris est une ville complexée qui a oublié à un moment de son histoire de prendre de la hauteur pour s'étaler, comme une mégalopole du tiers-monde, mais en tout petit. Elle repose sur la mémoire et n'offre rien de nouveau. C'est une ville de plaques commémoratives et de passé glorieux.
À l'instar de la Capitale, les Français ont cette faculté de brandir d'illustres ancêtres pour prouver leur grandeur, masquer l'inertie et ramener les cultures étrangères au rang de folklore sympathique.
Paris et la France sont des vieilles séniles qui nous racontent leur histoire avec nostalgie.

Mais au-delà de la poudre aux yeux, comme dans toutes les villes du monde, il existe des univers authentiques, discrets ou bruyants, souvent peu clinquants, qui donnent aux rues leur âme. Le mien d'univers se réduit à une rue jalonnée de petits commerces ouverts, avec des patrons qui crient comme au marché pour vous saluer ; en son centre une façade rouge, une vitrine opaque et une porte toujours ouverte, même en hiver : « Le trompe-l'œil ». Ce bistrot est la salle commune de la rue, l'endroit où l'on vient aux nouvelles, où l'on fixe les rendez-vous, où l'on se pose quand les jambes vous tirent. « Le trompe-l'œil » n'est pas un club pour touristes, c'est mon bureau et le sas de compression de désaxés légers.
J'entre.

- Tu me dois vingt euros !

Rodolphe tend la main à Hassan au-dessus du comptoir. Encore un pari perdu. Son piège à fric ne fonctionne pas aussi bien qu'il le voudrait.
Hassan a décidé, il y a deux ans, de retirer la poignée de la porte des toilettes, pour éviter que des intrus n'y déposent des étrons clandestins. Intérieur, extérieur, sans cette nouvelle clé - Sésame, comme on l'appelle - la porte est lisse, infranchissable. Ainsi, chaque fois qu'une personne veut aller s'alléger, elle doit lui demander la poignée. Le truc, c'est qu'il faut garder Sésame en main après ouverture, sinon, plus de sortie possible. Le pisseur ou la pisseuse se retrouve coincé à l'intérieur sans rien pour ouvrir la satanée porte, rien pour s'échapper, et les habitués parient sur l'issue du combat. Ici, pas de PMU ou de jeux à gratter, la belote et le 421 font figure de challengers face au sport officiel du rad : le « Sortira - Sortira pas ». Les paris vont bon train et le gars chanceux peut se faire plus de deux cents euros par jour avec beaucoup de temps à perdre et pas mal de chance.

Hassan me salue, Rodolphe s'approche et me tend le poing. Fan de films américains, il se plaît à inventer chaque jour des serrages de pognes facétieux, façon Blacks de quartier. On se tape le poing, la main tourne, décrit quelques signes occultes. Le problème, c'est qu'il n'a jamais su refaire deux fois le même geste et on se retrouve à regarder la pogne danser sans bien savoir quoi faire. J'ai beau lui répéter qu'un signe de reconnaissance, un rite, n'existe vraiment que quand il est partagé, il se plaît à inventer, chaque fois, de nouveaux mouvements étranges.
J'ai pris un jour la décision de l'embrasser pour éviter ça. C'est le seul homme que j'embrasse et il pique.
À la différence d'Hassan, sacré beau gosse avec son mètre quatre-vingt-six, ses muscles bien entretenus, son bronzage définitif et ses yeux de poupon triste, Rodolphe est un individu singulièrement repoussant, presque effrayant que personne n'a jamais envie d'embrasser. Il ressemble à un professeur fou, façon « Joker » qu'on aurait gonflé à l'hélium. Tout chez lui semble être tiré vers le haut : ses sourcils, sa bouche, son ventre. C'est une montgolfière clouée au sol, décorée par un gamin sadique, et mes baisers sont sûrement ce qui, dans toutes les relations gratuites qu'il a connues depuis vingt ans, se rapproche le plus d'un rapport sexuel.

Je cherche ma bonne femme du regard, les tables sont toutes vides.

- File-moi Sésame II, Hassan ! C'est une copine, la prisonnière.

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Message  grieg Lun 10 Avr 2006 - 14:00

Scream glacé



Wanda avait raison, c'est un moineau, mais un moineau avec le coffre d'un éléphant. Elle barrit allégrement quand je lui ouvre la porte. Elle m'engueule, moi, son prince charmant de chiottes. Je l'observe amusé, et d'un seul coup, à travers les sons stridents qui m'anéantissent la pensée, je la reconnais. C'est pas une princesse, c'est la sorcière, la vilaine mère indigne : mon ex-belle-mère. J'hésite à refermer la porte fissa et à prendre mes cliques avant qu'elle ne me colle une claque. C'est une hargneuse. Elle m'avait déjà allumé, il y a vingt-deux ans de ça, et j'ai la trouille qui ressuscite, mais elle sort de l'hystérie avant que j'aie le temps de faire un geste, sa bouche se referme, elle me remet aussi, et se jette dans mes bras en pleurant. La rancœur me paralyse les bras, l'empathie, les jambes.
Après de longues minutes de retrouvailles mouillées, je l'invite à s'asseoir et à boire un verre. Elle se laisse conduire à une table. Je lui demande ce qu'elle veut boire, Hassan se pointe, nous interroge du regard. Je commande une bière et un café allongé.

- Tu le préfères pas assis ?

Un classique à la Hassan. Ce mec est si lourd que, malgré sa beauté, il a du mal à se sortir une nana en dehors des boîtes de nuits techno, là où les filles tendent l'oreille et crient toute la soirée : « qu'est-ce que tu dis ? ».
Mon ex-belle mère le regarde vaguement, elle tripote Sésame un instant et chuchote :

- Je vous la mets là ?
- Oui… À charge de revanche ! lance Hassan, sérieux.

Elle éclate en sanglot et je pars dans un fou rire postillonnant, content de ne pas avoir déjà eu ma bière.

En Chine, de l'autre côté du monde, un papillon peut foutre le bordel juste parce qu'il a décidé d'aller butiner une fleur sympa. Alors, quand le papillon fait quarante kilos tout mouillé de bidoche sèche, qu'il a le maquillage qui dégueule et que, faute d'ailes, il pose son petit cul dans mon troquet, on peut imaginer l'effet.

- C'est ma fille, c'est Clotilde, bafouille mon papillon d'ex-belle-doche, elle est internée dans une clinique, un machin pour le repos des nerfs. On l'a retrouvée, la semaine dernière, écroulée dans la rue, délirante. Là, elle va mieux, mais depuis qu'elle a récupéré, elle annonce à tout le monde que c'est la fin du monde, enfin, au moins celle de sa sœur, Bérénice. Tu te souviens de Bérénice, ma petite chérie ?
- Bien sûr !
Bérénice c'était ma petite perle, ma sœur d'adoption, ma merveille.
- Clotilde n'arrête pas de dire que Béré est en danger. Toutes les deux, elles ont disparu de la circulation pendant cinq ans. Aujourd'hui, j'en récupère une drôlement amochée qui m'annonce que l'autre va mourir, et moi j'y comprends rien et je me demande ce que j'ai fait pour mériter tout ça…

Je ne l'écoute plus. J'esquive l'auto-flagellation et repense à Clotilde, mon premier amour. L'autre continue. Entre deux plaintes, je lui extirpe le numéro de téléphone de Clo. Je lui présente Rodolphe en disant qu'il est mon associé et je me barre pour appeler mon ex.
Elle a effectivement l'air en mauvais état, mais elle est contente de m'avoir au bout du fil. Je l'entends à peine, elle murmure lentement. Je lui demande si je peux passer la voir. Maintenant. J'arrive à percevoir de la joie à travers le désespoir de sa voix, je ressens du plaisir dans mon inquiétude. On se dit « à tout à l'heure », « viens vite », « j'arrive »… On se caresse avec les mots et j'ai le cœur chiffon.

Je repasse à la maison pour prendre une douche. Wanda n'y est plus, mais elle m'a laissé un message en forme de tas. Elle a pris tout ce qui traînait dans l'appart et a tout regroupé en mont-fouillis, contre la porte d'entrée. Une montagne de bouffe, de bouquins, de fringues, que des moutons gravissent. Wanda a le sens du message, elle a le Karcher à gauche. J'ai toujours pensé qu'elle devrait se lancer en politique. Je me penche sur le tas, récupère un jean, des chaussettes, une serviette humide. J'évite d'être enseveli sous une avalanche. J'aperçois l'ombre filante de Perfide. Et me rue sur la salle de bain.

J'ai rencard et pas de temps pour ces conneries.

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Message  grieg Lun 10 Avr 2006 - 14:21

pour ceux qui n'ont pas lu le fil "loiseau"
je dois dire que ce ne sont que 3 chapitres
que 3 autres seront postés demain
3 mercredi
3...

pour tout le monde, et pour citer mes sources, le passage:
"à charge de revanche"
a été inspiré par mon beau-père qui, au restau thaï, à la question :
" - vous voulez goûter ma banane"
d'une petite serveuse qui se proposait de lui servir le digestif "maison", a répondu:
" - avec plaisir, à charge de revanche "

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Message  Giny Lun 10 Avr 2006 - 14:52

Ah j'aime bcp Killgrieg, on sent bien ta patte, et puis suis contente de retrouver des prénoms arabes( chauvinisme oblige!). C'est très réaliste aussi, et ça colle bien à l'univers polar.J'aime beaucoup le larmoyant de la belle-mère, ça rajoute une dimension à la fois pathétique et ironique au texte.
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Message  Zou Lun 10 Avr 2006 - 15:52

Houlà l'avatar de Giny m'intimide !
Mais je me lance : impression très positive Kill. C'est posé et efficace. Les personnages sont bien dépeints. Toujours ton sens de la métaphore. Et l'intrigue qui s'amorce et qui donne envie vraiment d'en savoir plus. Bravo.
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Message  Sahkti Lun 10 Avr 2006 - 20:47

Te lirai demain, après impression des trois chapitres (et si 3 autres demain, tant pis pour eux...). Ce soir, trop de sirènes dans la tête pour me concentrer
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Message  mentor Mar 11 Avr 2006 - 6:04

Si tu permets Kill, j'attendrai la fin de la fin pour commenter, mais je peux déjà dire que j'accroche bien là... ;-)
Courage ! Tu t'es mis la pression à toi-même, tu peux plus reculer ! ;-)

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Message  Charles Mar 11 Avr 2006 - 9:27

j'imprime, j'imprime ... mais j'ai encore pas lu l'épisode de Yali ...
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Message  grieg Mar 11 Avr 2006 - 12:52

Le métro m'attise




Dans le métro, je prends un passage interdit, déjà une petite aventure, et je me retrouve sur le quai où une dizaine de personnes attendent, penchées pour la plupart au-dessus des rails à essayer d'évaluer la distance du prochain train. Les pubs sont couvertes de graffiti d'un groupe de militants anti-pub. Leurs slogans sont plats, médiocres et haineux. Ça donne envie de regarder derrière. Je m'assois et me concentre sur Clotilde.

