TRAVAIL : Chronique du Travail
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Yali
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TRAVAIL : Chronique du Travail
Chronique du Travail
Volatilité du travail. Prédilection dudit pour les destinations exotiques. Perte de sa frugalité d’antan. Ravages de la reconversion. Questions existentielles. Naissance d’une profession, agonie de l’emploi. Haute distinction du Travail consécutive à sa raréfaction. Travail ingrat du chercheur de Travail. Caractère peu nourrissant de sa tâche. Maxime édifiante et chanson du chroniqueur.
Cette chronique chantera les louanges du travail. Il n’est que temps : l’espèce est en voie de disparition. A peine l’a-t-on trouvé qu’il file entre les doigts comme le mercure d’un thermomètre brisé. On le retrouve blotti dans un faubourg famélique de Bombay, une favela lépreuse de Buenos Aires, que sais-je, au fin fond d’une catacombe enfumée de la grande banlieue de Djakarta. A l’inverse de ce que professaient Montesquieu et les physiocrates, il semble désormais ne s’épanouir que sous les cieux les plus tropicaux, les climats les plus caniculaires, parmi les démographies les plus galopantes, au milieu des végétations les plus luxuriantes, bref des paysages de carte postale.
Il faut s’y faire : le travail a pris des goûts de luxe. Il se contentait jadis de l’humble masure fouettée par le noroît du cultivateur picard, il se sentait à l’aise dans la tiède promiscuité de l’atelier du faubourg Saint-Antoine, il appréciait la trépidante convivialité de la chaîne de laminage mosellane. L’humble masure est en ruine, un couple d’antiquaires londoniens à la retraite la rachète pour une bouchée de pudding. Après l’avoir restaurée à grands frais, il y abrite son basset-hound du noroît. L’atelier du Faubourg Saint-Antoine, métamorphosé en garçonnière d’une opulence sardanapalesque, héberge un rentier moscovite qui a entassé une fortune scandaleuse dans la contrebande des œufs d’esturgeon. On a transformé la chaîne de laminage à l’arrêt en musée de l’ère industrielle. Des foules moroses d’autochtones désœuvrés s’y viennent recueillir avec nostalgie. Leurs enfants insouciants jouent parmi les herbes folles qui poussent entre les voies du chemin de fer désaffecté. En un mot, la reconversion fait rage.
Le travail a fui vers d’autres horizons. Peut-on s’y résoudre ? Doit-on chercher à le rattraper, comme un évadé que des gendarmes bienveillants entendent ramener à la quiétude de sa cellule ? D’aucuns le pensent. Ils ont inventé une profession nouvelle : ils se font Chercheurs de Travail, comme d’autres deviennent chasseurs d’étoiles ou pêcheurs de galaxies. Il ne faut pas les confondre avec les chômeurs. Ceux-ci ne cherchent pas le travail – ils savent bien que l’animal a depuis longtemps pris la tangente – ils se contenteraient d’un emploi. Et des petites gratifications matérielles qui vont avec, l’Homme ne vit pas que d’amour et d’eau fraîche. En tous cas pas bien longtemps.
Jadis, dans un passé déjà nimbé de fantastique, le travail courait nos rues, c’était au monde la chose la plus commune. Si commune, en fait, que les gens bien nés ne daignaient y toucher, même avec des gants. Maintenant qu’il s’est évaporé, il a pris des quartiers de noblesse : on l’affuble d’une majuscule. Le Chercheur de Travail, semblable au prospecteur de pétrole, en traque inlassablement des gisements.
