Une journée stérilisée
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Une journée stérilisée
Première époque : Prière pour un matin chagrin
Adossé plus qu'assis contre un touret de câble, l'homme en bleu attendait la mer.
La marée, d'après ses calculs, arriverait jusqu'à ses pieds chaussés de noir et d'acier bien planqué. L'écume viendrait lécher ses semelles de plastiques tendres et le monde entier ne tarderait pas à en faire autant.
Le touret, lui, n'attendait rien d'autre apparemment, que d'être délesté, par un long mouvement giratoire et néanmoins gracieux de sa cargaison filaire patiemment enroulée quelques temps auparavant dans une câblerie lointaine, inconnue et d'autant plus inutile à la compréhension du récit.
Il était appuyé plus qu'adossé contre un portail gris à deux battants formés d'un châssis tubulaire sur lequel était fixé du grillage à grosses mailles. Deux panneaux d'interdiction de stationner complétaient l'édifice en sus des quatre charnières, fixés sur deux poutres en béton qui encadraient le portail de part et d'autre.
Ni le portail ni les deux poutres ni le touret n'esquissèrent le moindre mouvement lorsque l'homme en bleu s'éloigna, visiblement contrarié par le retard de la marée.
L'homme en bleu disparu de mon champ visuel.
un temps infiniment long sembla passer, et ce fut la seule chose marquante qui se déroula pendant ce laps de temps déjà cité plus haut.
Puis un camion rouge passa.
Puis un auto beige.
Puis cinq minutes.
Au loin un marteau-piqueur jetait ses cris d'amour si particuliers.
Plus près on discernait très distinctement le bourdonnement d'un onduleur.
Plus près encore, le tic tac caractéristique d'une horloge agitant sa trotteuse toutes les secondes.
Venant d'on ne sait ou, des bribes de conversations se posèrent sur mon épaule gauche et me murmurèrent des mots indistincts dans l'oreille. D'autres bruits incongrus me parvenaient. Chasse d'eau se déversant bruyamment, couverts s'entrechoquant, portières qui claquent, sonneries de téléphones.
Dehors, de l'autre coté de la vitre, aussi bien que de l'autre coté de la rue et même sur la chaussée, rien de marquant ne se déroulait.
Des hommes en blancs passèrent.
Des hommes en bleus, d'autres en vert, d'autres encore multicolores traversèrent mon champ de vision sans me blesser.
Un camion se gara doucement devant le portail au deux piliers sans se sourciller des regards furibonds qu'auraient pu lui jeter les deux panneaux d'interdiction de stationner s'ils avaient eu des yeux.
Le camion blanc s'appelait Renault, Trafic de son prénom. Mais avant que l'on puisse faire plus ample connaissance son chauffeur revient, monte à bord, démarre et s'en va brisant net une amitié naissante. Ce qui auraient bien fait rire les deux panneaux d'interdiction de stationner s'ils avaient une bouche au lieu de ces deux barres obliques qui n'obliquaient même pas dans le même sens, ce qui donnait au portail un semblant de regard triste qui aurait très bien cadré avec ses sentiments, s'il avait pu en ressentir.
Le téléphone de mon voisin absent sonnait de temps en temps pour me narguer. Le mien restait désespérément muet. Qu'avais-je bien put lui dire pour le froisser de la sorte et ou trouver un fer à repasser pour rattraper ma bévue ?
La porte du couloir s'entrouvrit soudain sans crier : << Gare ! >> comme quoi il n'y a pas que des désavantages à travailler pour la S.N.C.F.. Ce n'était qu'un visiteur égaré qui passa son chemin sans me voir et s'enfuit vers son destin sans apercevoir le sourire narquois du battant avec lequel j'avais eu des mots la veille.
2em mi-temps : Messe pour une après-midi perdue.
Pendant le sommeil qui remplaça mon déjeuner ce jour la, le portail s'était effacé, ainsi que le touret qui de plus avait disparu, pour laisser entrer dans l'enceinte qu'ils gardaient férocement un tracto-pelle. Le dit engin gisait à présent immobile et impuissant à quelques mètres du portail entrebâillé dans mon sommeil. Je m'étire et en fais autant.
Le touret ne donnant aucun signe de vie, il me fallut bien en déduire que lassé, lui aussi, d'attendre la mer, il avait rejoint l'homme en bleu à la faveur de ma sieste.
Mais soudain dans un vacarme assourdissant le terrible engin assoupi revint à la vie. Il franchit le seuil du portail avec une délicatesse incongrue pour un mastodonte pareil et dans un bruit d'apocalypse infernale digne de la fin du monde et du jugement dernier il s'enfuit vers son destin en crachant des volutes de noires fumées digne d'Armagedon. Et moi je reste là, seul et désœuvré. Le portail d'un coté. Moi de l'autre.
