Mon oiseau
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Mon oiseau
MON OISEAU
Je montre à la fenêtre mes atouts majeurs.
Ma jeunesse.
Mes tâches de rousseur comme autant de bons points qui cachent mon mal-être.
La rondeur de mes joues.
Et j’appuie ma langueur contre l’huis de mon théâtre intime, tandis que mon âtre mime une braise reprenant vigueur, doucement.
Là, au coin de la rue, l’oiseau va apparaître, bien après la cohue.
C’est l’heure.
Lorsque baisse le jour.
Que l’école a fermé ses lourdes portes en bois.
Lorsque mon cœur s’affole.
Et que seuls m’importent les bruits, venus, pareils à une sourde mélodie, de là où les nuées ont disparues, jusqu’à mes oreilles attentives.
Mon oiseau.
À l’allure rétive, pimbêche.
Qui s’esquive revêche, craintive et sans un mot dès qu’a tinté la cloche.
Mon oiseau qui s’approche.
Mon oiseau.
Dont le duvet est rose, noires sont les rémiges.
Mon oiseau.
Dont la chevelure promène ses reflets entre l’anthracite et le maïs brûlé.
Dont l’éclat d’ébène qui s’immisce, pur maléfice, dans ses yeux, fige son regard comme une mort soudaine qui s’invite chez moi.
Mon oiseau dont les ailes ne sont plus qu’une image.
Mon oiseau.
Dont la peau du visage, de pâleur maladive, éclaire mes pensées moroses de quelque chose de curieux.
Lumière de crépuscule.
Bulle de malheur.
Mystère ténébreux qui longe la chaussée à petits pas furtifs tel un songe macabre, un esquif où se cabrent des voiles, blanches et naufragées, dans la nuit sans étoile.
Mon oiseau s’accrochant à sa cage, farouche, et dont la bouche, fragile fleur éclose, scelle un bijou précieux, un babil, un tabou.
Elle traverse aux clous.
Prend la ruelle à gauche qui me fauche sa vue.
Mon oiseau, que je berce en mon cœur, a disparu comme un mirage
MES DEVOIRS
Ayant ouvert mon cartable, je m’attable et m’arrime au bureau de ma chambre.
Laissant, las, les maux dans lesquels je m’abîme, je cambre mes esprits, comme un enfant bien sage, à la résolution de quelques équations.
En moins d’un vers, en moins d’une prière, j’ai vu la solution.
L’inconnue est têtue, rime toujours avec ma vie.
Avec ma poésie.
L’abscisse est ordonnée ainsi qu’aucun amour ne puisse s’y noyer.
L’ordonnée tremble en de profonds abysses.
Et la courbe ressemble à un oiseau blessé, englué dans la tourbe.
Je tourne autour d’une circonférence, toujours affleurant violence et tourment.
Mes pattes d’oie sur le papier font des pâtés, glissent, hors normes, sans loi, prennent la forme et les jambages, courbes et déliés, d’une alène recousant le saccage des veines et des rus d’une ville incertaine, inconnue, plus qu’humaine et perdue, servile, saignant de haine contenue.
Le trait de ma plume tremblante tentée par l’asymptote, frise, brève, insistante, l’écume sur mes commissures, tant est sotte l’envie qui me gêne, malmène, me brise et qui s’échoue sur la grève de mes sens.
Me laissant en sueur.
Haletant.
Une fièvre à l’haleine brûlante effleure mes tempes et mes lèvres.
Hante mes divisions sur la page en désordre, et froissée de mes mains.
Sur ordre de maman, demain, encore, peut-être, je resterai à la maison.
Dehors, sévit la maladie.
Maman a bien raison de me mettre à l’abri.
Je m’endors.
MAMAN
Maman est bien sévère.
Elle ne voudrait que j’aime une autre qu’elle-même.
Autre prose que celle des mathématiques.
Je lui réponds, pervers, que je n’adore que l’or de l’oiseau mécanique sur mon étagère.
Ainsi que mes leçons rangées dans les armoires cirées de son chiffon.
Les roses du jardin embaumant la maison.
Sa version du latin.
Mes devoirs.
Mes problèmes.
Et la sainte famille.
Et puis un jeu de quille.
Une corde à sauter.
Qu’elle m’accorde.
Gentille.
LE CHANT
Bien des heures derrière les pierres de ma maison.
Bien des soirées à ma fenêtre.
Bien des années à ne pas être.
Toujours auprès de ma maman, qui veille sur les humeurs.
Sur la température.
Sur les peurs, les passions et les désolations de son fiston chéri.
