Temps de chien

Un chien, c'est comme un psy, en plus affectueux. Tu peux lui raconter ce que tu veux, quand tu veux, il t'écoute, il te regarde droit dans les yeux et de temps en temps, il te fait une petite léchouille, d'un air de dire allez t'en fais pas, ça passera, je suis là, moi.
Ca comprend tout un chien, et ça raconte rien, ça prend pas de notes. C'est ça qui est bien. Parce que, parfois, on dit des conneries, c'est plus fort que soi, quand on est trop gai ou quand on a la rage, parce qu'on est bête aussi, parfois. On se pose des questions alors qu'on sait très bien qu'il n'y aura pas de réponse, on se crée des problèmes pour avoir l'impression d'exister. Lui, le chien, il s'en fout des problèmes existentiels … Il te reproche rien, il regarde pas sa montre, il est heureux de vivre, tout simplement.

Mon chien était de race indéterminée, comme moi. Je l'ai appelé Fred, inconsciemment…
Fred, il se grattait les puces et me secouait les miennes. On se promenait deux ou trois fois par jour, pour les besoins de la cause animale, on rencontrait d'autres promeneurs qui avaient des chiens qui avaient des puces…
Fred, il allait toujours à l'essentiel, il sentait les odeurs, il sentait les humeurs. Il faisait semblant d'obéir quand il y avait du monde : Fred panier, Fred assis, debout Fred, mais il n'en faisait qu'à sa tête après le spectacle. Souvent, la nuit, il bravait l'interdit et se couchait dans mon lit pour réchauffer ma solitude…

Alors, quand Fred m'a quitté, je me suis retrouvé tout seul, tout con, tout orphelin.

Au début, je veux dire après sa disparition, j'ai continué à me lever aux aurores et à aller me promener. Mais seul avec une laisse, c'était plus pareil. Alors, j'ai abrégé les sorties et puis je suis plus sorti du tout.
Au début, j'ai continué à cuisiner, à faire comme si… Parce que Fred, il était gourmand, ça oui! C'était un plaisir de le voir se lécher les babines, rien qu'à l'idée que le repas allait être servi. On mangeait la même chose, lui d'abord, et moi ensuite...
Après, j'ai plus cuisiné. J'allais encore faire quelques courses, j'achetais des bricoles à grignoter, des amuse-gueule qu'ils disent, et surtout de l'alcool, de plus en plus d'alcool, pour faire passer la pilule et le temps. Parce que, quand je buvais, je retrouvais Fred, je lui parlais et il m'écoutait, comme avant.

Ils m'ont récupéré sur le pallier, un jour où j'avais pas été foutu de mettre la clef dans la serrure. Ils m'ont emmené, ils m'ont soigné et puis ils m'ont ramené chez moi et je suis resté seul.
J'ai un peu moins picolé, un peu plus cuisiné, un peu, juste de quoi pas crever.

Ca fait bientôt un an que Fred s'en est allé. Aujourd'hui, il pleut. J'irai pas me promener.

C'est pas gai mais c'est réjouissant quand même. Parce que bonne progression, bon texte, un ton qui me plaît. Et pourtant les chiens n'ont pas vraiment mes faveurs.

Bienvenue ici, Clarisse. Une petite présentation ne serait pas de refus.

Remarque :
le palier

Bonjour et merci pour ces premiers encouragements. J'ai mis du temps avant de franchir le palier, encombrée que j'étais par mes deux "L"!
Toujours difficile de se présenter sans dire les banalités d'usage : j'aime lire, écrire, peindre, enfin toutes ces choses qui, je crois, sont communes à ceux qui viennent sur un site tel que celui-ci.
J'écris en prose et en vers, au gré de mes humeurs, bonnes ou mauvaises. Ce texte est un peu sombre mais ne vous y fiez pas : je suis ordinairement assez amusante...

Un texte sympa bien que morose, bien écrit, sans fioritures inutiles.
La seule chose qui m'a dérangée c'est : "Je l'ai appelé Fred, inconsciemment"
Pourquoi utiliser le terme "inconsciemment" alors qu'il s'agit manifestement d'un acte conscient ?

Bienvenue à toi, à Fred, à ton inconscient et à toute la ménagerie sous la plume !
J'ai beaucoup aimé ce texte, sympa dans l'écriture et dans ce qu'il raconte.
Au plaisir de te relire.

Merci de ta visite, c'est très motivant.
Je l'ai appelé Fred inconsciemment, parce que quand que je donne ce prénom au chien, je ne sais pas encore la place qu'il aura dans ma vie, à savoir qu'il va m'aider mieux qu'un psy, donc mieux que Freud!
Bonne soirée

Alors, quand Fred m'a quitté, je me suis retrouvé tout seul, tout con, tout orphelin.

Surprise par cette phrase parce que jusqu’à elle j’étais persuadée que le narrateur était une femme. Peut-être parce que ce discours sur le chien seul ami de l’homme me parait plus féminin (bien que ne me parlant pas du tout). Mais ce n’est que ma vision des choses.
C’est aussi à partir de cette phrase que j’ai apprécié le texte, dans cette solitude et ce désespoir qui s’installent. Poignant sans être lourd. C’est bien écrit.

Merci d'être passées sur mon écrit.
C'est intéressant ce que tu dis Elea parce que, si, au moment où j'écrivais, j'avais imaginé que la narratrice était une femme, je n'aurais sans doute pas utilisé le même vocabulaire, Pourquoi? Et bien, j'y réfléchis!

Exactement la même sensation qu'Eléa. J'ai lu une seconde fois, en fait, rien ne précisait le sexe. Je pense avoir été trompée, à ma grande honte, par le "je" narratif et le pseudo féminin, juste au-dessus.
Une histoire touchante, qui se lit sans accroc. J'ai cru vers la fin que tu allais pousser plus loin le mimétisme homme / chien, avec un homme à la dérive, comme récupéré à la fourrière, raccompagné chez lui comme on ramenerait un animal perdu à son maitre. Mais non.
Bienvenue et bonne continuation.

Je ne crois pas qu’il s’agissait du pseudo féminin pour moi. C’est sans doute tout bêtement parce que je n’ai connu que des femmes ayant ce genre de relation avec un chien, pas d’hommes.
C’est d’autant plus idiot de ma part que j’ai eu la même réaction sur un de mes textes concernant la relation d'un homme avec des chats !

Pour revenir sur la question soulevée par le sexe du narrateur, et puisque l'on parle d'autorité masculine, peut-être que les trois petites phrases : Fred assis, Fred couché, debout Fred, mises à chaque fois à la ligne, renforceraient cette idée du "maître-chien"!
Merci pour votre accueil.

juste un petit commentaire pour dire que je ne suis pas convaincu de l'utilité de l'oubli systématique et volontaire des négations (...je suis plus sorti du tout ...j'irai pas me promener.). Je vois bien que le but recherché est d'être plus familier avec le lecteur, que le narrateur soit plus vivant, plus simple ... mais me semble que ça ne sert pas le texte qui serait meilleurs avec ces négations.

Ca tombe bien, j'adore les chiens même si je n'en ai pas.
J'ai beaucoup aimé ce texte et son style
Moi aussi, j'étais persuadée qu'une femme parlait. Allez savoir pourquoi ?
J'ai aimé le passage où le maître cuisine pour son chien, qui en plus, mange en premier...