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La cage aux corbeaux

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Message  pierrot Lun 2 Aoû 2010 - 13:37

Bonjour les aoûtiens,
Je vous soumets un texte non fini que j'envisage de présenter à un concours sur le thème de "l'attente". Etant pour 48h devant mon écran j'en profite pour quêter de précieux (sans flatterie) avis pour retravailler tout ce mois que je souhaite à tous ensoleillé.



La cage aux corbeaux

Mercredi 14 septembre matin

8heures, vendredi. Voilà. Maintenant je sais. Ce sera vendredi, après-demain matin. Au 1137ème jour, je sais. Enfin ! 1137 jours et voilà le 1139ème incroyablement proche. Même pas 48h. Tout juste 45.

C’est le directeur en personne qui est venu me l’annoncer. Embarrassé.
« J’ai du nouveau pour vous »
J’ai tout de suite compris. Pour moi il ne pouvait y avoir qu’une seule nouveauté ;
« Quand ? » Ai-je simplement demandé tandis que mon cœur s’emballait.
« Après-demain matin, vendredi, 8H »
Et puis, après un instant d’hésitation, il a ajouté
« Je ne sais plus dans votre cas si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle »
« Mais une bonne, une bonne nouvelle, monsieur le Directeur. Une délivrance tout simplement »
« Oui, il me semblait. »
« 8h c’est un peu tôt. Le temps de me préparer. Il faudra me réveiller de bonne heure. Je ne suis pas devenu un matinal, ici » ai-je plaisanté

1137 jours que chaque jour j’ai espéré.
Ma condamnation me valait une cellule pour moi tout seul et de la fenêtre , que je pouvais entrouvrir malgré ses 4 gros barreaux, je voyais un bout de ciel mais jamais le soleil.
Au début j’étais passif. Le temps ne comptait pas, il n’avait pas de sens. Il était vide, juste beaucoup d’ennui ; et puis je m’étonnais, me disais : sans doute demain et peu à peu cette seule question me dévora. Quand ?
Puisque ce jour viendrait. Inéluctablement, imparablement, fatalement. Je m’y préparais et m’y accoutumais. Mais quand finirait cette suspension du temps ? Quand ?

A chaque journée sans réponse, un espoir inventé du lendemain. Je m’étais créé toute une imagerie de superstitions me faisant croire un moment que je connaissais la réponse : Ce sera pour la pleine lune - Voilà qui était romantique- puis un changement de quartier, alors une nuit sans lune. Bon le prochain vendredi 13, alors le 14 juin – mon anniversaire – Ce serait une belle chute. Et puis bien sûr le 365ème jour de mon arrivée ici, plus tard ce fut le 730ème.
Mais surtout il y avait la visite matinale du Directeur. Dés qu’il avait un peu de retard je me faisais tout un cinéma : Ca y est, l’information lui est arrivée mais prudemment il attend la confirmation. Il va bientôt passer et s’arrêter pour moi.
Alors peu à peu ces espoirs et ces désespérances font une chaîne lancinante, une obsession qui vous enchaîne. Il n’y a plus la place à d’autre pensée. Et les jours passant, ces temps consumés laissent de vous une cendre prête à se disperser au moindre souffle. Vous avez ainsi perdu votre vie, ce qui vous en restait.
Je ne vivais plus que pour cette question : Quand ? Toujours avec elle, dominé par elle, obsédé par elle. Sans autre idée possible. Quand ?
Alors, voilà. Après-demain matin. 8h. Je sais. Je respire, je revis, je suis apaisé, mon cœur s’est remis à battre. Mon sort est enfin fixé. Sans interrogation. Le temps est reparti. J’ai retrouvé ma liberté. Je suis redevenu moi. Maintenant à moi de faire de ces 45 heures qu’elles soient miennes.
Mes jours et mes nuits vont cesser de se dérouler identiquement. Je vais sortir de ce labyrinthe. Je redeviens le maître de mon âme.

Certes je n’étouffais pas dans cette cellule de 9m2, grande comme la cabane à outils du Sahib dont j’étais le jardinier à Bangui. Je me suis arrangé avec le volume d’air qu’on m’a accordé et de toute manière je n’ai jamais aimé le confort, mais je suis tout de même heureux de la quitter.
Enfin je vais sortir de cette condamnation au néant, de cet enfer, de cette vie sans horizon. Chaque minute était une éternité.
Moi, Narayan Kutuma, je vais être pendu. Enfin



Mercredi 14 septembre après-midi

Maître Gupta, mon avocat, est venu me voir. Catastrophé. Voulant tenter une ultime démarche. Obtenir une suspension de l’exécution. Pour un vice de forme – a-t-il dit- Des tests ADN jamais obtenus.
Encore une chance, un espoir. Décidé à se battre encore, aller au bout, tout tenter. Le système judiciaire avait failli. Il n’avait pas su me défendre. Mais il n’acceptait pas et il pouvait encore gagner, me sauver.
Oui, je suis innocent de ce crime pour lequel j’ai été condamné. J’aurais été bien incapable de faire le moindre mal à cette femme, la mensahib, moi qui tourne de l’œil à la vue de la première goutte de sang.
Oui, bien sûr, j’ai partagé sa volonté de m’innocenter. Par volonté de vivre et pour laver ma réputation.
Oui j’ai été un homme comme les autres. J’ai aimé rire, m’amuser, regarder les jolies filles et les couchers de soleil, la musique ou encore les films de Guru Dutt ou Raj Kapoor. J’étais plein de fantaisie. Je pensais ce que je voulais, J’étais un homme libre. Mais jamais je ne pourrais redevenir cet homme là. C’est trop tard.
Quant à ma réputation: Je suis enfermé depuis 1137 jours dans le couloir de la mort, isolé du monde extérieur, alors le regard des autres ne m’importe plus. Mon image, cette apparence, je m’en suis défait. Innocent, coupable. Aux yeux de qui ? Des mots devenus sans importance, irréels.
C’est un bon avocat et je comprends son obstination mais il doit comprendre que je ne veuille plus de la souffrance d’une nouvelle espérance, qu’un report me serait insupportable alors qu’en l’instant je n’ai plus d’appréhension. Je ne veux pas, je ne veux plus.
Oui cette mort a été longtemps une pensée infernale, horrible. Elle me glaçait la nuit et m’empêchait de fermer les yeux, La peur était ma pire condamnation. Alors je préfère maintenant la paix de la certitude, le temps de la délivrance. Le moksha.
Naissance et mort sont des données qui nous échappent. Mon lot est de mourir à un peu plus de 45 ans. J’aurais pu vivre le double. Et alors, quelle importance? Qui sait ce que j’aurais fait de tout ce temps ?
Il me reste 2 jours, à 2 jours d’une mort programmée, le temps n’est plus universel.
2 jours à moi. Ma vie, ma destinée, mon dharma.
Vendredi. 8h. Moi, Narayan Kutuma, je vais être pendu. Enfin.