Une vieille clocharde shoote péniblement dans une boule de papier d'alu. Elle s'arrête tout à coup et m'observe. Je sens que je vais me faire une amie.

- Tu veux ma photo, fils de pute ?

J'essaye de réprimer un sourire et comme je ne sais pas trop comment réagir, je décide de garder le regard braqué sur elle. Elle semble m'oublier et continue son drible grabataire. Le papier tombe sur les rails. Elle se retourne sur moi. Elle a la gueule comme une falaise érodée par des millions de vagues d'alcool, les jambes comme des grappes de moules.

- Tu te prends pour un macho, hein ? Qu'est-ce tu me veux ? Tu veux que je t'arrange la gueule ptit con ? les machos comme toi, je leur dévore les couilles !

Le pire, c'est qu'elle m'est sympathique et j'aimerais bien la prendre par les épaules et lui faire un câlin, mais je crois que ça va pas être possible, d'autant plus qu'elle pue comme un métro bondé.
Elle avance sur moi.

- Tu me connais pas, macho ! Je vais sortir les griffes et faire dix sourires de trou du cul sur ta gueule de con.

Elle avance encore. Elle me déflore l'espace personnel et je n'en mène pas large. Je suis même pas mal inquiet. Elle me montre ses griffes et me parle de ses compétences en karaté chinois. D'un geste, elle pourrait m'arranger façon affiche de « la fureur de vaincre ».
Je lui dit :

- On va faire un truc ! vous allez vous rasseoir, je replonge dans mes pensées, on s'oublie et tout redevient normal.

Elle se sent forte, elle a perçu le début de peur dans mes yeux. Son odeur m'imprègne, j'ai un nœud dans le ventre. J'imagine le super détective qui se prend une branlée par une clocharde de soixante-dix berges ; pas bon pour la pub. Je fais un geste, comme une position de combat et lui lance avec ma voix la plus calme et la plus grave :

- Vous faites encore un geste de trop et je vous défonce la gueule.

Elle se fige, examine le quai un instant et part. Ses derniers mots meurent entre ses dents jaunes. Elle retourne à sa place et plonge la tête dans son sac, comme si de rien n'était. Comme un con, je me sens tout fier, un inspecteur Harry, brigade sixième âge. En plus, je suis seul, sans les sieurs Wesson et Smith.

En fait, je ne suis pas vraiment dangereux, mais ça, personne ne le sait, c'est mon avantage. Disons que j'ai la force de dissuasion sans posséder l'arme atomique, une grande gueule sans les muscles qui vont avec. Si je peux me faire étaler par une minette un peu nerveuse, dans 95 % des cas, je suis vainqueur par abandon avant combat.

Le métro arrive. Pas trop plein. J'évite, magnanime, de jeter un regard provocateur à mon adversaire et m'engouffre dans la rame.
Une jolie fille ne me regarde pas. Je perçois le tsss-ke-tssi-tsiii-ke insupportable d'un Mp3 poussé à fond. Je préfère m'asseoir plus loin.
Au milieu du wagon, un gamin punk est vautré sur une banquette les pieds bien à plat sur celle d'en face. Le genre de môme décalé, dont la révolution se limite à salir le cul des gens. Des passagers le regardent de travers, mais personne ne dit rien, les rumeurs courent sur les enfants tueurs. Je m'approche de lui. Après mon combat, je me sens fort, prêt à en découdre avec un ado maigrelet aux cheveux gazon-pas-tondu. Je vire ses pieds violemment. Il sursaute et m'observe. Je capte le regard satisfait d'une ménagère de moins de 50 ans fatiguée. Je m'assois et colle mes grands panards sur la banquette.
Je suis con souvent, mais ça me fait rire.

L'image de Clotilde et de Bérénice passe devant mes yeux, je replonge dans mes pensées et essaye de trouver les mots que je poserai plus tard sur le papier pour raconter cette histoire dont j'ignore encore tout.

Ma station arrive et je n'ai pas la moindre phrase.




Larme de fond




« Résidence « les cèdres », je suis plus très loin du sapin », qu'elle m'a dit, au téléphone, en s'esclaffant.

La rue est si banale que j'en ai des frissons. Je ne suis pas fan des hôpitaux, mais des psychiatriques, j'en ai encore jamais connu. Je suis curieux et j'appréhende. Je me sens l'âme d'un Nicholson déjà lobotomisé.

La grille est discrète, pas de plaques, il faut connaître.
Je sonne.
À l'entrée, une baraque carrée pleine de vitres, un mécanisme s'enclenche, la grille ronronne et gémit. Je me présente à l'accueil, on me donne le chemin et je m'étonne que personne ne m'accompagne.

Dans les jardins, les gens errent. La plupart marchent seuls. Dans les groupes, on reconnaît les non-patients à leur façon de vouloir paraître joyeux. Clotilde est sur un banc, m'attend. Elle me voit, se lève et court vers moi. J'ai des flash-back qui m'aveuglent. Elle se jette dans mes bras, me renverse à moitié, je me sens bien, presque jeune.

Elle parle vite, me remercie d'être venu. Je n'ai pas le temps d'en placer une. Elle passe d'un sujet à l'autre ; me décrit le lieu, ses amis barjots, sa chambre, l'ennui après la première semaine, quand les cachets n'assomment plus, le fait qu'il n'y ait rien à faire ici, sinon baiser - surtout parce que c'est défendu. Elle rit beaucoup.
Un homme passe et me regarde avec l'agressivité créative d'un timide laid en thérapie terminale. Je me méfie, l'habitude du monde normal.

- Moi aussi il me faisait peur au début, mais c'est un ange.

Clotilde lui fait un signe de la main, il sourit, je l'oublie.
Elle revient à moi, pose ses deux mains sur mes joues : « tu te souviens ? ». Elle évoque le bon vieux temps avec un sourire qui estompe les années, me dit qu'elle avait besoin de me revoir, qu'elle a plein de choses à régler, à me dire, et là, devant mes yeux, au grand désarroi de mes oreilles, je l'entends me réinventer sa vie, la nôtre ; s'excuser de choses qu'elle n'a pas faites, m'excuser d'erreurs que je n'ai pas commises, m'inventer d'autres exploits. Elle repeint en rose et noir la pièce arc-en-ciel où j'avais rangé mes souvenirs.

D'accord, je m'en fous un peu, et ça ne devrait pas me traumatiser plus que ça - si ça peut lui faire du bien - mais j'ai malgré tout un petit pincement au cœur, comme si on était dans un aéroport et qu'elle partait à jamais pour un pays lointain. Aussi parce que je n'imagine pas une thérapie se construire sur des bases si vaseuses.

J'attends qu'elle me parle de sa sœur, de ses soucis. Elle me dit qu'elle a froid, me propose de nous réfugier dans la salle fumeur de l'établissement.
Elle me prend la main et m'entraîne.

Nous entrons dans une pièce lumineuse grise. Cinq filles entourent une grande table ronde en rotin, couverte d'une plaque en verre.
J'imagine les dégâts que pourrait faire un suicidaire homicide avec un tel outil. J'ai vu trop de films.
Nous nous asseyons. Clotilde lance un bonjour jovial, les autres acquiescent pauvrement. On ne me regarde pas. Je pose mon zippo sur la table, Toc, la plaque est en plastique, ils y avaient pensé aussi.

Clotilde recommence à me parler d'ennui, de l'hôpital, des patients, les autres se taisent, tête basse. Je les observe et mon cerveau détraqué se souvient de ce que Clotilde m'a dit plus tôt à propos du sexe. Je jauge les cinq filles, deux sont jolies dans le genre terne. Je suis ému. Le loup dans la bergerie. Je m'en veux de penser à ça et ça m'excite d'autant plus. Les fantasmes ne s'encombrent pas de morale, ils s'en nourrissent souvent. Je me prends à rêver de me faire interner comme on part en vacances au Cap d'Agde. Une des filles se lève, les autres en profitent et la suivent. Je me retiens de mater leurs culs. Une seule résiste et reste assise. Pas longtemps. Le discours de Clotilde doit être insupportable à entendre. J'ai l'impression qu'elle me fait la visite guidée du zozo zoo. La fille s'en va finalement, nous restons seuls, et Clotilde, sans transition, me parle de Bérénice et de ce qui lui est arrivé.

- Tu te souviens de Julien, le petit ami de Nanou ?
Comment oublier ce mec ? Un allumé, un scientolo-jehovo-millénariste qui avait créé une troupe théâtrale expérimentale.

J'avais passé pas mal de temps avec ce groupe. Un soir par semaine, nous nous réunissions dans l'immense loft de Julien pour fumer des pétards et refaire le monde, surtout l'univers. Ils avaient un programme. Ils proclameraient la bonne parole grâce à des représentations théâtrales itinérantes. Au bout, on évoquait la dead-line du troisième millénaire. Tout ça me faisait marrer, même si parfois ça foutait les pétoches. Certains étaient particulièrement allumés et le groupe tournait de plus en plus à la secte, mais comme les soirées finissaient en orgies, j'ai participé longtemps.

Ils prédisaient la fin du monde, tel que nous le connaissons, pour l'an 2001, aujourd'hui, ils ont le choix dans la date, mais Clotilde me dit que leur programme s'accélère et qu'elle et Bérénice sont salement impliquées.

Je n'arrive pas à en savoir plus. Clotilde répète toujours les mêmes choses, mais je comprends qu'elle a échappé à la mort de peu et que Béré est toujours en danger.

