IL FAISAIT CHAUD : " Lost in transmutation "

Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que ça allait être une journée très longue... Pas seulement parce que sur Aaksreuzz, les jours durent trente-six heures, pas seulement parce que dans le ciel mauve qui dégueulait sur la terre brune, il y avait deux soleils. Deux soleils qui cuisaient les dunes, sous deux incidences, en conséquence de quoi, il n'y avait pas l'ombre d'une ombre. Je transpirais comme un lagnouf bien gras rôti à la broche, et je devais pas sentir meilleur. Planète pourrie...

Au bout de deux heures, quand j'ai laissé tomber la clé à molette, j'avais de la sueur et du camboui jusque derrière les oreilles, j'ai abandonné définitivement l'idée de réparer ce transmutateur turbosynapsique de merde. Autant rezinguer un anullotron avec une épingle à nourrice. Ca signifiait qu'on en avait au moins pour un bon mois avant que la prochaine équipe vienne nous récupérer.

J'ai laissé tomber la clé à molette et je me suis retourné vers Ludo, qui n'avait pas bougé depuis le début ; il était assis sur son caillou, le regard baissé derrière sa casquette.

- C'est rapé. J'abandonne !
- Ah...
- J'ai tout essayé, on y arrivera pas. Même la radio est HS. On a plus qu'à attendre les secours.
- Ah ...
- On en a pour au moins un mois. Un mois à rester ici. Minimum.
- Ah.

J'étais pas exigeant, j'avais pas rêvé d'un petit prince qui me dessine un mouton, une Sylkrianade à poil, ou qui me file un manuel de réparation du transmutateur turbosynapsique, mais un mois avec ce mec à la répartie monosyllabique, je soupçonnais que ça allait être long, très long.

- A moins qu'on voit un vaisseau-robot croiser dans les parages. Mais là faut pas rêver. Va falloir s'y faire mon vieux.
- ...
Là, Ludo avait juste levé les épaules, et comme je trouvais idiot de continuer à monologuer avec lui, j'avais jeté un coup d'oeil circulaire aux mornes dunes. Aaksreuzz était bien la planète habitée la plus naze de la constellation du zèbre, et en conséquence, de la galaxie. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on nous y avait envoyé, encore une mission intersidérale de seconde zone, mais fallait bien vivre... Il s'agissait de remettre un message amical aux Trulps, et de ramener un peu de Zyrkonium, qui coûtait pas bézef, mais ça amortissait le voyage.

Les Trulps étaient vraiment les trucs vivants les plus répugnants que je connaisse : d'apparence, entre la marmelade et la vomissure, et je dis rien de l'odeur. Sans compter qu'ils passaient leur temps à bouffer -salement- des choses ignobles, genre ragoûgnasse de chenilles violettes fluos. A bouffer, et à baiser, oui, baiser sans cesse, n'importe qui, n'importe où, n'importe quand, devant tout le monde, et ce spectacle, il n'y a pas de mots pour le décrire...

Ludo était un bleu, et on s'était partagé les tâches intelligemment : j'avais rempli mes poches de Zyrkonium, il n'y avait qu'à se baisser pour en ramasser, et lui était allé remettre le message aux Trulps, un cahier codé en vulapok intergalactique, dont on ne savait pas bien s'ils le comprenaient ou pas, mais après tout ça coûtait rien. Je me suis dit que j'avais un mois à passer avec ce mec, alors j'ai engagé à nouveau la conversation :

- Bon et alors le message ? Ca c'est bien passé ?
- Bien, oui...
- Et ils ont dit quoi ?
- Ben ... Rien ...

Je l'ai regardé et à ce moment j'ai eu une bouffée de chaleur, j'ai entendu le faible ploc qu'avait fait la goutte de sueur en tombant de mon menton, presqu'étonné qu'elle ne se soit pas évaporée durant la chute. Ludo avait enfin relevé son visage, et il me regardait avec des yeux teintés d'une étrange lueur rose clair. Jai pensé que c'était dû sans doute à la luminosité si particulière... Qu'il me regarde enfin, ça m'a paru encourageant, alors j'ai repris :

- Tu vas pas me croire, mais tout à l'heure, j'ai croisé une Sylkrianade, qui était tombée en carafe avec son "spatial cruisader" ! La nymphomane, elle se faisait bronzer à poil sur le capot !
- Ah ouais ?

