La métamorphose ratée de Yoni Wolf
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Marco
Janis
Yoni Wolf
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La métamorphose ratée de Yoni Wolf
Tu lis des poèmes devant des gens. Tout est bien. Tu offres ton coeur aux gens. Tu descends dans la soute et remontes les bras chargés de haine. Les gens te regardent et toi tu ne parle qu'à toi, tu règles tes comptes, petit bonhomme colérique et ridiculement grave. Les gens te regardent et tu leur montres ce qu'ils ne veulent pas voir. Les gens écoutent d'une oreille et se grattent machinalement l'autre. Il n'y a pas d'évènement, pas de soirée, pas d'échange, pas de poésie. Les gens ne sont pas là pour toi, ils sont là pour eux."Tiens et si je venais me voir regarder Pierre Anselmet."
La lecture avance, tu interpelles les gens mais il n'y a pas de réponse. Pas d'échange. Pas de poésie. Et puis la lecture se termine, on achète tes bouquins, on te félicite un peu et puis tout le monde s'en va, se casse, se tire et toi tu te retrouves seul face à la serveuse qui ne te calcule pas. Devant ta bouteille. Tu redeviens anonyme. Les gens ont désormais besoin de se distraire. Tu leur as fait vivre ta vie, tu es la croix du Christ, les gens se sont cloués à toi, les gens ont souffert contre toi, avec toi, et ils ont besoin désormais de s'en foutre. Ils ont besoin de redevenir eux-même. Juste eux-même. Mais toi tu es toujours eux, tu es tous ces gens qui ont pressé leur esprit contre ton corps éclaté. Tu veux devenir leur ami, leur amant, tu veux partager leur lit et jouer à la pétanque avec eux. Tu te dévoues pour couper la pizza, et hahaha, on rit ensemble, on décide de partir en vacances, on trace des plans sur la comète, on est tous amoureux les uns des autres. Mais les gens n'aiment pas les comètes, et ont peur de l'amour. Alors tu te retrouves seul avec ta fureur et ton éclat, tu pleures, tu perds ta dignité, tu bois, tu vomis ton génie dans les toilettes, écrasé, tu vomis ton orgueil et tes défaites, tu vomis ton charisme et insultes les femmes. Il n'y a plus rien de beau, tu redeviens mesquin, âpre, intouchable, tu redeviens chien et tu glapis piteusement. Les gens se sont détournés, ils regardent vers l'avenir, ils oublieront bien vite ta dégaine, et toi tu feras semblant de te porter seul. Tu feras semblant d'être fort. Tu feras semblant de faire semblant, alors que tout ce qui sortira de toi sera vrai. Mais tu ne l'assumeras jamais. Tu es naïf et je t'aime pour ça. Soyons amis.
La lecture avance, tu interpelles les gens mais il n'y a pas de réponse. Pas d'échange. Pas de poésie. Et puis la lecture se termine, on achète tes bouquins, on te félicite un peu et puis tout le monde s'en va, se casse, se tire et toi tu te retrouves seul face à la serveuse qui ne te calcule pas. Devant ta bouteille. Tu redeviens anonyme. Les gens ont désormais besoin de se distraire. Tu leur as fait vivre ta vie, tu es la croix du Christ, les gens se sont cloués à toi, les gens ont souffert contre toi, avec toi, et ils ont besoin désormais de s'en foutre. Ils ont besoin de redevenir eux-même. Juste eux-même. Mais toi tu es toujours eux, tu es tous ces gens qui ont pressé leur esprit contre ton corps éclaté. Tu veux devenir leur ami, leur amant, tu veux partager leur lit et jouer à la pétanque avec eux. Tu te dévoues pour couper la pizza, et hahaha, on rit ensemble, on décide de partir en vacances, on trace des plans sur la comète, on est tous amoureux les uns des autres. Mais les gens n'aiment pas les comètes, et ont peur de l'amour. Alors tu te retrouves seul avec ta fureur et ton éclat, tu pleures, tu perds ta dignité, tu bois, tu vomis ton génie dans les toilettes, écrasé, tu vomis ton orgueil et tes défaites, tu vomis ton charisme et insultes les femmes. Il n'y a plus rien de beau, tu redeviens mesquin, âpre, intouchable, tu redeviens chien et tu glapis piteusement. Les gens se sont détournés, ils regardent vers l'avenir, ils oublieront bien vite ta dégaine, et toi tu feras semblant de te porter seul. Tu feras semblant d'être fort. Tu feras semblant de faire semblant, alors que tout ce qui sortira de toi sera vrai. Mais tu ne l'assumeras jamais. Tu es naïf et je t'aime pour ça. Soyons amis.
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
ah ça, c'est oui.
oui.
oui.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
Et cette fois, tu réussis ton coup. ta poésie est entrée dans leur corps. Leur corps à tous. Ils s'oublient, ils te s'aiment, fraternité plurielle, tu deviens bleu de bonheur, tu deviens bleu, tu n'as plus besoin d'autre chose, tu es là où ils sont, ils sont las, tu n'es fatigué de rien, la nuit est immense et le jour se lève à travers, et jamais plus de travers, tu traverses dans les clous et tu trouves ça génial, il n'y a plus besoin de révolte, ils sont toi, tu es eux, on colle tous ensemble une bonté fastueuse, mais sur qui ?