Il paraît qu’il en subsiste : le gouvernement le promet, l’ expert le confirme, l’Homme y croit. C’est un spectacle exaltant que d’observer à l’œuvre le Chercheur de Travail. C’est pourtant une besogne de forçat, il faut avoir tué père et mère pour s’y lancer. Un chien n’en voudrait pas. Il faut le voir renifler avec obstination le moindre recoin d’entrepôt à l’abandon ou la plus étriquée parcelle de friche industrielle, le groin au ras du sol, frétillant du croupion tel un cochon truffier sur la piste du diamant noir. Las : dès qu’il en a détecté la plus infime trace, le Travail s’esbigne comme mirage devant l’assoiffé. Lorsqu’on le croit par ici, il est déjà passé par là, et contrairement au furet de la comptine, il ne repassera plus ici.
Le métier ne nourrit guère son homme. Le chercheur de Travail arbore dès le début du mois une mine de fin de semaine difficile. Il s’alimente de soupe livide, de tranches de pain plus fines qu’un timbre-poste et plus coriaces qu’un os de seiche ; son vin ne laisse nulle tache sur la nappe. Sa voiture a depuis des lustres dépassé la date de péremption et l’unique complet qu’il lui reste laisse passer la lueur blafarde de sa peau. Il n’en a cure, sa confiance dans l’expert reste inébranlable, il irradie d’optimisme et son énergie ferait plaisir à voir si elle ne se vouait à une cause aussi désespérée.
Résumons-nous : le Chercheur de Travail court inlassablement après une chimère. C’est Tantale essayant de remplir le tonneau des Danaïdes avec l’aiguille de Pénélope. Le Travail ne rend libre que ceux qui peuvent s’en passer. C’est ce que chante le chroniqueur.
Gobu
Volatilité du travail. Prédilection dudit pour les destinations exotiques. Perte de sa frugalité d’antan. Ravages de la reconversion. Questions existentielles. Naissance d’une profession, agonie de l’emploi. Haute distinction du Travail consécutive à sa raréfaction. Travail ingrat du chercheur de Travail. Caractère peu nourrissant de sa tâche. Maxime édifiante et chanson du chroniqueur.
Cette chronique chantera les louanges du travail. Il n’est que temps : l’espèce est en voie de disparition. A peine l’a-t-on trouvé qu’il file entre les doigts comme le mercure d’un thermomètre brisé. On le retrouve blotti dans un faubourg famélique de Bombay, une favela lépreuse de Buenos Aires, que sais-je, au fin fond d’une catacombe enfumée de la grande banlieue de Djakarta. A l’inverse de ce que professaient Montesquieu et les physiocrates, il semble désormais ne s’épanouir que sous les cieux les plus tropicaux, les climats les plus caniculaires, parmi les démographies les plus galopantes, au milieu des végétations les plus luxuriantes, bref des paysages de carte postale.
Il faut s’y faire : le travail a pris des goûts de luxe. Il se contentait jadis de l’humble masure fouettée par le noroît du cultivateur picard, il se sentait à l’aise dans la tiède promiscuité de l’atelier du faubourg Saint-Antoine, il appréciait la trépidante convivialité de la chaîne de laminage mosellane. L’humble masure est en ruine, un couple d’antiquaires londoniens à la retraite la rachète pour une bouchée de pudding. Après l’avoir restaurée à grands frais, il y abrite son basset-hound du noroît. L’atelier du Faubourg Saint-Antoine, métamorphosé en garçonnière d’une opulence sardanapalesque, héberge un rentier moscovite qui a entassé une fortune scandaleuse dans la contrebande des œufs d’esturgeon. On a transformé la chaîne de laminage à l’arrêt en musée de l’ère industrielle. Des foules moroses d’autochtones désœuvrés s’y viennent recueillir avec nostalgie. Leurs enfants insouciants jouent parmi les herbes folles qui poussent entre les voies du chemin de fer désaffecté. En un mot, la reconversion fait rage.
