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Mourir de ne pas séduire

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Message  Titia_____ Mar 27 Avr 2010 - 21:54

Le transat me colle à la peau et y imprime ses lattes, j’aurais dû prendre une serviette. Le décors est sublime : eau turquoise d’une piscine lagon, fier soleil au zénith. Le temps semble suspendu par la chaleur écrasante. Les corps alentours se dénudent. Derrière mes grandes lunettes noires, je tente de déchiffrer les articles d’un hebdomadaire local. Une large tunique dérobe aux regards ce que je ne saurais exposer. Ma peau blanche sue et rougit. Mon regard accroche mes lignes affranchies du diktat de l’harmonie, elles se donnent à voir avec vigueur, comme fières, tandis qu’elles devraient se trouver honteuses et, par je ne sais quel procédé, se soustraire à la vue. Ainsi que les précipices de ma poitrine affaissée, elles préfèrent faire fi de mon opprobre. En somme, il manque où il devrait y avoir et ça abonde où il aurait fallut que rien ne soit. Ma posture est étudiée afin de dissimuler au maximum ce qui peut l’être et maintenue bien qu’elle soit particulièrement inconfortable et blesse mes points d’appui. Mais sous cette lumière franche, sans concession, rien de ce qui ne devrait être exhibé ne peut être dissimulé. Aussi paraissent ma honte et mes viles faiblesses. Cette humiliation publique, je la mérite. Je paie pour mes dégoûtants travers. Cette masse adipeuse déborde, s’exhibe, elle prend toute la place. Mon regard scrute le moindre de mes défauts, il est acerbe, cruel me direz-vous. Mais je ne mérite pas mieux. Voyez ces corps sylphides qui se meuvent dans la clarté, déliés. Leurs pommettes et leurs hanches sont saillantes. Leurs gestes paraissent une chorégraphie légère. Je ne peux en détourner mon attention. Sur eux la lumière danse avec poésie et allégresse. La sueur même met en valeur la délicatesse de leurs courbes parce que si délicieusement discrètes. Libres comme la brise qui les caresse, j’envie ces corps aériens tandis que le miens me semble être un affront. Même leurs rires me semblent légers, leurs hésitations subtiles, leurs trébuchements emprunts de grâce. Je vois et ne me lasse d’admirer leurs bras menus, leur taille fine, leurs cuisses à peine esquissées, leur ventre pur, leurs muscles fins, leur silhouette élancée. Le théâtre des ombres graciles qui jouent, insouciantes, dans l’azur du ciel et rendent hommage à la vue de l’assistance charmée. Je baisse le regard et retombe lourdement sur les accidents disgracieux de mon épiderme capitonné, sur des manquements aux règles primaires de l’esthétique, sur des courbes qui devraient rebondir mais fuient, des arêtes qui auraient du suivre une allée fluide mais ont choisi des chemins de traverse. Pourquoi la nature a-t-elle offert à celles-ci tant de grâce et de légèreté ? Elles, insensibles à leur divine étoile, pleurnichant les travers de leurs diverses idylles, indifférentes à leur propre grâce imméritée. Je les envie certes, mais je ne leur voue pas de haine. Aux frêles nymphes, on pardonne les niaiseries, les bévues, les inepties. On y voit même charmes, innocence et émouvants délices. En moi on ne verrait que lourdeur, exaspération, bêtise. Moi, je contrarie, j’irrite ou j’indiffère. Je contrarie surtout, le regard du passant en quête d’un objet aimable à contempler, je déçois celui des hommes qui promènent leurs désirs sur les jupes courtes et les décolletés les jours d’été. Et je les comprends, je me fais offense à moi-même, j’offense mon regard, mon orgueil, mon amour-propre. Je contrarie la nature, la beauté, l’harmonie. Oui, je leur fais offense… Toute à ces considérations qui sont devenues pour moi obsessions, mon regard harponne mes anfractuosités, les tâches brunes ou rougeâtres dispersées sur mes mollets, les petites peaux mortes qui sèchent dans les recoins de mes ongles, puis glisse avec affliction sur les replis des masses lourdes et grasses que chacun de mes mouvements fait onduler en vagues obscènes. Cette chair m’est étrangère. Je ne l’habite pas, j’en suis prisonnière. Elle est moi. Elle me possède. Je ne suis rien de plus que ce corps qui m’étouffe, qui m’afflige, qui me condamne. Je veux être l’ombre qui soustrait ses contours à la faveur d’une lumière aveuglante et disparaît peu à peu. Aujourd’hui non plus je n’aurais pas l’outrecuidance de me dévêtir, je n’infligerai pas aux autres vacanciers la vue de mon corps dénudé, je n’aurais pas le plaisir de me mouvoir à mon aise dans cette eau douce et étincelante de soleil, de laisser ma peau goûter aux délices de la brise. Je suerai engoncée dans une pièce de viscose, planquée derrière mes lunettes, n’osant pour ainsi dire bouger, et ne garderai pour chers souvenirs estivaux que mon mal-être et les fantasmes d’un corps svelte.