Le soleil imperturbable continuer de briller par son absence, puis par sa présence, puis inversement suivant l'humeur capricieuse d'une légère brise qui promène ses nuages dans l'espace aérien situé à l'exacte verticale de mon orteil gauche mais néanmoins agile.
Une voiture verte passe.
En camion gris verdit.
Un camion beige tombe dans le piège.
Une voiture passe ouverte.
Quatorze heures, cinquante minutes et une poignée de seconde qui enflent d'instant en instant, se transformant en une belle bulle de temps qui éclate bêtement au top.
Un homme en bleu franchit le portail comme s'il avait la mer aux trousses. Mais nulle crinière ne vient masquer mon morne horizon.
Top dit l'horloge, ratatatata taratata ! répond le marteau piqueur, puis se reprend et après réflexion se lance dans un long discours auquel je ne comprends strictement rien.
Top redit l'horloge, bégayant sans le savoir.
Top, top. Sa conversation limitée me lasse aussi vite que celle du marteau-piqueur dans la rue.
Que faire ? Que dire ?
Je suis seul dans cette grande pièce dont le moindre recoin me connaît par cœur.
Les murs me cernent de toutes parts. Le plafond et le sol les épaulent dans leur effort.
Nulle issue hors la mort.
La mer arrive enfin et chevauchant ses vagues, je m'enfuis vers le néant illusoire d'une nuit d'ivresse pleine de capiteuses promesses.
Adossé plus qu'assis contre un touret de câble, l'homme en bleu attendait la mer.
La marée, d'après ses calculs, arriverait jusqu'à ses pieds chaussés de noir et d'acier bien planqué. L'écume viendrait lécher ses semelles de plastiques tendres et le monde entier ne tarderait pas à en faire autant.
Le touret, lui, n'attendait rien d'autre apparemment, que d'être délesté, par un long mouvement giratoire et néanmoins gracieux de sa cargaison filaire patiemment enroulée quelques temps auparavant dans une câblerie lointaine, inconnue et d'autant plus inutile à la compréhension du récit.
Il était appuyé plus qu'adossé contre un portail gris à deux battants formés d'un châssis tubulaire sur lequel était fixé du grillage à grosses mailles. Deux panneaux d'interdiction de stationner complétaient l'édifice en sus des quatre charnières, fixés sur deux poutres en béton qui encadraient le portail de part et d'autre.
Ni le portail ni les deux poutres ni le touret n'esquissèrent le moindre mouvement lorsque l'homme en bleu s'éloigna, visiblement contrarié par le retard de la marée.
L'homme en bleu disparu de mon champ visuel.
un temps infiniment long sembla passer, et ce fut la seule chose marquante qui se déroula pendant ce laps de temps déjà cité plus haut.
Puis un camion rouge passa.
Puis un auto beige.
Puis cinq minutes.
Au loin un marteau-piqueur jetait ses cris d'amour si particuliers.
Plus près on discernait très distinctement le bourdonnement d'un onduleur.
Plus près encore, le tic tac caractéristique d'une horloge agitant sa trotteuse toutes les secondes.
Venant d'on ne sait ou, des bribes de conversations se posèrent sur mon épaule gauche et me murmurèrent des mots indistincts dans l'oreille. D'autres bruits incongrus me parvenaient. Chasse d'eau se déversant bruyamment, couverts s'entrechoquant, portières qui claquent, sonneries de téléphones.
Dehors, de l'autre coté de la vitre, aussi bien que de l'autre coté de la rue et même sur la chaussée, rien de marquant ne se déroulait.
Des hommes en blancs passèrent.
Des hommes en bleus, d'autres en vert, d'autres encore multicolores traversèrent mon champ de vision sans me blesser.
Un camion se gara doucement devant le portail au deux piliers sans se sourciller des regards furibonds qu'auraient pu lui jeter les deux panneaux d'interdiction de stationner s'ils avaient eu des yeux.
Le camion blanc s'appelait Renault, Trafic de son prénom. Mais avant que l'on puisse faire plus ample connaissance son chauffeur revient, monte à bord, démarre et s'en va brisant net une amitié naissante. Ce qui auraient bien fait rire les deux panneaux d'interdiction de stationner s'ils avaient une bouche au lieu de ces deux barres obliques qui n'obliquaient même pas dans le même sens, ce qui donnait au portail un semblant de regard triste qui aurait très bien cadré avec ses sentiments, s'il avait pu en ressentir.
Le téléphone de mon voisin absent sonnait de temps en temps pour me narguer. Le mien restait désespérément muet. Qu'avais-je bien put lui dire pour le froisser de la sorte et ou trouver un fer à repasser pour rattraper ma bévue ?
