Mourir, dormir…
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Yoni Wolf
Narbah
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Mourir, dormir…
Mourir, dormir…
Je suis un type formidable, bien plus grand qu'Orson Welles, lorsque je déclame en tournant mon regard vers l'intérieur :
…Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter par une révolte ? Mourir… dormir, rien de plus…
Tout le monde applaudit. Toi, mon Amour, tu me quittes parce que je bois trop, que je titube un peu. Tu as raison. Je suis hanté par la confusion, par mon amour pour toi. Chaque fois que je monte sur scène, c'est le même monologue intérieur. Je souffre formidablement. J'aime ça.
S'il m'arrivait de mourir en scène, le moment serait toujours venu de prononcer ces mots. Mais en attendant, que dire ? : quelle que soit la pièce, le même texte ; mais avec des paroles différentes.
Avec du recul, j'aurais certainement préféré être menuisier, ébéniste plutôt. Mais je suis devenu cabotin, c'est comme ça.
Au début, j'ai cru que c'était un métier formidable, acteur, comédien ! Je me suis battu comme un chiffonnier pour arriver.
Moi, fils de prolo, il me fallait gagner comme un boxeur ; mettre mes poings sur ma vie . Et puis la renommée est venue, et tout s'est affadi. On était une bande au Cours Simon. J'étais le meilleur. “Ça se voit au premier coup d'œil, il est formidable, il ira loin“.
On se rencontre encore parfois avec les autres. Ils ont un peu réussis également pour certains. J'aime bien les gens en fait. J'aime qu'on m'aime, et tu me quittes.
Je monte sur scène bourré. Je ne sais même pas ce que je fais là. Ils sont tous autour de moi à se comporter comme des esclaves. Je suis devenu un automate dominant.
J'aime bien les techniciens et les acteurs qui sont encore frais et tremblants. Je bois des coups avec eux et je les encourage au désespoir (c'est un blague à moi).
Je leur raconte des conneries. Je leur dit que nous faisons un métier merveilleux, qu'ils sont bourrés de talent. Je sais que ça les aide et moi, ça me fait plaisir.
“Il est bourré de talent“, disent les gens du public, les autres acteurs disent “il est bourré“ tout court. Sauf toi qui dit : “tu es bourré de remords“, et tu t'en vas.
Les textes sont enregistrés dans ma matière grise. J'ai travaillé pour devenir ce pantin. Maintenant, quelque part en moi je pose le saphir, le diamant sur le microsillon de la mémoire et le texte et là.
Je n'ai même pas besoin d'écouter, je le sais.
Je le déclame aujourd'hui, demain, et puis demain, et puis demain. A présent je suis tranquille, détaché, je dirais presque desséché. Tous les événements glissent à petits pas d’un jour à l’autre. Je n'ai plus rien à prouver depuis longtemps. Je suis célèbre, et même riche, avec le cinéma. Je suis l'acteur par excellence mais j'ai un ventre énorme.
Je connais chaque truc, je sais utiliser chaque élément de mon corps, mon visage, ma voix. Je chante et je danse comme à vingt ans —c'est à dire plutôt mal en vérité— bien que j'en ai plus de cinquante.
Dans les spectacles qui autorisent les improvisations, je suis le roi du lazzi. Mes interjections vulgaires et hors de propos sont si drôles que je suis capable de faire rire au larmes un Ministre de la Culture en exercice assis au premier rang.
Mais toi, mes blagues te font lever les yeux au ciel.
Je bois pour trouver un succédané d’exaltation, pour ressentir un peu de fougue. Tous ces textes, une fois dits, je ne m'en souviens même plus.
Je dis Shakespeare mais je pense “j'expire“.
“jusqu’à la dernière syllabe du registre des temps ;
Et tous nos hiers n’ont fait qu’éclairer pour des fous
La route de la mort poussiéreuse.
Éteins-toi, éteins-toi, brève chandelle !
La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur
Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène
Et qu’ensuite on n’entend plus“
C'est qu'il en faut du courage et de la rage pour apparaître presque nu dans la lumière. Se laisser dévorer par la foule insatiable.
L'alcool vibre en moi, heureusement, et les pensées habituelles se déroulent dans ma tête pendant que tout le reste de mon corps remplit le contrat, justifie le montant de mon cachet.
J'ai tendance à en faire de moins en moins, a rester souvent immobile. Mon corps inerte, le texte coule de ma bouche, et mes partenaires tournent autour de moi avec les décors.
Et pendant que coule les mots de ma bouche, que ronronnent les caméras, que brillent de mille feux les éclairages qui font fondre le fard, pendant que la maquilleuse (j'adore les maquilleuses) me chatouille avec son gros pinceau en me disant “…bouges pas, voilà, c'est bon…“, moi je pense à tout autre chose : c'est quoi du ciment par exemple ? Une sorte de pierre ? J'aurais peut-être dû être maçon.
“Si j'étais un charpentier, si tu t'appelais Marie !“
Ton absence à fait grandir en moi une fâcheuse tendance, suicidaire, auto destructrice.
A part sur scène où je reste impassible, hors champs, je dis n'importe quoi sur n'importe quel sujet : politique, religion, philosophie.
En réalité, je ne comprends rien à tout cela. Le monde est une farce, …c'est une histoire. Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,. Et qui ne signifie rien.
Un fantasme me hante : monter sur scène, baisser mon pantalon, dire “elle m'a quitté, je suis bourré, je meurs“.
Et mourir.
Mais je suis trop lâche. C'est inutile. C'est vain.
Je ne suis qu'un acteur : je ne saurais pas mourir vraiment.
Dans ma glace, je vois un vieux type gras et laid.
A quoi tient ma grâce ? Tu m'aimais. Je ne me lave plus.