Jeudi 15 septembre matin

Depuis combien de temps je ne me suis pas senti aussi serein ? Le temps a repris son rythme et mon esprit vagabonde à nouveau, librement.
Cette nuit j’ai fait un rêve. Je n’en faisais plus. Mes nuits étaient aussi asséchées que mes jours.
Une grande cage à oiseaux, tombait lentement du ciel vers une rivière tourbillonnante. De l’intérieur une multitude de corbeaux s’échappait à travers les barreaux. Au bout d’un moment, un seul n’y était pas parvenu. Et tandis que les autres tournoyaient déjà dans le ciel, il essayait vainement, désespérément, énergiquement de se dégager mais rien n’y faisait son corps ne passait pas. Alors que l’eau dans laquelle il allait mourir noyé se rapprochait, son jabot puis ses ailes déployées dans sa détresse se mirent rapidement à blanchir, blanchir d’un blanc devenant immaculé. Je ne sus pas s’il allait parvenir à s’échapper car un corbeau bien réel qui croassait en piétinant sur le rebord de mon carreau m’a réveillé. En Inde tout commence et finit par des corbeaux.
J’ai eu le droit d’aller faire ma toilette dans la grande salle commune de douche. J’y étais seul hormis Nata mon geôlier et mon ami. Je me suis lavé avec plaisir et me suis rasé de près. Au retour, dans le couloir, j’ai aperçu le soleil. La première fois depuis 1137 jours. J’ai bien le droit, quotidiennement, de prendre l’air dans la cour qui fait 20 pas sur 15, mais elle est couverte d’un grillage si épais que le jour peine à y entrer. Alors le soleil ne s’y risquerait pas. Le voir, même quelques secondes, c’est revenir un instant dans le monde des vivants de la planète Terre. C’est une belle journée.

Voilà 1138 jours que je pourrais être mort, que je pourrais avoir accompli ma réincarnation, mon samsara.
C’est qu’au pays de Gandhi, où la pendaison n’est pas abolie, nous sommes plus de 300 condamnés pour lesquels l’administration ne trouve pas de volontaires pour exécuter la sentence. Ils ne seraient pas assez bien payés, pour un travail devenu trop intermittent. Le directeur m’a même dit que dans la prison de Bhâgalpur un meurtrier attend sa pendaison depuis quatorze ans et d’autres ailleurs depuis une dizaine d’années. C’est donc sans ironie que je voudrais remercier ce bourreau que j’espérais si désespérément. Le directeur m’a dit bien le connaître, qu’il était très religieux et priait avant chaque exécution afin d’avoir l’esprit tranquille. Je suis persuadé que c’est un homme bien et dans mon coeur je le remercie.
Demain, 8h, Moi, Narayan Kutuma, je vais être pendu. Enfin

Jeudi 15 septembre après-midi

Ce midi, avec l’autorisation bienveillante du Directeur, Nata m’a apporté un déjeuner cuisiné par son épouse spécialement pour moi. Un samoussa délicieusement épicé au coriandre et au curcuma et un ponga plein de raisins et de noix. Un régal que j’ai dégusté doucement et qui a fait remonter des vagues de souvenirs d’une époque heureuse. Je crois que j’en aurais pleuré si Nata n’était gentiment resté avec moi à bavarder. Depuis le temps, on se connaît bien tous les deux. C’est un brave homme, Nata. Il gagne une misère avec ce boulot, à peine 2000 roupies par mois. Une misère mais mieux que le chômage et à son âge il n’a aucun espoir de trouver un travail en dehors de ces murs miséreux. Je l’aime bien et nous aurons passé beaucoup d’heures ensemble à bavarder. Il est né à Delhi et il a travaillé un certain temps à Tihar Jail, la plus grande prison du pays, mais il y a un peu plus de quatre ans, les responsables pénitenciers le trouvant trop vieux l’ont muté ici, dans la région du Bihâr, dans cette petite prison d’une cinquantaine de détenus réputée pour n’avoir jamais d’incidents et où je suis le seul condamné à mort.

Il est un peu plus de 15heures et il me reste maintenant une infinité de temps.
Pourquoi je prends ces quelques notes ? Elles ne sont destinées à personne. Elles disparaitront avec moi et pendant 1137 jours je n’ai rien écris. Alors le 1138ème ? Sans doute un signe de vie. Une énergie naturelle, une affection spontanée pour ce bout de crayon. Une dernière petite pousse verte d’une plante qui va être dépotée dans quelques heures. Elle n’est pas triste. Elle vit normalement chaque seconde sans se préoccuper de la suivante. Elle est. J’existe. Moi, Narayan Kutuma, né le quatre janvier 1965, je déclare en ce jeudi, veille de mon exécution, être pleinement vivant, libre dans ma tête et être un élément nécessaire de cette chaîne appelée humanité.
J’ai encore un chemin à parcourir et je l’aurai atteint demain vendredi à 8h. Dans 17heures, je serai pendu. Enfin.