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Message  Sahkti Mar 11 Avr 2006 - 12:58

ha, y a vraiment un super découpage pour de vrai en plus... J'aime pô ça
:(((
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Message  grieg Mar 11 Avr 2006 - 13:11

Sahkti a écrit:ha, y a vraiment un super découpage pour de vrai en plus... J'aime pô ça
:(((
je sais :)))
pardon colombe
tu m'aimes quand même?

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Message  Sahkti Mar 11 Avr 2006 - 13:19

killgrieg a écrit:pardon colombe
tu m'aimes quand même?
Ha ben oui! :)))
Suis d'ailleurs en train de te lire, mais je me demandais si j'allais attendre la fin avant de commenter. Combien de textes vas-tu encore poster?
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Message  Sahkti Mar 11 Avr 2006 - 13:20

(et j'aime bien le jeu avec le titre)
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Message  grieg Mar 11 Avr 2006 - 13:23

Sahkti a écrit:Combien de textes vas-tu encore poster?
je ne sais pas, c'est pas fini... au moins une dizaine encore, en cinq postages

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Message  Zou Mar 11 Avr 2006 - 15:35

Lu ! Et pas déçue, le niveau reste aussi bon que celui des 3 premiers épisodes. Juste quelques lourdeurs ou maladresses mais je dirais que c'était plus muscial qu'autre chose. A suivre....Chouette.
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Message  grieg Mer 12 Avr 2006 - 15:30

Thérapie de vache



Le temps reprend ses droits. Clotilde a des soins à faire. Elle me dit que je dois partir. Maintenant. Elle me demande de sauver sa sœur. Je prends toutes les infos pour localiser ces gars. J'essaye d'en savoir un peu plus, en vain. Il est l'heure. Elle me raccompagne.

Dans les jardins, nous croisons son psy. Elle s'agite, le rattrape, lui demande si elle peut le voir. Le mec ne la regarde pas, il lance un « oui, oui, dans un quart d'heure », et la chasse d'un mouvement de main, comme une mouche, comme du petit personnel de service. Je le soupçonne de ne même pas savoir à qui il s'adresse. Tous dans le même panier. Clotilde me rejoint, elle sourit, me dit à quel point ce type est admirable. Je hais le mec, mais comme je hais les psys en général, je n'y pense pas plus que ça. La porte s'ouvre, elle m'embrasse et disparaît derrière la grille.

Retour à la rue banale. J'ai la tête chargée de toute la misère humaine, l'obscur besoin de m'asseoir à une table et de déverser tout ça sur du papier, avec des mots, envie d'écrire, même un poème.

Le vent et la vie me cinglent les joues. Je repense à tous les mensonges qu'elle a recréés, me dis que j'aurais peut-être dû intervenir, rétablir certains faits. Je me dis aussi, que je ne suis pas psy ; déjà qu'eux, après des années d'études, débitent un nombre incroyable de conneries, sans parler beaucoup, je ne vais pas m'aventurer sur le terrain confus de l'âme humaine, même si, en l'occurrence, l'âme, là, je l'aime vraiment.

Je marche face au vent, en pensant qu'elle est peut-être dans le vrai et que c'est moi qui me suis fait un lifting de la mémoire, moi dont le cerveau déconne. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'une petite amie a d'autres souvenirs de notre relation que les miens, un classique : le bout de vie en commun et la mémoire divergente. Je me prends la tête avec ça, me demande si finalement, je ne devrais pas faire un stage dans sa clinique. J'y pense vraiment longtemps pour finalement généraliser - ça m'arrive souvent - et conclure que tout le monde est comme ça, que chacun a toujours un souvenir différent de l'autre quand ils ne se les construisent pas ensemble, souvent sans rapport avec la réalité, que la vérité se cache autre part, entre deux êtres, ailleurs. La vérité est ailleurs, et je fredonne la musique du générique d'X files ou de twilight zone - je ne sais plus - et comme je fredonne faux, ça donne encore plus de sens à mes pensées, comme une métaphore.

J'ouvre grand les yeux pour les offrir au vent, pour qu'il les secoue, afin de faire tomber la première larme qui entraînerait les autres, stagnantes dans la mare de mes tripes, tout au fond. Mais ça me fait sourire, finalement.
Les gens dehors ont les mêmes gueules qu'à l'intérieur, j'évalue le marché de ce type de clinique : énorme. Si un jour, je veux gagner du fric, je sais quoi faire.
En attendant, je dois me concentrer sur Bérénice.

Comme je suis un enquêteur paresseux, je passe un coup de fil à Al qui fait pour moi toutes les conneries de recherches chiantes. Il ne répond pas, mais je laisse toutes les infos que je détiens sur sa messagerie et lui demande de faire vite : « question de vie et de mort », je rajoute : « la bourse ou la vie » parce qu'il aime bien rire, et je raccroche.
Je rentre chez moi. Dans le métro, les gens font des gueules d'internés, j'essaye de m'apercevoir dans la vitre pour vérifier, mais je sais que moi aussi.

Il est 17 heures. Je passe au « Trompe l'Oeil ». Wanda tire les cartes à une veille dame. Grosse clientèle les vieux : avec l'âge, on aime se faire parler d'avenir. Le bar est plein. Je bouscule un mec. Il me regarde méchamment et s'écrase. Je m'installe entre un genre de gendre idéal imbuvable et Catherine, une habituée. Elle porte un chapeau ridicule et ça ne loupe pas, elle me demande ce que j'en pense.
Je lui dis :
- Assez laid !
- Tu peux pas t'en empêcher, hein ? t'as besoin d'être méchant !
- Je ne suis pas méchant. En fait je suis plutôt un bon gars et ce que tu appelles méchanceté m'a demandé pas mal d'entraînement. Oui, c'est ça, un bon sauvage.
- Rousseau !
- Ta gueule !
Je préfère me casser et essayer d'écrire. Je passe à l'épicerie m'acheter un bon vin et je rentre chez moi.



Exorciste de style



Dans la vie, il y a deux choses qui m'affligent : essayer de dormir et essayer d'écrire. Dormir est un luxe, écrire, une chimère. et j'ai toujours envie de l'une quand je m'affaire à l'autre. La page blanche me fatigue et, quand je m'allonge, il y a toujours une belle phrase pour me tirer du lit et m'obliger à noter.
Je ne m'en sors pas. Je fais donc, la plupart du temps, appel à la chimie pour conjurer mes insomnies.
Résultat : le matin, je ne suis pas trop frais et le moindre bruit m'agace.
Alors, quand un chat de 8 kg saute d'une armoire de deux mètres de haut pour faire du trampoline sur mon bide, je suis furax.

Je chasse Perfide dans tout l'appartement. Il tourne en rond et prend appui sur la pile de merde de Wanda pour négocier ses virages et faire dégringoler tout ça sur mes panards. Ce con de chat ne va pas bouffer pendant une semaine, ça lui apprendra.
Je ne sais pas s'il me hait à cause de mon patronyme ou si Wanda l'a bien brieffé avant de me l'offrir, mais ce chat me tue.
Je hurle quand la perceuse troue le silence de ma poursuite féline.
J'entends vaguement, aussi, les premières notes de pianos rivaliser avec l'insupportable vacarme. Je suis fou de rage, ivre de désespoir, mais, quand le bruit de la perceuse cesse tout à coup, que la mélodie divine occupe l'appartement entier. Je suis aux anges. C'est aussi facile que ça. J'en caresserais presque le matou.

On sonne à la porte. J'ouvre, et là : là : elle est devant moi.
Miracle ! Je bénis cette minute. Elle est magnifique. Chopin est plus romantique que jamais. Je savais qu'elle viendrait un jour. Je vais lui dire quelque chose de beau, mais elle me devance avec un :

- T'arrêtes ton piano ou je te le colle dans le trou du cul, abruti. Je pensais que la perceuse allait t'empêcher de me polluer le silence, comme tu le fais depuis des mois, mais non, c'est plus fort que toi. Hein ?

Et je ne comprends pas. J'entends encore les notes de piano retentir dans la cage d'escalier, alors qu'elle se tient devant moi et crie.
Elle se fige, écoute à son tour. Elle devient blanche, me lance un regard où la colère s'estompe.

- Pardon, dit-elle, je croyais que c'était vous !
- Ben, moi aussi ! Maintenant je me rends compte que depuis des mois, c'est pas vous que je rêvais d'enculer mais Lardieu, et ça , ça me fout les boules.

Je claque la porte.

Aimer est un luxe et une chimère.
Il ne me reste que l'écriture. Je pars à la recherche de mes fringues pour descendre au café, essayer d'écrire un peu en m'éloignant le plus possible de tout ce qui ressemble à un lit.

Dans les escaliers, j'ai comme un coup de blues qui me scie les pattes, aussi violent que la crise de la quarantaine mais en plus court. En cinq minutes et trois étages, je me fais un mini bilan désespéré.
C'est jamais terrible les bilans de la quarantaine, mais tellement fréquent. Et ça tue.

En bas, j'ouvre ma boîte aux lettres, je fouille dans la pile de prospectus. Amédée m'a écrit. Il veut que je vienne le voir. Les Antilles. Jolie carte postale. Merde, ça donne envie. Je me vois bien là-bas, avec mon pote, les ti-punch au coucher du soleil. Les quatre éléments : l'air chaud, le sable, la mer et une fille avec le feu au cul. Je m'imagine un instant les pieds dans la flotte au petit matin, à mater tout ce bleu, tout ce blanc, avoir des idées, des pensées cool, des trucs que je pourrais transcrire en mots. Prendre le masque et le tuba, me laisser flotter dans le silence, le seul endroit où je suis bien. Va falloir que j'envisage sérieusement ça. J'en ai besoin.
Ouais, je dois y penser sérieusement. J'ai envie d'aller voir mon pote, envie de l'appeler. Je ne l'ai pas vu depuis deux ans au moins. Deux ans.

Là-haut, Lardieu insulte la pouf.
Dehors le boucan d'un moteur diesel mal réglé me ramène en ville, à moi, à Clotilde.
Bérénice, mon ange. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire pour l'aider. Je ne sais même pas si elle est vraiment en danger. Si elle ne va pas me rire au nez.

J'ai des souvenirs qui viennent me coller la chair de poule. On devrait savoir vivre sans passé.

