FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
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FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Les arachides de l’ennui
« Qu’est-ce que t’en dis ? », il demande. Je réponds rien parce que j’en dis rien, que j’y entrave que dalle, que j’y comprends goutte à son histoire. Et pour cause : je l’ai même pas écoutée son histoire. Si tant est, bien sûr, qu’il y avait une histoire dans la flopées de phrases qu’il m’assenait. Je vous l’ai dit, j’écoutais pas, ce qui fait que j’étais pas à quantité de mots près, même s’il me les déversait dans l’oreille avec l’obstination d’un boxeur au combat. Penché sur moi qu’il était, quasi à touche-touche alors que j’avais la tête ailleurs, alors que ses doigts plongeaient, remuaient, malaxaient inlassablement la pile de cacahuètes qui, jusque-là, reposaient sainement nichées dans un bol sur le zinc.
Maintenant bien sûr, j’ai plus très faim.
Il a des pognes comme des enclumes qui seraient restées dans le hangar de l’oubli. Pile le genre de hangar qui dégouline d’un passé industriel révolu, qui dégouline de graisse et de cambouis.
M’est avis qu’il est garagiste.
De son métier je m’en tape, mais il insiste :
— Qu’ est-ce que t’en pense ? il répète.
J‘en pense que question apéro, j’aurais mieux fait de choisir un autre bistrot. J’en pense que ce soir c’est pas le soir où, tranquille, mélancolique, je pourrais penser à ma petite Susy et à toutes ces choses qui font qu’elle me manque.
Question romance, je suis à la ramasse.
Il est pas garagiste, non, avant il était savant de haut niveau, me confie-t-il.
— Ah, tu bossais au quinzième étage ?
— Non en Irak. Maintenant je veille la nuit dans les assurances.
Faut croire qu’en Irak y a pas de garage au quinzième étage.
Je m’étends pas davantage là-dessus que sur son zézaiement qui fait que je loupe une explication sur deux :
Il se nomme Chasi Goura.
« Enchanté. » je dis, sans le penser.
— Ze me nomme Chasi Goura, il redit, mais tout le monde m’appelle Louis quatorze.
— Z’est zoli Louis quatorsse.
Il hésite, demande :
— On ne dit pas Louis quatorze ?
— Zi, mais laize tomber, je réponds.
Il laisse tomber et se concentre tout entier, soudain morose, au brassage des cacahuètes.
Il a le nez, les doigts dedans.
Évidemment j’aurais du me méfier. De Suzy je veux dire. Une fille qui prenant son pied hurle : Toooots, toots, t’ain t’es trop toi, tooooots, toots, t’ain !.
On aurait dit Dizzy Gillespie revisitant I'm Sitting On Top Of This World façon Montreux 1980
Tooots totoooo too too tooots…
Si ce n’est que contrairement à Dizzy, Suzy n’était pas noire.
En tous cas beaucoup moins que moi ce soir.
Toooots
« Qu’est-ce que t’en dis ? ».
Il insiste.
— Que l’amour c’est un peu comme la trompette, c’est une question de souffle et de hanche bien taillée. Jusque-là ça va, mais pour ce qui est de l’harmonie, mieux vaut la mettre en sourdine, je lui fais.
Le garagiste de haut niveau acquiesce, délaisse son bol de cacahuètes, s’essuie les doigts dans le tissu de sa chemise et précise la mine passablement agacée :
— L’amour c’est l'immaculée souillure !
Sauf qu’il dit « zouilloure »
Je tente de le calmer. Je tente un :
— Tu disais quoi au fait ?
Il se détend, commande de deux doigts levés une tournée qui presto se pointe sur pied et tenue ballonnée rouge vive.
Il soulève son verre.
Respire son vin.
Trempe ses lèvres qui, pulpeuses, qui baigneuses, s’attardent un peu côté vieux Rhône.
S’éternise ainsi dans un silence d’un quart de seconde pour trois quarts d’éternité.
Boit une gorgée.
Fait claquer sa langue.
S’essuie la bouche d’un revers de manche.
Repose son verre avant d’ajouter :
— Qu’à trop z’occuper des autres on se désoccupe de zoi.
Exactement ce que répétait Suzy à longueur de journée.
Zézaiement en moins, me dis-je.
Quand Susy était encore là…
Maintenant bien sûr, j’ai plus très faim.
Il a des pognes comme des enclumes qui seraient restées dans le hangar de l’oubli. Pile le genre de hangar qui dégouline d’un passé industriel révolu, qui dégouline de graisse et de cambouis.
M’est avis qu’il est garagiste.
De son métier je m’en tape, mais il insiste :
— Qu’ est-ce que t’en pense ? il répète.
J‘en pense que question apéro, j’aurais mieux fait de choisir un autre bistrot. J’en pense que ce soir c’est pas le soir où, tranquille, mélancolique, je pourrais penser à ma petite Susy et à toutes ces choses qui font qu’elle me manque.
