Henry ! Je t’amène le chien !

Un véhicule break garé sur le trottoir d'un boulevard. tout à l'arrière de ce véhicule, dans un coin, un petit sac de velours marron. Dans ce sac, une petite urne. Un reliquaire. Et dans ce reliquaire, quelques cendres de feu Henry.
Et tous les jours (ou nuits) sa veuve vient s'asseoir dans ce véhicule, sur ce morceau de trottoir et bavarde ou récrimine avec ce qu'il reste de lui.

Cette fois, elle lui amène le chien. Pour une petite visite. Histoire de lui faire plaisir. Ou pour faire plaisir au chien. Qui sait ? - Mais bon, le temps ayant passé, je trouve tout ça beaucoup moins rigolo qu'à l'origine.



Couché ! Couché ! Quelle tête de mule ce chien !
Coucou, Henry ! Henry ??? C’est moi ! Henry ? Ben… où est passée cette fichue urne ?
Ah, elle est là ! Va savoir comment elle a roulé dans ce coin ? Y’a des jours, j’t’jure, où il vaudrait mieux rester couché !
Voilà, Henry... tu es tout bien droit et stable. J’espère que je ne t’ai pas trop secoué… et que je ne te dérange pas ! Mais je ne fais que passer, vite fait. Je suis avec le chien, alors je ne peux pas rester trop longtemps.
Tu es content de le voir ? C’est vrai que je pourrais te l’amener plus souvent. Je veux dire autrement qu’en passant simplement devant la voiture à chacune de ses promenades, que je pourrais prendre le temps d’une pause, tu vois ?
Hein ? Tu dis ? Mais non ! Pas une pause pipi, pour qui tu me prends ? Une pause pour te rendre visite, et assez longue pour que tu aies le temps de bien le voir !
J’y avais pensé au début, tu sais. Je te jure que c’est vrai , que j’y avais pensé. Mais j’avoue que j’y avais renoncé de crainte de le traumatiser davantage qu’il ne l’était.
Traumatisé par quoi ? Mais enfin, Henry ? Où as-tu la tête ? Traumatisé par ta… euh… par ton départ, pardi !
De la peine ? Ben… Mais oui, bien sûr que cela lui a fait de la peine, tu n’en as pas idée ! Mets‑toi un peu à sa place ! Imagine !
Cette pauvre bête qui avait l’habitude d’avoir toujours quelqu’un avec elle, et qui, du jour au lendemain se retrouve toute seule, c’est un choc, quand même !
Un choc psychologique ! C'est ce que le vétérinaire m'a dit. Que le chien il était en pleine dépression ! Oui, oui, c'est ça : une dépression nerveuse. Presque je l’emmenais consulter un psychiatre !
Mais non, je ne me moque pas de toi ! Tu le sais bien, non ? combien il n’aime pas se retrouver, seul entre quatre murs ! Ce chien n’a jamais supporté la solitude ! Eh bien alors ? Ça t’est tellement difficile d’imaginer ça !
Tiens, toi, à sa place et tel que je te connais, si tu te retrouvais soudainement enfermé dans une maison à longueur de journée, sans pouvoir en sortir par toi‑même, sans plus personne pour s’occuper de toi ou à qui parler, tu en deviendrais raide dingue !
Quoique, en y réfléchissant, c'est aussi ton cas, actuellement. Sauf que ta situation est bien meilleure que la sienne. Même si, connaissant ton égoïsme, je sais que tu soutiendrais mordicus que la tienne est pire.
Pire ! Comment ta condition pourrait-elle être pire que celle de ce pauvre toutou ? Tu ne te rends vraiment compte de rien quand il ne s'agit pas de toi ! Tu devrais penser que le chien, lui, il est vivant. Tu comprends ça : vivant ? Cette pauvre bête, elle, elle est vivante et elle ressent tout ça à vif !
Alors que toi... toi… ben toi, t’es… t’es sous anesthésie générale, voilà !
Ah, ça ! Tu m’énerves à la fin !
Mais bon… il n’empêche… C’était bien pour lui, quand tu étais là ! Au moins, tu lui tenais compagnie !
Tu le vois bien ?
Qui ?
Ben… le chien ! Oh là la ! Tu as vraiment du mal à te réveiller, aujourd’hui… Ou alors, c’est normal… Un cerveau pulvérisé assimile sûrement moins bien que compact…
Et dire que j’ai pensé qu’une petite visite impromptue te ferait plaisir ! Que ça te ferait une petite distraction… Mais bon… J’oublie tout le temps que tu n’as jamais aimé bousculer ta routine… Ce n’est pas maintenant que tu vas changer, pas vrai ?
Allez, va, regarde un peu le chien, comme il est beau ! Et il est tranquille, sagement couché. Il n’a pas l’air perturbé du tout ! Tu crois qu’il « sait » que tu es là ? Qu’il le « sent » ?
Il paraît que les chiens ont l'odorat très développé… enfin, ça dépend surtout de la race et il faut bien admettre que, lui, il n’a rien d’un chien de chasse. Pourtant, au bout de tout ce temps que vous avez passé ensemble, ton odeur, il devrait bien l’avoir assimilée et au point d’être capable de la reconnaître même… Même… euh… comme ça ! Enfin… bon… Tu n’es vraiment pas causant, ce soir !!! Vrai que tu ne l’as jamais été de trop… mais là… ffffffff…
Allez, Henry… dis au revoir au toutou ! Je ne le fais pas monter dans la voiture parce que j’ai peur qu’il te bouscule… Déjà avant, tu ne faisais pas le poids contre lui… alors maintenant… un accident peut si vite arriver !
Un coup de patte malheureux et avec le Mistral qu’il y a aujourd’hui, si tu ne veux pas tâter d’une seconde dispersion, vaut mieux éviter les risques de casse… et puis, j’y pense, je n’ai plus de super glu à la maison…

