Une bien belle journée

Ce matin, je suis très occupée à organiser la circulation dans les allées du jardin.
Les sergents, dans leur habit noir gansé de rouge, empêchent bêtement les fourmis de se rendre au travail ; je suis intervenue en mettant les premiers dans un bocal en verre et en criant très fort : le chemin est libre. J'ai remarqué que les fourmis n'entendent pas bien.

Le ciel est bleu et sent le « vert » des tiges coupées des grands lys que Mademoiselle Alphonsine apporte à la Vierge Marie – qui entre nous soit dit –préfèrerait sûrement du lait ou des gâteaux pour son petit garçon qui est si maigre. Monsieur le Curé a dit que je devais cesser d'embêter les grandes personnes avec de tels propos.
Bien. Maintenant, je ne parle qu'à ceux qui me comprennent.

Un klaxon. La vieille dépanneuse bleue du mécanicien s'arrête devant l'allée du jardin. Angelin le grand chien jaune est au volant, il rigole de toutes ses dents qui sont jaunes elles aussi et il fait des grands signes.
Je vois passer tendrement enlacés le petit drap housse et la grande couette en coton métis, qui tout à l'heure étaient immobiles sur le fil à linge. Arrive en courant la nappe à carreaux rouges et blancs de Séraphine, poursuivie par la panière à pique-nique de Mère. Les serviettes toujours en retard se glissent dans la poche de ma robe à smocks et m'entraînent vers l'auto, en gloussant de plaisir.

Angelin aboie un air entrainant et tout le monde chante dans la vieille auto bleue.
Les arbres sourient sur notre passage et les fleurs nous lancent des baisers parfumés ; les papillons nous font cortège ainsi que les libellules et les grillons violonistes.

Au bord de la rivière, la vieille Séraphine fait briller le parquet ciré en dansant sur ses chaussons de feutre.
Le couvercle de la panière d'osier s'ouvre sur tous ses trésors ….terrine de lapin, fruits multicolores, bonbons interdits, gâteaux couverts de crème rose, jattes de chocolat onctueux, limonade au citron et j'en oublie.
Le petit drap housse et la grande couette fleurie font bande à part et sont allongés sur l'herbe du pré.

L'arrivée du Dr A... assombrit la matinée.
Sur le perron de la maison, Mère annonce que le pique-nique n'aura pas lieu.
Séraphine a fini de faire briller le parquet.

Nine ! Mets une robe propre et décente je te prie, et jette ces horreurs d'insectes.

Un texte coloré comme un kaléidoscope (c'est l'obsession du moment... ).
On se croirait dans le monde de Alice avec ces personnages et objets détournés. C'est vraiment très chouette. Et les quelques lignes de la fin avec le retour brutal à la réalité (et la disparition des couleurs) jouent bien leur rôle d'éteignoir. L'injonction finale sonne le glas de cette belle journée où l'imaginaire prévaut.
Comme le dit Outretemps ailleurs : la fête est finie !

Il y a un tel espoir de printemps, une telle envie de vert dans ce texte, Croisic, que j'en ai ouvert tout grand ma fenêtre et respiré un bon coup l'air du jardin fraîchement retourné par la tempête ... Mince alors ! le petit drap housse et la grande couette fleurie ont sauté la haie et flottent sur la mare du voisin !

Un bien agréable moment dans un imaginaire d'enfant. Magique et cocasse.

Beaucoup de fraîcheur et de très belles choses (le linge et ses "voyages"), du grand air "comme si vous y étiez" : bien vu !

Ah ! Le printemps ! Il tarde tant à venir. Alors, grand merci, Croisic, pour ce texte emprunt de fraîcheur et à l'imagination débridée. J'ai eu le sourire de Gwynplaine pour quelques minutes.

Tu nécris à l'encre fraîche, rêveuse, des phrases où chantent les mots et l'univers de l'enfance. Les yeux scellés, je lis parfois très mal et je passe en silence comme un hôte qui oublie de saluer...

Alice est pourtant avec Peter Pan (le vrai, celui des livres, pas l'autre ! *rire*) mon héroïne depuis tant d'années...

dusha a écrit:Tu nécris à l'encre fraîche

Pfuuttt ! Tu écris à lencre fraîche... ;-)

Je suis sous le charme. Dans ce jardin.
C'est un texte éclatant, Croisic. Merci.

Plutot sympa.

Quelle belle aquarelle, une fenêtre de Dufy, tout y est, la nappe, les lis...c'est vrai qu'une brassée de mimosas, si...
C'est court, ramassé, vif, et la scène vit.
Comme toujours avec toi, dans l'admirable et idyllique moment de douceur sont déjà les germes de son renversement, et d'un tragique - toutes proportions gardées - dénouement.
Ce qui ne fait que renforcer l'intérêt du texte, sabré net au détour d'une ode champêtre.

J'ai rien vu dans ce texte de ce que vous avez vu, mais ça ne m'inquiète pas du tout ! Je me demande même encore de quoi ça parle. Sinon qu'il m'a semblé reconnaître le mécanicien violeur.
Qu'est-ce qu'il disait Silène ? Solidarité laborieuse, voilà c'est ce que je ressens et je me demande bien pourquoi.

Fraîcheur et innocence (toute relative) de l'enfance. Merci

Toujours transportée dans tes souvenirs d'enfance CROISIC, j'aime toujours autant, celui-ci étant particulièrment poétique avec ses touches de couleurs et ses parfums. J'attends donc le suivant.