Ludo était vraiment con, c'était bien le dernier endroit où les top-modèles de l'espace iraient se balader.

- Mais non, je déconne Ludo, je déconne... C'est bien le dernier endroit ... Elles sont bandantes quand même tu trouves pas, les Sylkrianades ?
- Mouais...
- Comment ça mouais ? Toi, t'aimerais pas t'en taper une, un jour ?
- Mouais ...
- Comment ça, t'aimerais pas ?
- Non...
- Putain, t'es vraiment le premier mec qui me dit ça ! Ca alors ... Eh, elles sont quand même mieux que les Trulpiennes, non ?
- Pas sûr ...

J'ai ravalé ma salive. Et il s'est mis à parler, trois fois, trois fois je lui ai fait répéter. Il n'avait jamais vécu un truc pareil auparavant, il m'a dit.. Un truc de malade... Ca lui avait plu, tellement qu'il était revenu au transmutateur, et c'est lui qui l'avait bouzillé, comme ça, juste pour pouvoir rester un mois de plus. Et quand on est venus nous rechercher, il a pas voulu revenir, il est resté là-bas.

Il s'en passe des histoires dans le cosmos, c'est fou, non ?... Pendant que je racontais, vous n'avez pas décroché votre regard du mien... Oui ?... Vous avez deviné pourquoi vous me trouviez, dans les yeux, cette étrange lueur rose pâle ?...

Sans doute la chaleur, la vraie, qui t’a inspiré. Pareil pour moi, j’aurais jamais pu écrire ce genre de texte avec du 10° tout autour ! ;-)
En général je raffole pas de la SF parce que les auteurs ont une fâcheuse tendance à inventer des mots par brouettes entières, et il faut en lire 100 pages avant de se familiariser.
Toi tu n’as pas abusé, j’ai bien suivi…
Les 3 mots contraintes sont « transparents », Le dialogue est concis. ;-)
Et l’idée est mignonne.
L’intérêt premier de ton texte, à mon avis, est dans le style, ton style, que je retrouve avec plaisir, ainsi que ton humour.
Bel effort Loup !

Une belle écriture qui pose en douceur une atmosphère dans laquelle on arrive facilement à s’immerger malgré la dimension SF du texte.
Par contre je suis un peu déçue par la fin ; le dénouement à rebondissement avec clin d’œil final au lecteur me semble superflu et presque en rupture avec le reste.

Ah de la science-fiction j'adore ça! j'aime beaucoup ton texte je le trouve bien frais héhé c'est sympa les noms tirés par les cheveux des constellations, planètes etc . Parodie réussie, je dirais.

Dire que pendant que tu écrivais, je me tapais une épisode de Star Trek next ou new (sais jamais ;-)) génération avec Mimi !
Ca doit être la canicule qui fait se rencontrer les esprits !
Originale sous ta plume cette histoire.
J'ai parfois un peu décroché à cause des termes scientifiques en me demandant s'ils étaient vrais ou inventés !
Par contre, j'ai retrouvé ta plume et le ton désabusé que tu peux parfois avoir dans les dialogues entre nos deux compères intergalactiques et là me sentais plus à l'aise. J'aime bien quand tu écris comme ça, Loup. La chute m'y attendais un peu mais belle image que ces yeux roses ;-)

Merci pour les commentaires :-)
Me suis permis de faire deux petites corrections (des répétitions).
Sinon, pour Zou, et pour que vous vous cassiez pas la tête, les mots pseudo-scientifiques sont complètement inventés (sauf clé à molette) et j'ai aucune idée de ce qu'ils signifient :-)

De la SF allégée, c'est pas plus mal et en plus y a beaucoup d'humour. Suis un peu mitigée sur la fin, les dernières lignes, elles n'apportent rien au texte je trouve, mais ce n'est que mon avis.
Sinon, j'aime bien cette résignation que tu arrives à partager (celle de ton narrateur, of course!) et puis on ressent bien aussi la chaleur et la torpeur. Un texte agréable!

