Les yeux dans les yeux
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Les yeux dans les yeux
Sur le mur, une vieille photo jaunie. Immobile, Arnaud la regarde depuis deux heures.
Cinq ans qu'il n'était pas venu dans cette maison !
En arrivant, il a poussé la grille à l'entrée. Elle s'est ouverte en grinçant sur la cour envahie de mauvaises herbes, parsemée des premiers flocons de décembre. Au fond, la maison en pierres noircies par le temps. A droite, le garage et sa porte en bois, éventrée, jamais réparée et rongée par l'humidité.
La grille a grincé, comme avant. Comme avant les rideaux des deux maisons voisines se sont aussitôt décollés du coin de la fenêtre. Deux paires d'yeux s'y sont faufilés, les mêmes qu'avant. Arnaud les a fixés, fier de lui. Plus rien de cette espèce de curiosité blasée dans ces regards ! Il a jubilé sous les éclairs de colère jaillissant de ces quatre yeux ronds ahuris et indignés à la fois. Il est resté longtemps devant la grille, espérant une réaction un peu plus vive. Une fenêtre allait-elle s'ouvrir et laisser fuser quelques insultes ? Une ambulance ou un véhicule de la gendarmerie allaient peut-être débarquer toute sirène hurlante ? Mais non, rien. Les fenêtres sont restées désespérément closes et aussi muettes que la rue. Alors, transi de froid, il a fini par rentrer dans la maison.
Une fois réchauffé il s'est posté devant cette photo, dernière occupante des lieux restée là comme une sentinelle ou un fantôme. En la voyant, Arnaud s'est d'abord senti submergé par la colère. Cette même colère délicieusement lue dans les regards voisins quelques instants plus tôt. La mâchoire crispée, les joues tremblantes, les yeux braqués sur la photo, il eut presque envie d'aller casser les fenêtres de ces satanées maisons voisines ! Mais la contemplation a vite pris le dessus. Promener son regard sur les formes voluptueuses d'Arlette, son Arlette posant triomphalement devant la baie du Mont Saint-Michel l'a apaisé. Arlette, son inséparable, son double, sa complice ! Arlette avec qui il avait sillonné la France. Arlette avec qui il avait avalé les kilomètres. Comme ça, juste pour le plaisir de collectionner les paysages. Pour le plaisir de sentir la force du vent au détour d'une route côtière ou l'odeur des arbres au hasard d'une forêt. Pour se sentir libre.
De cette période, il lui reste le dédale de souvenirs dans lequel il se perd depuis maintenant deux heures et cette photo qu'il est venu chercher. Délicatement, il la décroche du mur. Il l'enveloppe soigneusement, en souriant, dans la housse de son casque et glisse le tout dans la poche intérieure de son blouson.
Puis il sort de la maison. Il jette un dernier coup d'œil à la porte du garage. A l'époque, ses copains et le voisinage se fichaient bien de lui quand il appelait sa moto Arlette ! Il en était tellement fier de sa Harley ! Il avait bien sûr porté plainte, mais jamais aucune nouvelle d'Arlette ni de ceux qui avaient défoncé la porte du garage pour s'en emparer. Pas le moindre indice malgré l'enquête de voisinage. Il s'était presque senti coupable de l'avoir délaissée tout un week-end.
Il traverse la cour. Il balaie une dernière fois du regard la propriété. Cette fois il ne peut plus reculer, il vend. Il vend cette maison où il a grandi, où ses parents ont vieilli. « Vendre avant la saisie ! » avait rugi son banquier.
Il enfile son gilet fluo, coiffe son casque fluo. Il est prudent Arnaud, il sait que par les temps qui courent certains se sont fait aligner pour moins que ça ! Il ne peut s'offrir le luxe d'un PV.
Il ouvre la grille. Les regards paparazzi sont au rendez-vous. Il fixe ses pinces à vélo, enfourche sa bicyclette et se met à éternuer violemment.
Quel abruti se dit-il, avec mes conneries je vais choper la crève ! Mais au moins j'en ai le cœur net. Si ces vieilles bigotes de voisines ne réagissent pas quand un mec se balade à poils sous leurs fenêtres avec une housse de casque de moto en guise de cache-sexe, évident qu'elles réagissent pas plus si on vient fracasser une porte de garage sous leur nez ! « J'vous jure M'sieur le gendarme, rien vu, rien entendu ! ».
Cinq ans qu'il n'était pas venu dans cette maison !
En arrivant, il a poussé la grille à l'entrée. Elle s'est ouverte en grinçant sur la cour envahie de mauvaises herbes, parsemée des premiers flocons de décembre. Au fond, la maison en pierres noircies par le temps. A droite, le garage et sa porte en bois, éventrée, jamais réparée et rongée par l'humidité.
