Stigmates (extrait)

Je me permets de soumettre ce court extrait d'une nouvelle à l'état débauche à vos critiques et commentaires, afin d'essayer de progresser. C'est très inabouti pour l'instant.







La jeune fille se tenait à la fenêtre sans bouger, contemplant avec envie le soleil puissant traverser les entraves, les barrières derrière lesquelles on la maintenait captive. Lui seul effleurait sa peau, tandis que les choses et le temps semblaient couler sur elle comme un vin de misère, fade, uniforme. Longtemps, elle avait attendu que la vie lui tombât dessus, avec cette vigueur romantique qui fait les révolutions. Mais aujourd'hui, elle n'attendait plus. Il lui fallait, chaque jour, trouver la force de terrasser le monstre du temps; et ce n'était pas chose facile, la solitude, ainsi que le sang fraichement répandu, attirait la bête sans répit. Sa nature mélancolique inclinait souvent son cœur à la désolation, et sa vie lui apparaissait sombre, affreusement vide. Elle fut si bien absorbée par sa rêverie, qu'elle n'entendit pas de suite les coups portés contre sa porte. Quand ils se firent plus insistants, la réalité s'imposa à son souvenir. Elle alla se coller derrière la porte.
A l'affût du moindre bruit, elle évitait de toutes ses forces la vision de ses doigts tordus de nervosité. Une voix masculine, d'un beau timbre de basse lui demanda d'ouvrir.
Elle s'exécuta doucement, comme si la lenteur de ses gestes avaient pouvoir de pétrifier son visiteur. Car elle n'était pas sans connaître son identité. Ce mystérieux personnage n'était autre que l'homme d'Internet.
Il entra.
Il y eut un long silence. Il regarda autour de lui et ne fut pas surpris par l'extrême vétusté de la mansarde, mieux, il sembla s'en réjouir. La jeune fille, que la timidité enflammait, désigna une chaise :
- Asseyez-vous, dit-elle gênée. Avez-vous bien compris les termes de l'accord ?
Coincée entre l'étroitesse de son réduit et un manque évident de courage, elle cherchait à bloquer sa respiration devenue hystérique. Il l'examinait avec attention.
- Oui, très bien compris... Vous vivez seule ?
- Je vis seule, en effet.
- Ce sera donc plus facile.
- C'est la première fois, pour vous ?
- Non.
Ils échangèrent un bref regard chargé de stupeur. La jeune fille hésitait à poursuivre, quelque chose d'inexorable se dégageait de cet homme, quelque chose de terrible qui l'attirait prodigieusement. Elle inspira afin de se calmer :
- Où cela aura-t-il lieu ? demanda-t-elle.
Sa voix avait tremblé. Elle s'en voulut de se montrer à ce point transparente.
- Ici, répondit-il, c'est plus naturel.
- Avez-vous choisi la... manière ?
- Vous voulez dire l'arme ?
- Oui.
Il détourna enfin la tête. La jeune fille en profita pour le détailler. Ses yeux caressèrent d'emblée ses mains qu'il avait longues et ossues. Puis son profil d'une beauté transcendante. Le dessin de ses lèvres l'émut ensuite. En contre-jour, se détacha l'indescriptible arête de son nez, ainsi qu'une mèche de ses cheveux qui lui retombait divinement sur le sourcil. Dans un état extatique qu'elle ne connaissait guère, elle crut reconnaître là l'essence de pureté des lignes. Troublée, elle contempla cette somme de perfection, transpercée par un sentiment nouveau, partagé entre l'admiration et le désir. Son cou arqué, virile attache, annonçait par sa vigueur et le grain de sa peau, des épaules fermes, gages d'un corps tout entier dévoué à l'effort physique.
- Je songe à la strangulation, dit-il, qu'en pensez-vous ?