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Message  Zou Mer 12 Avr 2006 - 16:01

Je suis fan du dernier épisode.
Hahaha le coup de Lardieu, excellent. Idem pour Amédée (c'est Mentor qui va être content) et les quatre éléments à la mode de chez Kill, c'est aussi déridant !
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Message  mentor Mer 12 Avr 2006 - 16:13

Kill, je salue une élégance rare. Je parle de la perche... ;-)

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Message  Sahkti Mer 12 Avr 2006 - 19:56

Amédée!! hé hé, je l'aime bien cet Amédée :))

Kill, que dire... que j'aime bien, voilà.
A l'exception d'une ou deux formules qui font un peu exercice de style pour se faire plaisir (mais c'est le but aussi, hein!), genre "en rose et noir la pièce arc-en-ciel", j'aime bien ce que tu as fait du personnage de Loiseau. Tu lui donnes beaucoup d'humanité, tu ne l'affubles pas du côté guignol que je redoutais un peu, cet enquêteur est maladroit mais profondément sensible et humain, j'aime beaucoup ça. Et il y a de la gravité dans ton bonhomme et dans ton texte, ça colle bien à l'idée que je m'en faisais au fur et à mesure de ma lecture.
Je déplore toutefois une petite cassure de rythme au début, lorsque tu passes de la scène dans l'appartement (les kilos de Wanda) à l'arrivée dans le bistrot. La description des villes, des endroits, peut-être un peu trop long et créant une forme de rupture avec le début.

Sinon, tu le sais, je le redis, tu vas perdre des points à cause de ce découpage qui n'apporte rien du tout. Si ton texte est terminé, poste-le et voilà, pas besoin de faire durer le truc
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Message  mentor Jeu 13 Avr 2006 - 6:04

Sahkti a écrit:Sinon, tu le sais, je le redis, tu vas perdre des points à cause de ce découpage qui n'apporte rien du tout. Si ton texte est terminé, poste-le et voilà, pas besoin de faire durer le truc
Heum, l'a pas dû terminer... ;-)

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Message  grieg Jeu 13 Avr 2006 - 6:45

mentor a écrit:
Sahkti a écrit:Sinon, tu le sais, je le redis, tu vas perdre des points à cause de ce découpage qui n'apporte rien du tout. Si ton texte est terminé, poste-le et voilà, pas besoin de faire durer le truc
Heum, l'a pas dû terminer... ;-)
ben, non, même que ya l'temps qui m'cavale après

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Message  grieg Jeu 13 Avr 2006 - 6:51

NB
je dois signaler que, si Amédée est à mentor, j'ai aussi piqué Mme Dubreuil et Raoult au loiseau à venir de loup bleu

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Message  paracelse Mar 18 Avr 2006 - 15:12

très bon(s) texte(s), on est tout de suite dans le bain, et le personnage de Loiseau est attachant, pas trop lisse et complexe... j'attends la suite avec impatience !
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Message  grieg Mar 18 Avr 2006 - 16:32

Pas de fumée sans Fog



La rue a des odeurs d'antan, ça n'arrange pas mon humeur. Les gens vaquent comme dans un film de Tati et je me sens Hulot proustien sans vélo.
C'est une journée à écrire, pas une journée à enquêter.

Quand je pense que je suis devenu détective privé pour trouver de la matière à raconter, et pour tomber les gonzesses ; que j'ai décidé un jour de me faire payer pour me documenter l'imagination en partant du constat que les miennes d'histoires ne m'intéressaient pas, je les connaissais déjà, alors que les autres avaient des secrets et les secrets sont des histoires. Aujourd'hui, je remets en cause mon raisonnement ; les enquêtes, ça prend la tête, ça prend le temps.
Pour les gonzesses, ça a marché, mais les filles aussi ça prend la tête et le temps.
Et finalement, j'ai la feuille blanche saturée et le neurone surbooké.

J'entre au « Trompe l'œil ». Rodolphe lit le journal au comptoir, Hassan essuie un verre, Wanda guette le client. Personne ne m'adresse la parole, je dois avoir la tête des mauvais jours. Ils me connaissent et se méfient. Je préférerais m'asseoir dans un coin et rester seul, me plonger dans un bouquin ou encore tracer mes phrases dérisoires, mais j'ai la sœur d'une copine à aider.
Je m'assois en face de Wanda.

- Toi ! T'as besoin d'un câlin, me dit-elle en souriant avec ses yeux profonds comme tout ce qui est bleu, le ciel, la mer.

Et effectivement, je poserais bien, une heure, la tête sur sa poitrine réconfortante en caressant son sexe comme un doudou.
Mais, je dis seulement :

- On a un boulot, Wanda. T'as le temps pour m'aider sur celui-là ?
- Attends ! Je consulte mes cartes. Jeudi… Jeudi… Rien ! Je suis toute à toi, corps et âme.

Son sourire me brûle les sens. J'ai envie de lui arracher son chemisier et l'aimer tout le jour. Wanda ressemble à ces filles plantureuses qui dansent en levant les bras dans les pubs Narta.
C'est ma belle des champs et j'ai souvent beaucoup de mal à me concentrer sur le boulot quand je travaille avec elle.
Hassan dépose un double express et un verre d'eau devant moi.

- Merci, Hassan ! Il acquiesce et s'éloigne, silencieux. Je reviens à Wanda : Au fait ! Je ne t'ai pas dit merci pour le rangement chez moi ?
- Oh, ça ! C'est rien ! À ton service.

J'aime son sourire. Je lui expose la situation. Elle se tait, m'écoute avec attention. Je lui dis que j'attends un compte-rendu d'Al, qu'il devrait se manifester, comme à son habitude, en fin de matinée, avec les premiers éléments de recherche. Je pense qu'elle pourrait m'être utile en infiltrant le groupe et faisant copain copain avec le mini-gourou.
Le téléphone de Wanda sonne.
Elle écoute, un temps, agacée et s'énerve poliment :

- Madame ! ça fait trois fois que vous m'appelez et je vous le répète, je ne suis pas Alain, je ne suis pas votre « ti frangin», au mieux je pourrais être votre tite frangine, mais je fais un mètre 75 et ma mère s'est bousillée l'appareil reproducteur en me mettant au monde. Alors, une dernière fois : effacez mon numéro de votre répertoire ça m'arrangerait pas mal.

Elle raccroche, pose le téléphone sur la table et me dit :

- Cinq textos et trois messages en deux jours, cette bonne femme ne veut pas comprendre qu'elle a le mauvais numéro… Pardon ! Tu disais quoi ?

Elle se fige, fixe l'entrée. Je me retourne et je vois Al entrer, suivi de son nuage de fumée. Il est en avance.
Al est un journaliste et un fumeur. Surtout un fumeur.
Ici, tout le monde le surnomme Fog, Al Fog.

Rédacteur en chef adjoint d'un quotidien national, il a été viré parce qu'il refusait d'arrêter de fumer dans les locaux. Six paquets qu'il s'envoie chaque jour. Dès qu'il pénètre dans un lieu, le décor disparaît dans le brouillard. Je ne suis même pas sûr de savoir à quoi il ressemble vraiment. Je sais qu'il est gros et gras, je sais qu'il est efficace, je sais que je l'aime bien et surtout que, s'il n'était pas là, je n'aurais aucune chance de résoudre une énigme, jamais. C'est ma source d'info, une source limpide dans un matin brumeux.
Il nous rejoint.
Le café a tout à coup une atmosphère de fin de nuit festive.
Il se penche pour embrasser Wanda.

- Salut ma belle ! et jette un dossier énorme sur la table. Tiens le piaf ! Ton gars, c'est pas un discret. Plutôt allumé genre feux d'artifice. Tu veux des infos, tu te baisses et tu ramasses. Régale-toi.




L'enquête du gras Al



Les nouvelles sectes ne font pas dans la dentelle. Celle-ci ne déroge pas à la règle.
Une drôle de recette ; une pincée de bouddhisme, un zest de psychanalyse, trois pincées de philosophie mijotent dans un fond judéo-chrétien basique.
Les populistes de la nouvelle scène religieuse sont des compilateurs sans talent.
Quelques bonnes idées, touillées inlassablement, trempent dans la soupe aux ingrédients indéterminés d'un discours qui se veut pertinent.
À l'image de la littérature française moderne, les sectaires font dans l'auto-religion.

Je regarde les plaquettes. Plusieurs catégories.

Celles adressées au public non-initié causent de bonheur, d'affirmation de soi, de sagesse, de potentiel humain, de potentiel divin, d'asservissement et de libération. C'est le pays de Candy : on y chante, on pleure, on rit, il y a des méchants et des gentils… ça donne envie de chialer comme le discours d'un candidat à la présidence de la République, de prendre son voisin par la main ou d'applaudir ; un mauvais film américain.

Puis, viennent les papiers pour initiés, dissertations d'enfants débiles doués.
On y parle Tantra, néo-existentialisme, subconscient, hédonisme contrit… Un ramassis de pensées compilées, ésotérico-débiles, qui remettent à leur place le péquin et lui chuchotent : « tout ça c'est méga compliqué, c'est pour ça qu'on est là, faut qu'on vous ouvre la voie, vous ne comprenez rien parce que vous êtes prisonniers d'une société aliénante, venez à nous, pour la liberté, vous verrez… »

Je passe les détails techniques.
La seule originalité réside dans l'emploi de l'idée de Jeu, loin de Pascal, mais avec une prétention philoso-religieuse affichée.

En résumé, les « comédiens de l'aurore ultime », ainsi qu'ils se nomment, considèrent la vie comme une pièce de théâtre dont les acteurs interchangeables, que nous sommes, répètent un texte, absurde, pour tromper le temps, en guettant le lever de rideau, l'autre monde. Et pour jouer « la grande pièce », il faut être prêt, sinon, t'es en coulisse forever.

Wanda est morte de rire. Al n'arrête pas de dire : « attends, ya pire ! ». Et ça ne m'amuse pas parce que je pense à Clo et à Béré, je sais qu'il y a pire et je me demande quoi.

Nous passons des heures à fouiller la paperasse, noter des noms, des adresses, essayer de comprendre tout ça. C'est simpliste et ténébreux, ça sent le sexe et l'émasculation, le lavage de cerveau à la brosse à chiottes. Pas de Sésame ici, un mec vous ouvre la porte et la referme, derrière vous, à jamais.