Il devait être environ 18h quand Nata est arrivé en courant. Dans le couloir il criait déjà « Narayan, Narayan, j’ai une formidable nouvelle ». Il était rayonnant de joie mais si essoufflé qu’il ne pouvait terminer une phrase complète.
«Narayan, le bourreau… »
« On m’a dit qu’il vient de se désister. Demain matin… »
« Il ne veut plus te pendre »
Il n’avait même pas encore pris le temps d’ouvrir ma cellule et me parlait à travers les barreaux de la porte.
« Tu te rends compte, Narayan. Tu ne seras pas exécuté. Tu es sauvé. Tu m’entends ? »
Oh ! Oui je l’entendais. Mais de loin, très loin.
Je demandais « Mais c’est reporté à quand ? »
Cette fois il prit le temps de prendre son trousseau de clés et d’entrer, sans d’ailleurs refermer…comme si j’étais un homme libre !
« Mais non, tu ne comprends pas. C’est annulé. Annulé, annulé Narayan »
« Mais moi j’étais prêt pour demain matin, 8H. »
Il hocha la tête, stupéfait de ma réaction et c’est presqu’en murmurant qu’il insista
« Mais c’est définitivement annulé, Narayan »
« Je t’entends, Nata. Mais voilà 1138 jours que j’attendais celui de demain. Alors c’est un peu difficile à accepter qu’il ne sera pas. »
Oui, je crois qu’en cet instant il me comprit un peu et j’avais de toute évidence un peu gâché sa joie mais c’est tout de même avec un sourire de contentement qu’il m’expliqua :
« Attend, ce n’est pas tout. Le bourreau, ce cher homme, a invoqué un cas de conscience par rapport à ton procès, la tradition veut donc que tu sois gracié. Tu es sauvé, je te dis. Tu vas être libéré. » Il me serra fort dans ses bras. Il pleurait de joie. C’était un ami.
Puis il ajouta plus calmement :
« Tout de même il faudra patienter jusqu’à demain matin. Le Directeur est absent cet après-midi et c’est bien entendu à lui de prendre officiellement la décision. Mais ne t’inquiète pas. Lui aussi désapprouvait ton exécution…et puis c’est la tradition, tu comprends. Même si le dernier cas remonte à très longtemps, il ne voudra pas y déroger. Demain matin, lui, ton avocat et moi on sera là pour t’ouvrir toutes grandes les portes de cette prison. Un grand jour »
Il partit annoncer sans doute la nouvelle dans toute la prison dont je n’avais plus d’écho depuis longtemps.
J’avais essayé de lui cacher mon désarroi, l’appréhension de cette inconnue que serait ma libération, la peur d’être devenu inadapté à un monde qui m’a abandonné voilà déjà si longtemps.
Dehors il fallait reconstruire mon image et cette grâce ne m’innocentait pas ? Quel avenir pouvais-je imaginer avec cette marque meurtrière ?
Au moment où je maîtrisais la violence du temps, me fallait-il à nouveau le libérer ?
L’avenir de chacun n’est-il donc jamais écrit ? Ne serais-je donc jamais libre de mon destin ? Ne m’y suis-je donc pas assez préparé ?
Ma liberté est-elle vraiment en dehors ? N’était-elle qu’un fol espoir ?
Depuis hier, enfin je savais. Je savais tout ce qui compte : Quand et comment.

Vendredi 16 septembre matin
La nuit m'a porté conseil. Maintenant je sais que je suis ce corbeau dans la cage. Je dois me délivrer de cette vie, cette fin est mon karma et cette purification permettra ma renaissance. Je dois être mon propre bourreau. A 8h, je dois être pendu. Enfin !

Quand le directeur, l’avocat et Nata arrivèrent, vers 9h du matin, ce vendredi 16 septembre, ils trouvèrent Narayan Kutuma pendu dans sa cellule – à son 1139ème jour d’attente.

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Message  mentor Lun 2 Aoû 2010 - 15:11

c'est très beau, bravo

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Message  mentor Lun 2 Aoû 2010 - 15:13

je crois que coriandre est féminin ?
et puis ceci est un tantinet redondant : que j’espérais si désespérément

oui, beau texte présentable en l'état, à mon avis

il y a des mots que je ne connais pas, mais ils passent bien ;-)

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Message  pierrot Lun 2 Aoû 2010 - 15:21

oui coriandre féminin mais curcuma masculin: donc j'accorde "épicé" au masculin. Non ? J'ai un vrai gros doute

les mots non connus (et que je ne connaissais pas non plus avant de construire ce texte!) sont sans doute les noms hindous. C'est l'une des petites difficultés pour moi: utiliser les mots appropriés sans faire un index :-) J'en ai expliqué un ou deux au passage mais à la longue ça risque d'être pesant.

Bon vous êtes trop sympas dans vos commentaires. Je sais- en toute modestie - qu'il y a encore du travail. Alors après les compliments, merci de m'envoyer les épines !

