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Départs (Texte de Féeclo et Sahkti)

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Message  Sahkti Lun 25 Sep 2006 - 12:22

Je poste ici un texte écrit sous le pseudo KtiClo sur CL en juin 2005, un quatre mains entre Féeclo et moi. Histoire de voir, avec le recul, avec le chemin parcouru, les méandres empruntés, comment Féeclo le perçoit aujourd'hui. Et moi idem.

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Les armoires sont grandes ouvertes. Leur contenu étalé un peu partout, dans la chambre, sur le lit, en dessous, sur la table de la salle à manger, dans le salon. Partout. Des vêtements, de la vaisselle, des papiers, des souvenirs, des tas de souvenirs. Oui, ça forme comme des petits tas un peu partout.

La première chose que j'ai vue en arrivant, c'était un tas. En fait, beaucoup de tas. Minuscules puis de plus en plus grands. Des monticules de sable. Des îles. Toutes petites. Bancs de sable perdus au milieu d'une vaste piscine turquoise. Zones désertiques que j'ai trouvées jolies. Un peu effrayant aussi. Etre perdue sur un tas de sable, seule, au milieu de nulle part. Etait-ce cela la liberté?

Je m’arrête tout le temps, je m’arrête trop souvent. Ça n’avance pas. Je m’installe inconfortablement devant un tas, je prends un objet, je le tourne dans tous les sens. Il me rappelle tant de souvenirs. Je n’aurais pas cru être aussi attachée à quelques objets, à du matériel. Il faut que je trie, choisir ce que je range dans tel carton, ce dont je me débarrasse, c’est l’occasion et ce que je garde, ce que j’emmène avec moi. Pas grand-chose. Rien ne sert de m’alourdir.

Le prix du voyage, c'est aussi celui de s'affranchir des souvenirs et des objets qui nous retiennent prisonniers. J'avais glissé des livres dans un sac. Pas mal de vêtements également. Tout cela pesait si lourd. Comme si le poids de ma souffrance ne pouvait être dissocié de celui de mes bagages. J'avais emporté avec moi les tumultes d'une vie que je prétendais pourtant abandonner. Je clamais posséder le pouvoir de me défaire de tout cela une fois le premier pied posé. Arriver rimait avec liberté.

D’habitude je n’ai aucun problème pour ranger. C’est même un plaisir de classer les choses ou de préparer une valise pour partir en vacances. Mais cette fois je ne pars pas en vacances, je pars… vivre. Ailleurs. Loin. Pas si loin tout de même, mais plus loin que d’habitude. J’en ai vécu des déménagements : faire des caisses, défaire des caisses, monter des meubles, refaire des caisses, démonter des meubles. J’aime ça. Bouger, quitter un endroit, y laisser un peu de moi, discrètement, pour les suivants. Et arriver ailleurs, me réapproprier un lieu, m’y sentir bien. Ici je me sentais vraiment bien : les levers de soleil, les chants des oiseaux.

Mon premier achat fut un plan. J'en avais pourtant glissé un dans la valise, il me semblait désormais factice. Etrange impression qu'en imprimant l'image d'un lieu dans sa tête, on en devient le complice d'une manière ou d'une autre. Posséder l'endroit de cette manière me rendait ivre de plaisir. De pouvoir aussi. La puissance de la liberté.

Mais j’ai décidé de partir. De prendre la route, de poursuivre le chemin. Ce fut une décision difficile à prendre parce que je dois quitter mes amis, ma famille et ma sécurité. Tirer un trait sur ce que je connais pour plonger dans l’inconnu. Une seule certitude que j’emmènerai toujours avec moi, c’est moi-même. Ma confiance en moi. Je connais ma force, mes points faibles aussi. Je sais mes cafards et ce qui m’illumine. Ce qui me fait vibrer. Et c’est pour ça que je pars, parce que là-bas ça va vibrer très fort.

Personne ne m'attendait. Personne ne savait que j'arrivais. Là-bas, je n'avais aucune attache, je venais pour poser des jalons en pleine terre vierge de tout passé. L'atmosphère qui m'accueillit sentait le savon, celui qui lave les regrets et donne aux yeux qui piquent l'alibi des larmes. Je voulais que ma solitude ressemble à la liberté.