La secte est une gigantesque Académie, deux milliers d'adhérents, acteurs initiés, sillonnent la France en donnant des représentations théâtrales dans une vingtaine de villes. Nous notons qu'il y en a une, ce soir, à Paris.
Le siège de la secte est à Brest, un bar, une boîte de nuit.

J'en ai marre de ces papelards. J'ai assez d'éléments. J'irai fouiner au théâtre ce soir et je propose à Wanda de lui payer un aller-retour Paris Brest pour aller boire un verre à « L'Aurore », le QG de nos fêlés, et essayer de rencontrer Julien le « grand acteur ».

Les fanatisés me foutent les boules.
J'ai besoin de dormir tout à coup.
Trop de pensées bidons.
Plus envie d'écrire.
On se partage les tâches, Wanda jubile à l'idée d'aller voir la mer, Al propose de s'occuper des résas pour le train et le théâtre. On se met d'accord, on se dit « à plus tard ». Je demande une bière à Hassan, torchon en main, il n'a pas lâché son verre depuis trois heures. Va plus en rester grand-chose. Je lui demande ce qui ne va pas.

- Rien ! Je pense, donc j'essuie !

Et il part dans un fou rire grotesque. Hassan à la plaisanterie filée.
J'ai d'autres chats à fouetter, le mien par exemple.
Raoult est au comptoir. Ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas vu celui-là. Finie la cure, il est au petit blanc du matin. Je le salue. Il me salue. J'avale mon demi.

Je sors.
Je dors déjà.

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Message  grieg Mer 19 Avr 2006 - 16:06

Moins que héros




Je me réveille.
Un 1, un 7, deux zéros.
Il est tard.
J'allume mon portable. Deux messages.
Wanda est dans le train depuis quelques heures déjà.
Al a déposé les billets au « Trompe l'œil », théâtre à 19 heures.
Je dois me dépêcher.

Mon appart sent la mort. Perfide dort au bas du lit. Le seul point commun entre mon chat et moi, c'est cette capacité à dormir n'importe quand et à ne se réveiller que pour faire des conneries.
Je lui file un coup de latte. Il fait un bond et détalle.
Je ne sais pas si ça lui servira de leçon, mais ça me fait du bien.

Plus de musique, plus de perceuse, les bruits de la rue règnent. Je tire des fringues de mon tas, les renifle un à un. Plus rien de mettable.
Je sors dans le couloir en caleçon, frappe à la porte de Lardieu.
Il ouvre, il a une mine d'appartement mal éclairé et le cheveu révolutionné.

- Dis ! Tu pourrais me prêter un jean et un tee-shirt ? Je t'en rachète pour demain.

Il râle pour la forme, mais au fond, il s'en fout. Je repars habillé.

Perfide reste planqué. Je prends mon portefeuille, mon portable, referme la porte et dévale les escaliers.

Au café, Raoult et Hassan se marrent, il est cinq litres moins le quart. Ils ont bien entamé la journée.
Raoult me lance :

- Eh ! Le sec de la plume, tu veux pas m'en tailler une ?

Je ne relève pas, je n'ai pas de temps pour ça. Je prends les billets qu'Hassan a eu du mal à retrouver.
Une heure de métro pour arriver là-bas, et je voudrais fouiner un peu avant que la pièce ne commence.
Je ressors du « trompe l'œil », cours, m'engouffre dans le métro en bousculant des gens transparents, des figurants du quotidien, ceux que la vie a oublié par manque d'imagination. Je n'ai pas de livre. Le temps va être long. J'entre dans un wagon, m'assois, ferme les yeux. Le bruit des roues me berce. Je résiste. Un coup d'œil au plan, quatorze stations, referme les yeux et compte, toutes les trois minutes, les portes s'ouvrent, le temps passe, rythmé. Je me sens bien.
Quatorze.

Sur le quai, les gens sont mouillés, s'ébrouent, rient, certains vérifient l'étanchéité de leur attaché-case, mais l'ambiance est joyeuse, incongrue. Il suffit parfois d'un peu de pluie.

Dans la rue, je cavale. Je dois traverser un pont. Pas d'abri. Je mate des mouettes égarées sur la Seine, elles me font penser à Wanda, mon pigeon parisien. Elle sera Face à la mer dans deux heures, égarée et heureuse.
Sur la place d'une cathédrale, les gens courent. Les gargouilles crachent leur mépris en longues gerbes éclaboussantes. Si j'avais le temps, j'irais m'abriter dans le grand Hall de Dieu. Mais j'avance.

Le théâtre est encore fermé. Je regarde rapidement les affiches du spectacle. « L'art, ou mourir de la vérité », ça me dit quelque chose, j'ai déjà lu ça quelque part. Un bon titre, un peu dramatique, un peu prétentieux, mais un bon titre. Je colle mes mains en visière à la vitrine. Rien, personne. Je décide d'aller m'abriter dans le sempiternel « café du théâtre », histoire de tâter le terrain, poser des questions aux barmans qui en savent toujours trop.
J'entre dans la fumée et la rumeur. J'aime ces cafés aux noms explicites. Je les préfère aux « café des sports », « brasserie du palace » qui ne désignent que le manque d'imagination du patron. Un « café de la gare », un « café du théâtre » annoncent la couleur au moins. Et les gens ne s'y trompent pas. La faune correspond au nom, voyageurs ou spectateurs, ils savent qui ils sont, on sait où l'on est.

Je m'installe au bar. Le café est plein de jolies filles accompagnées. Beaucoup de rires. Pas mal de conversations culturelles banales. Un vieil homme tient le bar. Malgré sa calvitie, il porte un catogan blanc, fil ténu à sa jeunesse. Je fouille ma poche, en sors un billet de 50 euros. Le dernier. Il va falloir que je la joue serrée. J'observe l'homme, il a l'air curieux, il a l'air malin. Je vais tenter le coup. Je le hèle. Il s'approche de moi.

- Je voudrais un demi, s'il vous plaît.
- Blanche, Perlforth, Heineken, 1664 ?
- 16 !

Il tire la bière, la dépose devant moi. Je l'attrape par le bras.

- Dites ! Je cherche une copine qui joue dans la pièce de théâtre à côté, vous la connaissez peut-être.
- Pas le temps mon gars !

Je le retiens, il regarde ma main, ses yeux remontent à mon visage.

- Va falloir que tu me lâches si tu veux sortir d'ici en marchant.

Je lui montre le billet. Il s'esclaffe et s'arrache à mon étreinte. Il va au bout du bar, parle à un type monstrueux à catogan noir, me montre du doigt. Le mec acquiesce, fait le tour du bar. Il pose un coude sur le comptoir et m'assène en souriant :

- C'est l'heure de prendre ta douche, mon gars ! Regarde, t'as déjà l'eau qui coule. Tu laisses la bière, elle est pour moi.

Je ne trouve rien à répondre, et comme les meilleurs s'en vont les premiers, je sors sous la pluie.







Les aventuriers de l'art perdu




Le théâtre est ouvert.
Dans le foyer, un bar. Je ne me sens pas le courage de recommencer mon numéro de détective merdique. Le caissier est au téléphone, je sens son regard sur moi. Il est chauve aussi mais sans accessoire. Il raccroche, glisse un mot à l'oreille de sa collègue et sort de sa boîte de verre.

- Paraît que vous cherchez quelqu'un ?
- Les nouvelles vont vite.
- On prend un ricard, ou on en vient aux faits ?

Le type a un accent marseillais. Ça dénote, de façon agréable. Confiance, l'accent du sud inspire confiance, ça donne du sens au trivial. Au-dessus de la Loire, les gens vides raisonnent, en Provence, ils chantent.
Je le suis sans hésiter.
Il m'entraîne aux toilettes. J'ai un petit pincement au cœur. C'est cliché les toilettes, un endroit de vice ou de raclée, mais il n'a pas l'air dangereux.
Il s'installe devant une pissotière, fait des gestes communs. Je ne sais pas ou me placer et me pose finalement à côté de lui, ouvre ma braguette par réflexe.
Le gars peine, grimace. Des jets drus et courts sentent la douleur, l'agonie lente d'une prostate éreintée.
Il commence.

- je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais il y a pas mal de choses bizarres qui se passent ici. Vous êtes flic ?
- Non. Je cherche une amie.
- On m'a dit que vous aviez un petit billet.
- Effectivement.
- Si votre billet avait trois potes semblables, je pourrais peut-être trouver votre amie ou au moins vous parler de ses camarades. Elle bosse avec les artistes, non ?
- Si vous m'en disiez plus, là, avant de faire monter les enchères.
- Oh ! ça commence pas bien. T'as vu le gars costaud qu'est resté courtois avec toi tout à l'heure ? Ben il est payé pour s'occuper de types comme toi et, par extension, de ceux qui pourraient avoir envie de leur faire la causette. Ça vaut au minimum trois billets, deux pour moi et un pour le barman qui m'a passé le coup de fil.
- Annonce la couleur et on verra pour les billets.
- Tu me prends pour un fada et ça j'aime pas. Il me reste trois gouttes à envoyer, alors tu prends pas trop ton temps pour réfléchir, t'allonges la monnaie ou tu te casses.

J'ai une furieuse envie de lui coller la tête face porcelaine. J'essaye de penser vite, une tirade qui fait peur, un truc qui le sécherait sur place, mais rien ne vient, le zip de son futal annonce la fin de la session. Il se tourne vers moi, m'interroge du regard, souffle comme pour me dire « pauvre minable » et se dirige vers la sortie.

Je regrette souvent de ne pas avoir fait une école du détective. Je reste comme un con à le regarder partir. Les seuls arguments qui me viennent à l'esprit, je les ai vus dans les films américains et ça finit toujours avec du sang. J'opte pour la méthode Maigret, Columbo. Je ne bouge pas. Je l'aurai plus tard, en attendant je dois m'installer pour aller voir la pièce de mes amis fanatiques.

Dans le hall, mon gros costaud à la queue-de-cheval fait le service d'ordre. Il se tient bien droit devant les portes qui laissent passer une foule calme, les mains croisées au niveau de l'abdomen, le menton relevé pour prendre de la hauteur, le regard alerte, un mec qui sait ou au moins qui saurait reconnaître. Je m'éclipse avant qu'il ne me voie. Je ne vais même pas risquer un verre au bar et je n'ai pas le temps d'aller visiter les coulisses.