J’ai perdu, bien marri, mes brouillons de calculs, où j’avais autrefois, par malice, ajouté quelques ridicules artifices d’oiseleur.
Des miettes.
Un peu de beurre.
Puis un cœur de poète.
Par une manière de distraction j’ai du laisser la poussière du grenier recouvrir ces pages aux grillages d’écolier.
Maman aime l’ordre et la propreté dans sa propriété.
Maman… Qui veille sur les mœurs.
Les rumeurs de la rue.
Et sur le temps qui passe.
L’école de jadis a laissé place nette aux folles d’aujourd’hui dont les silences, drapés d’indifférence, sécrètent un désert de paroles qui s’envole, éphémère, à travers les grilles, et brille jusqu’aux nues.
De leur chœur en latin, ainsi qu’une douce complainte, me parvient le matin une quinte mineure.
Comme douleur étreinte.
Le chant de mon oiseau
Qui
Chaque jour que fait le Malin
Un peu plus s’éteint
Un peu plus se dilue.
Le chant de mon oiseau qui devient un murmure
Et
Comme une âme s’évade de son mauvais augure
Une armure de sa prison
Glisse et bade entre les murs
Se meurt
Et grandit en mon cœur
Ainsi qu’un bonheur parfait
Une félicité.
LE FESTIN
Ce soir là, dans mon assiette, trônait une bête rôtie, dont on avait ôté la tête.
Je glissai vite ma serviette dans mon col, comme il était de mise, afin de ne pas tâcher ma chemise.
Je salivai, malgré le licol.
Empoignai ma fourchette.
Mon couteau.
Croquai l’oiseau.
Même les os.
Me léchai les babines.
Sans un bruit, dans mon dos
Petite et rabougrie dans son tablier de cuisine
Maman fait des mines ravies et attend que je la félicite.
Je montre à la fenêtre mes atouts majeurs.
Ma jeunesse.
Mes tâches de rousseur comme autant de bons points qui cachent mon mal-être.
La rondeur de mes joues.
Et j’appuie ma langueur contre l’huis de mon théâtre intime, tandis que mon âtre mime une braise reprenant vigueur, doucement.
Là, au coin de la rue, l’oiseau va apparaître, bien après la cohue.
C’est l’heure.
Lorsque baisse le jour.
Que l’école a fermé ses lourdes portes en bois.
Lorsque mon cœur s’affole.
Et que seuls m’importent les bruits, venus, pareils à une sourde mélodie, de là où les nuées ont disparues, jusqu’à mes oreilles attentives.
Mon oiseau.
À l’allure rétive, pimbêche.
Qui s’esquive revêche, craintive et sans un mot dès qu’a tinté la cloche.
Mon oiseau qui s’approche.
Mon oiseau.
Dont le duvet est rose, noires sont les rémiges.
Mon oiseau.
Dont la chevelure promène ses reflets entre l’anthracite et le maïs brûlé.
Dont l’éclat d’ébène qui s’immisce, pur maléfice, dans ses yeux, fige son regard comme une mort soudaine qui s’invite chez moi.
Mon oiseau dont les ailes ne sont plus qu’une image.
Mon oiseau.
Dont la peau du visage, de pâleur maladive, éclaire mes pensées moroses de quelque chose de curieux.
Lumière de crépuscule.
Bulle de malheur.
Mystère ténébreux qui longe la chaussée à petits pas furtifs tel un songe macabre, un esquif où se cabrent des voiles, blanches et naufragées, dans la nuit sans étoile.
Mon oiseau s’accrochant à sa cage, farouche, et dont la bouche, fragile fleur éclose, scelle un bijou précieux, un babil, un tabou.
Elle traverse aux clous.
Prend la ruelle à gauche qui me fauche sa vue.
Mon oiseau, que je berce en mon cœur, a disparu comme un mirage
MES DEVOIRS
Ayant ouvert mon cartable, je m’attable et m’arrime au bureau de ma chambre.
Laissant, las, les maux dans lesquels je m’abîme, je cambre mes esprits, comme un enfant bien sage, à la résolution de quelques équations.
En moins d’un vers, en moins d’une prière, j’ai vu la solution.
L’inconnue est têtue, rime toujours avec ma vie.
Avec ma poésie.
L’abscisse est ordonnée ainsi qu’aucun amour ne puisse s’y noyer.
L’ordonnée tremble en de profonds abysses.
Et la courbe ressemble à un oiseau blessé, englué dans la tourbe.
Je tourne autour d’une circonférence, toujours affleurant violence et tourment.