Croisic, ne lisant que peu je ne t'avais jamais lue, c'est un régal!... de l'autre coté du miroir transporté ! Et en un coup de plume.
Je me revoyais, lors d'une Pâques lointaine, trouvant dans un nid, entouré d'oeufs, mon premier "Tintin". Comment un lièvre peut-il faire? Déjà de l'imaginer faire la poule, c'était tout un problème.
C'est carrément magnifique comme tu animes, mets en scène et jusqu'au brutal réveil.
Quant à la tante "Machin", ignore, sans quoi tu fais son beurre ! Prend d'où ça vient et lis Brétecher, t'auras vite compris.

C'est vif, concis, comme toujours, et en plus c'est frais, avec une pointe d'humour bon enfant, et puis, la petite amertume, à la fin...
Bref, un joli texte, à croquer. Merci, Nine.

Je suis désolée d'insister mais je n'y comprends rien à ce texte. Il s'agit des impressions d'une gamine qui joue dans le jardin, soit. Mais, d'abord, tes "sergents" ne seraient pas des "gendarmes" plutôt ? Je passe sur les réflexions sur la vierge Marie et autres qui valent ce qu'elles valent mais qui ont l'air de ravir les bisounours de ce site. Chacun trouve le bonheur où il peut.
Ensuite, tout le monde part pique-niquer (en voiture) alors pourquoi la mère annonce-t-elle que le pique-nique n'aura pas lieu, du haut du perron ?
J'ai trouvé ! La gamine imaginait un pique-nique mais il était quand bien même bien programmé, non ? Bref, tout cela est passionnant.
Je retiens pourtant le coupde la nappe à carreaux, ça a l'air de palire beaucoup. Le drap-housse n'est-il pas un peu anachronique ?

Désolée que tu sois la seule à ne pas savoir lire, Plotine. Malheureusement, même si je voulais te venir en aide, je ne connais pas de remède à ton handicap.
Maintenant, si tes commentaires sont juste un jeu dans le quel tu puises ton plaisir...

CROISIC a écrit:
L'arrivée du Dr A... assombrit la matinée.
Sur le perron de la maison, Mère annonce que le pique-nique n'aura pas lieu.
Séraphine a fini de faire briller le parquet.
Nine ! Mets une robe propre et décente je te prie, et jette ces horreurs d'insectes.

C'est joli cet enfantin printemps. mais que signifient au juste les trois phrases que j'ai mises en gras ? Je suis un peu inquiet !

Franchement, Narbah, faut-il en permanence tenir la main du lecteur ? Lui mettre tous les points sur tous les i ?
Ce que je trouve admirable dans ce texte, c'est précisément qu'il nous invite à deviner ce qui n'est pas précisément dit mais qui s'y trouve en filigrane.

Tu réussis à nous faire entrer dans l’imaginaire enfantin, Croisic, avec talent.
L’enfant prête vie à toutes choses. Tout vit sur le modèle humain. Tout s’anime sous son regard. Drap housse et couette, nappe à carreaux, panière, ou serviettes : toutes ces choses ont un comportement humain. Elles sont humaines. Les arbres sourient, les fleurs lancent des baisers, flore et faune aussi sont des humains aux formes variées. Les fourmis sont un peu sourdes si elles ne réagissent pas à la voix de l’enfant, elles ne peuvent que comprendre. L’humanité partout, partout la vie et l’humanité. Et partout des couleurs, des couleurs qui ont des odeurs. Des couleurs vives. Une bien belle journée où tout vit, où tout ne peut que vivre en fête. Et puis il y a la réalité qui, brusquement, introduit ce qui ne pouvait pas être dans l’exubérance vitale, introduit l’impensable. La maladie, la mort. Le tragique. Séraphine ne fait plus briller le parquet. Séraphine ne danse plus. Séraphine n’est plus qu’un ange.

Les commentaires ci-dessus attestent de la richesse de ce petit texte écrit "en filigranne". Là est vraiment le talent de l'écrivain : ne pas tout dévoiler crûment, laisser le lecteur libre de sa propre interprétation, tout en en disant assez pour la compréhension de son sujet. Ici, la recette est bien dosée. Un régal. Et oui, CROISIC, je suis venue relire...Merci pour ce plaisir.

Je suis venue aussi relire. Attentivement , comme pour donner plus de poids à un souvenirs de mots aériens. Et ça m'a encore plus enchantée !

J’aime ce texte, ce style
Il est incroyablement difficile d’observer et dire « à la façon de » (en général), de celle d’un enfant (en particulier).
C’est, là, parfaitement rendu.
J’aime l’atmosphère aussi, et m’y plaît.
C’est en lisant ce genre de texte que je pense poésie.

Un deuxième texte chez vous et déjà une "fan"
Je trouve tout ce que j'aime ici
Alors encore Bravo !!!

Croisic, est-ce que tu me prêterais ce texte pour mettre sur mon blog ? Je le trouve tellement chouette et je voudrais bien lui trouver une jolie illustration ( tu n'as pas ça dans tes tiroirs ?)

Ravie d'entrer dans ta "boîte à outils". Je te l'envoie avec quel format ? Sur ton blog ? Ou bien... comme tu veux ! Merci.

Bonsoir,

Pas très fan non plus ... je pourrais ne pas le dire ! ... mais je le dis !

Amicalement,
midnightrambler

Bonjour Midnightrambler,
Nous sommes sur un forum où tout le monde peut s'exprimer dans la cordialité et je suis heureuse de ne pas faire l'unanimité, quelle horreur !
J'ai subi quelques tornades en 2009, lors de mes débuts sur VE... je suis encore debout.
Je n'aime pas non plus tout ce que vous écrivez, donc, tout va bien. Merci pour votre franchise, ce n'est pas toujours mon cas... je lis, je passe et j'oublie.