Exo live jeudi 24 juin 2010 à 20h30

Alors ce matin, mon voisin m'a raconté un truc formidable. Il était emballé, bien excité même, et ne tenait plus en place au milieu de sa pelouse. Rouge sang, le visage en sueur, il revivait l'action comme si lui-même était le héros de la formidable aventure qu'il me narrait. Comme les Uruguayens l'autre soir dans le poste quand leur président a été démis par un coup d'Etat. Mais ça n'avait rien à voir, le voisin me parlait d'un match de tennis.

Quoi ? Tout ça pour un match de tennis ? Oui mais attendez, pas n'importe quel match de tennis, un match de tennis qui a duré dix heures. Dix heures ?! Oui, dix heures. J'ai eu la même réaction que vous, j'ai cru qu'on avait ajouté un zéro quelque part dans l'histoire, mais non, y a bien deux pauvres bougres qui se sont collé dix heures de tennis dans les lattes. Et le pire -car il y a un pire, oui- c'est que ça n'a même pas suffi à les départager et que le match devait reprendre dans l'après-midi. D'où l'excitation de mon voisin. Parce que je ne sais plus quel record avait été battu. Parce que ces deux hommes avaient donné le meilleur d'eux-mêmes et une belle leçon à l'humanité. J'ai des doutes quant à l'intérêt de l'humanité pour le tennis, enfin une petite partie oui mais pas toute l'humanité. Et je ne vois pas bien quelle leçon on peut donner en se claquant muscle après muscle pour taper dans une baballe sur du gazon qui implore que le ciel fasse tomber la flotte. Le ciel en question était sans doute trop occupé à regarder les deux zigues courir dans tous les sens pour se souvenir qu'en Angleterre, souvent, il pleut, surtout à Wimbledon. Pas drôle donc. Tout le monde avait chaud, tout le monde avait soif -surtout les deux lascars je pense- mais rien à faire, fallait être celui qui pourrait raconter plus tard à ses arrière-petits-enfants qu'il avait vu le match du siècle. Ou du millénaire.

J'ai eu beaucoup de mal à témoigner un quelconque engouement pour cette nouvelle, au grand dam du voisin d'ailleurs, à qui j'ai vainement tenté d'expliquer que rien n'empêchait ces deux types de demander un arrêt du match (mais les sponsors, t'y penses aux sponsors, a-t-il rétorqué? Et pour une fois qu'il pleut pas, faut saisir sa chance! Ha ben oui, bien sûr...)
Décidément, les gens sont bizarres. Ils descendent à mort des équipes sportives soit-disant nullissimes (enfin, vraiment nullissimes tout de même parfois), mais restent scotchés à leur télé pour les regarder. Et là, y en a qui se sont tapés dix heures de mecs tapant dans une petite boule jaune, la langue pendante et la chaussette flasque. Tout ça pour quoi? Ben je me le demande encore...

J'y comprends rien. Voilà ce que le voisin m'a dit en décrétant que j'aimais pas le sport. Je lui ai dit que je faisais de la marche. Un sport d'égoïstes selon lui, on marche tout seul et on se parle à soi-même. J'ai pas insisté. Un mec qui regarde le tennis à la télé pendant dix heures (déjà le tennis mais alors la télé... et dix heures !), c'est comme le phoenix qui se crame tout seul avant de revenir à la vie et puis de se brûler à nouveau, de revivre et ainsi de suite... quel est l'intérêt ?!
Si ça se trouve, le voisin regarde aussi le cyclisme à la télé. Pour les paysages comme on dit.
Faut que je change de voisin...