Je donne mon billet à l'ouvreuse qui me guide, pas trop loin de la scène, première place près du couloir comme j'ai demandé à Al. J'aime me sentir libre de me lever et d'étaler les jambes.

Le théâtre est baroque, beau, écrasant de détails sculptés, un théâtre à l'ancienne. Les reflets du rideau rouge me captivent, c'est mon côté Lynch. Je me demande si le caissier va m'envoyer le gorille cheval, histoire de me donner une leçon… Non. Je pense qu'il bluffe, qu'il croit encore pouvoir me soutirer trois biftons, et il n'a pas une gueule de balance. Malgré tout je reste sur le qui-vive et tourne régulièrement la tête vers l'entrée pour éviter les surprises.
Mais le spectacle va commencer, les gens sont installés, la rumeur stabilisée, le silence prépare aux trois coups.

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Message  Sahkti Jeu 20 Avr 2006 - 8:56

Et la suite??? :))))
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Message  Kilis Jeu 20 Avr 2006 - 11:59

Je n’attendrai pas demain.
Que tu nous serves la fin (?).
Parce que...
J’adore ta manière, Kill,
de regarder de voir, de penser la vie le monde , de le traduire. Beaucoup d’impressions te traversent. Et tu sais les rendre.
Souvent dans tes textes je pense : « il dit si bien les choses que je les ressens vraiment mais il dit trop de choses à la fois et donc, que moi, lecteur, je n’ai pas le temps de me les approprier.
C’est fort comme un bain trop chaud, un KO.
Distille. Ménage-nous. Tempère un peu ton flux.
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Message  Kilis Jeu 20 Avr 2006 - 14:39

kilis a écrit:Je n’attendrai pas demain.
Que tu nous serves la fin (?).
Parce que...
J’adore ta manière, Kill,
de regarder de voir, de penser la vie le monde , de le traduire. Beaucoup d’impressions te traversent. Et tu sais les rendre.
Souvent dans tes textes je pense : « il dit si bien les choses que je les ressens vraiment mais il dit trop de choses à la fois et donc, que moi, lecteur, je n’ai pas le temps de me les approprier.
C’est fort comme un bain trop chaud, un KO.
Distille. Ménage-nous. Tempère un peu ton flux.

Et, après un dodo d'une heure, je te prie d'effacer ma dernière stupide phrase de merde. ;-)
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Message  Loupbleu Sam 22 Avr 2006 - 18:24

Message de la part de Killgrieg :
Il a un problème de connexion et ne peut pas poster sa fin aujourd'hui. La bonne nouvelle est qu'il a fini le texte et qu'il le postera dès que sa connexion sera à nouveau rétablie ! Youpi !
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Message  grieg Dim 23 Avr 2006 - 19:24

Les jeux de la mort et du bas art





Quatre personnages. Une fille, trois hommes. Aucun décor. Une mise en scène dépouillée à l'extrême. Les acteurs surjouent un texte bâclé, trop ouvertement explicite, limite foutage de gueule, ridicule. J'imagine le briefing pour les scénaristes : « les gars, je veux du Ionesco-Sartro-Becketien mais façon production Besson sans fric ».
Je me concentre sur le spectacle.

Si je comprends bien, c'est Jésus, Bouddha, un ange et un type commun un peu paumé qui discutent. Bouddha est au centre de la scène, position lotus classique, sur un large pilier. Les autres tournent. Discussion fébrile. Seul Bouddha se tait, médite et rote de façon régulière. Jésus a l'air désabusé. Habillé moderne, le cheveu court, imberbe, il emploie un langage actuel, quasi populaire. L'ange est belle, sans aile, éthérée. Elle s'exprime de façon ordinaire sinon pour quelques tirades vulgaires auxquelles Jésus répond par des insultes bien senties. L'homme, au milieu de tout ça, pose des questions, ne trouve jamais de réponse et sursaute quand Bouddha rote.
Je m'emmerde.
L'idée générale se profile assez vite. Le jeu, les faux-semblants, chacun, décalé, à sa place, personne ne sait rien mais veut le faire croire à l'autre. Classique et mal foutu. Seul Bouddha, de manière crade, tire son épingle du jeu.

Je sais qu'une pièce est merdique quand je commence à sentir mon cul à l'étroit dans le siège, comme dans la classe éco d'un vol charter bondé. Aller au théâtre c'est comme voyager, si le paysage est beau tu pourrais rouler grimpé sur une machine à laver que tu verrais pas la différence.
Je baille, mais je voudrais bien voir où ils vont en venir.
Les acteurs continuent de s'acharner sur leur texte infantile. Seul Bouddha me fait marrer. Je me demande s'ils n'ont collé ni Rabbin, ni Mahomet pour cause de politiquement frileux. Ça m'arrangerait pas mal que ces mecs n'aient pas de couilles.
Le temps passe. Je passerais bien un coup de fil à Wanda pour savoir où elle en est. En fait, j'appellerais bien n'importe qui rien que pour échapper un instant à ça.
Je suis tout à mes pensées, proche de la somnolence quand le ton monte sur scène.

Jésus hurle :
« je ne suis pas un représentant de commerce et tu vaux plus vivant que mort »
On dirait du Arthur Miller.
Ils crient. Tout s'emballe. Les insultes fusent, l'ange est odieux, l'autre fulmine, tandis que Bouddha, inébranlable dans sa grande sagesse, rote.
À l'image des plaquettes de la secte, c'est un imbroglio d'idées qui n'en sont pas.
Creux. C'est le seul mot qui me vient à l'esprit. Creux.

Je jette un œil aux spectateurs, ils semblent satisfaits, l'entraînement sans doute.
Je commence à me demander si tout cela mène quelque part, si ça va pouvoir m'éclairer quand…
Les acteurs sortent des armes.
Finis les dialogues couillons.
L'homme et Jésus bousillent l'ange.
Deux coups dans la tronche.
C'est hyper réaliste. Le décor nu est tacheté de rouge grumeau.
On entend des cris dans la salle. Quelques personnes se lèvent et partent. Je me demande pourquoi ils ne l'ont pas fait avant.
Une fois l'ange tombé, ils se visent à leur tour, façon défi de gangsters fêlés, le bras tendu, les flingues respectivement posés sur la tête de l'adversaire… 1, 2, 3, ils s'explosent le crâne.
Et là encore, graffiti organique, la déco commence à avoir de la gueule.
Plus les acteurs.
Faut noter le nom du génie chargé des effets spéciaux. Jamais vu ça encore, je ne sens plus mon siège et ça me fait un peu honte. La salle se vide encore, mais la plupart restent. On entend des ooohhh et des aahhh discrets. Ceux qui sortent jettent un dernier coup d'œil, pour être sûrs de garder un petit souvenir, comme quand ils passent au ralenti près d'un accident sur la route. Bouddha se colle à son tour le flingue dans la bouche, le rideau bouge, lentement.
On attend. Les têtes des spectateurs s'inclinent en même temps que le rideau progresse, ceux de droite vers la gauche, ceux de gauche vers la droite, comme les eaux de la Mer Rouge, après le passage de Moïse, vers le centre, le trou où Bouddha disparaît tout à fait.
Fin.
Le rideau s'immobilise et le dernier coup retentit dans une salle silencieuse.






Hercule-de-jatte




Pas de salut final.
Les spectateurs attendent que les acteurs reviennent mais les lumières s'allument. Je trouve ça logique. J'ai toujours détesté voir un acteur mort revenir faire la révérence et sourire à la fin d'un spectacle. On devrait interdire ça et les génériques.
Mais là, je suis quand même sur le cul, les jambes sciées.
Je regarde ma montre.
La pièce n'a duré qu'une heure et quart. Une heure et quart d'ennui, mais les cinq dernières minutes tuent.
Personne ne bouge.
Je suis scotché au fauteuil.

Les gens s'ébrouent. Petit à petit ils se lèvent. Pas tous. Ils sont bloqués sans pouvoir avancer dans les travées. J'en profite pour me ruer sur la sortie. Je dois essayer de voir les acteurs, trouver les coulisses.
Dans le foyer, mon caissier et sa collègue se tiennent devant des tables où sont alignés les prospectus de la secte et différents ouvrages. Je cherche une issue avant qu'ils ne me repèrent. Difficile. J'aurais besoin d'un peu de foule pour me dissimuler. Il faut pourtant que je trouve un passage vers les coulisses. J'inspecte, je scrute, pas de portes cachées, dérobées.
Dehors peut-être. Mais si je sors je ne pourrai plus revenir.
Par la scène.
Je reviens sur mes pas, prends à contresens les spectateurs qui avancent sans bruit. Au fond, trois hommes poussent la foule dehors, de gros bras. Je ne vois pas mon ami au catogan.
Aucune solution par là. J'ai des images de sang et de cervelle éclatée.
Je me demande, je sais, je doute.
Je me sens impuissant.
Il faut que je sorte, que je cherche l'autre entrée. Reprendre en main mon chauve peut-être, mais il me manque deux billets. Je retourne dans le foyer, lui fais signe. Il écarte les bras, paumes ouvertes et me lance un regard : « tu vois pas que j'ai autre chose à faire ? ».
Je lui dis que je serai dehors.

Sur le trottoir, j'attends. Je pousse les portes cochères voisines, chaque fois des codes et aucun signe qui permette de penser que l'une d'elles est celle que je recherche.
J'allume mon portable.
Deux messages.

Wanda :
"Je suis dans la place, tout va bien. Je te rappelle plus tard. Bisous baveux."

Al :
"Loiseau, c'est Al ! C'est pas clair tout ça ! J'ai passé un coup de fil à un pote journaliste à Troyes, pour qu'il aille jeter un œil au théâtre où tes amis jouent ce soir. Ben, tu sais quoi ? Pas de théâtre. Fermé. Depuis deux mois. Les dates et lieux de représentation sont bidons. J'ai téléphoné un peu partout un tiers au moins des dates sont bidons… Tes copains veulent se faire mousser ou ils cachent quelque chose. J'essaye d'en savoir plus, je te tiens au courant. Bon vent le piaf !"

