Aire de stationnement

Aire de stationnement

quelquefois, les dimanches mauvais,
je prends l’autoroute,
oubliant les kilomètres, je roule à la dérive,
l’envie à l’infini, avant le décompte des jours,
le bout de ma langue léchant le fond du réservoir,
je franchis les viaducs comme on trace un trait,
le ciel en fuite pressant la distance,
plus loin, plus profond,
au-dedans de la forêt bleue,
quand vient la dernière station-service,
juste avant la limite,
je m’arrête
là, sous les néons de la cafétéria,
je pose les mains sur le formica,
j’attends
celui qui s’installera face à moi,
celui qui trop las ne se refusera pas
de ma place je croise les camions sur le parking,
les cabines peintes à l’aérographe,
les chromes incandescents dans les phares,
menaces excitantes d’une promesse inconnue
je suis l’impudique,
ouverte sur la couchette de lycra,
reine sur l’asphalte, j’intronise mes sujets
et quand dans l’obscurité,
la probabilité de ce huis clos file,
je glisse mes deux euros sous l’addition

Ton univers est celui des Lynch, Scorcese et Wenders, pas étonnant que je m'y sente bien, que j'entre de plain-pied dans l'histoire que tes mots racontent. J'aime vraiment beaucoup : l'attente, la porte ouverte sur le fantasme ; on a les rêves qu'on peut, à sa portée et inaccessibles tout à la fois.

mention spéciale pour :

le bout de ma langue léchant le fond du réservoir,
je franchis les viaducs comme on trace un trait,

je me demande d'ailleurs si un présent tout bête : "le bout de ma langue lèche le fond du réservoir," n'apporterait pas une plus grande fluidité à l'ensemble des deux vers)

Voilà quelque chose de bien particulier, d'accord avec les références cinématographiques

une ambiance que j'ai souvent rencontrée...

Ce texte est un véritable bonheur !
tout y est en place
c'est efficace
percutant
"Jubilatoire"
un vrai bol "d'aire"

Un style particulier, qui colle tout à fait à l'ambiance et à l'originalité de ce texte.
Superbe !
Ji

Merci.
C'est un petit texte que j'avais écrit lors de l'un des derniers exo-live. J'ai eu envie de le retravailler, j'avais été frustrée par le temps et la fatigue et n'avais pas réussi à le finaliser complètement.

C'est l'univers d'Edward Hopper qui m'a sauté aux yeux en te lisant, abstract. Ces solitudes habitées qui se côtoient sans se rencontrer. Un beau texte que je trouve poignant.

Très cinématographique oui. De la vitesse puis de l'attente lente.
Ces dimanche d'autoroute, ça me parle beaucoup.

Ambiance Scorcese Wenders, ambiance "After Hours" j'adore mais... mais je ne vois aucune poésie dans ce texte.
Désolé.

Funambulisme sur le fil des possibles dans l'improbable cirque de nos vies.

Je n’ai pas grand-chose à rajouter aux commentaires précédents sur l’efficacité de la création d’ambiance. Le texte pourrait effectivement être retravaillé un peu pour être parfait mais c’est déjà très bon je trouve.