Le travail a fui vers d’autres horizons. Peut-on s’y résoudre ? Doit-on chercher à le rattraper, comme un évadé que des gendarmes bienveillants entendent ramener à la quiétude de sa cellule ? D’aucuns le pensent. Ils ont inventé une profession nouvelle : ils se font Chercheurs de Travail, comme d’autres deviennent chasseurs d’étoiles ou pêcheurs de galaxies. Il ne faut pas les confondre avec les chômeurs. Ceux-ci ne cherchent pas le travail – ils savent bien que l’animal a depuis longtemps pris la tangente – ils se contenteraient d’un emploi. Et des petites gratifications matérielles qui vont avec, l’Homme ne vit pas que d’amour et d’eau fraîche. En tous cas pas bien longtemps.
Jadis, dans un passé déjà nimbé de fantastique, le travail courait nos rues, c’était au monde la chose la plus commune. Si commune, en fait, que les gens bien nés ne daignaient y toucher, même avec des gants. Maintenant qu’il s’est évaporé, il a pris des quartiers de noblesse : on l’affuble d’une majuscule. Le Chercheur de Travail, semblable au prospecteur de pétrole, en traque inlassablement des gisements.
Il paraît qu’il en subsiste : le gouvernement le promet, l’ expert le confirme, l’Homme y croit. C’est un spectacle exaltant que d’observer à l’œuvre le Chercheur de Travail. C’est pourtant une besogne de forçat, il faut avoir tué père et mère pour s’y lancer. Un chien n’en voudrait pas. Il faut le voir renifler avec obstination le moindre recoin d’entrepôt à l’abandon ou la plus étriquée parcelle de friche industrielle, le groin au ras du sol, frétillant du croupion tel un cochon truffier sur la piste du diamant noir. Las : dès qu’il en a détecté la plus infime trace, le Travail s’esbigne comme mirage devant l’assoiffé. Lorsqu’on le croit par ici, il est déjà passé par là, et contrairement au furet de la comptine, il ne repassera plus ici.
Le métier ne nourrit guère son homme. Le chercheur de Travail arbore dès le début du mois une mine de fin de semaine difficile. Il s’alimente de soupe livide, de tranches de pain plus fines qu’un timbre-poste et plus coriaces qu’un os de seiche ; son vin ne laisse nulle tache sur la nappe. Sa voiture a depuis des lustres dépassé la date de péremption et l’unique complet qu’il lui reste laisse passer la lueur blafarde de sa peau. Il n’en a cure, sa confiance dans l’expert reste inébranlable, il irradie d’optimisme et son énergie ferait plaisir à voir si elle ne se vouait à une cause aussi désespérée.
Résumons-nous : le Chercheur de Travail court inlassablement après une chimère. C’est Tantale essayant de remplir le tonneau des Danaïdes avec l’aiguille de Pénélope. Le Travail ne rend libre que ceux qui peuvent s’en passer. C’est ce que chante le chroniqueur.
Gobu
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 70
Date d'inscription : 18/06/2007
tres interressant
Bonjour ,
Quel bel article, en tout points intéressant. Pour publier tes écrits, choisirais- tu un imprimeur francais à 10 euros la reliure ou un Phillipin à 0.1 euro , livraison comprise?
Merci pour ton texte .
PW
Quel bel article, en tout points intéressant. Pour publier tes écrits, choisirais- tu un imprimeur francais à 10 euros la reliure ou un Phillipin à 0.1 euro , livraison comprise?
Merci pour ton texte .
PW
Invité- Invité
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
Pas mal !!!! cependant, je ne trouve pas l'animal !!! Tu utilise des animaux dans des expression mais pas dans l'histoire ... A moins que je ne me trompe !!
Morgane
Morgane
Lespervenchesdegariau- Nombre de messages : 27
Date d'inscription : 12/06/2007
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
[quote]Pas mal !!!! cependant, je ne trouve pas l'animal !!! Tu utilise des animaux dans des expression mais pas dans l'histoire ... A moins que je ne me trompe !!
Salut Morgane
Et le basset hound du couple d'antiquaires londoniens, alors, avec ses oreilles qui balayent la poussière et son regard de quêteur de l'armée du Salut ? C'est pas un nanimal, ça ?
