Le Tumulte (premières pages)
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Le Tumulte (premières pages)
Bonsoir,
Que pensez-vous de ce début de récit ? Merci pour vos remarques et critiques.
Je vis au milieu d’esclaves. Depuis que je suis revenu au village il y a deux ans exactement, je les vois partout. Je leur parle. Je peux les toucher et même provoquer en eux des réactions humaines.
Hier, on m’a évoqué pour la première fois l’existence des dissidents. Un homme passait dans la rue. Il m’a regardé fixement dans les yeux : « Etranger, tu es là pour rencontrer les lions de la forêt… » Je ne savais pas ce qu’il voulait insinuer par ces animaux qui vivraient dans une grande forêt derrière le village de mes parents. J’étais là pour un héritage familial. D’autant que le temps s’était arrêté depuis que j’avais débarqué dans cette région oubliée par les cartes et les hommes. Je voulais continuer mon chemin, lorsqu’il a encore dit : « De toute façon, tu ne peux plus partir, tu le sais. Celui qui pénètre dans le village, n’en ressort plus… Comme nous tous »
Il avait raison. A mon arrivée impromptue, mes papiers s’étaient volatilisés, et personne ne me reconnaît plus désormais. Dans deux jours s’achève le délai accepté par le juge du village pour prouver qui je suis, et récupérer mon héritage. Je sais, comme l’homme qui m’a intercepté dans la rue, que je ne réussirais pas la première chose, à savoir décliner mon nom de famille et l’arbre généalogique de mes ancêtres nés ici ; quant à mon fameux héritage, qui m’avait poussé à un tel déplacement sans retour, il s’agissait tout simplement de connaître enfin, à trente-cinq ans, l’identité de mon père et de ma mère.
Je pensais être orphelin jusqu’à il y a deux ans. Je vivais comme tel en Guadeloupe jusqu’à l’arrivée d’une missive mystérieuse. Son timbre exotique m’a d’abord fait rêver. J’ai pensé à mon ancienne épouse qui aurait fait un voyage lointain vers le Sud du monde. J’ai également cru, avec une pointe d’orgueil, à un voyage fabuleux gagné grâce à un quelconque jeu qui ciblerait dans mon quartier huppé les noms à consonance française. Mais je sais aujourd’hui que j’étais affublé d’un faux patronyme, même s’il sonnait vrai et national, et que mon vrai nom est perdu quelque part dans les archives du village où je suis actuellement prisonnier. J’ai donc ouvert la lettre pour découvrir, en guise de signature, le sceau du notaire. J’ai vite compris que le contenu n’était point un jeu, ni une lettre envoyée par un individu rencontré au cours de ma vie. La lettre racontait, en substance, que j’avais eu des parents très riches et très importants, dont l’existence avait été très belle et très brillante, et que ces derniers avaient tenu à rester incognitos et anonymes jusqu’à cet instant précis.
Je rigolai, en premier lieu. Puis, en second lieu je devins tout bizarre pendant quelques temps. Je n’étais plus un orphelin comme supposé par le passé. Ma mine changeait. Je ne mangeais plus, ni ne dormais à cause du contenu de la lettre. Ma couleur de peau prenait une coloration maladive, brunâtre ou rougeâtre. Mon nez se transformait sous l’effet d’un gonflement inexplicable. Mon sexe tremblait certains soirs comme accaparé par un nerf qui vibrait malicieusement. Mon esprit mutait tout autant. J’imaginais ma mère inconnue. Je pleurais absurdement son deuil comme si elle venait de se séparer de ma personne après trente-trois ans de vie commune. L’image de mon vrai-faux père me hantait vers l’aube, surgissant avec l’épaisseur des matins glauques. Il m’apostrophait comme s’il me connaissait de vrai, disait « fiston » et « fils ». Il se permettait même des regards sé-vères et paternalistes. Je le chassais d’un revers de main et l’image s’évanouissait brusquement. Elle réapparaissait deux ou trois nuits plus tard, fidèle et têtue avec l’obscurité qui s’estompait et libérait le soleil. Le fantôme de mon père devenait franchement obsédant. Il s’octroyait des aisances, me narguait parfois, riait sous cape de je ne sais quoi ! J’en vins à craindre l’arrivée de l’aube et de l’esprit paternel. Celui-ci prit des allures plus précises, ses traits me ressemblaient certes mais je les inventais certainement durant mon sommeil : cheveux raides noirs de jais, coupés courts à la mode des années quatre-vingt ; un nez familial aquilin et mince, comme celui que j’avais avant ; des yeux un peu globuleux, exorbités légèrement, qui clignaient rarement et fixaient longtemps ; un front proémi-nent et intelligent d’artiste ou de prix Nobel en génétique. Ses lèvres s’ouvraient et se fermaient, des paroles d’outre-tombe résonnaient dans ma maison : « Viens au village, tu sauras qui tu es ». Ses bras ballants appelaient à la rescousse, mimant une embrassade chaleureuse. Je n’y tins plus. L’appel filial fut plus fort que ma peur du voyage. Que m’importait, adulte, de connaître qui furent mon père et ma mère, et de revenir vers mon passé plein de pénombre ? Pourtant, j’y suis allé.
