Exo de l'été : Elles avaient le même regard

D’une voix monocorde et nasillarde, le présentateur à la tête de playmobil égrenait les informations, enchainant en vrac inepties, catastrophes, marronniers, et poujadismes. A droite de cette nature morte en seize neuvième, la fenêtre carrée s’emplissait des bruits fatigués d’une fin d’après midi caniculaire. La rue au dessous semblait soupirer, expirer ces derniers râles écrasés de chaleur, appelant d’un souffle trop rare l’orage qui ne manquerait pas d’arriver, aujourd’hui, demain, plus tard …

Sans vraiment écouter, il entendit l’histoire d’un homme annoncé gagnant d’un pactole mais finalement, quelques jours plus tard, déclaré perdant, une erreur informatique dirent ses « fossoyeurs ». Et notre homme, là, transpirant, immobile sur son canapé, pensa que cela aurait pu lui arriver. Bien sûr, pour ça, encore aurait il fallu qu’il joue à une quelconque loterie ou autre concours. Non, ce qu’il pensait, clairement, c’était plutôt qu’il aurait pu lui aussi ressentir une grande joie suivie d’une profonde désillusion. Il était de ce type d’homme. Peut-être était ce plus juste de lui laisser d’ailleurs l’antériorité des désillusions par rapport à ce faux vainqueur du loto. C’était ce faux vainqueur qui lui ressemblait plutôt que l’inverse. Bah ! De toute façon, le résultat était le même se dit-il. Il avait eu ses bons moments comme tout le monde. Bien sûr, banalement, il les jugeait trop peu nombreux, trop brefs. Evidemment trop brefs. La conscience du bonheur comme semblant de nature à le faire fuir.

L’enfance, probablement. Il avait sans doute été heureux, souvent, presque toujours peut être. Il ne s’en souvenait pas vraiment. Il était sûr en tous cas de ne pas avoir été malheureux. Alors heureux, pourquoi pas. Non surtout, il pensait à la Sicile. Deux fois en été. Deux femmes différentes, distinctes, dissociées. Deux souvenirs, un même lieu. La première fois, l’Etna qu’ils fixaient des yeux chaque soir, depuis leur balcon surplombant la mer. Chaque soir le même rituel, un peu enfantin. Ferme les yeux lui disait elle ! Ferme les yeux, tais-toi et concentre-toi. Elle aussi fermait les yeux, elle ne trichait jamais, lui, parfois. Et ils dirigeaient mentalement leurs forces vers le volcan, espérant le jaillissement rougeoyant de sa puissance, comme si leur passion vibrante pouvait trouver là une matérialisation terrestre. Il aimait cet instant, suspendu, intemporel. Il aurait donné tout pour le revivre, éternellement.

Quelques années plus tard, le bonheur avait changé de cap. Ca ne devait pas être la bonne lui dirent ses « fossoyeurs ». La désillusion fut longue à digérer. Heureusement, il lui restait la petite, sa petite. Au départ, il ne l’avait pas beaucoup vu. Sa mère ne le laissait pas véritablement occuper sa place de père. La séparation avait été douloureuse et elle semblait se servir du bébé pour le faire payer. En tous cas, c’était ainsi qu’il le ressentait, à tort ou à raison. Le temps aidant, les rancœurs s’étaient effacées et ne resta que le lien fort, immuable que représentait cette enfant. L’année de ses trois ans, il l’avait eu tout le mois d’août avec lui. Elle l’avait autorisé à emmener sa fille en vacances, sa première fois en avion. Probable que ça l’arrangeait bien, probable qu’elle avait pu ainsi gagner un autre balcon devant un autre volcan avec un autre homme, lui aussi gagnant éphémère d’une loterie truquée. Mais peu lui importait car il emmenait sa fille voir Lipari, Syracuse, Ségeste et Cefalù. Il n’avait pas choisi le même hôtel mais comme avec sa mère, des années plus tôt, il ferma les yeux devant l’Etna. Depuis le théâtre gréco-romain de Taormina, il expliqua à sa fille la puissance du volcan et ils se prirent à rêver de sa puissance. Sa fille ne ferma pas les yeux ou juste par jeu, quelques secondes à peine et puis un rire. Ce qu’il ressentit alors était bien plus intense que cinq ans plus tôt sur ce balcon. Cette fois-là, il savait que nulle désillusion, nulle amertume ne suivrait. Elle avait le même regard que sa mère mais il savait que, dans ce regard ci, son reflet ne changerait jamais.

Bon, ben j'ai pas trop suivi les contraintes. Mais bon, après plusieurs mois sans rien écrire, j'ai essayé de sortir quelque chose. Ca ne correspond pas vraiment mais bon, c'est une remise en route :-))

Format : +ou- 25 000 signes, espaces comprises. --> 4500 signes
Sujet : il est seul dans une chambre d’hôtel. Dehors la nuit tombe dans une chaleur étouffante. Il songe à un moment heureux de sa vie tandis qu’une émission télévisuelle relate un fait divers.
Contraintes :
• Texte à l’imparfait
• Narration à la troisième personne du singulier
• Une phrase doit être un poncif, ou lieu commun ou un cliché d’une rare banalité.
• Présence de dialogues obligatoire --> cherchez pas, y a pas
• Le texte fini sur une note positive

Consignes ou pas, c'est un vrai bonheur de te re lire Charles !