Merci pour ton commentaire
Gobu
Salut Morgane
Et le basset hound du couple d'antiquaires londoniens, alors, avec ses oreilles qui balayent la poussière et son regard de quêteur de l'armée du Salut ? C'est pas un nanimal, ça ?
Merci pour ton commentaire
Gobu
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 70
Date d'inscription : 18/06/2007
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
Sympa, percutant et bien écrit. Ca ressemble à un billet d'humeur, un brin impertinant, un brin noir.... J'aime bien
Certaines tournures et images fortes ou drôles... nan nan vraiment, y a pas, j'aime bien !
Certaines tournures et images fortes ou drôles... nan nan vraiment, y a pas, j'aime bien !
Mériam- Nombre de messages : 119
Date d'inscription : 13/03/2007
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
Le Travail ne rend libre que ceux qui peuvent s’en passer
ça, j'adore !
J'ai beaucoup aimé ton texte, le ton, le décalage, à la limite de la parodie mais avec un fond de sérieux qui ressort au détour des phrases. Rien à redire non plus sur le style. Un registre que l'on n'a pas souvent sur VE. Bref, ça m'a bien plu.
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 49
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
Ça me plaît ça :-)
Toutes les caractéristiques d’un pamphlet réussi.
Toutes les caractéristiques d’un pamphlet réussi.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 60
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
c’est succulent, parfaitement bien écrit, plein d’un humour que j’apprécie, c’est bien traité à défaut d’être tout à fait original. Bref, ça me plaît beaucoup, beaucoup. Tu me fais penser, et crois-le, c’est un compliment, à ce que pond trop rarement sur un autre site un dénommé Bolcho que j’ai également souvent apprécié en d’autres temps. Moi j’aime bien répéter un truc qu’un autre a dit mais que je fais mien : « Le travail ? Oh je sais ce que c’est ! Je l’ai vu faire… » ;-) Beau travail, Gobu ! :-)))
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
C’est Tantale essayant de remplir le tonneau des Danaïdes avec l’aiguille de Pénélope.
Excellent!
J'ai eu un peu de mal à entrer dans le texte au départ; par la suite ça va mieux. C'est très bien écrit, il y a de belles tournures et images, mais je ne sais pas pourquoi, j'ai un peu l'impression d'être passé à côté... ça vient sans doute de moi pour le coup :0)
Excellent!
J'ai eu un peu de mal à entrer dans le texte au départ; par la suite ça va mieux. C'est très bien écrit, il y a de belles tournures et images, mais je ne sais pas pourquoi, j'ai un peu l'impression d'être passé à côté... ça vient sans doute de moi pour le coup :0)
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
En voilà de la chronique en v'la, slightly vialatteuse, mais simply Gobuesque.
et cette :
et cette :
qui va bien.opulence sardanapalesque,
Invité- Invité
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
Les digressions sont excellentes, comme le ton. Ah, que d'évidences de l'amenuisement jusqu'à la presque dissolution de ce trésor devenu rarissime...
Encore une preuve de plus des raisons du déséquilibre de la couverture maladie ; les gens sont de plus plus malades, de la civilisation, de la pollution, du réchauffement des restes, des éternuements des phoques propagés par la fonte du Spitzberg. Or le travail c'est la santé. Démonstration sans appel.
De la chronique de cet acabit, on la mange sans faim, et on en redemande.
Encore une preuve de plus des raisons du déséquilibre de la couverture maladie ; les gens sont de plus plus malades, de la civilisation, de la pollution, du réchauffement des restes, des éternuements des phoques propagés par la fonte du Spitzberg. Or le travail c'est la santé. Démonstration sans appel.
De la chronique de cet acabit, on la mange sans faim, et on en redemande.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: TRAVAIL : Chronique du Travail
J'adore le mariage superbement réussi du style très XVIIIe (Montesquieux, Voltaire, rien de moins !) au sujet on ne peut plus d'actualité. C'est du grand Gobu-Zadig
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