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Message  mentor Lun 2 Aoû 2010 - 15:35

pierrot a écrit:oui coriandre féminin mais curcuma masculin: donc j'accorde "épicé" au masculin. Non ? J'ai un vrai gros doute!
c'est pas ça le problème ! :-)))
le souci est que tu as écrit épicé au coriandre
donc c'est bien fautif, sans autre réflexion

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Message  mentor Lun 2 Aoû 2010 - 15:36

pour les épines, désolé je sais pas faire
j'ai tendance à voir le positif partout
sauf si tout est vraiment à jeter
et dans ce cas je préfère ne pas intervenir ! :-)))
donc attends d'autres avis, patiemment

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Message  Invité Lun 2 Aoû 2010 - 17:02

Le sujet est difficile, et l'introduction du récit, vraiment, l'amène fort bien. La fin est un peu trop prévisible, et surtout, vu le caractère extrêmement passif que vous donnez à voir du personnage, peu cohérente ; à mon avis il y aurait à travailler là-dessus, faire sentir que l'homme a encore des réserves de révolte quelque part.
Mais une bonne histoire, je trouve, qui ne s'étend pas trop, sans pathos excessif.

Sinon, j'aurai surtout des remarques de présentation, notamment sur les chiffres : les petits sont généralement donnés en toutes lettres.

Mes remarques :
Avant une réplique de dialogue, un signe de ponctuation de fin de phrase, ou deux points si on annonce directement la réplique
Pas d’espace avant une virgule (« de la fenêtre , que je pouvais entrouvrir »)
On encadre les incises non par le trait d’union « - », mais par le demi-cadratin « – », ou le format au-dessus « — », chaque signe lui-même encadré de deux espaces
Une espace avant les deux points
« Ça y est, l’information lui est arrivée »
« je vais être pendu. Enfin » : manque le signe de ponctuation en fin de phrase
« Une grande cage à oiseaux, (pourquoi une virgule ici ?) tombait lentement du ciel »
« dans mon cœur je le remercie. »
« pendant 1137 jours je n’ai rien écrit »
« sans d’ailleurs refermer…comme si j’étais un homme libre » : une espace après les points de suspension (cf. aussi « Lui aussi désapprouvait ton exécution…et puis c’est la tradition »)
« Attends, ce n’est pas tout »
« cette grâce ne m’innocentait pas ? (pourquoi un point d’interrogation ici ?) Quel avenir pouvais-je imaginer »

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Message  pierrot Lun 2 Aoû 2010 - 17:39

mentor a écrit:
pierrot a écrit:oui coriandre féminin mais curcuma masculin: donc j'accorde "épicé" au masculin. Non ? J'ai un vrai gros doute!
c'est pas ça le problème ! :-)))
le souci est que tu as écrit épicé au coriandre
donc c'est bien fautif, sans autre réflexion
Bon, j'insiste pour connaître la règle: j'ai écrit "épicé au coriandre et au curcuma"
donc j'accorde auquel ? Si j'inverse les 2 épices, je mets au masculin ?

Bon je ne veux pas accaparer de la place (mais je ne suis vraiment là que 48h et puis on est en août et les textes se bousculent moins. )

Merci aussi à Socque pour toutes les remarques. Ok je vais retravailler la psychologie (personnage mi hindou et mi occidental dans ma tête !)
Il m'ennuie que le personnage soit "passif" je le voulais plus "vaincu" par l'attente, ce qui n'est pas pareil. Pour moi c'est l'attente qui le tue.
Mais il est vrai qu'en choisissant l'Inde et non pas les USA il a évolué en fonction de ce que j'ai lu sur la mentalité, la religion...hindouiste.
Début septembre je vous proposerai ma version définitive. Vous me direz si j'ai bien travaillé en devoirs de vacances !:-)

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Message  Ajax Lun 2 Aoû 2010 - 17:42

Juste un détail. Je lis :

"Bon le prochain vendredi 13, alors le 14 juin – mon anniversaire – Ce serait une belle chute. Et puis bien sûr le 365ème jour de mon arrivée ici, plus tard ce fut le 730ème."

et plus loin :

"Moi, Narayan Kutuma, né le quatre janvier 1965, je déclare en ce jeudi, veille de mon exécution, être pleinement vivant, libre dans ma tête et être un élément nécessaire de cette chaîne appelée humanité."

Y a-t-il quelque chose que je n'ai pas compris et qui justifie ces deux dates ?

Pour le reste, l'histoire est assez prenante, mais la phrase explicative finale me semble un peu inutile. Le dernier "Enfin" serait une meilleure conclusion, je pense.

D'autre part, si c'est un carnet de notes prises au fur et à mesure des événements, je trouve que le style n'est pas toujours très adapté.

Par exemple, écrirait-il vraiment : "Cette fois il prit le temps de prendre son trousseau de clés et d’entrer." Cela fait un peu trop "récit" totalement débrayé de la situation d'énonciation, non ? Alors que l'écriture est censée être très proche des événements.

Je ne vois d'ailleurs pas très bien pourquoi tantôt vous employez des passés simples, tantôt des passés composés.

PS : on dit "à la coriandre"...
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Message  Invité Lun 2 Aoû 2010 - 17:48

J'appuie mentor et Ajax : "épicé à la coriandre et au curcuma". (Ou bien vous remplacez la coriandre par du cumin, ça résout le dilemme.)

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Message  mentor Lun 2 Aoû 2010 - 19:19

pierrot a écrit:Bon, j'insiste pour connaître la règle: j'ai écrit "épicé au coriandre et au curcuma"
donc j'accorde auquel ? Si j'inverse les 2 épices, je mets au masculin ?
mais où est donc le souci d'accord ? Y en a pas !
Le samoussa est épicé à la coriandre et au cucuma, point.
Il est épicé, peu importe le nombre d'ingrédients qui vont suivre dans ta phrase !

retiens juste que c'est LA coriandre
toi comprendre ?
:-)))

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Message  mentor Lun 2 Aoû 2010 - 19:20

et au fait, on dit encore Hindou ?
je croyais qu'on disait Indien

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Message  pierrot Lun 13 Sep 2010 - 21:04

Bonjour. En août je vous ai proposé une 1ere version de cette nouvelle. En voici la seconde, retravaillée. Jeudi je dois l'envoyer à un jury d'un concours sur le thème de l'attente. Alors vos motifs de satisfaction me feront plaisir, je ne mentirai pas; mais toutes vos critiques, remarques, dans le plus petit détail, me seront encore plus utiles et que vous en soyez remerciés. Promis, je n'irai pas me pendre ensuite. J'ai en outre une petite question de présentation: Pour souligner un aspect refrain de ce qui est en italiques, je me trouve avec des phrases placées sur 2 lignes. Exemple: mais, (à la ligne) demain... Acceptable cette licence d'auteur ou choquant ?


