Chien et loup

avant d’allumer les lampes
j’ai laissé la lumière grise
du crépuscule entrer par la grande baie
– elle a envahi la pièce
j’ai ouvert pour que la rumeur
de la pluie entre aussi.

elle disait que tu n’existes plus
depuis longtemps, que ton âme
s’est réfugiée dans la pluie

dans toutes les pluies qui tombent
sur les toits d’hôpitaux sur les champs labourés déserts
les arbres tendant au ciel leurs mains, sur le petit bassin
sur les enfants sortant de leur maison
sur les camions

qui filent rugissant dans la nuit
un homme au volant.
l’homme assis engloutit la route
les stations service et les rond-points

fuit la montée du jour inexorable
derrière les gerbes que ses roues soulèvent,
comme un guerrier mort que la défaite
n’a pas libéré de la guerre.

Pourtant
je parle encore avec toi,
dans la pluie.

L'imaginaire de seyne me happe immédiatement, et c'est miraculeux tant ce monde diffère du mien.
Miracle de la poésie.

une ambiance intimiste pour ce texte, la pluie qui s'immisce, mais sans pourtant rompre ce dialogue

"l’homme assis engloutit la route
les stations service et les ronds-points"


cette image est très representative de la façon dont la conduite est le reflet de la société qui avance et ne regarde jamais en arrière. il faut suivre , sinon sortie de route

Merci à tous les trois.

Annie : oui c'est vrai qu'il y a quelque chose de très différent entre nos deux écriture, je l'ai toujours perçu, sans forcément cherché à le définir, et pourtant chacun est capable d'apprécier l'autre. Je me dis que l'écriture poétique ressemble beaucoup à l'équitation : il faut avoir un cheval, un but à atteindre (pas forcément explicite) et une maîtrise. Je crois que mon cheval s'appelle plutôt "émotion", et que le tien s'appelle plutôt "pensée", mais que de toutes façons les deux sont si intimement mêlées que la distinction n'est que de style. Le but est commun, je crois : une forme d'expression de la réalité humaine, une forme de vérité.

So Back : plusieurs lecteurs me renvoient la dimension "sociale" de ce poème, et c'est très intéressant parce que je ne l'avais pas forcément en tête quand je l'ai écrit, et pourtant elle est évidente.

Gobu : oui, c'est vrai, j'ai tenu compte de ce que tu me disais à propos de "coques", et je suis revenue à ce que je disais à Annie : prendre à l'écurie mon cheval "émotion".
Parfois je m'en méfie un peu parce que je sais qu'il aime les même territoires, les mêmes tonalités et que j'ai envie d'en explorer d'autres. Mais c'est un très bon cheval, mon préféré. Il m'amène dans des endroits imprévus, il est puissant.
Puisqu'on en est à parler de mon poème précédent, et pour répondre du coup à Sahkti, il me semble que j'avais choisi le cheval "étrangeté", qui est pas mal non plus, mais qu'elle a raison, j'ai dû glisser en cours de route et finir le chemin (un peu plat) à pied :-)

Donner à voir, donner à ressentir, piéger le lecteur dans les subtiles et inattendues profondeurs de moments triviaux -dans lesquels, naïf, il entrait sans méfiance- telles sont les astuces de ton art!
Ce texte-ci est particulièrement "accessible", immédiat. Et terriblement efficace!