La porte du couloir s'entrouvrit soudain sans crier : << Gare ! >> comme quoi il n'y a pas que des désavantages à travailler pour la S.N.C.F.. Ce n'était qu'un visiteur égaré qui passa son chemin sans me voir et s'enfuit vers son destin sans apercevoir le sourire narquois du battant avec lequel j'avais eu des mots la veille.
2em mi-temps : Messe pour une après-midi perdue.
Pendant le sommeil qui remplaça mon déjeuner ce jour la, le portail s'était effacé, ainsi que le touret qui de plus avait disparu, pour laisser entrer dans l'enceinte qu'ils gardaient férocement un tracto-pelle. Le dit engin gisait à présent immobile et impuissant à quelques mètres du portail entrebâillé dans mon sommeil. Je m'étire et en fais autant.
Le touret ne donnant aucun signe de vie, il me fallut bien en déduire que lassé, lui aussi, d'attendre la mer, il avait rejoint l'homme en bleu à la faveur de ma sieste.
Mais soudain dans un vacarme assourdissant le terrible engin assoupi revint à la vie. Il franchit le seuil du portail avec une délicatesse incongrue pour un mastodonte pareil et dans un bruit d'apocalypse infernale digne de la fin du monde et du jugement dernier il s'enfuit vers son destin en crachant des volutes de noires fumées digne d'Armagedon. Et moi je reste là, seul et désœuvré. Le portail d'un coté. Moi de l'autre.
Le soleil imperturbable continuer de briller par son absence, puis par sa présence, puis inversement suivant l'humeur capricieuse d'une légère brise qui promène ses nuages dans l'espace aérien situé à l'exacte verticale de mon orteil gauche mais néanmoins agile.
Une voiture verte passe.
En camion gris verdit.
Un camion beige tombe dans le piège.
Une voiture passe ouverte.
Quatorze heures, cinquante minutes et une poignée de seconde qui enflent d'instant en instant, se transformant en une belle bulle de temps qui éclate bêtement au top.
Un homme en bleu franchit le portail comme s'il avait la mer aux trousses. Mais nulle crinière ne vient masquer mon morne horizon.
Top dit l'horloge, ratatatata taratata ! répond le marteau piqueur, puis se reprend et après réflexion se lance dans un long discours auquel je ne comprends strictement rien.
Top redit l'horloge, bégayant sans le savoir.
Top, top. Sa conversation limitée me lasse aussi vite que celle du marteau-piqueur dans la rue.
Que faire ? Que dire ?
Je suis seul dans cette grande pièce dont le moindre recoin me connaît par cœur.
Les murs me cernent de toutes parts. Le plafond et le sol les épaulent dans leur effort.
Nulle issue hors la mort.
La mer arrive enfin et chevauchant ses vagues, je m'enfuis vers le néant illusoire d'une nuit d'ivresse pleine de capiteuses promesses.
Re: Une journée stérilisée
J'aime beaucoup ! Au début, j'ai pensé au texte de Perec, "Tentative d'épuisement d'un lieu", je crois, où il décrit tout ce qu'il voit sur une place parisienne. Ici, c'est plus onirique, le narrateur est davantage impliqué aussi. J'ai adoré l'humour dans la personnification des objets !
Donc le texte me plaît, mais il présente parfois des hésitations entre le passé et le présent, par exemple :
"Mais soudain dans un vacarme assourdissant le terrible engin assoupi revint (passé simple) à la vie. Il franchit le seuil du portail avec une délicatesse incongrue pour un mastodonte pareil et dans un bruit d'apocalypse infernale digne de la fin du monde et du jugement dernier il s'enfuit vers son destin en crachant des volutes de noires fumées digne d'Armagedon. Et moi je reste (présent) là, seul et désœuvré. Le portail d'un coté. Moi de l'autre.
Le soleil imperturbable continuer (continue ? continuait ?) de briller par son absence, puis par sa présence, (...)"
Autre remarque :
"Un camion se gara doucement devant le portail au deux piliers sans se sourciller (avez-vous voulu dire "sans se soucier" ?) des regards furibonds (...)"
Donc le texte me plaît, mais il présente parfois des hésitations entre le passé et le présent, par exemple :
"Mais soudain dans un vacarme assourdissant le terrible engin assoupi revint (passé simple) à la vie. Il franchit le seuil du portail avec une délicatesse incongrue pour un mastodonte pareil et dans un bruit d'apocalypse infernale digne de la fin du monde et du jugement dernier il s'enfuit vers son destin en crachant des volutes de noires fumées digne d'Armagedon. Et moi je reste (présent) là, seul et désœuvré. Le portail d'un coté. Moi de l'autre.