Un petit plaisir qui ressemble vaguement à de la SF. J'entends par là que dans le fond, y'a pas grand chose qui s'apparente à ce genre qui, normalement, m'emmerde. Mais pas ici. De l'humour, un vocabulaire délirant... j'ai trébuché sur chacun des mots inventés, inévitablement chaque fois, parfois plusieurs fois même. Et je me dis à la fin que tout ça est une bien charmante parodie quoique la fin me laisse un peu "blehhh", si tu vois ce que je veux dire.

j'ai eu un peu peur au début, je me suis dit qu'en te lançant dans un domaine où l'on ne l'attendais pas, tu risquais le fiasco, la blague qui tombe à plat, le bide sidéral et puis non, même pas ... encore réussi !

au final, tu réussi bien à marier la SF et l'humour, ce qui est rare et pas facile.

réservé également sur les dernières lignes, d'ailleurs pas sûr de les avoir interprétée correctement.

Me suis aussi posée des questions sur l'interprétation de la dernière ligne...
J'aime beaucoup la SF mais là tu joues carrément sur la parodie, sortant de l'atmosphère SF mais dans un style très réussi. J'aime beaucoup l'humour que tu distilles dans ce texte.

alphonse boudard rencontre philip k dick
un plaisir le loup, encore un

Très sympa ce texte, bien écrit, original, imagé, et comme d'habitude beaucoup d'humour dont on ne se lasse pas ! Un très bon moment de lecture !

J'aime bien aussi la référence au petit prince, je l'attendais depuis le début du dialogue, ça aurait été bête que tu passes à côté !

Comme on se dirige comme des manches, il se trouve que ce texte est le premier qu'on ait lu sur le site. Le Web en ce moment ressemble assez à votre planète fantôme... Eh oh!!!... Y'a quelqu'un!?... On en va pas jouer les juges alors qu'on arrive tout juste, aussi nous contenterons-nous de dire que ce type de SF parodique fonctionne beaucoup mieux dans le format choisi, bien ramassé, que lorsque cela s'étire en longueur à la façon du Guide galactique de Douglas Adams (un roman dont le début au moins est hilarant). Lu les autres commentaires. La fin n'est pas si mal. Le côté "exercice de style" rendrait sans doute difficile une fin moins appuyée.
Ou est-ce qu'on peut trouver les textes les plus récents?

Bienvenue les mutants !
Et merci pour la critique !
Vous pouvez critiquer comme vous l'entendez, et bien sûr poster si vous en avez envie :-)
Les textes les plus récents sont ceux qui apparaissent en haut du forum !

Mutants Anachroniques a écrit:Ou est-ce qu'on peut trouver les textes les plus récents?

Salut les Mutants chroniques ! ;-)
Les plus récents ne sont pas forcément les meilleurs, en tout cas vous trouverez toute la production de VE ici :

http://rollotomasi.free.fr/VE_cat/

Nous aurons grand plaisir à vous lire et à insérer ici vos textes, surtout s'ils sont écrits dans le style des écrits de votre site. J'aime bien.
Bienvenue ici par ces temps de vacances (au sens propre) et de belle chaleur !

Jusqu'à présent nous avons lu "Rosemary's Baby", par Giny, et, plus ancien, "Lili", par Kristelle.

Comment doit-on s'y prendre pour poster quelque chose? Probable que cela se passe différemment selon qu'il s'agit d'un "exercice" ou d'un sujet dont on prend l'initiative...
Nous ne reculons pas devant les questions idiotes, vu que sur notre propre site (l'originalité du graphisme ne constituant pas toujours un avantage) nous avons pu nous rendre compte que les visiteurs demandaient des précisions qu'il ne nous avait pas paru nécessaire de fournir à l'origine (à savoir que pour passer d'une page à l'autre d'un même texte, il faut utiliser les flèches dessinées en bas à droite sur le fond bleu, etc.)

Arrêtons-nous là, c'est plus prudent, la précédente version du présent message (plus longue mais probablement moins embrouillée) ayant disparu tout à l'heure, corps et biens, dans les limbes d'une "page introuvable"...
Comme quoi l'Internet n'est décidément pas une science exacte!

Sachant que Loup aime tester tous les genres (on attend encore l'érotique ;o)), je ne suis qu'à moitié surprise par cet essai SF qui me semble dépasser le genre en mêlant le tragi-comique à la sauce Star Wars. J'ai beaucoup souri, me demandant où j'étais tombée, mais, même si ce texte est écrit avec toute l'intelligence qui t'es propre, je pense que la planète Terre est celle qui te convient le mieux. ;o)