Sans un bruit

   Félix s’éveilla. Il ouvrit les yeux et s’étira, puis se mit aux aguets, tous ses sens en éveil.
   Depuis toutes les lunes qu’il avait passé dans cet édifice aux dimensions cyclopéennes, il n’avait toujours pas confiance. Même si ses souvenirs de son arrivée sont très flous. Pourquoi ces géants l’ont-ils fait venir ici, si ce n’est pour le manger ? Ca ne peut-être que la seule raison possible.
   Il avançait, de sa démarche souple et silencieuse habituelle. Sous ses pas, le sol lisse et froid. Au dessus, un plafond majestueux et inaccessible. Il atteignit la salle où les géants le faisaient engraisser, puis se pencha au dessus de l’assiette laissée à son intention et avala quelque bouchées, juste de quoi ne pas mourir de faim. Surtout, ne pas grossir.
   Comme d’habitude pendant la journée, le palais monumental était désert. Ne sachant que faire en attendant la mort horrible qui serait sienne, il errait sans but.

   Il finit par s’interrompre. Un cliquetis métallique se faisait entendre, présage routinier du retour imminent des ogres. Figé, fasciné malgré lui, Félix se posta devant la formidable porte de sa prison dorée et en observa l’ouverture. Derrière se tenaient ses deux geôliers, masses informes bipèdes et hideuses. Comme les jours précédents, l’angoisse le tenailla vite et il ne dévisagea pas longtemps ses gardiens. Ce n’est pas comme si le regard de haine et de mépris qu’il leur lançait chaque fois à leur retour pouvait les affecter, de toute façon.
   Les ogres revenus, la lutte pour la survie reprenait. Il bondit furtivement derrière l’un d’eux, puis traversa deux salles et un long corridor, avant d’entrer dans une grande armoire. Là, il devait être à l’abri…
   Retentirent alors des bruits de pas et des éclats de voix. L’un des démons de grande taille s’approchait du meuble. Félix se figea alors, prêt à défendre sa vie avec l’énergie du désespoir. La masse ambulante stoppa devant l’armoire, puis en ouvrit un des panneaux. Une main s’approcha du corps du prisonnier. C’en était trop ! Félix bondit en rugissant et planta ses dents dans la chair rose. Le géant recula en poussant un cri de douleur, l’autre accourut. Félix en profita pour jaillir hors du placard et, vif comme l’éclair, rejoignit une autre cachette.
   Dans son dos, les ogres tempêtaient. Il ne perçut précisément que deux phrases : « vilain Félix ! » et « mais quel taré ce chat ! ».