Mes pattes d’oie sur le papier font des pâtés, glissent, hors normes, sans loi, prennent la forme et les jambages, courbes et déliés, d’une alène recousant le saccage des veines et des rus d’une ville incertaine, inconnue, plus qu’humaine et perdue, servile, saignant de haine contenue.
Le trait de ma plume tremblante tentée par l’asymptote, frise, brève, insistante, l’écume sur mes commissures, tant est sotte l’envie qui me gêne, malmène, me brise et qui s’échoue sur la grève de mes sens.
Me laissant en sueur.
Haletant.
Une fièvre à l’haleine brûlante effleure mes tempes et mes lèvres.
Hante mes divisions sur la page en désordre, et froissée de mes mains.
Sur ordre de maman, demain, encore, peut-être, je resterai à la maison.
Dehors, sévit la maladie.
Maman a bien raison de me mettre à l’abri.
Je m’endors.
MAMAN
Maman est bien sévère.
Elle ne voudrait que j’aime une autre qu’elle-même.
Autre prose que celle des mathématiques.
Je lui réponds, pervers, que je n’adore que l’or de l’oiseau mécanique sur mon étagère.
Ainsi que mes leçons rangées dans les armoires cirées de son chiffon.
Les roses du jardin embaumant la maison.
Sa version du latin.
Mes devoirs.
Mes problèmes.
Et la sainte famille.
Et puis un jeu de quille.
Une corde à sauter.
Qu’elle m’accorde.
Gentille.
LE CHANT
Bien des heures derrière les pierres de ma maison.
Bien des soirées à ma fenêtre.
Bien des années à ne pas être.
Toujours auprès de ma maman, qui veille sur les humeurs.
Sur la température.
Sur les peurs, les passions et les désolations de son fiston chéri.
J’ai perdu, bien marri, mes brouillons de calculs, où j’avais autrefois, par malice, ajouté quelques ridicules artifices d’oiseleur.
Des miettes.
Un peu de beurre.
Puis un cœur de poète.
Par une manière de distraction j’ai du laisser la poussière du grenier recouvrir ces pages aux grillages d’écolier.
Maman aime l’ordre et la propreté dans sa propriété.
Maman… Qui veille sur les mœurs.
Les rumeurs de la rue.
Et sur le temps qui passe.
L’école de jadis a laissé place nette aux folles d’aujourd’hui dont les silences, drapés d’indifférence, sécrètent un désert de paroles qui s’envole, éphémère, à travers les grilles, et brille jusqu’aux nues.
De leur chœur en latin, ainsi qu’une douce complainte, me parvient le matin une quinte mineure.
Comme douleur étreinte.
Le chant de mon oiseau
Qui
Chaque jour que fait le Malin
Un peu plus s’éteint
Un peu plus se dilue.
Le chant de mon oiseau qui devient un murmure
Et
Comme une âme s’évade de son mauvais augure
Une armure de sa prison
Glisse et bade entre les murs
Se meurt
Et grandit en mon cœur
Ainsi qu’un bonheur parfait
Une félicité.
LE FESTIN
Ce soir là, dans mon assiette, trônait une bête rôtie, dont on avait ôté la tête.
Je glissai vite ma serviette dans mon col, comme il était de mise, afin de ne pas tâcher ma chemise.
Je salivai, malgré le licol.
Empoignai ma fourchette.
Mon couteau.
Croquai l’oiseau.
Même les os.
Me léchai les babines.
Sans un bruit, dans mon dos
Petite et rabougrie dans son tablier de cuisine
Maman fait des mines ravies et attend que je la félicite.
Re: Mon oiseau
Le texte a eu tendance à m'agacer, mais en même temps je ne pouvais l'abandonner, j'y revenais, picorais de-ci de-là un morceau, jusqu'à percevoir la cohérence de l'ensemble. En ce sens il a quelque chose d'assez envoûtant. J'aime beaucoup le chapitre de conclusion, "LE FESTIN", qui boucle parfaitement la boucle.
Avant, le style est trop affecté à mon goût (c'est cela qui m'a agacée), notamment avec ces inversions poétiques qui ont tendance à arrêter la lecture et la répétition obsessionnelle de "Mon oiseau"... Mais en même temps je me dis que c'est cela qui donne son cachet au texte, son équilibre, et le rend attachant, au sens propre : j'ai du mal à le quitter. Il fait partie de ces textes que je lis presque malgré moi, qui possèdent quelque chose de fort.
Une remarque : "Mes taches de rousseur", sans accent circonflexe sur le "a". Une tâche est quelque chose à faire, une tache une souillure, une trace sur un support.