Je ne m'aime pas.
Merci à Shakespeare qui m'a prêté quelques uns de mes mille maux. Le texte est ici
Re: Mourir, dormir…
Il y a une phrase que j'adore:
“Il est bourré de talent“, disent les gens du public, les autres acteurs disent “il est bourré“ tout court. Sauf toi qui dit : “tu es bourré de remords“, et tu t'en vas."
Le reste moins. Le personnage ne me touche pas, sinon par le fait qu'il boit. Et encore. Le style est pas mal mais ça ne transpire pas assez pour moi. Je ne vois pas de chute, de bout du rouleau, pas vraiment de gras, ça ne sent pas l'alcool, c'est lisse. On dirait juste un long prétexte à caser de la poésie.
“Il est bourré de talent“, disent les gens du public, les autres acteurs disent “il est bourré“ tout court. Sauf toi qui dit : “tu es bourré de remords“, et tu t'en vas."
Le reste moins. Le personnage ne me touche pas, sinon par le fait qu'il boit. Et encore. Le style est pas mal mais ça ne transpire pas assez pour moi. Je ne vois pas de chute, de bout du rouleau, pas vraiment de gras, ça ne sent pas l'alcool, c'est lisse. On dirait juste un long prétexte à caser de la poésie.
Re: Mourir, dormir…
naitre consommer mourir , l'acteur lui , naitre paraitre disparaitre , et c'est entre le paraitre et le disparaitre que l'alcool lui tient lieu de chemin de croix, la scene cette engeance qui donne au trac l'addiction du verre pour continuer
mais dans tous les milieux professionnels ou pas l'alcool s'insinue preuve qu'il est vraiment le compagnon de tous les instants
bien vu ton texte
mais dans tous les milieux professionnels ou pas l'alcool s'insinue preuve qu'il est vraiment le compagnon de tous les instants
bien vu ton texte
So-Back- Nombre de messages : 3657
Age : 101
Date d'inscription : 04/04/2014
Re: Mourir, dormir…
J'adore l'image du microsillon, du saphir qu'on pose dans le sillon pour dérouler sa mémoire...
Alors l'usure.....le texte toujours le même, même si les paroles sont différentes écris tu....c'est ça...et cette double sensation d'être un pantin, à la fois dans sa propre vie, comme tout un chacun, et un pantin puisqu'acteur...un pantin las, blasé, quitté par sa femme, par l'enthousiasme, par le "feu sacré "....La mémoire, sa fidèle compagne, qui lui permet de jouer avec une apparence d'aisance, mais sans se mouiller...Et puis la tragédie celle qu' on joue sur une scene ...puis la vie qui se joue de vous et le tout emmêlé quand le sublime des textes rejoint la banalité du vécu...Et l'envie d'etre encore ailleurs entre reve et realite , d'etre autre chose que ce pantin dominant, de retrouver un peu de motivation a jouer a vivre...alors l'alcool... Ce personnage est tout a fait credible...Pendant que je lisais, j'imaginais qu'un Depardieu me racontait sa vie
Alors l'usure.....le texte toujours le même, même si les paroles sont différentes écris tu....c'est ça...et cette double sensation d'être un pantin, à la fois dans sa propre vie, comme tout un chacun, et un pantin puisqu'acteur...un pantin las, blasé, quitté par sa femme, par l'enthousiasme, par le "feu sacré "....La mémoire, sa fidèle compagne, qui lui permet de jouer avec une apparence d'aisance, mais sans se mouiller...Et puis la tragédie celle qu' on joue sur une scene ...puis la vie qui se joue de vous et le tout emmêlé quand le sublime des textes rejoint la banalité du vécu...Et l'envie d'etre encore ailleurs entre reve et realite , d'etre autre chose que ce pantin dominant, de retrouver un peu de motivation a jouer a vivre...alors l'alcool... Ce personnage est tout a fait credible...Pendant que je lisais, j'imaginais qu'un Depardieu me racontait sa vie
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Mourir, dormir…
C'est bien à lui que j'ai pensé.Rebecca a écrit:… j'imaginais qu'un Depardieu me racontait sa vie
Re: Mourir, dormir…
Mourir, dormir … ou dormir, mourir …
Acteur ou pas, connu ou pas, la trajectoire est à peu près la même ...
Acteur ou pas, connu ou pas, la trajectoire est à peu près la même ...
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: Mourir, dormir…
Je comprends que tu as décidé de me faire mentir : j'avais écrit"incompatibles" je crois.
J'aime ce texte.
Pour moi, et pour moi seulement, il y a deux phrases de trop:"Si j'étais charpentier, si tu t'appelais Marie" J'enlèverais Johnny. Il détonne ici. Shakespeare et Faulkner suffisent. La phrase suivante"Ton absence..." c'est du gloubi-boulga de magazine psy.
Quelques fautes d'orthographe mais sinon le texte emporte par sa vérité. Encore un détail, je ne mettrais pas "Je ne me lave plus " dans le prolongement de "Tu m'aimais" mais juste en dessous, au -dessus de la dernière phrase.
Bravo
J'aime ce texte.
Pour moi, et pour moi seulement, il y a deux phrases de trop:"Si j'étais charpentier, si tu t'appelais Marie" J'enlèverais Johnny. Il détonne ici. Shakespeare et Faulkner suffisent. La phrase suivante"Ton absence..." c'est du gloubi-boulga de magazine psy.
Quelques fautes d'orthographe mais sinon le texte emporte par sa vérité. Encore un détail, je ne mettrais pas "Je ne me lave plus " dans le prolongement de "Tu m'aimais" mais juste en dessous, au -dessus de la dernière phrase.
Bravo
obi- Nombre de messages : 575
Date d'inscription : 24/02/2013
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