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Valse hésitation

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Rebecca
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outretemps
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Message  outretemps Sam 19 Déc 2009 - 10:09

Dès le petit matin du « Grand » Dimanche, les arrivants sont nombreux au point qu’on déborde. Avant même la grand-messe on sait plus comment les empiler pour qu’ils soient au plus près d’où ils se voudraient être. Le village par vagues submerge en visiteurs jusqu’aux porcheries. Tramways et bus par tombereaux nous déversent de tous horizons, extatiques, patriotes, partisans, touristes ou simple curieux. Mon vieux à lui seul a rameuté sa dizaine de poteaux de beuverie d’avant guerre, chasseurs alpins du temps de son militaire et autres infanteries de connaissance. L’Antoine et sa Laurette cochonne, nous sont arrivés de la ville, accompagnés du jésuite survivant du lion. Il nous passe, ce forban, en récolte, à chaque crochet de chez son pote le pape.
Son espoir :
Faire coup double et gratter tante Yvonne ou son Grand Charles de quelques biftons, comme il fait avec nous.
Angèle, et ses trainées de bidons, eau de Lourdes remplies, Louis et sa grosse, partouzeurs de la « haute », tous ont répondu présent… Des points cardinaux au chœur de l’église, les maisons sont pleines à craquer!
Toutes, sauf celle de Tonton !

Car Tonton en sa tanière, pour l’instant se débat en grand soucis. Depuis la veille au soir il ne quitte plus son petit fourneau. Pas qu’il frissonne ou grelotte plus qu’à l’habitude, du tout, du tout. Sapé dimanche, comme il est, tige au bec et jusqu’aux moustaches lustré, il ne risque pas !
Non, ce qui l’y retient, c’est son récipient à piquette, sa « consolante », comme il l’appelle et qui marine derrière le tuyau. Il sait qu’il ne devrait pas trop, mais quand le vice est là ...

Pas plus tard que Noel dernier, on l’avait vu se tordre, plié en quatre de douleur en pleine graille. On a eut vite fait de comprendre qu’il valait mieux pas trop le bousculer de sa gamelle :

-Tu ne crois pas, Ernest qu’à force de t’envoyer ton blanc mariné à l’alu, ton estomac puisse finir tripes troué, corrodé de l’intérieur ? … enfin… regarde donc ta casserole comme elle est noire ! C’est pas bon quand même de boire autant de métal !... Je vois bien comment ça se passe avec les tambours de mes machines et les bains acides… c’est tout pareil !
- Dis-toi bien, nom de Dieu, Justin, que je suis pas un tambour de tes machines, je suis un Français, t’entends !... Un Français qui depuis que Gaulois l’a bue et vue bue comme ça la piquette! A donc, je continuera !... Y a que ça, nom de Dieu, je le sens bien à me réussir pour de bon. Alors, s’il te plait, n’insiste-pas ! Il me faut du tiède pour que ça passe ! Je suis un sensible !

Un sensible, Tonton, c’est à tordre d’entendre:
A voir les malaises d’inhalations que nous ont causés des années durant, les fumets s’échappant de sa gamelle, personne n’eut osé émettre le doute. Ma vieille avant chaque visite se tape en systématique et préventif, ses deux « Coramine-glucose » en gargarismes d’eau bénite. Quand on sait qu’à l’ordinaire, deux comprimés avalés à sec lui suffisent à neutraliser mes propres toxicités, cela donne idée du point où le délétère de ces vapeurs l’insupporte !

-Mais à part ça, Ernest, tu ne bois rien d’autre ?
-Ah ! nom de Dieu non ! Ca et le kéfir de la mine, c’est tout. Pas d’entorse, jamais d’entorse, Justin !

Pour l’instant, en sa cuisine, ficelé dans la plus grande indécision, l’Ernest reste planté sur place. De temps en temps il chope la gamelle et s’envoie un coup de panacée. A chaque fois, qu’il s’en dégringole une lampée, l’énorme fanion tricolore qu’il s’est fiché dans sa boutonnière, lui accroche le menton :

-Ah, nom de Dieu de nom de Dieu !