Avant, le style est trop affecté à mon goût (c'est cela qui m'a agacée), notamment avec ces inversions poétiques qui ont tendance à arrêter la lecture et la répétition obsessionnelle de "Mon oiseau"... Mais en même temps je me dis que c'est cela qui donne son cachet au texte, son équilibre, et le rend attachant, au sens propre : j'ai du mal à le quitter. Il fait partie de ces textes que je lis presque malgré moi, qui possèdent quelque chose de fort.
Une remarque : "Mes taches de rousseur", sans accent circonflexe sur le "a". Une tâche est quelque chose à faire, une tache une souillure, une trace sur un support.
Invité- Invité
Re: Mon oiseau
Plus on avance dans la lecture (si on le fait dans l'ordre, ce qui n'a pas été mon cas la première fois, je croyais qu'il s'agissait de textes indépendants les uns des autres.) plus on s'enfonce dans une ambiance étouffante dont on se doute bien qu'elle recèle quelque chose d'inattendu.
Ce qui est le cas. On n'est pas déçu ! Le début m'a paru long et assez maniéré ("mon oiseau" et une partie de "mes devoirs"), le reste, moins obstinément recherché, est plus efficace. Au bout du compte, et en grande partie grâce à la fin, j'ai beaucoup aimé.
Ce qui est le cas. On n'est pas déçu ! Le début m'a paru long et assez maniéré ("mon oiseau" et une partie de "mes devoirs"), le reste, moins obstinément recherché, est plus efficace. Au bout du compte, et en grande partie grâce à la fin, j'ai beaucoup aimé.
Invité- Invité
Re: Mon oiseau
lol47 = > Je ne vois pas en quoi c'est très mieux et pourquoi tu te demandes si c'est la même personne qui écrit, car "mon oiseau" et "élise" sont exactement de la même facture et écrit avec le même soucis de forme (prose poétique mâtiné de surréalisme, avec une chute cruelle/insouciante).
Merci à Easter et socque pour vos appréciations généreuses et vos critiques.
J'avais envie de mettre en préambule à ce texte un truc comme "conseils aux mères abusives pour rendre leur fils schizophrène" mais je me suis dit que cette touche d'ironie n'était pas de très bon goût.
Pour le chapeauflexe sur taches, socque, merci de ta remarque, il n'avait pas lieu d'être.
nine
Merci à Easter et socque pour vos appréciations généreuses et vos critiques.
J'avais envie de mettre en préambule à ce texte un truc comme "conseils aux mères abusives pour rendre leur fils schizophrène" mais je me suis dit que cette touche d'ironie n'était pas de très bon goût.
Pour le chapeauflexe sur taches, socque, merci de ta remarque, il n'avait pas lieu d'être.
nine
Re: Mon oiseau
nine a écrit:lol47 = > Je ne vois pas en quoi c'est très mieux et pourquoi tu te demandes si c'est la même personne qui écrit, car "mon oiseau" et "élise" sont exactement de la même facture et écrit avec le même soucis de forme (prose poétique mâtiné de surréalisme, avec une chute cruelle/insouciante).
nine
Parce que je le trouve mieux mené, plus intéressant. Il y a des choses à creuser mais je n'ai pas...de pelle.
Discours progressiste de la méthode, coeur, enfant et en fuite...C'est idiot mais certaines difficultés à approfondir, alors j'élague, Freud, troisième porte à gauche au fond du couloir.
- Merci M'dame !
Re: Mon oiseau
Ce n'est pas l'ironie qui serait de mauvais goût, mais le fait de dire au lecteur, en préambule, ce qu'il devrait comprendre d'un texte. :-)Imagination et surprise, rien de tel !nine a écrit:J'avais envie de mettre en préambule à ce texte un truc comme "conseils aux mères abusives pour rendre leur fils schizophrène" mais je me suis dit que cette touche d'ironie n'était pas de très bon goût.
Il y a de bonnes choses dans ce texte, des idées intéressantes qui sont malheureusement noyées par moments sous des intentions rhétoriques qui tuent, à mes yeux, l'histoire. En partie parce que cela finit par distraire du propos mais aussi parce que ça sonne précieux sans être pour autant élégant ou stylé. Il y a peut-être élagage à faire pour faire ressortir toute l'ironie de l'intention, cet aspect grinçant qu'on distingue ci ou là sans qu'il puisse pour autant sortir la tête de l'eau.
Vers la fin, j'ai eu le sentiment que tu allais davantage vers cela, cela m'a paru meilleur.
De manière générale, l'idée maîtresse me plaît et je pense qu'elle vaut la peine d'être retravaillée.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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