Ces mots la bercèrent un long moment, leur tonalité et leur débit l'emportait dans le monde envié des amants. Elle se laissa menée, docile, par son exaltation ; puis se reprit :
- Peu importe le moyen, je la hais.
- Il s'agit de votre sœur, c'est bien ça ?
Chaque fois que ses lèvres s'arrondissaient pour former un mot, la jeune fille y lisait le fabuleux présage d'un baiser à venir ; confusément redouté tout autant qu'espéré. Et lorsqu'au contraire, ses lèvres s'éloignaient l'une de l'autre, elle devinait la promesse d'ouvertures secrètes.
- Oui, répondit-il, rêveuse.
- Elle sera ici du premier au dix mars, c'est bien ça ?
- Oui.
Définitivement sous le charme, elle souhaitait qu'il ne s'interrompit jamais tant la beauté de sa voix sublimait tous ses mots.
- Nous disposons donc d'un mois pour tout mettre au point.
L'importance de la tâche à accomplir, et particulièrement sa brutalité, projetèrent enfin la jeune fille dans la réalité. Sans oser poser les yeux sur lui, elle demanda :
- Ce sera suffisant, vous croyez ?
- Sans problème. Dites-moi, quelle est sa corpulence ?
- Nous nous prêtons nos vêtements, regardez-moi et vous la verrez.
L'homme se leva, approcha d'elle à la manière d'un loup. Une curieuse sensation caressa la jeune fille. Avant même qu'elle eût le temps de s'en émouvoir, l'homme la saisit par le haut des bras, puis lui enserra le cou. Elle perçut dans ce corps qui la maintenait malgré elle une telle quantité de force et de volonté, qu'elle fût disposée à accepter tout ce qui s'en suivrait. Mais l'homme lui apparut soudainement laid. Comme peut l'être parfois la vérité quand elle se joue des rêves et déjoue les suppositions, la vérité qui travestie de somptueux fantasmes en de vaines mascarades ; vérité qui sépare, vérité qui déforme, tranche aveuglément au mépris du plaisir, de l'imagination.
Persuadée que tout effort de sa part pour se dégager demeurerait vain, elle se mit à supplier sans trop de conviction :
- Arrêtez, arrêtez ! Je vous en prie !
Son agresseur la relâcha aussitôt. Cette attitude emplit la jeune fille de perplexité. Elle s'écarta de lui.
- Calmez-vous, dit-il.
Elle s'éloigna encore. Une terreur profonde, surgie d'un passé ombrageux, l'étreignait comme une main griffue.
- N'approchez pas ! S'écria-t-elle à son propre étonnement.
- N'ayez pas peur, voyons ; je voulais me rendre compte de la difficulté en simulant l'acte avec vous, c'est tout.
- Vous auriez dû me prévenir !
- Prévenue, votre résistance n'aurait pas été authentique.
Elle tâta ses bras, son cou.
- Je comprends, murmura-t-elle après un temps. Et qu'en avez-vous déduis ?
- Qu'il ne faudra pas énormément de temps, je préfère ça.
- Comment allez-vous procéder ?
- Simplement comme un vulgaire voleur : je fracture la porte, je fouille la commode en faisant suffisamment de bruit pour qu'elle se réveille. Elle prend peur, je l'étrangle.
- Il fera nuit ?
- Bien sûr. J'aurais juste une lampe de poche. Je reviendrai dans quelques jours, vous savez où me joindre... vous avez mon numéro de téléphone ?
Il se dirigea vers la porte.
- Oui, je l'ai, répondit-elle.
- Bien, nous en reparlerons.
L'homme hésita, son regard chercha celui de la jeune fille qui le lui refusa.
Il sortit.
En lieu et place, s'imposa le corps de la solitude. La jeune fille en eut peur, elle la sentit pénétrer jusque dans ses os. La porte était close, la fenêtre barrée, les esprits étroits, la liberté proscrite.
Tout était en ordre.

