Figures de style : Ventre affamé n’a pas d’auberge !

- Allo, Monsieur Destrier ?
- Lui-même !
- Je suis le réparateur de câble.
- Vous êtes le préparateur de crabe ?
- Non, le réparateur de câble ! Nous avons rendez-vous aujourd’hui.
- Mais, mon cher, nous vous attendions beaucoup plus tôt.
- J’ai eu un petit problème…
- Vous avez eu un petit poème ?
- Non, un problème ! Mais c’est arrangé. Je suis sur le point d’arriver chez vous.
- Où vous trouvez-vous ?
- J’ai pris la sortie n°7, la première à droite après le péage, mais les noms des panneaux ne correspondent pas du tout à ceux indiqués par votre femme. J’ai tourné à gauche au rond-point…
- Et sept fois votre langue dans votre bouche avant de vous la mordre ?
- Pardon ?
- J’ai un mauvais pressentiment.
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
- Vous vous êtes trompé.
- Je vois de quoi vous voulez parler.
- Vous n’étiez pas sur la bonne autoroute. Au niveau de l’échangeur entre l’A11 et l’A10, vous avez dû prendre la mauvaise direction.
- J’en ai peur. Je fais demi-tour et je vous rappelle.
- Ainsi doit-il !

- Allo, Monsieur Destrier ?
- Lui-même !
- Je suis le préparateur de crabe !
- Vous êtes le réparateur de câble ?
- Oui, le réparateur de câble. J’ai loupé la sortie n°7.
- Mon cher, vous m’inspirez des sentiments contradictoires. Vous me plongez dans un bain de limpides incertitudes. Je me sens désolé de ne rien pouvoir faire pour vous et ravi de ne pas être à votre place. J’en éprouve une honteuse fierté, car même quand la barre est basse, on est heureux de ne pas trébucher dessus.
- Je ne vous entends pas très bien.
- Arrêtez-vous à la prochaine aire de repos et allez jusqu’au grillage. Je vous y retrouverai.

Avec une tige en fer, un fermier attise un feu sous la surveillance d’un cavalier. Voyant un individu agité les bras derrière le grillage de l’aire d’autoroute voisine, le fermier pointe le bout de son pique-feu dans la direction dudit agité et adresse une parole à son compagnon monté. Ce dernier se retourne, puis talonne les flancs du Selle français qui donnerait de la noblesse au premier gueux perché dessus. L’étalon part au petit trot. Les sabots tambourinent le sol meuble comme d’agiles phalanges le cuir d’un tam-tam. La crinière au vent, le crin ondoyant, ample et élégante, l’amble souligne la grâce équine. Majestueusement souple, l’allure ralentit jusqu’au pas. Les sabots foulent les mottes de terre et balaient les fétus de paille échappés des bottes de foin.
Arrivé à portée de voix, Monsieur Destrier lance à l’individu qui lui évoque, les doigts accrochées aux grillages, un captif :
- Je vais vous ouvrir le portail.
- Vous pouvez faire ça ?
- J’ai certains privilèges.
- Attendez. J’ai peur qu’il ne faille remettre cette intervention à plus tard. La nuit va bientôt dégringoler.
- Et alors ?
- Et alors, je ne suis pas noctamburne ! Mais maintenant que je connais le chemin, je reviendrai demain.
Monsieur Destrier tire sur les rennes de son cheval tout en serrant les jambes. Le Selle se cabre et le cavalier se cambre sur sa selle.
- Ne vous donnez pas cette peine, j’ai décidé de me passer de câble.
Le cheval hennit, le cavalier relâche les rennes, le cheval bondit, le cavalier dit « adieu », le cheval galope, le cavalier a une bonne assiette.