Ma Louise qui, à l’instant même, descend de sa nuit, pénètre dans la cuisine, robe de chambre bleue, toute de sommeil ébouriffée :

-Mais tu es déjà debout ? Je ne t’ai pas même entendu te lever !
-Pas étonnant, nom de Dieu…j’m’a pas couché!...
-Pas couché et te voila tout habillé en Dimanche ?... qu’est-ce qui t’arrive ?
-J’m’ai revêtu hier soir, quand t’étais endormie !... depuis j’a plus bougé.
-Quoi, t’es resté tout ce temps dans la cuisine ainsi emplumé?
-Ben ouais, là, comme tu me vois !

Par moments Tonton dépose sur le coin de la table son tuyau à fumette le temps de plonger sa pogne au fond de sa fouille, toujours la même. Il y frotte longuement on ne sait quoi au travers l’étoffe, puis reprend en catastrophe son mégot ou revient à son breuvage :

-Ah nom de Dieu, Louise, je ne sais pas quoi faire…

Le voila une fois de plus en grave moment de décision. Comme lors de l’invasion des Boches. Sauf que là, ma Louise, ne se voyant menacée d’aucun immédiat péril, s’en montre autrement moins implorante :

-Faudrait quand même un jour, Ernest, que tu te mettes à pondre tes œufs sans prendre avis !... Cesse une bonne fois pour toute de te demander mille fois quoi et où faire c’est le mieux!
-Oui mais, Louise, là !... vois-tu, c’est un peu délicat…Jamais encore…
-Avec toi, c’est toujours délicat ! Rien, rien, depuis que mariés, Ernest… jamais je n’ai rien vu qui ne te soit délicat, rien, t’entends ?... Ceci dit, si tu penses indispensable d’avoir à te faire serrer la main pour te sentir un homme, c’est le moment ou jamais d’y aller ! Alors cesse, s’il te plait de te trouer la culotte et cours-z-y vite avant qu’il ne te regrimpe dans son char, l’ « Autre » !

L’ « Autre », comme disait si irrévérencieuse, ma Louise, l’ « Autre », c’était Charles De Gaulle, notre libérateur, pas moins ! Celui-là même qui lui avait tant dégueulassé sa maisonnette.

-Enfin, Louise, l’ « Autre » ! Comment peux-tu parler ainsi de notre Sauveur ? Ce n’était pas, Nom de Dieu Louise, lui en personnel qui nous a envahis !...Et puis, si ses hommes n’avaient pas descendu les Boches, on serait peut-être morts tous deux à l’heure qu’il est. Fallait bien qu’ils fassent le ménage, pour nous venir délivrer !

Le ménage !

Il est comme ça des mots des plus inoffensifs en apparence, qui, usités au mauvais moment font plus grands ravages que pire insulte. On appelle cela des mots malheureux. Que dire alors de ceux qui les prononcent ?

- Ah, mais !... parlons-en du ménage nom d’une Hildepute ! Parlons-en!... Avec les cadavres qu’ils m’ont foutus jusque dans les étages et toutes leurs cochonneries à trainer partout. Et les yeux ! Ces deux yeux au plat que je vois toutes les nuits flotter dans mes rêves et leurs humeurs, là, juste devant la porte…
-M’enfin, Louise, tu peux pas dire…ils ont enlevé et nettoyé propre le plus gros… jusqu’à nuit tombée et plus !
- Encore heureux ! Mais une fois le visible dégagé, qui c’est qu’a passé les jours à racler par derrière, loupe et p’tite cuillère ?... le nettoyage du champ de bataille en ses détails ?... la cervelle qui s’incruste, le lambeau qui suinte, le cheveu qu’adhère, le parquet qu’absorbe, les humeurs qu’ imprègnent… c’est qui qui s’est farci toutes ces cochonneries?
-Mais enfin, Louise !...
-Allons, répond ! c’est qui qui ?
-Louise, je te rappelle que tout cela n’est pas le sujet qui m’occupe pour l’heure et ce que je dois prendre…
-Pour ma part, une fois pour toutes, je répète : pas question de me rendre d’un pouce sur la place !... Tu m’entends ! Ils m’ont tout laissée seule nettoyer eh bien qu’ils s’applaudissent tous seuls aussi ! Non, mais ! Pas même un merci que les voila partis pour d’autres tueries ailleurs … et moi, démerde !... C’est vrai, quand même !… Aucun savoir vivre, ces assassins !
- Assassins !!! C’en est trop Louise, là, nom de Dieu, tu exagères :
- Et Attila alors !...ce n’était-il pas de l’assassinat, peut-être ? Ah, mais pour sûr que t’étais bien jubilant, toi, quand on l’a trouvé tout raide mort, étendu dans sa basse-cour : « Ah ben, comme ça au moins, j’vas enfin pouvoir aller chier tranquille ! » tu m’as dit, tu te rappelles que t’as dit ça ? Ah, la belle épitaphe !