J'ai un nœud dans le ventre et ma main tremble.
Je rappelle Wanda. J'ai son répondeur. Je lui dis de se tirer de là-bas vite fait. Je lui dis que j'arrive, que j'emprunte la voiture d'Hassan et que je serai à Brest demain matin à l'aube, qu'elle me dise où elle est, je la rejoindrai.
Je rappelle Al. Répondeur. À lui aussi je dis de laisser tomber, que je le rappellerai plus tard.
Enfin, j'appelle Hassan, lui demande s'il peut me prêter sa voiture pour deux jours, j'aurais besoin de sa matraque aussi. Il a envie de dire un truc drôle, mais au son de ma voix, il sent bien que ce n'est pas le moment. Il m'attend.

Le caissier passe la tête hors du théâtre. Il regarde à droite, à gauche, et vient vers moi.
Je tremble comme une feuille.
Il m'entraîne au coin de la rue et me demande :

- T'as les billets ?

Je lui colle une gifle à la Lino Ventura.

- Tu vois, crâne d'œuf ! Là, j'ai deux amies qui sont en danger, et d'après ce que j'ai vu ce soir, en danger de mort violente. Alors tu vas répondre à mes questions sinon, s'il leur arrive un truc, considère-toi comme un malade en phase terminale, six mois maxi et tu calanches.
Je veux juste savoir une chose :
les acteurs qui s'entretuent sur scène, tu les as déjà revus après une représentation ?

Le mec relève la tête, il crache par terre, siffle : « va te faire foutre », et il s'en va.
Je ne suis pas Lino, je ne suis pas Audiard, pas plus qu'un tueur, je regarde son dos s'éloigner.

Je dois vite rejoindre le « Trompe l'Oeil », vite partir pour Brest, vite, rejoindre Wanda.

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Message  grieg Dim 23 Avr 2006 - 19:27

Le gore father





Ensuite, c'est la route, et c'est long la route quand t'as la peur au ventre. Tout traîne, les distances ne se comptent pas en kilomètres mais en minutes et en heures.
Je sors à peine de Paris, que je voudrais déjà voir la fin, mais pas de miracle, il n'existe plus ni vitesse, ni rapidité. Je n'avale pas les bornes, elles me dévorent l'esprit.
Je sais que je devrais arriver à Brest au petit jour et je hais la nuit.
La route défile et se ressemble.
Je m'arrête tout de même dans les stations-service, parce que je ne peux pas m'en empêcher, j'adore ça, c'est mon vice, mon habitude, un réflexe. Et puis dix minutes, c'est rien face à des heures. Mais dès que je pose mon pied sur le bitume, l'angoisse et la culpabilité m'étreignent. Je prends vite un café au distributeur, reviens à la voiture, reprends la route. Le café brûlant se renverse au premier dos d'âne.
Hassan va me tuer.
J'avance.
Heureusement, l'imagination prend le dessus et tue le temps. Je pense à Julien, ce gourou de pacotille, père fouettard démago, parrain sanglant d'une clique de parias. J'imagine les scènes de demain, une fois, deux fois, cent fois, toutes les options et d'autres, les dialogues se font et se défont. Et ça commence à m'emmerder, parce que c'est littérature ces phrases qui se forment, ces situations qui se succèdent… J'ai rien pour noter. Si, le fond de ma tête, pour plus tard, mais le fond de ma tête, c'est la carte d'une île au trésor ; je creuse à trois pas d'un palmier, je fais une croix et je paume la carte. J'ai planqué tant de trucs au fond de ma tête, que ça va sentir la mort quand je retrouverai l'endroit.
Les pensées s'emmêlent complètement, se mélangent aux heures.
Le temps avance, les kilomètres s'égrènent.

Jusqu'à ce qu'un panneau vienne me rappeler : « Rennes 80 ». Et je me dis « cool », puis je réfléchis, et me dis « seulement » ; et le temps se réinstalle, immobile, en attente d'être de nouveau bousculé.
La route redevient cette image plate, deux dimensions, le temps et l'imagination, sans volume, je suis tout étriqué à l'intérieur, implosé ; aucun espace, et la route se ressemble.
Longtemps, longtemps, phares, peurs, lumières, colère…

Au détour d'une pensée, le jour se dessine derrière l'ombre noire d'un peuplier, j'ouvre l'œil, guette de nouveau les panneaux, ceux qui vont me faire plaisir : un nom, deux chiffres, et le premier chiffre doit être un 1.
Je laisse l'adrénaline reprendre le pouvoir, je vais bientôt rencontrer le gourou, j'ai besoin d'être vif. Je voudrais être gonflé à la coke, aux amphés, un truc pour sportif, pour pur-sang, une dose d'éléphant, plus.

Une dernière station-service. Je dois faire le plein. Adieu les cinquante euros. Je remplis le réservoir, prends un café. À l'employé, je demande la route pour Porquenic, à côté de Brest. Je demande s'il connaît « l'Aurore ». Le type n'a pas l'air fatigué et il a envie de parler. Il me dit qu'il est de là-bas, que c'est facile, il me tutoie, des sauvages les Bretons, je me sens Breton, mais je suis pressé comme un Parisien.
- Tu continues sur la route là, deux kilomètres, tu prends Haincy, Parlay, sors à Soustra et t'y es. Facile ! Tu peux pas te gourer… Tu vas voir qui là-bas ? C'est fermé « l'Aurore » à cette heure.
- Julien Donnecq
- Ah ! le fracassé !
- Tu connais ?
- Tu peux pas le rater. Tu vas voir, au bout de la plage, t'as « L'aurore » et plus loin sa baraque. C'est l'espèce de château, sur la presqu'île. Tu vois que ça quand t'arrives là-bas…

Il essaye de me dire autre chose, mais je m'enfuis.
Je sors. Je téléphone à Wanda pour lui dire que je l'attendrai sur la plage. Je laisse le message, espère.
Je tremble. La fatigue. Je reprends la route.
Tout va plus vite, la lumière du jour redonne forme aux talus, aux maisons. Les villages sont courts, des villages-route.
J'y suis. Porquenic.
J'avance jusqu'à la plage, me gare.
Je vois la maison au loin, impressionnante.
J'avance sur le sable. La fatigue me berce.

Je m'assois, regarde la mer, le monde. Le monde tout court qui finit à l'horizon. Un monde pas tout à fait droit, sûrement pas rond. Les grands découvreurs devaient avoir l'esprit bien mal tourné pour s'imaginer la terre ronde.
Ce matin et pour toujours, la terre est plate, pas si plate.

Une femme marche sur la plage, dans ma direction, je suis heureux comme on peut l'être après une nuit blanche.






Le mythe de cézigue




Wanda me fait un grand sourire. Je me lève et la rejoins. Elle me passe la main dans les cheveux. Je la prends dans mes bras, fort, à lui faire mal.
Au bout d'un court moment, elle m'écarte doucement et commence son récit.

- Tes amis sont sympas Loiseau, et ils ont le sens de la fête. De Dieu la nuit ! Crois-moi, j'ai donné du mien pour ton enquête. Danse, alcool, drogue, discussions interminables… Ton Julien, il est chaud comme la braise et je pense qu'il m'a trouvée à son goût. D'ailleurs…
- Abrège, Wanda !
- Ouais, ok ! Donc, j'ai profité du fait qu'il me sonde les entrailles comme un devin frénétique pour lire dans ses cartes. Il aime bien parler aussi ton pote. Tu veux les détails visuels ou je te sors juste la substantifique ?
- Donne-moi le résumé sans t'étaler sur la gymnastique.

Je la déteste quand elle parle comme ça. Ça me rend fou. Un mélange de jalousie, de désir, de nausée.
Un jour, je l'épouserai seulement pour qu'elle éprouve un minimum de remords quand elle aura passé la nuit avec un autre et qu'elle me racontera ses parties de jambes en l'air. Je ne supporte pas son absence de culpabilité.

- J'ai réussi à lui tirer les vers du nez - lui par contre il m'a…
- Suffit Wanda ! Pendant que tu t'amuses de tes conneries, j'ai une copine en danger quelque part là-haut.
- Bérénice ? T'inquiète, elle va bien, plus que bien même cette salope.

Je reste muet. Je sens que je vais regretter d'avoir entamé cette enquête de merde, que je vais haïr encore plus leur sorcière de mère.

- Raconte !
- Faut que tu voies ! Suis-moi, tu vas voir, ils sont tous réveillés là, je te raconte en chemin.
Bérénice c'est la tête pensante du groupe, une pimbêche qui m'a traitée de pute ce matin ; et crois-moi ! Quand un mec te traite de pute, c'est juste qu'il manque d'imagination ou que tu représentes tout ce qu'il ne pourras jamais avoir ; quand une fille comme elle le fait, ça prend tout son sens ce mot, et ça te donne des envies de meurtre.
Bérénice a créé tous leurs mythes, elle écrit les pièces de théâtre, elle est le vrai gourou de l'histoire. Julien, c'est juste un jouisseur friqué, un gamin qui joue son rôle ; le pantin de ta copine.
Tu sais ce qu'ils font en ce moment ? Ils sont postés devant le soleil. Un gamin d'une vingtaine d'années se tient là et sous le regard de tous, il fait grimper le soleil au ciel.
- Merde ! C'est Camus ! C'est « Orpheu Negro » ?
- Je sais pas, j'ai pas la télé dans la caravane. En attendant, Bérénice leur fait croire qu'ils sont les élus, ceux qui font que le jour est jour, que la vie est possible. Tous ces types-là sont persuadés qu'ils sont des humains dieux, qu'il sont les maîtres du soleil.
- J'y crois pas ! Elle a osé ! On l'avait vu ensemble le film. Elle était toute mioche, j'avais dû lui expliquer toutes les scènes - que je ne comprenais pas toujours d'ailleurs. Elle avait adoré. C'était devenu une private joke entre nous. Elle a osé ! Et les pièces de théâtre, c'est elle ?
- Oui. Le mec qui fait lever le soleil en ce moment, c'est son rite d'initiation. Demain, il va jouer à Paris.
- Putain de merde ! Tu sais ce qui se passe à Paris ? Ils se bousillent tous, les acteurs ! Ils se suicident sur scène… Et tu me dis que c'est Bérénice la responsable.
- Attends ! Je comprends pas. Ils sont inoffensifs les cocos. C'est tout mignon là-haut , presque poétique, un peu bébête.
- Mon cul ! Ce sont des fanatiques dangereux, ouvre les yeux Wanda. Ces mecs là tuent. Bérénice les tue.