J’ai fait la connaissance d’Ana. La meilleure des amies que je puisse espérer. Une partie de moi-même, et la meilleure. Celle qui espère, qui aspire, qui décide, qui contrôle. Ana sait qui je suis, au fond, tout au fond, bien au delà de mon enveloppe grasse et des attitudes auxquelles celle-ci me contraint. Avec elle je me projette. De nouveaux horizons s’offrent à moi, d’infinies perspectives, celles dont j’ai toujours rêvé sans oser croire qu’elles m’étaient accessibles. Ana ne me considère pas comme une bonne copine, une confidente, une marrante. Elle voit en moi une sylphide, et par là même, quelqu’un à qui tout peut réussir. C’est une amitié intransigeante et fusionnelle. Intransigeante. Elle n’est pas de celles qui cherchent à me rassurer et me maintiennent par là même dans la fange où je me débats, de celles qui sont bien à leur aise de me considérer comme un second rôle sur la scène de leur vie trépidante. Elle ne craint pas que je sois une rivale, au contraire, elle veut me voir forte, magnifique, populaire, tout écraser sur mon chemin. Fusionnelle. Notre union n’aura pour issue que la reconnaissance ou la mort. Si je lui donne ce qu’elle attend de moi, elle ne m’offrira pas moins que tout ce que j’ai toujours rêvé d’être et d’avoir.

Mes mains tremblent, ma mère pleure au téléphone, mon cœur bat à tout rompre comme il a pris l’habitude de le faire en quasi permanence ces derniers temps - je pense qu’en l’espace de quatre mois il a du vieillir de 10 ou 20 ans -, j’ai des vertiges, une nouvelle crise d’angoisse pointe. Je n’en peux plus d’entendre famille, pseudo-amis et médecin m’ordonner de m’alimenter. J’aimerais bien manger un peu, pas pour leur obéir, ni même pour leur faire plaisir, juste histoire de ne pas défaillir à nouveau. Le frigo et les placards sont totalement vides évidemment. Il ne reste même plus du sucre en poudre que je garde en cas d’urgence. Il faudrait que je sorte acheter quelque chose. Mais quoi ? Une toute petite part de quelque chose. Assez petite, 100 ou 150 grammes, pour ne surtout pas faire enfler mon ventre ni dilater mon estomac et risquer d’accroître mon appétit ultérieurement. Mais assez calorique pour me faire tenir jusqu’à demain ou après demain. Enfin, pas trop calorique non plus.