La cage aux corbeaux

Je savais enfin ! Depuis hier je savais quand.
Après 1137 jours interminables, d’angoisses, d’espoirs et d’ennui, je savais.
Condamné depuis 1137 jours par le tribunal de Bangalore, condamné à la pendaison, pour un crime que je n’ai pas commis,
vendredi matin, huit heures, moi, Narayan Kutuma, j’allais être pendu, enfin !

Les premiers mois furent atroces. Plus encore que la mort l’idée de la pendaison me terrifiait et des scènes horribles de strangulation glaçaient sans trêve mes cauchemars. Dès que je m’assoupissais, je sentais la corde de chanvre serrer mon cou et cette sensation si intense et permanente marqua un temps ma gorge de stries rougeâtres comme pour mieux déjà la délimiter. Chaque nuit, dans ma solitude oppressante, l’angoisse du matin, le dernier peut-être, m’émiettait implacablement.
Mais à certains moments c’est se détruire que de résister et peu à peu je parvins à apprivoiser ces images, me préparer à cette heure et même m’accoutumer à cette corde. Tant et si bien que le temps ralentit, ralentit jusqu’à s’arrêter, éviscéré de sens puisque ce jour viendrait, inéluctablement, à moins que je ne sois devenu un condamné à mort à perpétuité. Dans cet isolement, privilège de ma mort prononcée, chaque minute devint une éternité, un vide, une monotonie insupportables laissant en suspens cette seule question lentement dévorante : quand ?
Nous sommes plus de 300 condamnés pour lesquels l’administration ne trouve pas de volontaires pour exécuter les sentences. Ils ne seraient pas assez bien payés, pour un travail devenu trop intermittent. Il paraît même que dans la prison de Bhâgalpur un meurtrier doit être pendu depuis quatorze ans et d’autres ailleurs depuis une dizaine d’années. Alors, pour moi, quand ?
A chaque journée sans réponse, un espoir inventé du lendemain. Une imagerie de superstitions pour croire un moment connaître la réponse : ce sera pour la pleine lune, voilà qui était romantique, pour la nouvelle lune, alors une nuit sans lune, le quatre janvier, mon anniversaire, serait une belle chute. Et puis bien sûr le 365ème jour de mon arrivée ici, plus tard le 730ème…
Par-dessus tout il y avait la visite quotidienne du Directeur.
Dès qu’il avait un peu de retard je me faisais tout un cinéma : ça y est, l’information lui est arrivée mais prudemment il attend la confirmation. Il va bientôt passer et s’arrêter pour moi.
Il passait toujours, s’arrêtait parfois pour un « bonjour Narayan » par la porte entrouverte un instant et poursuivait son inspection, me laissant à mon dépit, la porte lourdement refermée.
Alors peu à peu ces espoirs et ces désespérances m’asservirent. Et les jours passant, ces temps consumés laissèrent de moi une cendre prête à se disperser au moindre souffle. J’avais ainsi perdu ma vie, ce qu’ils m’en avaient laissé. J’étais oublié dans cette éternité funèbre, ce lent anéantissement emmuré. Je n’existais plus que pour cette seule question, hanté par elle : quand ?
Mais depuis hier, je savais :
Vendredi matin, huit heures, moi, Narayan Kutuma, j’allais être pendu, enfin !

Hier, 1137ème jour, le Directeur est entré dans ma cellule et a fermé la porte derrière lui. Il était grave et embarrassé.
- Bonjour Narayan. J’ai du nouveau pour vous.
J’ai tout de suite compris. Pour moi une seule nouveauté possible.
- Quand ? Ai-je simplement demandé tandis que mon cœur s’emballait.
- Après-demain matin, vendredi, à huit heures.
Et puis, après un soupir :
- Je ne sais plus dans votre cas si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle.
- Une bonne, une bonne nouvelle, Monsieur le Directeur. Une délivrance tout simplement.
- Oui, il me semblait.
Il a ajouté après un peu d’hésitation :
- Celui qui…enfin je voulais vous dire que je le connais. C’est un homme bien. Très religieux. Il m’a dit qu’il priait toujours avant de faire son travail pour avoir l’esprit tranquille.
- Vous savez, monsieur le Directeur, je l’espérais si désespérément que je voudrais le remercier. Pourrez-vous le lui dire ?
Et puis, retrouvant enfin un peu de mon caractère taquin, je lui ai fait observer que 8h, c’était un peu tôt. Le temps de me préparer. Il faudrait me réveiller de bonne heure. Ce n’est pas ici que j’étais devenu un matinal. Je l’ai vu avec plaisir esquisser un sourire.
C’était hier. Je savais, respirais, revivais. Apaisé, mon cœur s’était remis à battre. Je sortais du labyrinthe. Le temps était reparti. J’avais retrouvé ma liberté. Ces dernières heures seraient miennes, celles de mes émotions. Je redevenais le maître de mon âme.
Vendredi matin, huit heures, moi, Narayan Kutuma, j’allais être pendu, enfin !.