Alors pourquoi est-ce que je n’arrive pas à avancer dans ce rangement, à mettre des objets dans des cartons, à me débarrasser du superficiel, à jeter les vieilleries ? Pourquoi est-ce que je garde ce galet ramassé sur une plage de Bretagne ? Et cette boite de dragée d’un récent baptême? Et toutes ces photos? Tous ces paysages photographiés lors de mes balades solitaires ? Non, ça j’emmène. Elles sont trop belles, je ne m’en lasse pas. Et ces lettres, ces courriers échangés. Je garde ou je ne garde pas? Je les mets dans un grenier, sous scellé pour que personne ne puisse lise nos confidences? Et si je prenais le temps de les relire, pour m’en imprégner avant de partir? Rien que d’y penser j’ai envie de pleurer. Je sais ce qu’elles contiennent, et ce qui va en ressurgir d’actes manqués, de mots non dits, d’absents pas encore oubliés. Non il ne faut pas que je les emporte avec moi, ça va me donner le cafard. Si je les lis là-bas dans un moment de solitude insupportable, je serai trop triste. Triste d’avoir quitté mes amis.

Très vite, je suis tombée amoureuse d'un étrange petit bonhomme en pierre brute, je le glisse dans ma poche comme bon me semble et je lui parle. Ses yeux sont drôles, grands et ronds, comme si il cherchait à capturer chaque image qui s'offre à lui. Je ne lui ai pas donné de nom. Pourquoi emprisonner ce que l'on aime par un vocable choisi par nous et qui ne témoigne qu'une forme d'appartenance à autrui. Il est là, c'est tout, ça me suffit. La douceur de la matière et l'apaisement qu'il fait naître en moi m'informent que je suis arrivée. C'est un caillou qui m'offre la liberté.

Parfois je me demande pourquoi je quitte ces personnes qui m’aiment? Parfois je me demande ce qu’ils vont faire sans moi, si je vais leur manquer. Ils ont l’air d’avoir mal de me voir partir. Pourtant ils veulent que je sois heureuse. Mais comment leur dire que je les aime, que je pars et que c’est ça mon bonheur? Comment leur dire que ça ne sert à rien de me promettre de venir me voir. Parce qu’ils n’auront pas le temps. Ils n’ont déjà pas assez de temps maintenant à me consacrer. Ils courent tout le temps, ils sont trop occupés, pris par un tas d’évènement, où trouveraient-ils au moins une semaine pour aller jusqu’à mon nouveau chez moi ? Je n’ai pas envie de leurs promesses parce que je sais qu’ils ne pourront pas les tenir. Puis il y a ceux qui se persuadent que je reviendrai très bientôt, que je ne pars pas si longtemps, et pas loin. Je ne parviens pas à leur faire comprendre que je ne veux pas faire le trajet retour avant un an. Un an, c’est peu et beaucoup à la fois. Il y a tant de vie dans douze mois.

Les premières semaines furent somptueuses. Mon regard errait de découverte en émerveillement. La correspondance expédiée ressemblait à une pièce de théâtre lyrique dans laquelle le paradis existait réellement et m'avait été confié. Mon bonheur était-il feint? Le silence était ma seule raison d'être. Pourquoi fallait-il que je demande à ces peurs qui surgissaient au creux de moi de se taire et de jouer du violon, musique légère qui apaisait mes maux et m'assurait que le bonheur ne pouvait être que cela, ce que l'on nomme liberté.

Je prépare un départ et ne veux pas penser au retour. Je vais vivre là-bas. Il me faudra du temps pour m’adapter, apprivoiser les nouveaux lieux. Il faudra aussi du temps pour que je me trouve, que je me retrouve sans eux, que je parvienne à exister sans mes repères et habitudes. Et que je crée de nouveaux liens, parce que ce départ implique de couper mes liens actuels. Non, pas les couper, les rendre différent. Il y a des liens qui ne se déferont jamais. Des amitiés plus fortes que la distance ou l’absence. D’autres par contre, pas des personnes que j’aime moins pourtant, s’éloigneront à tout jamais. Mais ce n’est pas triste. Le plus important c’est tout ce que nous avons déjà vécu. Ce que nous avons partagé nous appartient à tout jamais, qu’importe l’avenir. Même si on ne se revoit pas.