Je voulais être mince pour être belle, être belle pour être populaire, séduire, réussir, pavaner, profiter, vivre vraiment en somme : j’ai perdu la plupart de mes amis, les garçons ne me regardent toujours pas et j’ai cessé de vivre. Je survis, et encore, avec difficulté. Je ne peux plus jouer au tennis ou faire du vélo comme je le faisais avant, j’ai du mal à me concentrer en cours, d’ailleurs, même le trajet à pied pour m’y rendre me porte peine, je ne me rends plus aux déjeuners en famille qui tournent toujours rapidement à la tragédie, je ne sors plus le soir parce que je suis constamment fatiguée, j’ai refusé à plusieurs reprises des vacances en famille et même entre amis parce que je ne pourrais pas partager les repas avec eux et je sais que, là encore, ça finirait immanquablement soit par un énième drame soit la tête dans la cuvette des toilettes. Mais le pire n’est pas là. Le pire est que je me sens toujours trop grosse. Des lignes anguleuses, noueuses sont effectivement apparues, des os saillissent, mais il semble qu’ils mettent encore plus en avant la masse grasse, les plis et les courbes, comme un effet de clair obscur. Le pire est que je regrette ma vie d’avant, ma vie sans ma chère, ma terrible Ana. Je n’ai pas eu la force de vivre vraiment quand je le pouvais, de nager, danser, sortir, rire, partager, aimer. Je n’ai pas su m’aimer. Maintenant il est trop tard.

Ma vie, ma famille, mes amis, mes études pesaient exactement 11.8 kg.



PS : j'ai l'impression que le style diffère trop entre le début et la fin, n'est-ce pas trop gênant?
.

Titia_____

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Message  Invité Mer 28 Avr 2010 - 6:11

Moi, cela ne m'a pas gênée, j'ai trouvé le texte vraiment intéressant, mais l'avant-dernier paragraphe ("Je voulais être mince"...) beaucoup trop long, il enfonce trop le clou. Selon moi, il suffirait d'une ou deux phrases pour faire comprendre l'issue fatale, en outre cela aurait l'avantage que les paragraphes soient de moins en moins longs, suivant ainsi l'effacement physique du personnage. La dernière phrase, très bien.
Par ailleurs, cette Ana, existe-t-elle vraiment ? Peut-être serait-il intéressant de semer le doute, au passage, sur son existence...

Quelques remarques :
« Le décor (et non « décors ») est sublime »
« ça abonde où il aurait fallu (et non « fallut ») que rien ne soit »
« tandis que le mien (et non « miens ») me semble être un affront »
« des arêtes qui auraient dû suivre une allée fluide »
« On y voit même charmes, innocence et émouvants délices. » : peut-être le singulire serait-il préférable pour « charmes »
« les taches (et non « tâches », une tache est une souillure, une tâche un boulot à faire) brunes ou rougeâtres dispersées sur mes mollets »
« Aujourd’hui non plus je n’aurai (et non « n’aurais », le futur s’impose ici et non le conditionnel, d’ailleurs vous avez correctement écrit le verbe suivant) pas l’outrecuidance de me dévêtir, je n’infligerai pas aux autres vacanciers la vue de mon corps dénudé, je n’aurai (et non « n’aurais », le futur s’impose ici et non le conditionnel) pas le plaisir »
« en l’espace de quatre mois il a dû vieillir »
« me faire tenir jusqu’à demain ou après-demain (trait d’union) »
« comme un effet de clair obscur » : je crois que l’orthographe « clair-obscur » est préférable

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Message  Polixène Mer 28 Avr 2010 - 6:30

C'est difficile de commenter ton texte parce que le fond prime sur la forme, et l'emploi de la première personne renforce le réalisme.
Cependant, pour répondre à ta question, effectivement la différence de style saute aux yeux mais tu devrais en jouer carrément ...à condition de la peaufiner, de l' exagérer encore. Le côté "trop" de la première partie et le côté "pas assez" de la seconde illustrent le propos, mais il manque une qualité littéraire à la seconde partie, on a l'impression de tomber dans un reportage sur le vécu des victimes d'a.n.a.

Globalement ton texte tient la route
(Je vois que la teneur du commentaire de Socque est voisin .)
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Message  Invité Mer 28 Avr 2010 - 7:01

J'ai regardé sur Internet, je ne connaissais pas l'existence du mouvement "pro-ana" ; c'est à cela que fait allusion Ana, je suppose, qui donc, effectivement, n'existe pas. Peut-être l'indication est-elle un peu trop allusive...