Ma Louise sentait bien qu’elle n’avait pas utilisé, là, le terme qu’il eût fallu pour convenir au plus précis. « Oraison funèbre » aurait autrement sonné mieux. Mais elle avait été éduquée tout comme Ficelle au pur germanique et, en français, ils allaient tous deux toujours au plus simple.

-Tu vas, nom de Dieu, pas me faire croire quand même que tu les aimes, tes dindons, avec les misères qu’ils nous font chaque année à longueur de temps à nous courir dessus ?
-Que veux-tu !... j’y suis…j’y suis attachée !
-Attachée ! T’es surtout attachée, nom de Dieu à les bouffer ! Ah, ça, oui, tu les aime ! C’est plus, nom de Dieu, de l’amour…de la rage, parfaitement, de la rage ! Chaque année, c’est toi qu’en boulottes le plus ! Trois fois tu t’as resservie à Noel dernier !

Mais, ma Louise, à bout d’argument, sans doute, était déjà barrée, pleurer en sa basse-cour. Tonton dans sa cuisine, bouleversé par le brutal abandon, après une ultime lampée de piquette et, nom de Dieu, un dernier coup de drapeau dans l’œil, enfin se décide :

-Bon, puisque c’est comme ça et que tout le monde s’en fout, nom de Dieu, j’y vais ! On verra bien !

Ma pauvre Louise n’avait pas voulu entendre les soucis à Tonton. Si elle avait su, sûr qu’elle l’aurait retenu.
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Message  outretemps Sam 19 Déc 2009 - 10:31

préférable de lire au milieu du texte

Ceci dit, si tu penses indispensable d’avoir à te faire serrer la main pour te sentir un homme, c’est le moment ou jamais d’y aller !
plutôt que comme écrit:

ce qu’est certain, par contre, c’est, si tu penses indispensable d’avoir à te faire serrer la main pour te sentir un homme, le moment ou jamais d’y aller !
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Message  Arielle Sam 19 Déc 2009 - 10:37

Hi, hi ! La valse-hésitation serait-elle inscrite dans tes gènes, Outretemps ?

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http://perso.orange.fr/poesie.herbierdesmots/

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Message  Invité Sam 19 Déc 2009 - 11:00

Alors là, vous me mettez en appétit ! Qu'est-ce qu'il a bien pu imaginer, Tonton Ficelle ? J'ai beaucoup aimé, sauf le passage sur la gamelle que j'ai trouvé un peu confus.

Mes remarques :
« de beuverie d’avant-guerre »
« et ses traînées de bidons »
« Pas plus tard que Noël dernier »
« On a eu (et non « eut ») vite fait de comprendre »
« s’il te plaît »
« Ça et le kéfir de la mine »
« A chaque fois, (pourquoi une virgule ici ?) qu’il s’en dégringole une lampée, l’énorme fanion tricolore qu’il s’est fiché dans sa boutonnière, (pourquoi une virgule ici ?) lui accroche le menton »
« s’il te plaît de te trouer la culotte »
« toutes leurs cochonneries à traîner partout »
« Allons, réponds »
« les voilà partis »
« Mais, (pourquoi une virgule ici ?) ma Louise, à bout d’argument »

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Message  Rebecca Sam 19 Déc 2009 - 11:31

Nom d'une Hildepute ! Ce que j'les aime ces dialogues croustillants !
Un vrai bonheur d'acteur si on en faisait une adaptation théâtrale ou cinématographique !
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Message  Invité Sam 19 Déc 2009 - 13:49

Les détails hilarants (le fanion tricolore, le dindon) et les dialogues truculents, voilà ce que j'adore. A tel point que j'en oublierais le fonds de l'histoire pourtant bien intrigante. Plus vrais que vrais ces personnages de papier. Quelle gourmandise, j'en redemande !