Le sang de la terre coule désormais dans mes veines. Je ne me considère pourtant pas comme assimilée, intégrée, formatée, acclimatée… Je me tiens à l'écart de toute âme humaine, c'est le sol que j'ai épousé, pas ceux qui le foulent. Ma vie se déroule au gré des levers du soleil. Mon premier regard est pour l'eau, cet océan qui me ressemble et vacille sous le poids de la colère lorsque trop de larmes le font déborder. Mes yeux se perdent dans ces tons clairs, ma voix n'existe plus. Suis-je toujours vivante? Disparaître est ma plus grande liberté.

Comment leur dire que je pars pour suivre mon chemin personnel? Et que je suis arrivée à ce choix grâce à ce qu’ils m’ont apportés. Comment leur dire mon bonheur? Comment leur dire que c’est ça la vie: partir, changer d’air, s’éloigner. Et parfois revenir. Même si ce n’est pas sûr que je vais revenir. Si, sans doute pour régler quelques détails ou pour récupérer les caisses oubliées dans un grenier. Mais qu’est-ce qu’elles représenteront une fois que j’aurai amassé d’autres objets dans un autre endroit?

J'ai glissé dans un carton un livre, trois photos, un peu de terre, un prospectus et un morceau de tissu. Quelques objets. Une nouvelle vie que déjà j'emprisonne dans mes émotions. Je la fais mienne, elle m'a choisie. Le ciel azur est, ici, suffisant pour remplir les cœurs et les armoires. Pas de bibelots ou de souvenirs bien rangés. Aucune attache. Il me faut m'en convaincre. A tout prix, je conserverai cette liberté.

L’éventuel retour n’a pas d’importance. Ou peut-être que ça en a. Mais je ne peux pas leur dire. Je leur dirai que je reviendrai dans un an, que l’on se reverra comme si rien n’avait changé, que leurs promesses sont belles, que je les accueillerai tous, tous ceux qui viendront me voir au soleil. Que j’attendrai le facteur pour recevoir de leurs nouvelles. Même si je sais, au fond, que ce n’est pas vrai, qu’ils ne prendront pas le train jusqu’à moi, qu’ils se lasseront vite de m’écrire. Et nos relations vont s’effilocher. Ma famille va s’agrandir sans moi. Mes amis vont faire la fête sans moi. Ils vont aimer d’autres personnes, et être aimé aussi. Et moi à qui vais-je offrir mon amour ? A des inconnus ! Oui, à des gens qui aujourd’hui sont des inconnus et qui, demain feront partie de ma vie. Je ne sais pas qui je vais rencontrer demain, mais je me réjouis déjà de les découvrir. Mais qui va effacer les petits nuages gris dans ma tête avant que je n’aie de nouveaux amis ? Et mes amis, ils vont aimer, souffrir, pleurer, rire... sans moi ?

Ma terre d'accueil est maintenant derrière moi. Je la regarde s'éloigner. Le rouge du sol se mêle au vert des arbres. Et puis ce bleu qui emporte tout sur son passage. Lumineux, éblouissant. C'est sans doute son reflet qui fait briller mon regard devenu humide. Je ne laisse rien. A part mon nom dans un registre. Quelques mouchoirs dans une corbeille. Et mon âme ancrée dans ce sol que j'ai exploré pas à pas. Pas de bras pour me retenir ou de sourire pour m'accompagner. Seule je suis. Libre. Je me sens bien. Grisée par ce corps qui se déchire pour laisser sur place une partie de lui-même. Tissant ce fil qui aujourd'hui encore retient captive ce qui m'a été offert de plus beau, la liberté.

Des larmes coulent sur mes joues. Ce sont les larmes d’un bonheur sans limite et d’une infinie tristesse. Ambiguïté de la vie. Des sentiments mélangés qui partent dans tous les sens. Comme ces objets autour de moi. Ces petits morceaux de vie, ces monceaux de rien. Juste la partie visible de ce que je vis. L’invisible est tellement plus fort. C’est ce qui me pousse vers l’avant, ce qui m’aide à partir. A laisser ceux que j’aime. Pour qu’ils en aiment d’autre, et qu’ils m’oublient un peu, beaucoup, passionnément, lentement, distraitement.