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Message  Rebecca Mer 28 Avr 2010 - 7:15

C'est rigolo . Dans mon dernier texte "Annabelle" est une copine de ton Ana, bien que d'une obédience particulière , celle des boulimiques anorexiques .
A l'inverse de mon narrateur qui élude toute tentative d'étude ou de compréhension psychologique, toi tu rentres dans le vif du sujet.
Et on a droit à une radiographie d'un cerveau ravagé en ses pensées auto-destructrices et mortificatrices. Intéressant voyage. Un sentiment de justesse dans la description de ce qu'est la torture des regards sur un corps qu'on déteste. Une vie empêchée. Le bonheur arrêté.
Quoiqu'il me semble que tu devrais éluder un peu de la première partie pour la rendre plus percutante.
Bien vu la rencontre avec Ana !
La toute dernière partie est moins crédible. Car c'est une analyse bien raisonnable de la réalité : une anorexique ne dit pas qu'elle survit, car elle a enfin l'impression de vivre et tant qu'elle n'est pas guérie elle ne se rend pas compte de sa déchéance.Elle n'a pas un sentiment de perte. Au contraire, elle se nourrit d'être seule contre le monde entier et la perte absolue pour elle serait de se rallier à ce monde, qui lui semble pervers et la gave grave. Enfin c'est ma vision des choses car en réalité je n'en connais pas plus sur ce sujet que le peu glané de ci de là.
Ainsi, au lieu de cette fin racontée lucidement et un peu plan plan, j' aurais bien vu au contraire une échappée belle au pays de la folie absolue.
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Message  Arsène Ik Mer 28 Avr 2010 - 21:10

Pour ma part, je préfère le début du texte, niveau style s'entend ... Je suis saisie aux tripes !
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Message  Titia_____ Mer 28 Avr 2010 - 22:54

Nouvelle version : Sous cette forme, la rupture de style est volontairement franchement plus marquée, je ne sais pas si c’est une bonne idée, est-ce que ça vous semble mieux convenir ? (J’ai mis en gras les changements pour éviter une relecture complète)