Le soleil imperturbable continuer (continue ? continuait ?) de briller par son absence, puis par sa présence, (...)"
Autre remarque :
"Un camion se gara doucement devant le portail au deux piliers sans se sourciller (avez-vous voulu dire "sans se soucier" ?) des regards furibonds (...)"
Invité- Invité
Re: Une journée stérilisée
ah ces correcteurs automatiques...
le terrible engin revient à la vie
le soleil continue de briller
sans se soucier
de ma maitrise improbable des règles orthographiques...
le terrible engin revient à la vie
le soleil continue de briller
sans se soucier
de ma maitrise improbable des règles orthographiques...
Re: Une journée stérilisée
J'aime beaucoup !
Au début, j'ai craint que le grand nombre de détails ne me lasse mais rapidement, je me suis plongée dedans, ils sont et font le texte.
Ces tableaux prennent vie, j'ai eu l'impression de voir ce lieu, ce personnage, tout cela est bien rendu et ce procédé d'écriture me plaît bien.
Je citerais volontiers plusieurs phrases, mais autant recopier tout le texte ou presque :-)
Ceci par exemple me paraît très fort:
Ni le portail ni les deux poutres ni le touret n'esquissèrent le moindre mouvement lorsque l'homme en bleu s'éloigna, visiblement contrarié par le retard de la marée.
Ha oui, j'ai aimé ! Pas très constructif comme commentaire, mais bon... :-)
Au début, j'ai craint que le grand nombre de détails ne me lasse mais rapidement, je me suis plongée dedans, ils sont et font le texte.
Ces tableaux prennent vie, j'ai eu l'impression de voir ce lieu, ce personnage, tout cela est bien rendu et ce procédé d'écriture me plaît bien.
Je citerais volontiers plusieurs phrases, mais autant recopier tout le texte ou presque :-)
Ceci par exemple me paraît très fort:
Ni le portail ni les deux poutres ni le touret n'esquissèrent le moindre mouvement lorsque l'homme en bleu s'éloigna, visiblement contrarié par le retard de la marée.
Ha oui, j'ai aimé ! Pas très constructif comme commentaire, mais bon... :-)
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Une journée stérilisée
Sans être aussi enthousiaste que socque et Sahkti, je dois dire que j'ai plutôt aimé ce texte étrange, qui dégage une espèce de sérénité, peut-être due au détachement du narrateur, son espèce de fatalité dans l'observation.
C'est un texte qui demande de l'attention, une relecture m'a été nécessaire, surtout pour la 2eme partie.
Il y a des changements de temps inattendus (en fin de 1ère partie je crois) à revoir. Mais je repars avec "le cri d'amour si particulier des marteaux-piqueurs" et "la mer aux trousses", entre autres réjouissances.
C'est un texte qui demande de l'attention, une relecture m'a été nécessaire, surtout pour la 2eme partie.
Il y a des changements de temps inattendus (en fin de 1ère partie je crois) à revoir. Mais je repars avec "le cri d'amour si particulier des marteaux-piqueurs" et "la mer aux trousses", entre autres réjouissances.
Invité- Invité
Re: Une journée stérilisée
Je trouve dans ce texte étrange la même poésie qui me fascine dans les tableaux d'Edward Hopper.
Pour moi, le vide autour de la notion du temps qui passe est le vrai sujet de ce texte. Ce n'est pas rien de le faire ressentir avec une telle intensité !
Pour moi, le vide autour de la notion du temps qui passe est le vrai sujet de ce texte. Ce n'est pas rien de le faire ressentir avec une telle intensité !
Re: Une journée stérilisée
Entre les deux, j'ai aimé et pas aimé. Comment dire ? Il y a une ambiance, quelque chose, mais une phrase, un mot, de temps en temps fait tout retomber.
Et puis, ça sent trop l'écrit, le truc qui va bien qu'on met là pour faire joli.
A retravailler, sans doute.
Et puis, ça sent trop l'écrit, le truc qui va bien qu'on met là pour faire joli.
A retravailler, sans doute.
Re: Une journée stérilisée
lol47 a écrit:
...A retravailler, sans doute.
Hi, hi, amusant comme formule quant on sait que j'ai écris ça un jour ou je me faisais royalement chier au boulot pour cause de grève générale.
Tout seul d'astreinte dans un bâtiment désert avec comme seule distraction, la fenêtre donnant sur la rue.
Re: Une journée stérilisée
slave1802 a écrit:lol47 a écrit:
...A retravailler, sans doute.
Hi, hi, amusant comme formule quant on sait que j'ai écris ça un jour ou je me faisais royalement chier au boulot pour cause de grève générale.
Tout seul d'astreinte dans un bâtiment désert avec comme seule distraction, la fenêtre donnant sur la rue.
T'enflamme pas camarade.
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