La grille a grincé, comme avant. Comme avant les rideaux des deux maisons voisines se sont aussitôt décollés du coin de la fenêtre. Deux paires d'yeux s'y sont faufilés, les mêmes qu'avant. Arnaud les a fixés, fier de lui. Plus rien de cette espèce de curiosité blasée dans ces regards ! Il a jubilé sous les éclairs de colère jaillissant de ces quatre yeux ronds ahuris et indignés à la fois. Il est resté longtemps devant la grille, espérant une réaction un peu plus vive. Une fenêtre allait-elle s'ouvrir et laisser fuser quelques insultes ? Une ambulance ou un véhicule de la gendarmerie allaient peut-être débarquer toute sirène hurlante ? Mais non, rien. Les fenêtres sont restées désespérément closes et aussi muettes que la rue. Alors, transi de froid, il a fini par rentrer dans la maison.
Une fois réchauffé il s'est posté devant cette photo, dernière occupante des lieux restée là comme une sentinelle ou un fantôme. En la voyant, Arnaud s'est d'abord senti submergé par la colère. Cette même colère délicieusement lue dans les regards voisins quelques instants plus tôt. La mâchoire crispée, les joues tremblantes, les yeux braqués sur la photo, il eut presque envie d'aller casser les fenêtres de ces satanées maisons voisines ! Mais la contemplation a vite pris le dessus. Promener son regard sur les formes voluptueuses d'Arlette, son Arlette posant triomphalement devant la baie du Mont Saint-Michel l'a apaisé. Arlette, son inséparable, son double, sa complice ! Arlette avec qui il avait sillonné la France. Arlette avec qui il avait avalé les kilomètres. Comme ça, juste pour le plaisir de collectionner les paysages. Pour le plaisir de sentir la force du vent au détour d'une route côtière ou l'odeur des arbres au hasard d'une forêt. Pour se sentir libre.
De cette période, il lui reste le dédale de souvenirs dans lequel il se perd depuis maintenant deux heures et cette photo qu'il est venu chercher. Délicatement, il la décroche du mur. Il l'enveloppe soigneusement, en souriant, dans la housse de son casque et glisse le tout dans la poche intérieure de son blouson.
Puis il sort de la maison. Il jette un dernier coup d'œil à la porte du garage. A l'époque, ses copains et le voisinage se fichaient bien de lui quand il appelait sa moto Arlette ! Il en était tellement fier de sa Harley ! Il avait bien sûr porté plainte, mais jamais aucune nouvelle d'Arlette ni de ceux qui avaient défoncé la porte du garage pour s'en emparer. Pas le moindre indice malgré l'enquête de voisinage. Il s'était presque senti coupable de l'avoir délaissée tout un week-end.
Il traverse la cour. Il balaie une dernière fois du regard la propriété. Cette fois il ne peut plus reculer, il vend. Il vend cette maison où il a grandi, où ses parents ont vieilli. « Vendre avant la saisie ! » avait rugi son banquier.
Il enfile son gilet fluo, coiffe son casque fluo. Il est prudent Arnaud, il sait que par les temps qui courent certains se sont fait aligner pour moins que ça ! Il ne peut s'offrir le luxe d'un PV.
Il ouvre la grille. Les regards paparazzi sont au rendez-vous. Il fixe ses pinces à vélo, enfourche sa bicyclette et se met à éternuer violemment.
Quel abruti se dit-il, avec mes conneries je vais choper la crève ! Mais au moins j'en ai le cœur net. Si ces vieilles bigotes de voisines ne réagissent pas quand un mec se balade à poils sous leurs fenêtres avec une housse de casque de moto en guise de cache-sexe, évident qu'elles réagissent pas plus si on vient fracasser une porte de garage sous leur nez ! « J'vous jure M'sieur le gendarme, rien vu, rien entendu ! ».
Lisa Decaen- Nombre de messages : 199
Age : 58
Date d'inscription : 17/06/2011
Re: Les yeux dans les yeux
Je crois que cela serait très bon si la fin était moins elliptique, plus explicite. J'ai suivi l'histoire, compris l'originalité du personnage mais je coince sur le passage concernant la housse de casque comme cache-sexe, si je m'en tiens à ceci : "cette photo qu'il est venu chercher. Délicatement, il la décroche du mur. Il l'enveloppe soigneusement, en souriant, dans la housse de son casque et glisse le tout dans la poche intérieure de son blouson."
Ce point mis à part, je trouve ça pas mal du tout, j'aime que ce texte court sache autant renseigner, sans que cela soit pesant ou étouffant.
Ce point mis à part, je trouve ça pas mal du tout, j'aime que ce texte court sache autant renseigner, sans que cela soit pesant ou étouffant.
Invité- Invité
Re: Les yeux dans les yeux
Merci pour ta lecture. Puis-je abuser en te demandant d'être plus précis ? C'est bien un problème de compréhension que tu as rencontré ?