Le transat me colle à la peau et y imprime ses lattes, j’aurais dû prendre une serviette. Le décor est sublime : eau turquoise d’une piscine lagon, fier soleil au zénith. Le temps semble suspendu par la chaleur écrasante. Les corps alentours se dénudent. Derrière mes grandes lunettes noires, je tente de déchiffrer les articles d’un hebdomadaire local. Une large tunique dérobe aux regards ce que je ne saurais exposer. Ma peau blanche sue et rougit. Mon regard accroche mes lignes affranchies du diktat de l’harmonie, elles se donnent à voir avec vigueur, comme fières, tandis qu’elles devraient se trouver honteuses et, par je ne sais quel procédé, se soustraire à la vue. Ainsi que les précipices de ma poitrine affaissée, elles préfèrent faire fi de mon opprobre. En somme, il manque où il devrait y avoir et ça abonde où il aurait fallu que rien ne soit. Ma posture est étudiée afin de dissimuler au maximum ce qui peut l’être et maintenue bien qu’elle soit particulièrement inconfortable et blesse mes points d’appui. Mais sous cette lumière franche, sans concession, rien de ce qui ne devrait être exhibé ne peut être dissimulé. Aussi paraissent ma honte et mes viles faiblesses. Cette humiliation publique, je la mérite. Je paie pour mes dégoûtants travers. Cette masse adipeuse déborde, s’exhibe, elle prend toute la place. Mon regard scrute le moindre de mes défauts, il est acerbe, cruel me direz-vous. Mais je ne mérite pas mieux. Voyez ces corps sylphides qui se meuvent dans la clarté, déliés. Leurs pommettes et leurs hanches sont saillantes. Leurs gestes paraissent une chorégraphie légère. Je ne peux en détourner mon attention. Sur eux la lumière danse avec poésie et allégresse. La sueur même met en valeur la délicatesse de leurs courbes parce que si délicieusement discrètes. Libres comme la brise qui les caresse, j’envie ces corps aériens tandis que le mien me semble être un affront. Même leurs rires me semblent légers, leurs hésitations subtiles, leurs trébuchements emprunts de grâce. Je vois et ne me lasse d’admirer leurs bras menus, leur taille fine, leurs cuisses à peine esquissées, leur ventre pur, leurs muscles fins, leur silhouette élancée. Le théâtre des ombres graciles qui jouent, insouciantes, dans l’azur du ciel et rendent hommage à la vue de l’assistance charmée. Je baisse le regard et retombe lourdement sur les accidents disgracieux de mon épiderme capitonné, sur des manquements aux règles primaires de l’esthétique, sur des courbes qui devraient rebondir mais fuient, des arêtes qui auraient dû suivre une allée fluide mais ont choisi des chemins de traverse. Pourquoi la nature a-t-elle offert à celles-ci tant de grâce et de légèreté ? Elles, insensibles à leur divine étoile, pleurnichant les travers de leurs diverses idylles, indifférentes à leur propre grâce imméritée. Je les envie certes, mais je ne leur voue pas de haine. Aux frêles nymphes, on pardonne même les niaiseries, les bévues, les inepties. On y voit charme, innocence et émouvants délices. En moi on ne verrait que lourdeur, exaspération, bêtise. Moi, je contrarie, j’irrite ou j’indiffère. Je contrarie surtout, le regard du passant en quête d’un objet aimable à contempler, je déçois celui des hommes qui promènent leurs désirs sur les jupes courtes et les décolletés les jours d’été. Et je les comprends, je me fais offense à moi-même, j’offense mon regard, mon orgueil, mon amour-propre. Je contrarie la nature, la beauté, l’harmonie. Oui, je leur fais offense… Toute à ces considérations qui sont devenues pour moi obsessions, mon regard harponne mes anfractuosités, les taches brunes ou rougeâtres dispersées sur mes mollets, les petites peaux mortes qui sèchent dans les recoins de mes ongles, puis glisse avec affliction sur les replis des masses lourdes et grasses que chacun de mes mouvements fait onduler en vagues obscènes. Cette chair m’est étrangère. Je ne l’habite pas, j’en suis prisonnière. Elle est moi. Elle me possède. Je ne suis rien de plus que ce corps qui m’étouffe, qui m’afflige, qui me condamne. Je veux être l’ombre qui soustrait ses contours à la faveur d’une lumière aveuglante et disparaît peu à peu. Aujourd’hui non plus je n’aurai pas l’outrecuidance de me dévêtir, je n’infligerai pas aux autres vacanciers la vue de mon corps dénudé, je n’aurai pas le plaisir de me mouvoir à mon aise dans cette eau douce et étincelante de soleil, de laisser ma peau goûter aux délices de la brise. Je suerai engoncée dans une pièce de viscose, planquée derrière mes lunettes, n’osant pour ainsi dire bouger, et ne garderai pour chers souvenirs estivaux que mon mal-être et les fantasmes d’un corps svelte, les plaisirs sacrifiés au regard de ceux qui, eux, ne garderont pas le moindre souvenir de moi.


Epilogue optionnel

Journal d’Amandine L. :

Juin 2009 :

J’ai fait la connaissance d’Ana. La meilleure des amies que je puisse espérer. Une partie de moi-même, et la meilleure. Celle qui espère, qui aspire, qui décide, qui contrôle. Ana sait qui je suis, au fond, tout au fond, bien au delà de mon enveloppe grasse et des attitudes auxquelles celle-ci me contraint. Avec elle je me projette. De nouveaux horizons s’offrent à moi, d’infinies perspectives, celles dont j’ai toujours rêvé sans oser croire qu’elles m’étaient accessibles. Ana ne me considère pas comme une bonne copine, une confidente, une marrante. Elle voit en moi une sylphide, et par là même, quelqu’un à qui tout peut réussir. C’est une amitié intransigeante et fusionnelle. Intransigeante. Elle n’est pas de celles qui cherchent à me rassurer et me maintiennent par là même dans la fange où je me débats, de celles qui sont bien à leur aise de me considérer comme un second rôle sur la scène de leur vie trépidante. Elle ne craint pas que je sois une rivale, au contraire, elle veut me voir forte, magnifique, populaire, tout écraser sur mon chemin. Fusionnelle. Notre union n’aura pour issue que la reconnaissance ou la mort. Si je lui donne ce qu’elle attend de moi, elle ne m’offrira pas moins que tout ce que j’ai toujours rêvé d’être et d’avoir.