Ce matin, celui de mon avant-dernier jour et 1138ème ici, je me suis réveillé serein, après une bonne nuit. Mon esprit vagabondait à nouveau si librement que j’avais fait un rêve. Je n’en faisais plus depuis très longtemps, mes nuits étant aussi asséchées que mes jours.
J’étais assis sur un banc au pied d’une puissante et vertigineuse chute d’eau. Sans doute l’une des quatre cascades de Jog, les seules que je connaisse pour y avoir conduit quelques dimanches le Sahib et sa femme. Le dimanche, quand ils en avaient besoin, je faisais office de chauffeur. C’était comme çà ; il fallait bien que le chauffeur Amshul en titre se repose. D’ailleurs j’aimais bien.
Tout en haut de la falaise une main a lâché une sorte de ballon noir. Très vite j’ai distingué une cage à oiseaux, une grande cage, qui allaient être engloutie dans une poignée de secondes. La descente s’est ralentie, comme dans un gros plan de cinéma. J’ai vu alors une multitude de corbeaux s’en échapper en traversant les barreaux comme s’ils n’existaient pas, tournoyer un instant puis disparaître dans le ciel. Il n’en resta bientôt qu’un seul, les ailes largement déployées, ne parvenant pas à se dégager. Pourtant la porte était grande ouverte, je ne savais d’ailleurs pas depuis quand, et il pouvait s’y faufiler aisément. Je le lui criai éperdument en gesticulant, mais trop affolé, isolé et obstiné dans sa détresse, il ne m’entendait pas et allait périr noyé.
A quelques mètres de l’eau bouillonnante et rugissante, la cage resta suspendue en l’air, légèrement ballotée par cette myriade d’embruns qui rebondissaient et se vaporisaient en panache. C’est à ce moment que son jabot et ses plumes se mirent à blanchir, blanchir de plus en plus rapidement et qu’il replia ses ailes, cessant de se débattre.
Allait-il enfin s’échapper ? Un corbeau bien réel qui croassait en piétinant sur le rebord de ma fenêtre m’a réveillé. En Inde tout finit par des corbeaux.

J’ai eu le droit d’aller faire ma toilette dans la grande salle commune de douche. J’y étais seul hormis Nata mon geôlier devenu peu à peu mon ami. Je me suis lavé avec plaisir et me suis rasé de près. Au retour, dans le couloir, j’ai aperçu le soleil. Le voir, même quelques secondes, c’est revenir un instant dans le monde des vivants de la planète Terre et aussi la promesse d’une belle journée.
Et puis ce midi, avec l’autorisation bienveillante du Directeur, Nata m’a apporté un déjeuner cuisiné par son épouse spécialement pour moi. Un samoussa délicieusement épicé au coriandre et au curcuma et un ponga plein de raisins et de noix. Le tout était accompagné d’un thé bien chaud qui sentait bon la cardamome. Un régal que j’ai dégusté doucement et qui a fait remonter des vagues de souvenirs d’une époque heureuse. Je crois que j’en aurais pleuré si Nata n’était gentiment resté avec moi. Depuis le temps, on se connaît bien tous les deux. C’est un brave homme, Nata. Il gagne une misère avec ce boulot, à peine 3200 roupies par mois. Une misère, mais mieux que le chômage, et à son âge il n’a aucun espoir de trouver un travail en dehors de ces murs miséreux. Né à Delhi, il a été gardien un certain temps à Tihar Jail, la plus grande prison du pays, avant d’être muté ici, dans la région du Bihâr, bien loin de ses attaches. Des responsables pénitenciers en ont décidé ainsi en raison de son âge. Il faut dire qu’il n’y a qu’une centaine de détenus, que les incidents sont rares et que je suis le seul condamné à mort.
Quand il est parti, il me restait une infinité de temps. Je me sentais l’énergie tranquille de la dernière pousse verte d’une plante qui va être dépotée dans quelques heures. Elle n’est pas triste. Elle vit normalement chaque seconde sans se préoccuper de la suivante. Elle est. Elle existe. C’est tout.
Certes je n’étouffais pas dans cette cellule de 9m2, grande comme la cabane à outils du Sahib dont j’étais le jardinier. J’avais un lit, une table, une armoire, un lavabo et un w.-c. et je m’étais d’autant arrangé avec le volume d’air ainsi accordé que je n’ai jamais aimé le confort. Mais cette cellule que le jour peine à éclairer derrière quatre gros barreaux hideux, sans autre horizon que quelques rares ombres de nuages sur un mur de ronde, cette cellule là, j’allais tout de même être heureux de la quitter.
A ce moment-là, je savais.
Demain matin, huit heures, moi, Narayan Kutuma, j’allais être pendu, enfin !