Le village était une lande montagneuse quelque part en Afrique du Nord. Ma seule indication était l’adresse de l’enclave fournie sur la missive du notaire : Diour Lkbar – Atlas. Aucune trace de ce lieu imaginaire – que Google traduisit par : Maisons Grandes - dans les livres et les cartes que je consultai avec empressement. Par contre, j’étais né perché sur le flanc d’une frontière, entre deux pays, dans une épaisse montagne portant pompeusement le nom mythique d’un dieu ancien. Atlas. Que ce Colosse m’a doucement fait rêvasser. Dans l’avion, en survolant la chaine montagneuse, mon voisin de siège me montra une ligne alambiquée par le hublot : « Atlas ! Là, la ligne verte, c’est là ta destination ! »
(…)
Que pensez-vous de ce début de récit ? Merci pour vos remarques et critiques.
Je vis au milieu d’esclaves. Depuis que je suis revenu au village il y a deux ans exactement, je les vois partout. Je leur parle. Je peux les toucher et même provoquer en eux des réactions humaines.
Hier, on m’a évoqué pour la première fois l’existence des dissidents. Un homme passait dans la rue. Il m’a regardé fixement dans les yeux : « Etranger, tu es là pour rencontrer les lions de la forêt… » Je ne savais pas ce qu’il voulait insinuer par ces animaux qui vivraient dans une grande forêt derrière le village de mes parents. J’étais là pour un héritage familial. D’autant que le temps s’était arrêté depuis que j’avais débarqué dans cette région oubliée par les cartes et les hommes. Je voulais continuer mon chemin, lorsqu’il a encore dit : « De toute façon, tu ne peux plus partir, tu le sais. Celui qui pénètre dans le village, n’en ressort plus… Comme nous tous »
Il avait raison. A mon arrivée impromptue, mes papiers s’étaient volatilisés, et personne ne me reconnaît plus désormais. Dans deux jours s’achève le délai accepté par le juge du village pour prouver qui je suis, et récupérer mon héritage. Je sais, comme l’homme qui m’a intercepté dans la rue, que je ne réussirais pas la première chose, à savoir décliner mon nom de famille et l’arbre généalogique de mes ancêtres nés ici ; quant à mon fameux héritage, qui m’avait poussé à un tel déplacement sans retour, il s’agissait tout simplement de connaître enfin, à trente-cinq ans, l’identité de mon père et de ma mère.
Je pensais être orphelin jusqu’à il y a deux ans. Je vivais comme tel en Guadeloupe jusqu’à l’arrivée d’une missive mystérieuse. Son timbre exotique m’a d’abord fait rêver. J’ai pensé à mon ancienne épouse qui aurait fait un voyage lointain vers le Sud du monde. J’ai également cru, avec une pointe d’orgueil, à un voyage fabuleux gagné grâce à un quelconque jeu qui ciblerait dans mon quartier huppé les noms à consonance française. Mais je sais aujourd’hui que j’étais affublé d’un faux patronyme, même s’il sonnait vrai et national, et que mon vrai nom est perdu quelque part dans les archives du village où je suis actuellement prisonnier. J’ai donc ouvert la lettre pour découvrir, en guise de signature, le sceau du notaire. J’ai vite compris que le contenu n’était point un jeu, ni une lettre envoyée par un individu rencontré au cours de ma vie. La lettre racontait, en substance, que j’avais eu des parents très riches et très importants, dont l’existence avait été très belle et très brillante, et que ces derniers avaient tenu à rester incognitos et anonymes jusqu’à cet instant précis.