« Chéri, tu es sûr que c’est une bonne idée ? Le saut dans le vide pieds attachés par des lianes, il me semble que c’est un sport traditionnel de la Nouvelle-Zélande, pas de la Côte d’Ivoire ! On est contents d’avoir trouvé un séjour à prix réduit, d’accord, notre budget n’autorisait pas plus, mais je me méfie un peu de ces prestations bradées…
— Écoute, Poupoune, c’est dans le forfait, on serait bêtes de s’en priver ! On a eu le safari-photo dans la ferme de kangourous, ça t’a plu, non ? Tu les as trouvés trop mignons, les bébés kiwis qu’ils avaient aussi, pour un peu on en ramenait un à la maison ! Et le patinage sur glace, hein, c’était pas chouette ?
— J’ai attrapé un rhume !
— Moi, je trouve que c’est une très bonne idée, le Tour du monde sur trois hectares. On a même vu un panda !
— Quand même, le gars qui t’a mesuré pour avoir la bonne longueur de lianes, il était bourré, t’as pas remarqué ? Et puis il faisait plein de calculs compliqués sur son calepin et il m’a demandé combien faisait un inch en centimètres, pour convertir sur sa chaîne d’arpenteur… Je n’ai pas confiance. J’ai toujours rêvé de visiter l’Afrique, moi, pas de me taper ce méli-mélo mondialiste ! Même les femmes qui font la chambre, c’est des Mongoles, je n’ai pas pu discuter avec elles alors que j’avais appris exprès un peu de baoulé !
— Tu veux de la couleur locale ? Demain, je te promets, on ira vers les huttes de la fertilité, il y a des danses en torchis prévues… Et puis on ira faire un tour à la boutique d’antiquités authentiques, tu pourras ramener un pouf pour le salon si tu veux, ou un tissu à mettre au mur.
— Bof. J’ai un peu regardé, c’est tout Made in Québec.
— Allons, ma chérie, tu ne veux pas me gâcher mon plaisir ! Imagine, on va en mettre plein la vue aux Bonsti, en rentrant. N’oublie pas de me filmer, j’ai hâte d’essayer le saut depuis la plate-forme en branchages, les méthodes de fabrication sont garanties ancestrales et il y a un ascenseur ! Tu as lu, dans la brochure ? C’est le rite de passage pour les garçons !
— Oui, ceux de Polynésie…
— Je te promets que les Bonsti n’en savent rien. Ah, voilà le coach, on y va ! »

Et chplaff, bien sûr. Comme une bouse d’antilope, c’est ce qu’on dit en Côte d’Ivoire.

Depuis que je me suis vu dans le miroir je peux plus me voir en peinture. Pourtant, la paëlla, j’aime beaucoup ça, mais celle de chez La Lola, bon dieu, ce qu'elle arrache ! Depuis, j’ai le cœur au bord des lèvres, et, je viens de le constater dans le miroir des toilettes, ça se voit ! Quelle idée aussi, de manger local alors qu'il y avait un Mac Do au bout de la rue, moi ça m'aurait très bien convenu, surtout qu'il paraît que la seule chose qui commence à l'heure en Espagne, c'est la corrida, alors se faire un restau juste avant, c'est le meilleur moyen pour arriver en retard à la boucherie, non ?
Non. Fanch me dit qu’il faut s'imprégner de l'esprit du pays pour respirer le même air que les autochtones. Alors, depuis treize jours, on mange espagnol, on boit espagnol, on dort espagnol, on pète espagnol. Et pourquoi pas manger de l'Espagnol cuit à la broche, tant qu'on y est ? Avec des vrais morceaux d'Ibère dedans, hein ! Fanch il rigole pas de ma blague. C’est pas un marrant, le Fanch, c'est un gars sérieux à qui on décroche un sourire uniquement quand on lui parle résultats et compètes : tiens, Fanch, les Rangers jouent contre les Apaches demain à Vancouver, ça te dit qu’on se fasse un plateau téléfoot ? Là, vous êtes certains qu'il est aux anges, le Fanch.
Mais pour l’heure il se cure les dents chez La Lola, en attendant que j'aie terminé de vomir mes tripes dans les toilettes. Agenouillé devant la cuvette, je commence à avoir les articulations sacrément douloureuses, il me faudrait des genouillères, tiens, pareilles à celles des joueurs de Rink hockey d’hier qui cavalaient sur leurs patins à roulettes comme des gosses.
Vrai que ça a quand même quelque chose de puéril, toutes ces acrobaties. Quand t’es gamin, je dis pas, mais à quarante balais, courir derrière un ballon ou pour attraper une baballe - pardon, une pelote - comme on les a vus faire il y a trois jours au match de pelote valencienne, moi je dis que, quelque part, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez ces gens : ils ont dû rester coincés à l'âge de douze ou treize ans, précisément au moment où ils ont compris que l’enfance, pour eux, c’était fini, et qu’il devraient désormais jongler entre virilité mâle et insouciance prépubère. Faire semblant d'être un homme mais jouer, tout en cachant l’enfant qu’on a dans la tête. Adulte enfantin, gamin mature ? Un sacré bordel dans la tête, c’est moi qui vous l’dis !
Demain, on remonte en France. Les Dragons catalans jouent à Perpignan. C’est Fanch qui va être content.