Wanda est pâle, blanche. Sa main serre mon bras. Elle lève l'autre, pointe l'index vers un groupe d'hommes au bout de la presqu'île.
Ils sont là, nombreux.
Je les vois, tous en cercle. Julien un peu décalé. Il n'a pas changé.
Tandis que nous approchons, il se tourne légèrement, me sourit.

- Ça faisait un bail Loiseau. Bérénice t'attend ! Va dans la maison.

J'ai une folle envie de lui foutre une raclée. Wanda est surexcitée, la colère et la coke qu'elle a dû prendre cette nuit lui donnent l'air d'une sorcière. Je l'ai déjà vue comme ça une fois et ça me fait peur. Je la retiens avant qu'elle ne fasse un massacre.

On entre dans la maison. Un long couloir, débouche sur une pièce où la lumière du jour souligne chaque objet de longues ombres. Bérénice est assise sur un canapé rouge. Ça me fait quelque chose de la revoir.
Je dis à Wanda d'attendre à la porte.

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Message  grieg Dim 23 Avr 2006 - 19:29

Le soleil se lève malgré





Bérénice se lève, elle sourit, m'ouvre les bras.

- Je t'attendais Fred. Ils m'ont prévenue au théâtre que t'avais fouiné cette nuit. C'est Clotilde qui t'envoie, hein ? Tu viens me sauver !
Tu m'as toujours amusé Loiseau.
T'as vu la pièce, hier ? T'as aimé ? Extrême, non ?

Je ne dis rien, je ne peux pas. Elle continue de parler, elle a baissé les bras.

- Tu cherchais quoi ? Un grand méchant et une princesse prisonnière ? T'as toujours été idéaliste. T'as fini par écrire au fait ? Non, je parie. Fais pas cette tête. C'est pas si moche que ça ce que je fais, pas plus que ce que la plupart des gens font. Je donne aux gens le goût de mourir, de mourir heureux. J'ai que des paumés là, des personnes qui de toute façon se seraient ouverts les veines, avec tristesse. Ils le font, grâce à moi, avec le sourire, avec une Idée, un Idéal. Ma sœur, c'est différent. C'est une vraie malade. Donne-lui lui une raison de crever et elle continuera à vivre ; elle doit mourir pour rien, sans perspective. C'est pour ça qu'elle s'est barrée. Et tu crois que son psy la soigne là ? Tu rêves, il ne fait que la préparer au grand saut, avec d'autres moyens que les miens, mais le résultat est le même. La vérité, les psys, ils l'ont lue dans les bouquins, pas dans les gens. Ils appliquent leur prêt à penser sur tous, sans distinction, et souvent ça fait mal, dommages collatéraux à la pelle, et on enterre les erreurs pour se prévaloir du meilleur. C'est pas beau tout ça, moins que mes couchers de soleil et mes représentations ultimes, avec moi au moins, la mort est esthéti…
Bruit mat.
D'un coup, elle disparaît Béré, comme une marionnette, et à la place, j'ai Wanda qui tient une barre de fer.

- Excuse de couper court aux retrouvailles, mais elle me gonflait la petite et j'aimais pas ton air « je comprends ». Allez Loiseau, on décolle. On n'a plus rien à faire ici.

Je regarde le corps de Bérénice, j'ai le cœur anesthésié, mais la colère qui gronde. Colère contre moi-même, ma bêtise, le temps perdu, à me gourer de victime, à me voiler la face aussi. Elle n'a pas tort. Clotilde ne peut vivre que si elle a une raison de mourir, et le psy, s'il la soigne, la tue. Et je ne sais pas quoi faire, agir ou laisser faire. Papillon. Plus envie. Après tout, chacun est libre. Je regarde le corps de Bérénice, du sang coule sur le tapis.
Je dis à Wanda :

- Je crois qu'elle est morte !
- Et alors ?
- Rien ! Toi, ça va ?
- Oh, tu sais, il y en a d'autres, avant moi, qui ont tué et qui n'en sont pas morts, je m'en remettrai… On y va ?
- Tu veux pas qu'on se débarrasse du corps ?
- Pour quoi faire, tu crois que les zombies vont aller nous dénoncer aux flics ? Y vont faire comme avec les autres corps. C'est pas leur intérêt que ça se sache. Fais pas cette tête ! Tu veux être rassuré ? Attends, suis-moi !

Elle m'entraîne vers la falaise. Julien est là. Il surveille ses ouailles. L'autre, le petit dieu du jour, est assis face au soleil, en transe.
J'ai de plus en plus envie de vomir.
Wanda a déchiré un rideau avant de sortir et elle essuie la barre. Elle semble sûre d'elle. Je sors la matraque. Elle me dit d'allumer le gourou dès que possible. Malgré le boucan des vagues, Julien nous entend approcher, il sourit à Wanda, souvenirs, je le hais. Il aperçoit la barre et se fige. Wanda lui crie quelque chose pour le rassurer, je n'entends pas, je n'entends plus rien. Il sourit de nouveau. Elle s'approche de lui, lui donne la barre. Il la prend. Je comprends. Je l'allume, il s'éteint. Ça me fait du bien. C'est la fin et il n'y aura pas de générique.
Wanda est en forme. Elle me prend la matraque des mains, et elle se glisse dans la mini foule en extase, se dirige vers le môme qui fait lever le soleil. D'un geste net, elle lui défonce la tête. Il s'écroule. Elle se tourne vers les autres. Personne ne bouge. Moi non plus.

- Z'avez vu ? Le soleil ? Il continue. Retournez-vous, regardez votre gentil gourou… H.S. lui aussi. Y en a peut-être un autre parmi vous qui se prend pour Phoebus ? Lequel ? Qu'il lève la main. Reste un Dieu parmi vous ? Allez, vous êtes pas des gonzesses ! Toi ?

Elle soulève la matraque et en assomme un autre en hurlant « qui d'autre ? ». Les fanatiques se dispersent, elle leur crie de dégager. Ils dégagent.
J'ai encore la nausée, mais j'ai envie d'elle aussi.
Elle est belle. C'est elle qui fait lever le soleil, mon soleil.
Ils ont tous disparu.
Nous sommes seuls sur la falaise.
Au loin des vagues se jouent du soleil.
Wanda me dit qu'elle est consciente que ça ne sert à rien, mais que ça lui a fait du bien.
On s'en va.
J'envisage l'avenir.
Je crois que je vais aller casser une vingtaine d'os au psy, je commence à y prendre goût - ça évitera qu'il se prenne pour un Dieu - histoire de lui expliquer la vraie vie.
Ensuite j'aurai besoin de vacances.
J'irai à l'ombre ou au soleil.


FIN

grieg

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Message  Zou Lun 24 Avr 2006 - 12:45

Bon je me lance....
J'ai beaucoup aimé Kill, surtout ton style peut être plus que l'histoire en elle-même. Vraiment bravo. En plus le rythme de postage était soutenu.
Juste un bémol, Wanda en karatéka qui nous zigouille tout le monde ou à peu près au final ça m'a moyennement plus. J'aurais aimé en savoir un peu plus sur Bérénice et la relation qu'elle avait eue avec Loiseau.
La fin serait peut être à retravailler mais ceci dit c'est vrai que tu avais sans doute d'autres chats à fouetter pour le moment ;-((((
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Message  Zou Mar 25 Avr 2006 - 7:03

Et hop !
Faut que vous lui bichonniez une 'tite critique pour son retour de noces quand même ;-)
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Message  Kilis Mar 25 Avr 2006 - 7:58

Bon, alors je reprends et augmente mon premier commentaire.
J’adore ta manière, Kill,
de regarder de voir, de penser la vie le monde , de le traduire. Beaucoup d’impressions te traversent. Et tu sais les rendre à ta manière toute personnelle, unique. Et finalement, je me demande si ce n’est pas vraiment ça qu’on appelle le style, un regard personnel et sans filtre sur le monde.
Bon je vais la lâcher cette phrase que je brûle d’écrire ?
Voilà : tu es un auteur Kill.
Et c’est pourquoi, la remarque de Zou sur la prédominance du style par rapport à l’histoire est tellement judicieuse.
Bon , ça c’était une impression globale.
Maintenant je reviens au texte de Loiseau.
La partie que j’ai préférée et que j’ai trouvé vraiment excellente, c’est la partie centrale, le ventre du récit, quand tu as trouvé ta vitesse de croisière et que l’on sent que tu as le souffle pour aligner ainsi pendant des kilomètres. Oui, t’as le souffle, Kill et c’est pas rien ça !
Donc, je me résume pour ton texte : démarrage un rien confus, et puis, hop c’est parti tu traces et c’est très jouissif. A la fin tu te retournes et tu te dis :j’suis pas un peu loin, là ? Alors, tu freines paf. On est un rien dérouté mais toujours vivants et près à te lire à nouveau.

Encore !
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Message  Kilis Mar 25 Avr 2006 - 8:01

Kilis, les fautes!
On est prêts
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Message  Krystelle Mar 25 Avr 2006 - 8:08

Bien parce que c'est jour de noces:
Killgrieg, t'es le meilleur digresseur pseudo-lyrique qu'il m'ait été donné de rencontrer dans ma très très longue vie. Le meilleur oui!
Et ton Loiseau, en plus d'être fini, il est bien. Mais j'attends que ce soit plus le jour de ton mariage pour te dire en détail

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Message  Loupbleu Mar 25 Avr 2006 - 21:55

J'ai lu ce soir, et avant de faire un commentaire plus circonstancié, je dois dire que j'ai pris un très grand plaisir, c'est du bonheur ce texte !

Bravo !
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Message  mentor Ven 28 Avr 2006 - 20:19

Lu, relu, re-relu. A chaque fois c'est mieux.
Vrai que la fin me paraît un tantinet rapide, comme si tu voulais abréger un peu. Mais tu t'étais toi-même mis la pression et puis... tu avais une échéance : celle(s) de cette semaine, et particulièrement la nouba de demain !
Tu as fait de Wanda une activiste d'un genre particulier ;-) Je la voyais plutôt calme derrière son tapis vert, ses cartes et une lumière tamisée.
Mais au diable les clichés, tu as raison !
Donc, je dépose ici l'expression de ma vive admiration pour ce texte et son auteur.
J'ajoute que je lui souhaite (au texte) d'être publié, et à son auteur : tout pareil !!
Et une super journée demain samedi à toi, Pierre.
Tout le bonheur du monde pour la suite !
;-)

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