Je rigolai, en premier lieu. Puis, en second lieu je devins tout bizarre pendant quelques temps. Je n’étais plus un orphelin comme supposé par le passé. Ma mine changeait. Je ne mangeais plus, ni ne dormais à cause du contenu de la lettre. Ma couleur de peau prenait une coloration maladive, brunâtre ou rougeâtre. Mon nez se transformait sous l’effet d’un gonflement inexplicable. Mon sexe tremblait certains soirs comme accaparé par un nerf qui vibrait malicieusement. Mon esprit mutait tout autant. J’imaginais ma mère inconnue. Je pleurais absurdement son deuil comme si elle venait de se séparer de ma personne après trente-trois ans de vie commune. L’image de mon vrai-faux père me hantait vers l’aube, surgissant avec l’épaisseur des matins glauques. Il m’apostrophait comme s’il me connaissait de vrai, disait « fiston » et « fils ». Il se permettait même des regards sé-vères et paternalistes. Je le chassais d’un revers de main et l’image s’évanouissait brusquement. Elle réapparaissait deux ou trois nuits plus tard, fidèle et têtue avec l’obscurité qui s’estompait et libérait le soleil. Le fantôme de mon père devenait franchement obsédant. Il s’octroyait des aisances, me narguait parfois, riait sous cape de je ne sais quoi ! J’en vins à craindre l’arrivée de l’aube et de l’esprit paternel. Celui-ci prit des allures plus précises, ses traits me ressemblaient certes mais je les inventais certainement durant mon sommeil : cheveux raides noirs de jais, coupés courts à la mode des années quatre-vingt ; un nez familial aquilin et mince, comme celui que j’avais avant ; des yeux un peu globuleux, exorbités légèrement, qui clignaient rarement et fixaient longtemps ; un front proémi-nent et intelligent d’artiste ou de prix Nobel en génétique. Ses lèvres s’ouvraient et se fermaient, des paroles d’outre-tombe résonnaient dans ma maison : « Viens au village, tu sauras qui tu es ». Ses bras ballants appelaient à la rescousse, mimant une embrassade chaleureuse. Je n’y tins plus. L’appel filial fut plus fort que ma peur du voyage. Que m’importait, adulte, de connaître qui furent mon père et ma mère, et de revenir vers mon passé plein de pénombre ? Pourtant, j’y suis allé.
Le village était une lande montagneuse quelque part en Afrique du Nord. Ma seule indication était l’adresse de l’enclave fournie sur la missive du notaire : Diour Lkbar – Atlas. Aucune trace de ce lieu imaginaire – que Google traduisit par : Maisons Grandes - dans les livres et les cartes que je consultai avec empressement. Par contre, j’étais né perché sur le flanc d’une frontière, entre deux pays, dans une épaisse montagne portant pompeusement le nom mythique d’un dieu ancien. Atlas. Que ce Colosse m’a doucement fait rêvasser. Dans l’avion, en survolant la chaine montagneuse, mon voisin de siège me montra une ligne alambiquée par le hublot : « Atlas ! Là, la ligne verte, c’est là ta destination ! »
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Manuscrit- Nombre de messages : 7
Age : 55
Date d'inscription : 20/09/2011
Re: Le Tumulte (premières pages)
Je vous encourage vivement à continuer car la lecture de ce texte met en éveil et notre curiosité et notre intérêt pour la suite.
Invité- Invité
Re: Le Tumulte (premières pages)
Merci Iris pour vos encouragements.
A très bientôt j'espère
< Une remarque qui vaut pour tout auteur ici : prière de patienter un peu afin de regrouper vos réponses aux commentaires et non pas répondre systématiquement, ce qui fait remonter votre texte en haut de page au détriment des textes des autres auteurs.
Merci de votre compréhension.
La Modération >
.
A très bientôt j'espère
< Une remarque qui vaut pour tout auteur ici : prière de patienter un peu afin de regrouper vos réponses aux commentaires et non pas répondre systématiquement, ce qui fait remonter votre texte en haut de page au détriment des textes des autres auteurs.
Merci de votre compréhension.
La Modération >
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Manuscrit- Nombre de messages : 7
Age : 55
Date d'inscription : 20/09/2011
Re: Le Tumulte (premières pages)
j'aime aussi.
C'est fluide, des phrases courtes, légères, et du mystère.
Et on a envie de continuer : pour moi, c'est oui !
C'est fluide, des phrases courtes, légères, et du mystère.
Et on a envie de continuer : pour moi, c'est oui !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Le Tumulte (premières pages)
Oui, hormis quelques incorrections de langue, c'est pas mal du tout, bien structuré, plaisant à lire. A poursuivre, sans aucun doute.
Invité- Invité
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