Allez zou… debout le chien… !!!! On y va !!!!
Ciao, ciao Henry ! À la prochaine et… Noooooon ! Non ! Ne lève pas la patte ! Non !

Mais qu’il est con ce chien quand il s’y met !

Je pense qu'il y a beaucoup trop de points d'exclamation ; d'une manière générale, le texte est écrit sur un mode exclamatif qui me paraît forcé, jusqu'à tuer le comique de la situation. Dommage, l'idée est sympa.

Une remarque : l'urne est dans la voiture, le chien à l'extérieur ("Allez, Henry… dis au revoir au toutou ! Je ne le fais pas monter dans la voiture") ; dans ce cas, le chien ne peut pas trop pisser sur l'urne, comme suggéré par la chute, sauf à arroser au passage sa maîtresse située grosso modo entre l'urne et lui, et les chiens, même très cons, je ne crois pas qu'ils compissent leurs maîmaîtres.

J'apprécie particulièrement la sourdine dépeinte par vos soins, cette monomaniaque attachante qui transpire le " Moi-je". J'aime la deviner suintante du nombril, racontant à la poussière d'où elle vient: Henry a été assassiné, il n'a pas trouvé le courage d'être plus cruel que sa veuve. Cela rend le chien d'autant plus coriace.

Habile ce "monologue" pas chien pour un rond...

Une idée marrante !
Ce qui est intéressant, c'est la façon qu'elle a d'éviter soigneusement la réalité (dans le langage au moins) : ça dépeint un type de personnage d'une façon assez subtile ( on en connait tous de ces gens pour qui le mot est inenvisageable, qu'il s'agisse de mort ou de mœurs)
Mais j'abonde dans le sens de socque : trop exclamatif.

j'aime beaucoup ce monologue à trois qui tient bien la route
ni trop ni trop peu

moi ce qui m'a gêné (mais c'est un bien grand mot), c'est que la voiture soit sur un trottoir de boulevard aussi longtemps sans problème
ça c'est peu réaliste ! ;-)

Tu t'exprimes comme dans tes messages quotidiens ! Avec ton "ffff" légendaire et tes triples points d'exclamation =). Ça fait sourire, mais tu perds en crédibilité je trouve. Peut-être devrais-tu chercher à exprimer par d'autres moyens ce que tu exprimes par cette ponctuation exagérée ? Rythme, formulations, vocabulaire...

En dehors de ça, j'aime bien le concept, cette femme complètement égarée qui tourne à l'absurde. Je pense qu'il y a moyen d'approfondir ce personnage dans un texte plus long, même si je ne suis pas sûr que ce soit ton ambition. Une lecture sympathique =)

Elle est émouvante cette femme qui ne réussit pas à faire le deuil de son mari, mais tu traites le sujet, Réginelle, sur le mode humoristique, ce qui met à distance la compassion pour cette femme inconsolable d’avoir perdu l’homme qu’elle aimait.
Elle a instauré un rituel, par lequel elle retrouve son mari chaque jour, moments privilégiés dans lesquels elle peut reprendre contact, lui parler, tenir la conversation. C’est une automobile qui est le lieu sacré, où la communication avec l’au-delà se fait. Ce lieu inhabituel et incongru participe à l’humour de l’ensemble de la scène. Quand elle présente au défunt le chien qu’il a connu pour compagnon de son vivant, on comprend qu’elle n’a pas du tout accepté la mort de son mari, trop douloureuse absence, mais on en rit. Tu as su mettre le rire là où il y a de quoi pleurer. Bravo Réginelle.