Le réparateur de câble remonte dans son véhicule utilitaire et songe qu’il ne l’échangerait pas contre un cheval, ni sa place contre ce monsieur Destrier. Il cherche ses clés de contact et constate qu’il a perdu une lentille du même nom. Il sent une douleur sous ses fesses. Les clés de contact. En se redressant pour les attraper, il se cogne la tête contre le plafonnier. Maintenant, dans son crâne, il y a un bourdonnement. Un glas sourd à l’écho lointain, et, à peine audibles, des chœurs de voix mal mixées mâchonnant mollement un Chamallow. Il recouvre ses esprits, veut prendre un repas dans cette aire de repos avant de reprendre la route, mais s’aperçoit que cette aire manque de tout et lui de bol. Les flammes entretenues par le fermier dans le champ non loin lèchent du bout de leurs langues serpentines les premières traces de crépuscule. Le feu fait barrage à la nuit. Le réparateur de câble se dit qu’il aimerait être ce paysan, vivre au rythme des saisons, travailler en plein air, défier les éléments, manipuler les pique-feux et les quotas agricoles. Et surtout, manger des produits frais. Manger. Le réparateur de câble a une faim de fou.
- Qui a dit « qui dort dîne ! » ? se demande-t-il à voix haute. Qu’en est-il de celui qui dîne avant de dormir ? Dîne-t-il deux fois ?
Bercé par ses réflexions et les yeux brûlants d’avoir trop fixé les flammes, le réparateur de câble, accablé de fatigue et de faim, s’endort, la tête reposant dans le vide. Deux heures plus tard, ses suppositions sont confirmées : quand on s’endort sans avoir dîné, on se réveille la faim au ventre.
- Ma fortune n’est pas venue en dormant.
Pour ne pas rester planté-là comme une corne, le réparateur de câble prend le taureau par les bornes.
- Allez ! Fouette, Roger !
Il démarre son véhicule et se dilue dans le flux anonyme du trafic autoroutier.

Bien vu, j'aime le côté absurde de l'histoire...

Beaucoup aimé les dialogues et la confusion sur les sonorités. J'aurais bien vu le reste du texte au passé, ça lui aurait peut-être donné plus de poids.

rythmé, vif
faudra aussi que je revienne sur celui-là
à tête reposée

(quand même, tu bidouilles du zeugme)

à plus... Et toujours cette impression de déjà bu
On se connait ?

Toutes les contraintes sont là !
Joliment menées, j’ai eu un peu peur avec le premier pique-feu, mais ton deuxième essai est le bon. Sinon cet univers absurde est jubilatoire.

Si tu me permets, là :

« Il recouvre ses esprits, veut prendre un repas dans cette aire de repos avant de reprendre la route, mais s’aperçoit que cette aire manque de tout et lui de bol »

j’aurais bien vu, pour accentuer paronomase et zeugme :

« il recouvre ses esprits, veut prendre un repas dans une aire de repos avant de tailler la route, mais s’aperçoit que cet endroit manque d’aire et lui de bol »

J'ai adoré les dialogues du début. L'ensemble très monthy-pythonesque avec l'arrivée de ce cavalier foutraque a beaucoup d'allure mais il y a une rupture entre les deux parties qui me gêne un peu ...
Allez, fouette Roger m'amuse énormément !

ça sautille, c'est vif, bien mené, plein de trouvailles
on sent le plaisir que tu as pris à écrire ça
j'aime ce genre, déjanté, qui se prend pas au sérieux, du sketch pur
bravo pour cet esprit inventif

J’ai eu un peu de mal à rentrer dedans mais j’ai jubilé quand c’est parti en c… , porte ouverte à toutes les quenouilles et autres crapauderies.

Drôle et absurde à souhait.
manque peut-être d'une transition avant l'arrivée du cavalier.

C'est bizarre... Je me suis faite mener par le bout du nez : j'attendais une chute, un truc inattendu à chaque tournant et... rien ! Alors je continuais à lire, (avec intérêt en plus, pour le comique de situation et les jeux de sonorité) dans l'attente de quelque chose qui ne devait pas venir... et oui, moi, je l'attend toujours Godot... Au final, j'en sors à la fois frustrée et comblée, à la fois éberluée et amusée. Absurde. Vraiment.

Vif, bien mené, drôle par son absurdité et ses trouvailles sonores.
Juste de temps en temps l'impression d'en faire un peu trop, de forcer la dose, mais c'est sans doute le côté caricatural du texte qui veut cela.

Tu as bien su amener les contraintes et ce n'était pas chose aisée. Félicitations !
J'ai eu un peu de mal, parfois, à m'y retrouver. Je me le relirai à tête déposée comme dirait Louis XVI, parce que dans le bureau, c'est un peu la fête et pas facile de se concentrer.
^^

J'ai apprécié le côté décalé des dialogues et la situation.
J'ai également aimé la verve de ces lignes mais le côté haché de la construction m'a empêchée de me laisser porter complètement.

Je commente pour commenter tout le monde mais je suis désolé, pas grand-chose de bien intéressant à en dire : rien bité, l'absurdité à son meilleur, pas entré dans l'histoire, pas visualisé grand-chose.
A priori pour les connaisseurs ça le faisait, alors, tant mieux !
;-)