Pour compléter les remarques de socque :

Car Tonton en sa tanière, pour l’instant se débat en grand souci
Alors, s’il te plaît, n’insiste pas ! (sans tiret)
A voir les malaises d’inhalations que nous ont causés des années durant, les fumets s’échappant de sa gamelle, personne n’eût osé émettre le doute.
Pas couché et te voilà tout habillé en Dimanche ?.
Le voilà une fois de plus en grave moment de décision.
Cesse une bonne fois pour toutes
Ah, ça, oui, tu les aimes !
Trois fois tu t’as resservie à Noël dernier !

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Message  Plotine Sam 19 Déc 2009 - 15:56

C'est, pour le moins, truculent.
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Message  outretemps Sam 19 Déc 2009 - 15:56

Merci pour vos critiques et commentaires. je vais de ce pas corriger. Il est vrai, comme vous le relevez, socque, que la gamelle c'est un peu confu.

D'autant que la "consolante" mérite explication. C'était, cette consolante, un verre de vin blanc que les taverniers posaient en rebord de fenêtre, tôt le matin, afin que les ouvriers puissent se donner du courage sans avoir à descendre de vélo. Ils payaient, fin de semaine quand la paye tombait.

Dans le cas que je raconte, c'est pour dire que dès qu'on lui critiquait la casserole dans laquelle il marinait son blanc, Ficelle grimpait les nuages.
Je donne en digression, sa réaction lors du Noël où mon vieux après l'avoir vu se tordre de douleurs, s'était autorisé une mise en garde, rapport à l'alu composant l'ustensile.

Je profite pour dire que ce texte est la quatrième partie de "la visite à De Gaulle" et qu'il en reste deux ou trois à venir.
Encore mille merci(s?) d'avoir aimé.
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Message  demi-lune Sam 19 Déc 2009 - 19:05

ah ! Quand j'ai vu qu'on avait la suite de "la visite à de Gaulle", je me suis dépêchée de lire : je l'attendais !
Toujours aussi sympa, vivant et original. J'aime beaucoup le style. Tout bon !
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Message  Invité Lun 21 Déc 2009 - 9:51

Même si " hésitation", je laisse aller : c'est une valse et ça me fait bien tourner la tête ! Quel plaisir !

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Message  outretemps Lun 21 Déc 2009 - 10:44

Je profite d'être en haut pour remercier demi-lune et lui faire savoir que c'est pas fini encore. Patience! Merci aussi à Coline de mavoir lu et bonnes fêtes à tous. J'espère ne pas me faire modérer ayant envoyé deux textes en trois jours, mais j'avais rien envoyé depuis quinze et si j'ai bien compris, Noël, c'est un truc à part que nous a demandé Plotine. Excellente idée.
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Message  Sahkti Lun 19 Avr 2010 - 19:26

je suis un Français, t’entends !... Un Français qui depuis que Gaulois l’a bue et vue bue comme ça la piquette! A donc, je continuera !
J'aime bien la hargne que l'on devine dans ceci !
Idem avec :
Ah ! nom de Dieu non ! Ca et le kéfir de la mine, c’est tout. Pas d’entorse, jamais d’entorse, Justin !

Il y a des petites trouvailles bien amusantes dans tout ceci, comme : Faudrait quand même un jour, Ernest, que tu te mettes à pondre tes œufs sans prendre avis !...
Ça m'a bien fait sourire.

Que j'ai aimé renouer avec Tonton qui me manquait (ma faute hein, j'aurais dû lire plus tôt...).
Toujours cette gouaille succulente, cette manière de narrer certaines choses par le détail et puis cet humour, cette vivacité... il fait bon te lire Outretemps ! Un vrai régal... allez hop, santé !
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Message  silene82 Mar 20 Avr 2010 - 11:36

Encore mille merci(s?) d'avoir aimé.
Je ne pourrais pas être copain de quelqu'un qui ne jubile pas en te lisant.
Quand je pense que tu ne veux pas être publié, mon s...d, - ça, c'est parce que c'est toi, je n'ai pas l'habitude -, alors que tu as une faconde, un jaillissement, anarchique en plus, une langue - et il m'est revenu que tu saurais t'en servir - fabuleuse, et surtout vraie.
Je ne sais la part respective de délire et de restitution de tes écrits, mais quand tu es bon, tu fais très mal.
Par pitié, fais-moi au moins une copie de tes textes, qu'on puisse te publier à titre posthume, puisque monseigneur ne daigne en cette vie ci.
Personnellement, quand tu m'espantes, ce qui arrive bien souvent, j'envisage de troquer la plume pour la bure. Tu portes un univers en toi, et il m'enchante.
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