TEXTES 1500 : Saison 2 - Dix-sept heures sur la jetée

Là-bas, le vent et les vagues, ne s’arrêtent jamais. Ça met vite un terme aux conversations, à moins de hurler, et encore. C’était juste comme dans Fante : « les brisants cognaient à poings blancs contre le rivage ».
J’ai attrapé Feny par le bras comme si je l’arrachais du sable. Hannah nous attendait, le nez et les mains dans son ciré. Elle m’a regardé : c’était une question et j’ai fait « non » de la tête. Elle a marché devant nous jusqu’au premier café. Le silence me pesait trop :
- Feny, je pars dans huit jours. J’embarque pour Buenos-Aires. Je reviens dans trois mois.
- Super… il a fait, sans conviction.
Je n’arrivais pas à détacher mon regard des seins d’Hannah. Je les trouvais trop visibles, trop ronds, indécents à cette heure.
- Je voulais te demander si tu pouvais t’occuper d’Hannah pendant mon absence…
Hannah, qui plongeait son nez dans son verre de coca.
- Tu peux compter sur moi.
A son regard clair, j’ai vu qu’il n’avait rien compris.
- Je veux pas qu’elle reste seule. Je veux que tu fasses ce que je fais pour elle, jusqu’à mon retour. Tu comprends ?
Hannah a tordu sa bouche dans un pauvre sourire qui m’a fait mal :
- T’inquiète pas Phil. Ça ira.
J’ai pensé aux mains de Feny sur les seins d’Hannah. Il a eu l’air inquiet :
- Hannah ? Ça ne va pas ?
- Je veux juste que tu me remplaces auprès d’elle. S’il te plaît.
J’ai pensé qu’Hannah aurait dû mettre sa robe grise un peu ample, qu’elle était ainsi bien trop désirable.
Aujourd’hui était jour de deuil : celui de l’enfant que je ne pouvais lui donner.

Bonsoir demi-lune,

Un texte étrange ...
Je crois avoir compris les rapports entre les personnages et la situation à laquelle ils vont avoir à faire face ... mais je n'en suis pas si sûr ...
Le format 1500 est très court, trop court pour une situation aussi complexe ...

Caresses et Bise à l'Oeil,
Midnightrambler

La dernière phrase donne la clé. C'est bien amené, une vraie histoire en 1500 signes, chapeau. Le style est un peu "haché" mais peut-être est-ce un clin d'oeil au style de Fante (que je n'ai pas lu) ?

Un texte qui ne se donne pas d'emblée. Par exemple, ce passage assez elliptique m'a dérangée au début mais finalement, je le trouve très adroit, parfaitement parlant :

Hannah nous attendait, le nez et les mains dans son ciré. Elle m’a regardé : c’était une question et j’ai fait « non » de la tête.


Très très chouette l'ensemble. Toute une histoire en quelques lignes.

Bonjour, Demi-lune,

J’ai relu avec plaisir votretexte plusieurs fois pour en saisir l’ampleur et je crois qu’il mériterait deux ou trois phrases supplémentaires. Peut-être au moment où Fery semble ne pas comprendre, mais j’hésite, pour le coup.
Quoi qu’il en soit nous avons toute une histoire qui se tient bien et la complexité des relations affleure avec grâce.
Bravo et merci.

Ça commence à bien faire ces textes intelligents, bien écrits, courts, riches et intéressants. Faut en laisser pour les autres...
Tri zouli vriman. Et bravo. Il m'a carrément foutu un brave coup de blues.

Admirative, sincèrement pour la concision du texte et l'ampleur du sujet.
Touchée aussi par la pudeur sous-jacente.

En plein dans l'âme... En plein dans l'amer! Merci

Il y a l’océan qui empêche de parler, avec son grondement violent, ses coups répétés contre le rivage, sa colère, l’océan état d’âme de Phil qui ne réussit pas à formuler sa demande si particulière. Ses mots s’enlisent dans le sable qui subit silencieusement l’assaut des vagues. Le sable : une grande plage de silence sous le fracas inarticulé des vagues. C’est de là qu’il tire Feny pour qu’advienne la parole. Des mots si difficiles à dire et que l’on ne voudrait pas dire.
Mais Phil ne dit pas tout, n’explicite pas ce qu’il attend : d'un autre, l’enfant qu’il ne peut pas avoir. Il ne peut que, douloureusement, solliciter Feny pour le remplacer provisoirement, le temps d’un voyage, dans les bras d’Hannah. Feny ne comprend pas, parce que la parole manque, parce qu’il y a l’océan, parce qu’il y a cette difficulté à dire, parce que c’est le placer dans une position difficile à occuper, à imaginer, singulière, délicate, ambiguë.
Le format court semble inadapté pour un tel sujet, mais demi-lune, tu réussis pourtant, avec force, à exprimer la difficulté de l’expression d’une parole qui porte un désir, plus d’un désir, les nombreuses ambiguïtés du désir, et plus particulièrement le désir d’une relation entre Feny et Hannah sans désir l’un pour l’autre. Bravo.

Rien à ajouter après ce qu'en a dit Louis.

Pour moi aussi, toute la compléxité du dialogue, tout les non-dits, passent parfaitement dans ce format pourtant si court.

bravo, oui.

Beaucoup de silences somme toute très bruyants, de non-dits visibles qui font mal... tout est palpable et pourtant, pas d'effets superflus pour y arriver, tout est bien amené, notamment cette atmosphère pesante qui existe entre secrets douloureux et connivence dans la souffrance. C'est bien vu, demi-lune, vraiment.

Que de choses suggérées en si peu de mots. Félicitations! Bien sûr ce texte demande une lecture attentive mais tout y est et ce qui pouvait sembler elliptique se justifie par la pudeur.
C'est réussi

Une trés jolie petite musique . Etrange et déconcertant, elliptique. Du charme.

Des fois, pour ne pas dire souvent, faut faire sauter les contraintes pour être à l’aise et pour que le texte s’installe. Manque une poignée de mots ici et là pour que le sujet prenne une dimension réelle.

Quel cadeau ! Un drame se joue avant même que les rôles soient distribués. Bien vu

Ouais ! J'ai adoré. Tout est induit, elliptique, saturé d'angoisse...