La gueule de bois

 Paralysé, prostré dans mon souvenir, je n'acceptais plus de bouger. Les bouteilles défilaient devant mes yeux et je ne lisais déjà plus les étiquettes. Je ne me battais plus, mon cœur refusait le combat. Ce n'était pas un morceau de glace, ni même une pierre, non c'était un trou rouge de sang dans lequel étaient aspirés les sentiments. Tout à l'intérieur. Ne rien laisser transparaître. La mer de la tranquillité, un nom trompeur pour cacher un désert de poussière.

 C'est qu'on ne m'avait pas dit que la vie était à double tranchant, que pour chaque joie il y avait une peine. Si j'avais su, je me serais abstenu, je n'aurais pas profité de tout ce bonheur, de cette enfance idyllique. Non, non, j'aurais plutôt essayé d'égaliser les choses, un petit bonheur par ci, une déception par là. Mais voilà, j'ignorais tout cela et plutôt que de boire la vie à petites gorgées, je me suis empli le ventre jusqu'à plus soif, jusqu'à l'indigestion.

 Niant l'évidence, j'ai voulu tout garder en moi, et tandis que ce vomi d'émotions me rongeait l'estomac, je luttais de toute mes forces pour ne pas céder. Un combat déloyal duquel on ne sort jamais vainqueur. L'équilibre des choses doit être respecté, et pour boire à nouveau je devais dégueuler.

 Il y a les courageux qui se mettent les doigts au fond de la gorge dès les premiers symptômes, et il y a les peureux, qui attendent, qui attendent et espèrent que demain ça ira mieux. Non, ça ne va pas mieux, et même après plusieurs années la douleur dans le ventre est toujours là, le corps parle pour l'âme et la détruit peu à peu. Un jour, il faut que ça sorte.

Et à ce moment là, bien sûr, je me suis juré "plus jamais ça".
C'était oublier que l'eau plate n'a pas le pétillant du champagne.