Alors on recommence : tu es toi, je suis moi, on n'est pas vraiment pareil, t'es con, pas moi bien sûr ! On est séparés. Merde, dommage...
J'aime beaucoup, Pierre, et j'ai eu envie de continuer sur ta lancée - mais avec mon regard....
Alors on recommence : tu es toi, je suis moi, on n'est pas vraiment pareil, t'es con, pas moi bien sûr ! On est séparés. Merde, dommage...
J'aime beaucoup, Pierre, et j'ai eu envie de continuer sur ta lancée - mais avec mon regard....
Invité- Invité
Pas mal
J'ai lu deux fois le texte. Après la deuxième lecture, j'ai envie de dire : "Il y a quelque chose." (on ne peut pas oublier ton âge, évidemment). Un peu fouillis, mais l'idée suit son cours, sans dévier, avec de belles images. Par contre, le "calculer", sacrifice à la mode, ne s'imposait pas à mon avis.
Marco- Nombre de messages : 33
Age : 65
Date d'inscription : 07/09/2008
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
C'est bien ce qui me semblait, le retour de bâton, le mouvement du pendule, l'oscillation entre et entre : http://www.vosecrits.com/t9901-la-metamorphose-de-yoni-wolf
Quelle impressionnante (effrayante !) mise à nu ! Gaffe à toi, Yoni...
Quelle impressionnante (effrayante !) mise à nu ! Gaffe à toi, Yoni...
Invité- Invité
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
Merci. Et oui, Easter, je dois faire gaffe. Je suis sur une pente dangereuse. Mais j'aime ça. Mon personnage me dépasse de plus en plus.
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
salut.Yoni Wolf a écrit:Mon personnage me dépasse de plus en plus.
je viens de lire le truc, pas mal.
pour que je comprenne : c'est un texte qui fait partie d'une histoire + globale?
j'ai dû un peu me concentrer pour lire, j'hésite entre me dire que c'est peut-être un tout petit peu abscons/serré par endroits (surtout au début; on apprécie la pizza, la pétanque, le hahaha, qui "aèrent" un peu le texte) ou me dire que c'est seulement parce que je ne connais pas ce qui précède.
tu as un projet au long cours, yoni wolf?
en tout cas pas mal.
y a une question aussi : le nombre assez élevé des "tu", des "interpellations" du personnage principal par la personne qui rédige. à voir si y a pas moyen de mieux l'utiliser (soit en raréfiant un peu ces interpellations, qui, à certains moments du texte, ont un côté un peu répétitif peut-être ; soit au contraire en en jouant, en utilisant ça encore mieux, pour créer une ambiance lancinante).
y a des images pas mal (la croix)
Meilhac- Nombre de messages : 49
Age : 48
Date d'inscription : 25/09/2011
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
c'est très chouette. un peu hypnotisant mais très chouette.
hi wen- Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
Un personnage, oui, qui joue, qui s'amuse, qui aime bien se regarder.... cela transparaît encore plus dans ce texte (je parle ici du narrateur et pas de l'auteur même si dans le cas présent, l'un ou l'autre aiment faire croire qu'ils sont l'un et l'autre, mais je préfère préciser que je vise ici le texte et non la plume dont il est issu).Yoni Wolf a écrit:Mon personnage me dépasse de plus en plus.
Aucune transparence ici, un miroir, un voile, de l'artifice pour masquer une vérité que l'on voudrait noble et qui ne l'est pas.
Tu abuses encore et encore du JE, du TU, c'est lui que contemple le narrateur à travers l'autre devenu responsable des maux du monde. Un geste que je déteste en général et je ne déroge pas à la règle cette fois, trop nombriliste pour être honnête.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
Je suis mitigé. Il y aurait beaucoup à dire, je n'en ai pas le courage, car l'intention est complexe — ici, on peut se permettre de la commenter, étant donnée la part autobiographique importante. Il y a selon moi plusieurs niveaux à la conscience, elle se retourne de facto nécessairement sur elle-même, c'est une imbrication à l'infini de regards qui se croisent ; en partant de ce préalable, il est particulièrement difficile de trouver la sincérité, l'authenticité dans la pensée et dans la parole. Ton personnage, comme tu le nommes, c'est toi et pas tout à fait, c'est toi poétique, c'est toi écrit, c'est toi qui écris et qui te regardes écrire, c'est une transcription de toi qui ne peut qu'être à la fois fidèle et déformée, entière et manipulatrice. Le problème avec la transcription de soi, c'est qu'elle implique le regard sur soi. Le regard sur soi implique une distanciation, une objectivation, et c'est normal car plus on s'éloigne d'un mur plus on le voit clairement et dans son ensemble ; mais l'acuité de la vision, si elle implique une distance, implique du même coup un décalage, une contemplation, un théâtre, et c'est tout le problème du je qui se fait lui-même devenir il, car on ne peut être à la fois sujet et objet : lorsque tu observes ta propre respiration, elle change automatiquement, si bien que tu n'es pas en mesure de la saisir dans sa libération, dans sa solitude, dans sa pureté. De la même façon, lorsque tu te penses, lorsque tu t'écris, lorsque tu t'observes, tu es un autre pour toi-même, tu es un théâtre pour toi-même, tu joues un jeu, un personnage, encore, tu es malgré toi à nouveau dans un processus mensonger, dans un processus social — il n'y a pas d'intimité de soi à soi. Ce retournement fallacieux est encore renforcé par l'acte littéraire puisque là, non plus malgré toi mais parce que tu le veux, tu dis poétiquement et par les mots ce que tu perçois de toi. La sincérité est donc entachée par deux médiations, toutes deux finalement plus ou moins obligées : le soi par le prisme distancié de soi qui passera ensuite par le prisme de la langue. Rien n'est immaculé, au contraire tout est perverti. L'absolu de soi n'est en rien saisissable, c'est encore une comédie face à l’œil étranger.
