Derrière Walter

Hier je marchais dans les traces de Walter, celles qui le menèrent de Banyuls-sur-mer à Port-Bou, cette route de souffrance qu'elle dut être pour lui, l'intellectuel allemand en mal de souffle.

Font del Bana, le morbide de la pancarte accompagne l'histoire; mais les maigres filets d'eau qui sortent de la source aujourd'hui de cuivre n'offrent qu'un piètre spectacle. Il fut ici, tiraillé par les premières ascensions dans les vignes, au large de la tour de Pagès, mais rien n'y fait, le manque d'eau nous empêche presque de croire à l'histoire. Donnez-nous du surprenant, il n'y a que ça ; et c'est triste.

Plus haut, le col de Rumpissa, énormissime, avec ces flancs transfrontaliers. D'un côté l'Espagne, de l'autre la France. Lui qui fut conçut pour faire souffrir, Walter, la Retirada, toutes ces personnes jouant leurs vies où moi, clopin-clopant, je marque une ombre de pas dans celle des morts pour la vie. Je suis privilégié. Comme un nanti, comme dans un safari. C'est affreux la sensation d'être un privilégié. Du coup, je ne pense qu'à marcher, qu'à oublier la ronce qui me lamine la plante du pied. En finir et au plus vite.

En redescendant vers Port-Bou, il semblerait que le chemin épouse la falaise même si elle ne le veut pas. Une sorte de code secret pour que la piste arrive clandestine jusqu'au bout ; comme les maîtres d'hôtels qui ferment les yeux sur les plus roublards qu'eux.

Mais il est temps de reprendre le train et de rentrer à la vie bienfaisante qui nous donne chaque jour une bonne raison de vivre, tandis que lui l'eut de mourir.

Bonjour Philomate,

j'ai beaucoup aimé ce texte qui m'a fait découvrir Walter Benjamin et votre blog par la même occasion !
Je me suis toutefois demandé ce que

comme les maîtres d'hôtels qui ferment les yeux sur les plus roublards qu'eux.

venait faire ici, je n'en ai pas saisi le sens mais n'ai peut-être pas toutes les références...

J'aime ce passage en particuliers :

où moi, clopin-clopant, je marque une ombre de pas dans celle des morts pour la vie

Je ne connais strictement rien de Walter Benjamin, pourtant j'ai aimé cette description sensible et pensive.
Bravo pour la phrase : "Il fut ici, tiraillé par les premières ascensions dans les vignes, au large de la tour de Pagès, mais rien n'y fait, le manque d'eau nous empêche presque de croire à l'histoire." (A mon sens, cela dit, il serait préférable soit de mettre "ici" en incise entre deux virgules, soit d'ôter celle située après "ici" ; le fait de n'avoir qu'une espèce de "demi-incise", je trouve, déséquilibre l'ensemble.)

Remarque :
"Lui qui fut conçu (et non "conçut") pour faire souffrir"

Une existence et une fin étrange. Personnage énigmatique.
Bel hommage, sudiste !

Et avais-je oublié de rajouter que cette route est belle, ces paysages magnifiques, cette tentation d'y vivre pour y mourir un jour, cette route qui part de Collioure, vous emmène à Banuyls jusqu'à Cerbère puis Port-bou.

Un bout de chemin bien bref pour être apprécié à sa juste mesure.
Une autre étape peut-être ?

J'avais lu ton texte sans le commenter quand il a été publié. Cet après-midi, j'ai retrouvé le nom de Walter Benjamin dans un article consacré à la conversion des Hopices Civils de Lyon, ça m'a fait bêtement plaisir.

Pourtant très présente, la description géographique ne me paraît pas fonctionner car elle est trop survolée. De ci de là quelques détails, des éléments posés pour planter le décor mais pas suffisamment pour réellement créer celui-ci. Je passe donc à côté, tout en prenant note des bons éléments présents dans le texte. Celui-ci mériterait d'être approfondi, d'avoir une autre consistance et plus d'ampleur. Suggestion perso, bien sûr.
Et puis Walter benjamin, c'est vrai, rien que ça... pas si mal en fait :-)