Février 2010 :
Mes mains tremblent, ma mère pleure au téléphone, mon cœur bat à tout rompre comme il a pris l’habitude de le faire en quasi permanence ces derniers temps - je pense qu’en l’espace de quatre mois il a dû vieillir de 10 ou 20 ans -, j’ai des vertiges, une nouvelle crise d’angoisse pointe. Je n’en peux plus d’entendre famille, pseudo-amis et médecin m’ordonner de m’alimenter. J’aimerais bien manger un peu, pas pour leur obéir, ni même pour leur faire plaisir, juste histoire de ne pas défaillir à nouveau. Le frigo et les placards sont totalement vides évidemment. Il ne reste même plus du sucre en poudre que je garde en cas d’urgence. Il faudrait que je sorte acheter quelque chose. Mais quoi ? Une toute petite part de quelque chose. Assez petite, 100 ou 150 grammes, pour ne surtout pas faire enfler mon ventre ni dilater mon estomac et risquer d’accroître mon appétit ultérieurement. Mais assez calorique pour me faire tenir jusqu’à demain ou après-demain. Enfin, pas trop calorique non plus.

Avril 2010 :
Je voulais être mince pour être belle, être belle pour être populaire, séduire, pavaner, profiter, vivre vraiment en somme : j’ai perdu la plupart de mes amis, les garçons ne me regardent toujours pas et j’ai cessé de vivre. Je survis, et encore, avec difficulté. Je ne peux plus jouer au tennis ou faire du vélo comme je le faisais avant, j’ai du mal à me concentrer en cours, d’ailleurs, même le trajet à pied pour m’y rendre me porte peine, je ne me rends plus aux déjeuners en famille qui tournent toujours rapidement à la tragédie, je ne sors plus le soir parce que je suis constamment fatiguée, j’ai refusé à plusieurs reprises des vacances en famille et même entre amis parce que je ne pourrais pas partager les repas avec eux et je sais que, là encore, ça finirait immanquablement soit par un énième drame soit la tête dans la cuvette des toilettes. Mais le pire n’est pas là. Le pire est que je me sens toujours trop grosse. Des lignes anguleuses, noueuses sont effectivement apparues, des os saillissent, mais il semble qu’ils mettent encore plus en avant la masse grasse, les plis et les courbes, comme un effet de clair-obscur. Le pire est que je regrette ma vie d’avant, ma vie sans ma chère, ma terrible Ana. Je n’ai pas eu la force de vivre vraiment quand je le pouvais, de nager, danser, sortir, rire, partager, jouir, aimer. Je n’ai pas su m’aimer. Maintenant il est trop tard.

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Message  Rebecca Jeu 29 Avr 2010 - 5:43

Titia

c'est sous ton texte que tu aurais du proposer cette nouvelle version en prévenant juste ici de la chose .

Bon, sinon, j'aime infiniment mieux cette forme. Le journal. On sent avec la notion de temps qui s'inscrit dans le portrait le côté inexorable de la progression de la maladie. Et puis par extension, dans un texte plus exhaustif, l'interruption brutale du journal permettrait de comprendre la fin fatale.
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Message  Modération Jeu 29 Avr 2010 - 6:56

Titia, il est toujours possible de proposer une nouvelle version de son texte en tenant compte des remarques apportées par les commentateurs. Il suffit de la poster à la suite du texte original, avec un mot d'explication. Merci à la vigilance de Rebecca.

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