En fait quand je dis "Alors, transi de froid, il a fini par rentrer dans la maison. Une fois réchauffé il s'est posté devant cette photo..." Il se rhabille...
et il sourit quand il ressort la housse, car il se réjouit d'avoir choqué les vieilles rombières.
J'ai essayé d'amener tout doucement la chute : il était à poils, pas au point apparemment...
J'en arrive à me poser une question : est-ce la chute qui coince ou le passage "Alors, transi de froid, il a fini par rentrer dans la maison. Une fois réchauffé il s'est posté devant cette photo..." qui gagnerait à être développé un peu ??
Merci de la réponse que tu voudras bien me faire...
En fait quand je dis "Alors, transi de froid, il a fini par rentrer dans la maison. Une fois réchauffé il s'est posté devant cette photo..." Il se rhabille...
et il sourit quand il ressort la housse, car il se réjouit d'avoir choqué les vieilles rombières.
J'ai essayé d'amener tout doucement la chute : il était à poils, pas au point apparemment...
J'en arrive à me poser une question : est-ce la chute qui coince ou le passage "Alors, transi de froid, il a fini par rentrer dans la maison. Une fois réchauffé il s'est posté devant cette photo..." qui gagnerait à être développé un peu ??
Merci de la réponse que tu voudras bien me faire...
Lisa Decaen- Nombre de messages : 199
Age : 58
Date d'inscription : 17/06/2011
Re: Les yeux dans les yeux
Moi aussi j'ai eu ce problème ...je me suis dit s'il est à poil à quoi fixe t il ses pinces à vélo ? Et pourquoi trimballe t il un blouson ? Et si la housse est dans la poche comment peut elle lui servir de cache sexe ?
Non ce passage n'est pas clair du tout. A la fin j'ai cru qu'il avait été nu tout du long.Tout en trouvant les mêms incohérences qu'Easter.
Donc tu dis qu'il se rhabille en rentrant dans la maison... il a ses habits sur les bras ? Quelque chose ne colle pas , du coup la vision qu'on a de la scène est un peu ridicule et ne constitue plus le formidable pied de nez qu'on imagine. Un autre détail est le laps de temps écoulé entre le moment du vol d'Arlette et son retour en forme de vengeance-dérision. Cinq ans , ça fait pas trés crédible.
Dommage ce manque de clarté car le reste du texte n'est pas mal du tout. J'aime bien qu'il appelle sa moto Arlette et qu'on s'y laisse piéger un moment.
Non ce passage n'est pas clair du tout. A la fin j'ai cru qu'il avait été nu tout du long.Tout en trouvant les mêms incohérences qu'Easter.
Donc tu dis qu'il se rhabille en rentrant dans la maison... il a ses habits sur les bras ? Quelque chose ne colle pas , du coup la vision qu'on a de la scène est un peu ridicule et ne constitue plus le formidable pied de nez qu'on imagine. Un autre détail est le laps de temps écoulé entre le moment du vol d'Arlette et son retour en forme de vengeance-dérision. Cinq ans , ça fait pas trés crédible.
Dommage ce manque de clarté car le reste du texte n'est pas mal du tout. J'aime bien qu'il appelle sa moto Arlette et qu'on s'y laisse piéger un moment.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Les yeux dans les yeux
Oui, ce passage ("Alors, transi de froid, il a fini par rentrer dans la maison. Une fois réchauffé il s'est posté devant cette photo..." ) m'a arrêtée, au point de chercher des indications sur la température extérieure, que je n'ai pas trouvées. Et j'ai d'autant moins compris que la maison est abandonnée depuis 5 ans, et donc logiquement sans chauffage, enfin je pense. Au moins maintenant, ce passage fait sens (mais il a nécessité tes explications).
Si je comprends bien, à la lumière de ce que tu dis dans ton comm', cela signifie qu'il est arrivé en tenue d'Adam ? Là où j'avais pensé que c'était pour repartir qu'il s'était dévêtu ... Pas clair, tout ça, du moins pas pour moi.
Si je comprends bien, à la lumière de ce que tu dis dans ton comm', cela signifie qu'il est arrivé en tenue d'Adam ? Là où j'avais pensé que c'était pour repartir qu'il s'était dévêtu ... Pas clair, tout ça, du moins pas pour moi.
Invité- Invité
Re: Les yeux dans les yeux
Ah oui ! Le passage des pinces à vélo que cite Rebecca m'a semblé bizarre aussi, j'avais oublié.
Invité- Invité
Re: Les yeux dans les yeux
Pour la température extérieure, je parle des 1ers flocons de neige de décembre.
Quoiqu'il en soit, merci pour vos avis qui me font me poser les bonnes questions !!
Quoiqu'il en soit, merci pour vos avis qui me font me poser les bonnes questions !!
Lisa Decaen- Nombre de messages : 199
Age : 58
Date d'inscription : 17/06/2011
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