Mais tout à l’heure, vers dix-huit heures, j’ai entendu Nata crier dans le couloir
- Narayan, Narayan, tu es sauvé. Narayan, tu es sauvé.
En ouvrant la porte, tout essoufflé, il avait réussi à ajouter :
- Narayan, tu ne seras pas exécuté, tu es sauvé.
Le Directeur était entré à son tour dans ma cellule, visiblement tout aussi ému.
- Oui, Narayan, en effet, le bourreau vient d’annoncer qu’il refusait de vous pendre demain matin.
Dans la précipitation ma porte était restée ouverte, comme si j’étais déjà un homme libre !
Je demandais :
- Mais c’est reporté à quand ?
D’une voix très posée, le Directeur m’expliqua :
- Votre avocat, que j’ai fait prévenir, devra sans doute choisir avec vous entre deux actions possibles : soit profiter du délai ainsi accordé pour déposer une demande en révision du procès, soit demander votre grâce compte-tenu des circonstances. Il faut en effet que je vous précise que la raison invoquée par le bourreau, prévue d’ailleurs dans notre droit, est celle du cas de conscience.
Puis il ajouta en souriant
- Je ne pensais pas avoir autant raison en vous disant qu’il est un homme bien !
Et encore, après une courte réflexion :
- C’est bien sûr une situation exceptionnelle, mais qui s’est déjà produite. Il doit y avoir maintenant une sorte de jurisprudence.
Il n’avait pas répondu à ma question et Nata avait dû le noter aussi car en me serrant fort dans ses bras, il crût bon d’ajouter « Tu vois, tu vois, tu es sauvé. Ne t’inquiète plus. Ce n’est plus qu’une question de jours »
Ce que le Directeur corrigea prudemment « ou de quelques semaines tout de même »
Je voyais leur joie mais ils ne voyaient pas mon désarroi.
- Moi, j’étais prêt pour demain matin, huit heures !
Nata, visiblement surpris de ma réaction marmonna :
- Mais c’est définitivement annulé, tu m’entends. An-nu-lé.
- Je t’entends, Nata. Cependant voilà 1138 jours que j’attendais celui de demain. Alors c’est un peu difficile à accepter qu’il ne sera pas.
Il s’entêta : « Tu seras libre, libre » et hochant la tête, il partit annoncer la nouvelle dans toute la prison dont je n’avais plus d’écho depuis longtemps.
Le Directeur me précisa qu’il ferait en sorte que je quitte le quartier d’isolement dès demain matin. En me serrant la main, il ajouta : « Vous savez, Narayan, j’ai toujours été convaincu de votre innocence et je suis bien content de ce dénouement probable» Puis avec un sourire gentiment moqueur : « Et ainsi je n’aurai pas à vous réveiller à cette heure que vous trouviez trop matinale! »
Mes certitudes d’hier s’effondraient. Hier je savais, enfin. Je savais ce qui comptait : quand.
Pourtant,
demain matin, huit heures, je n’allais pas être pendu, enfin !

A l’aube inconcevablement proche de son accomplissement, mon destin tangue de nouveau.
Au moment où je maîtrisais ainsi la violence du temps, me fallait-il à nouveau le libérer ?
L’avenir de chacun n’est-il donc jamais écrit ? Ne puis-je choisir mon destin ? Ne m’y suis-je pas assez préparé ?
Oui, je suis innocent. J’aurais été bien incapable de faire le moindre mal à cette mensahib, moi qui tourne de l’œil à la vue de la première goutte de sang. J’étais le jardinier de madame Ellen Brytok depuis plus de deux ans, parfois son chauffeur et même son cuisinier. Je désherbais son jardin, binais les allées, arrosais les fleurs et chaque matin je coupais quelques fleurs, cette fois-là trois branches de jasmin, pour parfumer et décorer son salon. Voilà ce qui a fait de moi un meurtrier.
J’ai eu la rage de cette injustice. Avec l’aide inlassable de mon avocat, je me suis longtemps battu. Oui, j’ai cru que nous obtiendrions ce test A.D.N. Innocent, j’allais être innocenté. Seulement je ne suis qu’un petit jardinier et au pays de Gandhi tout crime à l’encontre d’un sahib doit être sévèrement puni. Qu’importe ou presque le coupable, surtout né d’une caste inférieure.
Ainsi j’allais sortir vivant et libre de cette prison et devoir choisir entre demander une grâce ou une révision de mon procès. Mais quelle réelle différence ? Sortir pour quelle vie ?
Il me serait, par exemple, interdit de prendre femme, même en renonçant à la moindre dot. Aucun père n’accepterait.
Mes parents ont été chassés de mon village natal pour sauvegarder sa réputation et n’y retrouveront jamais notre maison. Ils survivent de quelques petits boulots dans la banlieue de Delhi. Ils n’ont pas mérité tout cela. Moi non plus. Je suis très triste pour eux.
Lutter de nouveau ? Trop longtemps en cage, j’en ai perdu le goût
. Me remettre en mouvement ? Je ne pourrai pas en retrouver la force.
J’ai été un homme comme les autres. J’ai aimé rire, m’amuser, regarder les jolies filles et les couchers de soleil, écouter de la musique, j’ai adoré tous les films de Guru Dutt et plus encore de Raj Kapoor dont j’ai vu au moins cinq fois Awaar, mon préféré. L’histoire d’un jeune vagabond toujours joyeux dans un monde corrompu et méchant. Un peu comme le Charlot de Chaplin. A cette époque je pensais ce que je voulais, je faisais des projets, raisonnables. J’étais un homme libre. Jamais je ne pourrai redevenir cet homme là. C’est trop tard.
Un nouveau procès pour laver cette tache sur mon nom ? Trop longtemps en cage, j’ai perdu le goût de lutter. Me remettre en mouvement ? Je ne pourrai pas.
Enfermé depuis 1138 jours dans le couloir de la mort, isolé du monde extérieur, le regard des autres ne m’importe plus. Mon image, cette apparence, je m’en suis progressivement défait. Innocent, coupable. Aux yeux de qui ? Des mots devenus sans importance, irréels, langage d’un autre monde.
Et puis, surtout, surtout, non je ne veux plus de la souffrance d’une nouvelle espérance. Un report de mon exécution me serait insupportable alors qu’en l’instant je n’ai plus d’appréhension.
Bourreau, ces notes sont pour toi. Pour la paix de ta grande conscience dont je te félicite et te remercie. Tu es simplement venu trop tard. Mourir tout à l’heure est ma destinée, mon dharma. Tu ne peux en modifier le cours.
Je ne veux ni grâce ni nouveau procès. Je ne veux que la paix de la certitude, définitive.
Naissance et mort sont des données qui nous échappent. Mon sort est de mourir à un peu plus de trente cinq ans quand d’autres vivront plus du double. Et alors, quelle importance ? Qui sait ce que j’aurais fait de tout ce temps ?

