La tête la première

Un essai venu comme ça.

Ce matin, je me suis levée du pied gauche. Dans le miroir de ma salle de bain, mon visage a fait la tête. Non, décidément, ce corps ne me plaît pas. Comme presque chaque jour depuis que j'ai accédé au phantasme ultime. Après un bon bain, j'ai marché jusqu'à ma "réserve", attenante à ma chambre. Le chemin était, plus que celui des autres pièces, gravé dans ma mémoire ; j'aurais pu perdre mes yeux sans avoir peur car cet endroit est toujours là pour moi, pour me combler.

Réfléchissant à ce qui me plairait, j'ai laissé tomber mon peignoir et me suis installée sur la table d'opérations. Une multitude de bras mécanique s'est alors affairée sur le corps tandis qu'une voix caressante commentait la projection des pièces que je souhaitais installer. J'ai senti que l'on déconnectait les bras des épaules, les jambes du bassin ; je feuilletais les modèles les plus séduisants d'un battement de cil, me reposant totalement sur les machines qui achevaient d'ôter ce ventre trop rebondi, ce buste trop plat, ne laissant que mon cou et ma tête d'intacts, branchés sur un cœur et un poumon artificiels.
Comme je me sentais légère, n'ayant plus que la tête, la seule chose qui m'ait contentée, moi, née avec une chair qui ne me convenait pas. Et encore fallait-il s'en occuper avec soin, réhydrater la peau à tout moment, la garder pure au maximum, vierge de toute particule agressive. Un travail de tous les instants pour une madone éternellement belle.

Quelles jambes me fallait-il ? Quelles courbes pour souligner ma perfection ? La voix suave me promettait monts et merveilles, j'étais au paradis...

Soudain, un bruit de pas sur le palier. Impossible ! Qui est là ? Moi seule ai accès à mon appartement. Moi seule puisque...
Son visage apparaît dans l'encadrement de la porte. J'ai envie de hurler : « elle est morte ». Elle, l'ancienne moi.
« Bonjour, chère sœur. Tu profites bien de ta richesse, à ce que je vois. »
Ce corps maigre, anguleux, qui semble crier à l'aide, au sommet duquel trône mon propre regard, l'original, qui n'a subi aucune chirurgie anti-vieillesse ni anticerne. Comme il semble fade à côté du mien, comme il est effrayant de résolution. Je ne peux pas appeler, je ne peux pas faire quoi que ce soit sans reste du corps. Mes yeux effrayés papillonnent des messages incohérents à mon corps-dinateur.

« Tu croyais t'être débarrassée de moi, pas vrai ? Tu avais tellement peur que j'existe, que je te fasse de l'ombre. Et aujourd'hui, regarde-toi ! Mon ombre fait six fois ce qui reste de la tienne... »
Elle tend ses doigts gantés ; ils ne tremblent pas, me saisissent. Du regard, je cherche à cligner vers le capteur d'urgence mais elle ne me laisse pas voir autre chose que son regard charbonneux.
« Je parie que même tes cordes vocales ne sont plus identiques aux miennes. »
Ses yeux accrochent un détail derrière moi. Qu'a-t-elle vu ? Qu'a-t-elle vu ? Non ! Je ne peux pas croire qu'elle fasse ça ! Elle ouvre d'un mot la fenêtre, hume l'air frais, me regarde encore une fois. Muette, je lui crie de ne pas faire ça.
« Tu ne ressembles à rien. Malgré toute la beauté que tu achètes... quelle pitié ! De nous deux, j'ai toujours su qu'il n'y avait qu'une seule écervelée. Et dire que c'est la seule chose que tu n'aies pas changé. »
Je sens ses bras raidir sous l’effort, pliés en arrière, et je ferme les yeux.

Comme mon appartement est haut… Je ne me fais pas d'idées : arrivée en bas, je ne serai plus que de la confiture.

J'adore la première partie du texte...ce qu'on découvre dans la réserve ...
et la façon dont c'est écrit c'est fulgurant et impactant comme un coup de poing...

Après, l'arrivée du double, je le sens beaucoup moins...moi ça m'a fait sortir du texte... il eut fallu trouver un autre moyen d'évoquer "cet ancien moi" ...quelque chose de crédible ....donc avec une autre chute...
car là la magie, qui m'avait faire croire à ce corps_dinateur capable de s'ôter chacun des membres ne s'exerce plus , je me dis : pourquoi un ancien moi referait surface ?
Hormis dans sa tête peut -être... on aurait pu imaginer un genre de court circuit cérébral et une crise de folie suivi d'une auto -défenestration...
Là oui j'aurai continué à m'y croire...
Du reste on peut se dire que c'est ce qu'il se passe ...Mais là l'ellipse serait trop obscure.....
en l'occurence, quelque chose d'incongru fait irruption dans un univers où on s'est convaincu que ce corps interchangeable c'est quelque chose de possible dans un certain futur , et du coup, à mes yeux, c'est tout qui tombe à l'eau ( ou plutôt par la fenêtre)
Bien sur ce n'est qu'un avis personnel. Attendez d'autres réactions.
En tout cas bravo pour la force des images.

Une symbolique vraiment transparente, mais efficace... J'ai bien aimé, et l'écriture me semble en bonne adéquation avec le sujet. La toute dernière phrase est peut-être de trop, trop appuyée.

Une remarque :
« Une multitude de bras mécaniques »

Le début est prometteur, mais la suite, plus convenue et moralisatrice me déçoit.

L'éternel double qui nous joue des tours,comme quoi mieux vaut en faire son complice.
Sinon, bon départ d'opération.