Question romance, je suis à la ramasse.
Il est pas garagiste, non, avant il était savant de haut niveau, me confie-t-il.
— Ah, tu bossais au quinzième étage ?
— Non en Irak. Maintenant je veille la nuit dans les assurances.
Faut croire qu’en Irak y a pas de garage au quinzième étage.
Je m’étends pas davantage là-dessus que sur son zézaiement qui fait que je loupe une explication sur deux :
Il se nomme Chasi Goura.
« Enchanté. » je dis, sans le penser.
— Ze me nomme Chasi Goura, il redit, mais tout le monde m’appelle Louis quatorze.
— Z’est zoli Louis quatorsse.
Il hésite, demande :
— On ne dit pas Louis quatorze ?
— Zi, mais laize tomber, je réponds.
Il laisse tomber et se concentre tout entier, soudain morose, au brassage des cacahuètes.
Il a le nez, les doigts dedans.
Évidemment j’aurais du me méfier. De Suzy je veux dire. Une fille qui prenant son pied hurle : Toooots, toots, t’ain t’es trop toi, tooooots, toots, t’ain !.
On aurait dit Dizzy Gillespie revisitant I'm Sitting On Top Of This World façon Montreux 1980
Tooots totoooo too too tooots…
Si ce n’est que contrairement à Dizzy, Suzy n’était pas noire.
En tous cas beaucoup moins que moi ce soir.
Toooots
« Qu’est-ce que t’en dis ? ».
Il insiste.
— Que l’amour c’est un peu comme la trompette, c’est une question de souffle et de hanche bien taillée. Jusque-là ça va, mais pour ce qui est de l’harmonie, mieux vaut la mettre en sourdine, je lui fais.
Le garagiste de haut niveau acquiesce, délaisse son bol de cacahuètes, s’essuie les doigts dans le tissu de sa chemise et précise la mine passablement agacée :
— L’amour c’est l'immaculée souillure !
Sauf qu’il dit « zouilloure »
Je tente de le calmer. Je tente un :
— Tu disais quoi au fait ?
Il se détend, commande de deux doigts levés une tournée qui presto se pointe sur pied et tenue ballonnée rouge vive.
Il soulève son verre.
Respire son vin.
Trempe ses lèvres qui, pulpeuses, qui baigneuses, s’attardent un peu côté vieux Rhône.
S’éternise ainsi dans un silence d’un quart de seconde pour trois quarts d’éternité.
Boit une gorgée.
Fait claquer sa langue.
S’essuie la bouche d’un revers de manche.
Repose son verre avant d’ajouter :
— Qu’à trop z’occuper des autres on se désoccupe de zoi.
Exactement ce que répétait Suzy à longueur de journée.
Zézaiement en moins, me dis-je.
Quand Susy était encore là…
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 60
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Tu as ramené tout l'exercice dans ton univers, et pourquoi pas. L'ensemble est drôle, doux-amer, du métier, mais je trouve l'argument franchement mince ; pour tout dire, je m'en fous, du vague à l'âme du narrateur. J'ai eu l'impression d'un texte écrit comme machinalement, avec habileté mais sans que tu y mettes vraiment du tien...
Quelques remarques :
"dans la flopée (et non "flopées") de phrases"
— Qu’ est-ce que t’en penses"
"ma petite Susy (c'est Suzy ou Susy ? tu fais se côtoyer les deux)"
"j’aurais dû me méfier"
Quelques remarques :
"dans la flopée (et non "flopées") de phrases"
— Qu’ est-ce que t’en penses"
"ma petite Susy (c'est Suzy ou Susy ? tu fais se côtoyer les deux)"
"j’aurais dû me méfier"
Invité- Invité
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Habile, et comment ! Un vrai feu d'artifice.
Au point que finalement dans le cas présent le fond m'importe peu, je ne veux que me régaler de l'écriture.
Trempe ses lèvres qui, pulpeuses, qui baigneuses, s’attardent un peu côté vieux Rhône.
quel culot !
Au point que finalement dans le cas présent le fond m'importe peu, je ne veux que me régaler de l'écriture.
Trempe ses lèvres qui, pulpeuses, qui baigneuses, s’attardent un peu côté vieux Rhône.
quel culot !
Invité- Invité
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Assez doué il faut l'avouer pour nous faire ressentir l'ennui et la mélancolie de cette scène de comptoir.
Éluder les contraintes au point de faire cumuler le rôle de Louis XIV et de Chasi au même bonhomme, (Easter a déjà parlé des baigneuses du vieux rhône) gonflé!
Mais que dire...ça marche!
Éluder les contraintes au point de faire cumuler le rôle de Louis XIV et de Chasi au même bonhomme, (Easter a déjà parlé des baigneuses du vieux rhône) gonflé!
Mais que dire...ça marche!
Roz-gingembre- Nombre de messages : 1044
Age : 62
Date d'inscription : 14/11/2008
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
arrête les tontons flingueurs ou tu vas finir par nous réécrire "un zinc en hiver"
toujours aussi savoureux, mon gars.