Cela démarre bien. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit qu'il y aura gourrance et que c'est elle qui va y passer... Non ?
Et j'aime bien l'alternance de fascination / dégoût pour le malfaiteur.
Saura-t-on quelle est la nature du contentieux entre les frangines ou bien n'est-ce qu'un Mc Guffin ?

A suivre,

Ubik.

J'ai beaucoup aimé, l'écriture, l'histoire, l'ambiance, le mystère. Envie de connaitre la suite.
De mon côté j'ai d'abord pensé qu'elle avait fait venir l'homme pour elle et pas pour la soeur et j'ai toujours cette impression que la soeur est inventée et qu'elle tâte le terrain, hésitante. Si le meutre de la soeur se confirme, il y a quelque chose dans ce début qui ne fonctionne pas pour moi, parce que ce personnage je le ressens plus dans la mélancolie que dans la haine.
A voir donc.

Oui, c'est vrai, on dirait qu'elle sort la soeur comme un lapin d'un chapeau. Le trouble qui la saisit quand l'homme s'approche, ce couple opposé d'attraction / répulsion semble mélanger, comme chez Ballard, érotisme et pulsions de mort.

A voir donc, si suite il y a.

Ubik.

Ce qui m'a le plus surprise ici c'est le contraste entre une expression très classique voire surannée (pendant un moment j'ai pensé que le texte se passait à un autre siècle, en fait jusqu'à la mention de Internet) et le contexte moderne. A mon avis, ça cloche de ce point de vue. Il me semble de façon générale que l'expression manque de dynamisme, tout cela est très sage, trop bien écrit. On sent un auteur qui a beaucoup lu et reproduit un style d'écriture sans avoir trouvé le sien propre, mais il est possible que je trompe. Pourtant, j'en voudrais presque pour preuve le portrait de l'homme (et la réaction subséquente de la jeune femme) qui m'a presque fait abandonner ma lecture tant il abonde en clichés littéraires.
Par ailleurs, je ne connais pas la longueur de la nouvelle mais il me semble que le suspense est déjà bien entamé, tout ou presque est dit très vite.

Désolée de cet avis plutôt négatif, il va sans dire qu'il ne se veut que constructif.

Merci beaucoup pour vos commentaires. Bien évidemment, la jeune fille organise son propre meurtre et non celui de sa sœur. Cependant, la sœur est un personnage faisant partie intégrante de la nouvelle, et le doute peut de ce fait demeurer un peu plus. Mais ce meurtre ou ce suicide n'est pas le ressort principal de nouvelle.
En ce qui concerne le style trop classique, je suis très d'accord avec cet avis. Cette nouvelle date de quinze ans, et j'avais encore moins de style personnel qu'aujourd'hui. C'est un point que je dois travailler, libérer mon écriture de ses brides classiques. Merci !

Mais l'homme lui apparut soudainement laid. Comme peut l'être parfois la vérité quand elle se joue des rêves et déjoue les suppositions, la vérité qui travestiT de somptueux fantasmes en de vaines mascarades ; vérité qui sépare, vérité qui déforme, tranche aveuglément au mépris du plaisir, de l'imagination.

Ce passage est très intéressant, la réflexion sur la laideur de la réalité par rapport aux fantasmes , donne une belle profondeur au texte qui par ailleurs comporte trop de clichés. Il me semble que tu devrais te méfier des adjectifs : souvent superlatifs et souvent superflus, ils alourdissent et affadissent cette histoire qui a un bon potentiel d'originalité.

Merci Coline, pour ton commentaire. Tu as raison, beaucoup trop de clichés et de superlatifs. Merci à tous, car j'apprends plus depuis quelques jours que pendant des années (aucun lecteur à qui faire lire et critiquer ma petite prose). Merci.

Il y a des tournures qui sont certes jolies et poétiques mais un brin trop lourdes au milieu du texte. Je pense par exemple à "Longtemps, elle avait attendu que la vie lui tombât dessus, avec cette vigueur romantique qui fait les révolutions."

L'idée est intéressante et j'aime la chaleur avec laquelle tu emballes par tes mots la froideur de la préparation et de l'acte à commettre. Toutefois, il me manque quelque chose dans ce texte pour que ce soit plus percutant, plus glaçant, ça se termine sur une note amère mais qui pourrait être amplifiée afin de donner plus de corps à l'ensemble. Pas forcément par une chute mais par une distance qui serait presque effrayante. Je n'ai pas vraiment de suggestion à te proposer, à vrai dire, et je ne suis même pas sûre d'être claire dans ce que je dis :-)