Pour aller vite, car ce sujet me touche et me fatigue, je pense que tu crées ici une petite mythologie de toi-même, à la fois involontaire et assumée. Au jeu obligé du verbe croire, tu n'as pas l'air de vraiment savoir, et le lecteur non plus. L'émotion dégagée est incontestable, mais les formes a priori de la représentation font dans mon cas que le procédé prend le pas sur le brut. Je pense que tu es victime de ce personnage qui veut être personne. Encore un effet d'emboîtements assez infernal. Parce que ce que je perçois de toi à travers tes textes, c'est l'image assez surfaite d'un jeune poète à fleur de peau qui brise les cadres et les conventions pour une mise à nue intégrale. Si de toi je me fais une image, c'est bien que la mise à nue est si nuancée qu'elle déforme l’œuvre. Ta démarche est complexe ; louable ou non, je ne sais pas, mais elle n'est selon moi pas aboutie.
Pour aller vite, car ce sujet me touche et me fatigue, je pense que tu crées ici une petite mythologie de toi-même, à la fois involontaire et assumée. Au jeu obligé du verbe croire, tu n'as pas l'air de vraiment savoir, et le lecteur non plus. L'émotion dégagée est incontestable, mais les formes a priori de la représentation font dans mon cas que le procédé prend le pas sur le brut. Je pense que tu es victime de ce personnage qui veut être personne. Encore un effet d'emboîtements assez infernal. Parce que ce que je perçois de toi à travers tes textes, c'est l'image assez surfaite d'un jeune poète à fleur de peau qui brise les cadres et les conventions pour une mise à nue intégrale. Si de toi je me fais une image, c'est bien que la mise à nue est si nuancée qu'elle déforme l’œuvre. Ta démarche est complexe ; louable ou non, je ne sais pas, mais elle n'est selon moi pas aboutie.
Invité- Invité
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
lu-k: MERCI !!!
Rien à redire, tu as tout dit. Et je suis heureux de voir que tu as analysé aussi finement mon univers. Oui, c'est surfait. Oui, ça n'est pas abouti. Mais tu soulignes le fait qu'il y a bel et bien une démarche, un enjeu. Ce qui est vrai. Ca n'est pas gratuit, tout ce cirque, et je ne sais pas encore très bien où ça me mène, mais j'y vais, et c'est assez terrifiant. Enfin, je retiens cette phrase en particulier, que je vais méditer:
" lorsque tu observes ta propre respiration, elle change automatiquement, si bien que tu n'es pas en mesure de la saisir dans sa libération, dans sa solitude, dans sa pureté"
Comme dirait Pessoa: "sentir, c'est être inattentif. "
Rien à redire, tu as tout dit. Et je suis heureux de voir que tu as analysé aussi finement mon univers. Oui, c'est surfait. Oui, ça n'est pas abouti. Mais tu soulignes le fait qu'il y a bel et bien une démarche, un enjeu. Ce qui est vrai. Ca n'est pas gratuit, tout ce cirque, et je ne sais pas encore très bien où ça me mène, mais j'y vais, et c'est assez terrifiant. Enfin, je retiens cette phrase en particulier, que je vais méditer:
" lorsque tu observes ta propre respiration, elle change automatiquement, si bien que tu n'es pas en mesure de la saisir dans sa libération, dans sa solitude, dans sa pureté"
Comme dirait Pessoa: "sentir, c'est être inattentif. "
Re: La métamorphose ratée de Yoni Wolf
Ben essaie un peu de ne pas être toi, pour voir ... !
et si tu y arrives... fais-moi signe !
et si tu y arrives... fais-moi signe !
Invité- Invité
re : la métamorphose ratée de Yani Wolf
Tu gardes bien le cap. Rythme. Phrases au ton ensorcellant. Je pense à la poésie de Tarkos, Pennekin, Ghérasim Luca. Le propos immédiant en plus. Soif d'humanité et désespérance... C'est le lot de ceux qui aiment, pensent, créent. Chacune de tes paroles trouve écho dans le lecteur, même si le lecteur doit se débrouiller après avec cette réalité. Merci.
RAOUL
RAOUL
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
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