Le premier paragraphe m'a tout de suite mise dans l'ambiance, avec un excellent choix de mots, (la tête de playmobil m'a ravie, je déteste les présentateurs télé !)

Belle image de l'Etna en face d'une passion.

Beaucoup de douceur dans l'évocation des vacances avec son autre "femme" !

Les filles sont chargées de pallier les insuffisances des mères... dur, ça ! On y épuise sa vie ( sais bien de quoi je parle !)

En tout cas un texte très bien fichu, que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire.

Lu , d'une traite. Du Charles, oscillant doucement entre éthéré et plus sérieux sous la dent. Quand à remettre le poids de la vie dans les cartables des filles, peut-être que c'est moins à la mode... le siècle avance...
Un plaisir de te relire.

Charles,

Globalement, j'ai eu du mal. Je ne sais pas si je commence à devenir allergique à mon écran.

« le présentateur à la tête de playmobil » → bof, je ne sais même pas comment est la tête d'un playmobil. Du coup, une phrase d'entrée peu « embalante », car en rapport à l'enfance, alors que la seconde partie de la phrase me semble de niveau à valoir une autre comparaison.

« Peut-être était ce plus juste de lui laisser d’ailleurs l’antériorité des désillusions par rapport à ce faux vainqueur du loto. » , je ne comprends pas ce que cette phrase vient faire là.

« La conscience du bonheur comme semblant de nature à le faire fuir » une bonne phrase, mais je l'aurai simplifiée ainsi : « La conscience du bonheur semblait de nature à le faire fuir »

Le 3eme paragraphe est le meilleur.

L'emploi de « fossoyeur » deux fois n'est pas très porteur de bonheur et teinte le texte de pessimisme surtout qu'il est entouré de "-", ce qui le stigmatise à la lecture. C'est un mot fort.

La suite, euhhhhhh, aller courage !! Jolie dernière phrase. Et 25.000 caractères, ce n'est que 5 fois plus !

L'amertume de l'homme marqué par la séparation est bien rendu dans ce texte. La dernière partie est aussi ma préférée.
Note : Ça, pour le Ç taper alt et 128 (googlelises : caractère ANSI )

Un texte sur la souffrance de ce temps...passé, la lassitude, la rancoeur et cette fin, face à l'enfant, fruit de cet amour mort, lui, pourtant bien vivant...

Des émotions vraiment bien transcrites pour qui a vécu ces moments : Un écrit juste...

Je me sens partagée avec ton texte, Charles.
D'abord, le plaisir de te relire et ça, ça se déguste. Ensuite, cette ambiance que tu réussis à créer, on ressent la nostalgie, on verrait bien l'Etna dans nos têtes et la désillusion de la séparation, elle est là, bien présente.
Mais le format me laisse sur ma faim, car à peine le temps de s'installer et c'est terminé. il y a un emballement à un moment donné pour clore l'histoire, alors que le début prend le temps - parfois laborieusement à cause d'une pléthore de détails - de s'installer. C'est comme si il avait fallu conclure et voilà, tant pis pour la densité de l'histoire et son rythme. C'est dommage car tu tiens là quelque chose de bon. En même temps, sur du long, il aurait peut-être fallu adapter le ton général pour que ça ne devienne pas trop sombre et "pathos". Vrai que sur ce point, la taille choisie colle assez bien à l'humeur du bonhomme.
Bref, le potentiel est là, fort et agréable, reste à le peaufiner un peu. Simple avis perso, bien sûr.

Bonjour Charles,

Je ne crois pas connaitre ton écriture, je suis trop récente ici. J’ai lu ton texte d’une traite, et j’en sors un peu mitigée.
J’aime beaucoup ta musique, je veux dire le rythme de tes phrases, la douceur des mots : c’est rond, mauve. J’aime aussi la deuxième partie, le balcon avec l’autre femme, celle qui triche mais à elle on pardonne, parce qu’on ne peut que pardonner à son enfant.
J’ai moins aimé la façon dont tu amènes le sujet, les digressions sur le faux gagnant : je trouve ce paragraphe trop long par rapport au texte, cela déséquilibre l’ensemble. J’ai bien compris qu’à l’origine le tout devait être plus long, mais si tu choisis cette chute, pourquoi pas, elle se tient, elle est douce et sensible, je pense que tu peux couper dans ce deuxième paragraphe. Par contre, le troisième, sur le bonheur :

Il avait sans doute été heureux, souvent, presque toujours peut être. Il ne s’en souvenait pas vraiment. Il était sûr en tous cas de ne pas avoir été malheureux. Alors heureux, pourquoi pas.

Ça, c’est vraiment chouette. L’enchainement enfance / âge adulte est un peu abrupte à mon goût, j’aurais préféré un fondu-enchainé, mais ce n’est qu’un avis.

Merci pour cette lecture.