Là-bas personne ne pense à moi et moi je pense à tous ceux que je n'ai pas connus. Je ne les regrette pas. Je sais qu'ils sont là. Eux et puis d'autres, que je ne connaîtrai pas non plus. Cela me rend sereine. L'idée que là, ailleurs, des visages ne demandent qu'à être découverts. Par d'autres que moi. La vie ne s'arrête pas. Elle nous emmène avec elle au gré de ses envies. Se laisser bercer par les flots du destin, emporter avec soi les plus beaux rêves qui soient… cela ressemble-t-il, même un peu, à la liberté?

Aujourd’hui, au milieu de ces objets épars, il faut que je pleure. Que mes larmes soient solitaires parce que je n’ai pas envie de leur dire que je suis triste, que j’ai mal aussi et surtout que j’ai peur, que j’ai la frousse, la trouille. J’ai envie de leur offrir ma joie profonde et forte et surtout ma confiance. L’avenir plein de belles expériences, de nouvelles rencontres, et même de solitude enrichissante. C’est ça que j’ai envie de leur dire, que je les aime et qu’il faut que je parte. Que je ne les oublierai pas même si je ne les revois jamais. Qu’il faut que je parte seule, que j’emmène mes trois valises, mes deux cartons de souvenirs, que je remplisse le coffre de ma voiture. Un dernier coup de klaxon comme adieu ou à la revoyure.
J’ai envie de leur dire de m’oublier un peu, de ne garder que l’essentiel et de vivre. En toute circonstance de choisir la vie.

E la nave va…
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Message  Charles Lun 25 Sep 2006 - 12:23

Pffiouu, tu m'as fichu la trouille ! un moment donné, j'ai cru que toi et Fééclo avaient décidé de ne plus venir nous voir, de partir sans internet dans une ferme au fin fond du larzac ! ouf, c'est pas ça ;-)
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Message  Sahkti Lun 25 Sep 2006 - 12:28

pfff :-)))
En fait, je ne voulais pas créer un pseudo juste pour cet envoi, donc j'ai mis les deux noms. Peut-être pour éviter toute confusion, le modo pourrait-il ajouter "texte de" avant les deux pseudos? Si c'est utile bien sûr...
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Message  Jonjon Lun 25 Sep 2006 - 14:14

Moi aussi j'ai cru que vous partiez!!!! :-S
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Message  FéeClo Lun 25 Sep 2006 - 19:22

Merci d'avoir fait remonter ce texte! Je l'ai relu déjà plusieurs fois cette année! Et quelle année... oui je suis partie, j'ai abandonné un boulot dit "stable", j'ai vidé un appartement, j'ai emmené le minimum pour aller au fin fond du Luberon. j'y ai vécu comme jamais. La vie, la vie.. rien que de la vie à l'état pur.
Une année est passée.. et, comme je le pressentais, je n'ai pas repris la route vers le Nord. Je ne suis pas retournée au plus près de la famille et des amis. Le chemin que j'avais commencé m'a emmenée dans une autre région de France (oui encore des déménagements). je m'y installe un peu plus confortablement mais je tente surtout de ne pas perdre l'essentiel de ce que j'ai acquis durant cette année: la Confiance. Une confiance infinie en la vie.. qui semble être pure folie pour certains. Qu'importe, au moins un homme croit en ce qui m'anime :o)

De ce texte je ne changerais rien.. et je garderais surtout la dernière phrase:
"J’ai envie de leur dire de m’oublier un peu, de ne garder que l’essentiel et de vivre. En toute circonstance de choisir la vie."

J'avoue que je suis un peu émue à la relecture sur le site de ce texte. merci encore à toi Sahkti!
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Message  Krystelle Ven 29 Sep 2006 - 7:39

J'avais déjà commenté ce texte en son temps et je l'ai relu avec le même intérêt parce que je sais que ces lignes vous touchent de près.
Les mots sont parfois maladroits, se répètent par moments, trébuchent de temps à autre, et pourtant ces regards croisés portent en eux quelque chose de vraiment émouvant.

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