Moi, Narayan Kutuma, né le quatre janvier 1975, je déclare être pleinement vivant, libre dans ma tête et savoir que je suis un élément nécessaire de cette chaîne appelée humanité. J’ai encore un chemin à parcourir, celui de ma délivrance et de ma renaissance. C’est ainsi que le corbeau blanc s’échappe de sa cage.
Que mon corps retourne à la terre, mon sang à l’eau, mon souffle au vent et ma vue au soleil, comme le veut Shiva, ainsi s’accomplira la migration de mon âme,
tout à l’heure, précisément à huit heures du 1139ème jour. Enfin !

Narayan Kutuma fut retrouvé pendu aux barreaux de sa cellule. [/size]


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Message  mentor Lun 13 Sep 2010 - 21:18

J'ai ajouté cette nouvelle version à la suite du premier sujet déjà ouvert en août.
Pensez que nous avons un CATALOGUE, et que tous les textes de VOS ECRITS y sont référencés avec leur titre...
Il y a tout de même une certaine cohérence à respecter si on veut que ça fonctionne.
Merci !

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Message  Invité Mar 14 Sep 2010 - 5:48

Je n'ai pas relu votre nouvelle, puisque je connaissais déjà l'histoire. J'aurai juste quelques remarques de présentation, en survolant le texte, qui vous aideront peut-être à présenter un travail plus abouti. D'abord, non, je ne pense pas que ce soit choquant de passer à la ligne pour mettre en évidence votre "refrain".

En revanche :
selon les conventions typographiques françaises, le trait d'union "-" ne suffit pas à introduire une réplique de dialogue, il faut prévoir le tiret demi cadratin "–", ou le format au-dessus "—" (toujours le même caractère utilisé dans tout le texte). Vous pouvez copier le caractère que vous voulez dans mon commentaire pour l'utiliser
troisième occurrence du refrain : "j’allais être pendu, enfin !."
il y a un [/size] tout à la fin
"je faisais office de chauffeur. C’était comme ça"
"Celui qui…enfin je voulais vous dire" : conventions typographiques françaises, manque une espace après les points de suspension
"cette cellule-(trait d'union), j’allais tout de même être heureux de la quitter"

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Message  Invité Mar 14 Sep 2010 - 10:31

J'ajouterai juste que normalement la convention veut que pour les adjectifs numéraux ordinaux (premier, deuxième, troisième, etc.) l'abréviation s'écrive 2e, avec le "e" en haut, comme ici : http://www.les-abreviations.com/adjectifs.html


Pour le texte, je préfère cette fin, plus sobre, qui joue plus sur l'effet de surprise.

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Message  conselia Ven 17 Sep 2010 - 16:25

Bien mené, bien écrit, et on n'épice pas à la coriandre, c'est pas bon.
Maintenant, pour la fin, je l'aurais imaginé pendu chez lui, après libération, pour le noir geai d'une désespérance vraiment totale.
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Message  Hadé Dim 19 Sep 2010 - 9:46

Quelle histoire vraiment tragique. Ce gars a attendu plus de 3 ans (je crois) avant d'être pendu, puis finalement il est grâcié. Mais il sait que cette grâce signifie la réinsertion dans un monde qui l'a traité comme un intouchable (pour reprendre la culture indienne), et cela il ne veut pas. Donc il décide, au moment où il devait être exécuté, puis finalement libéré, de se tuer lui-même. D'abord, le mystère du début d'histoire : de quoi parle-t-il ? Ensuite, la fin, vraiment épique. Chapeau bas.
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Message  Sahkti Lun 1 Nov 2010 - 7:59

Tout ceci est par moments très bavard, un peu trop même. Les réflexions du prisonnier sont intéressantes, j'apprécie son réalisme et le fait qu'il ne soit pas geignard face à l'isdsue qui arrive mais c'est par moments très dilué, trop éloigné de pensées naturelles que l'on pourrait avoir en de tels moments. Du coup, ça lui enlève la part de force qu'il détient, cette force due à sa lucidité, qui finit par être absorbé par trop de blabla; ça le rend beaucoup moins présent et c'est dommage, il perd en puissance.
Cela n'empêche pas l'ensemble d'être sensible, presque poétique, mais sur une telle longueur, cela finit par prendre trop de place.

Arrive la seconde version, donc, que je trouve plus épurée, plus efficace, car tu t'es défait d'une partie de considérations pas forcément inutiles mais dénaturant la force du texte. Cela fonctionne mieux pour moi de la sorte.
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Message  pierrot Lun 15 Nov 2010 - 14:12

C'est la courte histoire d'une nouvelle présentée ici.
Les commentaires de forme et de fond ont permis à son auteur de remettre le travail sur le métier et d'avoir appris tout récemment qu'il avait gagné le concours pour lequel il avait imaginé son histoire "la cage aux corbeaux".
Oh ! ce n'est ni le Goncourt ni le Renaudot mais l'écrivaillon a une satisfaction juste à la hauteur de son ambition, voilà tout et qu'il veut ici partager.
Ce petit message a pour objectif de remercier ceux qui prennent le temps non seulement de lire les nouvelles ici publiées mais encore d'apporter, par leurs remarques leurs petites pierres.
Le plaisir d'être lu mais aussi celui d'avoir un "retour", voilà bien tout l'intérêt de ce forum.

PS: Non, Socques; exceptionnellement il n'est pas utile cette fois de corriger ici ma grammaire (mais ailleurs ce fut d'un grand secours).

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Message  Modération Lun 15 Nov 2010 - 14:29

Pierrot, votre message a été fusionné avec le texte correspondant, c'est plus logique. En outre cela permet à ceux qui n'auraient pas encore lu votre texte d'en prendre connaissance. Félicitations pour votre succès.

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Message  Procuste Lun 15 Nov 2010 - 16:02

pierrot, je me réjouis très sincèrement de votre succès ! Cela dit, mon pseudonyme était socque et non Socques. Maintenant il a changé, je crois qu'il est plus simple.
Procuste
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