Même si à force de pirouettes, ça devient un peu le cirque
toujours aussi savoureux, mon gars.
Même si à force de pirouettes, ça devient un peu le cirque
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Un texte goûteux, comme tu sais faire, mon ami
Je dirais que ce texte, c’est carrément une parodie de toi-même.
Même si j’ai un bonheur fou à te retrouver toujours pareil.
Je dirais que ce texte, c’est carrément une parodie de toi-même.
Même si j’ai un bonheur fou à te retrouver toujours pareil.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
C'est amusant de voir comme chacun a su mettre sa touche pour dépasser le côté contraintes et c'est bien là le point fort de ces exercices.
Contente de retrouver l'univers de Yali dans ce texte !
Contente de retrouver l'univers de Yali dans ce texte !
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Des zakouskis comme ça on peut en faire tout un plat !
Invité- Invité
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
C'est toi, ouaip.
Parodie, selon Pili.
Plutôt caricature, je dirais - mais je chipote.
Tu m'emmènes et j'aime ça.
J'ai rien d'autre à demander.
Si : que tu arrêtes de traîner dans les bars.
Parodie, selon Pili.
Plutôt caricature, je dirais - mais je chipote.
Tu m'emmènes et j'aime ça.
J'ai rien d'autre à demander.
Si : que tu arrêtes de traîner dans les bars.
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Quelques perles rigolotes m'amusent Il a le nez, les doigts dedans.
Question contraintes, j'ai oublié tant j'aime le détachement ainsi rapporté.
Question contraintes, j'ai oublié tant j'aime le détachement ainsi rapporté.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
J'ai particulièrement apprécié l'échange avec Chasi Goura dans la première moitié du texte, un vrai régal !
Un peu moins séduite par Susy et la trompette, moins léger, mais dans l'ensemble, le tout est de belle facture. Je n'ai guère fait attention aux contraintes, d'abord parce que je m'en fiche un peu des contraintes, ensuite parce que je sais que tu aimes en jouer. J'ai trouvé que tout allait de soi et coulait avec fluidité. Vraiment chouette !
Un peu moins séduite par Susy et la trompette, moins léger, mais dans l'ensemble, le tout est de belle facture. Je n'ai guère fait attention aux contraintes, d'abord parce que je m'en fiche un peu des contraintes, ensuite parce que je sais que tu aimes en jouer. J'ai trouvé que tout allait de soi et coulait avec fluidité. Vraiment chouette !
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Chouette mais on reste un peu sur sa faim, malgré les cacahuètes ou à cause d'elles, si peu apéritives.
Dialogues bien rendus, saupoudrés de pensées drôles, le tout une ambiance de bar un peu glauque où on ravale son ennui, où on échange des brèves de comptoir, histoire de croire qu'on entre en communication avec un autre égaré...qui lui est ailleurs en errance sur sa planète .
Mais on a l'impression d'un préambule, et puis rien.
Contraintes bien utilisées, et puis de belles expressions, imagées: " les pognes comme des enclumes qui seraient restées dans le hangar de l'oubli" par exemple.
Dialogues bien rendus, saupoudrés de pensées drôles, le tout une ambiance de bar un peu glauque où on ravale son ennui, où on échange des brèves de comptoir, histoire de croire qu'on entre en communication avec un autre égaré...qui lui est ailleurs en errance sur sa planète .
Mais on a l'impression d'un préambule, et puis rien.
Contraintes bien utilisées, et puis de belles expressions, imagées: " les pognes comme des enclumes qui seraient restées dans le hangar de l'oubli" par exemple.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
J'ai beaucoup aimé l'ambiance et le ton du récit. On en sort ivre tellement l'ivresse est bien décrite.
J'ai bien apprécié aussi comment tu as intégré les contraintes, sans presque y toucher. Les contraintes, je les aime quand elle ne sont pas contraignantes, juste une vitamine pour l'imagination.
Alors : « Trempe ses lèvres qui, pulpeuses, qui baigneuses, s’attardent un peu côté vieux Rhône. » c'est du grand art !
J'ai bien apprécié aussi comment tu as intégré les contraintes, sans presque y toucher. Les contraintes, je les aime quand elle ne sont pas contraignantes, juste une vitamine pour l'imagination.
Alors : « Trempe ses lèvres qui, pulpeuses, qui baigneuses, s’attardent un peu côté vieux Rhône. » c'est du grand art !
Re: FIGURES DE STYLE : Les arachides de l'ennui
Ah ben voilà qu'il titube maintenant... !Gév a écrit:On en sort ivre tellement l'ivresse est bien décrite.
;-)
Pardon, Yali, de ce message intempestif, surtout que je n'ai pas encore commenté ton texte... (mais je le fais bientôt !) C'est juste que Gév vient de sortir de son bureau après sa lecture, la démarche mal assurée...
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