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Mouvement de beauté

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Mouvement de beauté Empty Mouvement de beauté

Message  Raoulraoul Dim 28 Juil 2013 - 7:11

Mouvement de beauté

« Putain, la première fois que j’l’ai vue !... » s’ébaubit l’habitant mâle de la maison.
C’était un samedi de juin. Quatorze heures tapantes. La pluie avait cessé.
La vraie grâce des commencements échappe toujours.

L’habitant de la maison essayait de se souvenir :
« Elle était là dans mon salon quand je la surpris, avec ses bras repliés, les coudes levés comme des ailes de papillon. Sa tête inclinée sur un bras lui faisant un air de madone. J’ai cru qu’elle allait s’envoler. Elle souriait. Je cherchais à savoir à qui elle pouvait sourire. C’était un sourire pour personne. Je craignis surtout qu’elle s’évade. Mais comment aurait-elle pu ? Elle était assise sur ma table. Un table en verre de Bohême. Et à voir la masse de ses cuisses assise là, elle ne pouvait certes pas s’envoler. Au contraire, elle risquait à tout instant de briser ma table. Toutefois elle était gracieuse et même méditative. Dans sa partie supérieure elle semblait résolument aérienne. D’ailleurs ça m’agaçait cette volonté qu’elle avait à se libérer de son corps. Un derrière fatalement pesant, mais sans l’ancrage des fesses, un désir d’envol n’a plus de sens. Je lui demandai enfin :  
– Pourquoi tu veux partir déjà ?
Elle s’apprêta à me répondre d’un geste, mais ses mains restèrent figées, formant entre elles comme un V. Tout chez elle pouvait commencer avec la lettre V. Voler. Victoire. Ventre. Vulve. Vie… Elle me vouvoyait en silence
– Pourquoi tu veux partir ? invariablement je lui répétai.
Je lui trouvai une réponse. Dans la torsion légère de son buste. Une torsion latérale et aussi dans le concave du prolongement de ses reins. Cette courbe, malgré la barrière de ses seins, permettait l’élancement et la levée de ses bras découvrant leur nid d’aisselles. La lumière venait de la fenêtre. Elle donnait forme à la chevelure qui encerclait agréablement l’ovale du front. Dans cette lumière blanche je fis un rêve de blondeur qui ruisselait de ses boucles.
– Quel est ton âge exactement ? Raconte.
Ces cheveux se terminaient par une natte, fuyant dans le milieu des omoplates qui l’absorbait  définitivement.
– Combien de temps tu vas rester là, assise sur ma table ? A sourire sans me sourire. Avec tes yeux si tranquilles. Tu n’es pas Mona Lisa ? »

L’habitant mâle de la maison eut alors la tentation de contourner la table. Puisque la face demeurait une énigme, le revers serait-il plus éloquent ? Elle laissa faire l’habitant. Au passage, il remarqua le trait musculeux des cuisses, remarquable mais sans exagération. Cette finesse du détail anatomique conforta l’habitant dans son désir d’en connaître plus. Mais lorsqu’il parvint au dos de l’intruse, il en perdit le souffle :

« Putain, le dos ! Le devant n’était rien comparé au dos ! Quel essor ! Quelle trajectoire ! La colonne vertébrale sans fin prolongeait la raie fessière. Comme un roseau, comme une tige céleste qui augmentait l’étirement ailé des bras. Et l’empâtement du bas était rehaussé par une cambrure habile, insupportablement lascive. J’aurais aimé la renverser, mettre un terme à cette beauté exaltée sur ma table. Une table de verre, transparente, qui plus est, pourrait  m’ouvrir les voies du dessous. Mais l’élan de son échine me clouait sur place. Présente mais ailleurs. Assise mais debout dans l’esprit. Elle était rentrée dans mon salon, mais elle était dans la maison du ciel dont l’inaccessible me narguait.
– Quel est ton nom ? Tu es la femme de Joseph ou la femme d’Adam ?
Elle m’entendait tandis que ses répliques étaient sans paroles.
– Si ma table ne te convient pas, viens dans mon lit, si mon lit t’offense, ensemble ouvrons des livres de poésie ou de prières, si mes livres t’ennuient, jetons-nous par la fenêtre ! »

Cette dernière alternative inspira l’habitant de la maison. D’un même mouvement, lui et l’intruse sautèrent, mais lui se fracassa sur le trottoir, alors que l’intruse resta dans les airs.

« J’aurai dû m’en douter, pesta l’habitant amoché. Lorsque je revins chez moi, je la retrouvai, elle, sur ma table, comme si aucun divorce n’avait eu lieu. Elle baissa ses bras qu’elle me tendit. Ses yeux me fixèrent et son sourire s’adressa à moi. Elle dit :
– Je suis la femme de pierre. Mais dans chaque coup de ciseau qui me cisela il y a aussi la vulnérabilité de la femme d’Adam.
Cette voix je la reconnus aussitôt. Elle convoyait mon quotidien. Elle se plaignait de la pluie comme moi, elle regrettait la lourdeur des jours et l’immanence qui était notre lot.
– Tes bras sont des ailes ! je lui reprochai avec désespoir.      
Ce fut alors que les doigts de ses mains délaissèrent le V de l’envol pour me dessiner de confidentiels messages. Je regardai son ventre.
– Mais tu n’as pas de nombril ! je m’exclamai soudain.
– Le ciseau du créateur a dû déraper, elle me dit avec amusement. Une imperfection de la pierre l’en a empêché.
– Tant mieux.
– Oui, tant mieux, elle répéta, soulagée. »
L’habitant de la maison constatait en effet qu’une imperfection de la pierre, justement à cet endroit, présentait une aspérité. Le nombril n’était donc qu’une imperfection de la matière, pensa-t-il. L’intruse aussi, sans doute le pensa, car elle acquiesça à la pensée silencieuse de l’habitant. Un silence qu’ils partagèrent tout deux dans une curieuse délivrance.
– Tu es comme la femme de Joseph alors ? demanda timidement l’habitant.
–   La femme de Joseph, le charpentier ? Elle rit comme jamais on ne l’avait entendu dans cette maison. »

L’habitant se concentra sur la sphère des genoux de la femme qui riait. Il se remémora cet instant :

« J’aimais cette partie de son corps. C’était elle qui accueillait tous les coups, les chocs. C’était elle aussi qui permettait de se tenir debout, mais également de tomber à genoux, sur les genoux. »

Pendant ce temps la femme avait sorti d’un vieux meuble un petit banc de bois, qu’elle proposa à l’habitant mâle de la maison. Un second elle trouva, qu’elle installa sous ses genoux, et comme par une mimésis complice, l’habitant la singea. Puis elle accola la paume de ses mains l’une contre l’autre, à hauteur de ses seins. Mimétiquement le mâle et la femme se trouvèrent chacun agenouillé sur son banc, paumes jointes, devant la fenêtre. Tout le ciel leur était offert. Dans ce mouvement immobile, avec esprit la femme dit :
– Tu vois, si nous sautions maintenant par la fenêtre, je suis certaine que cette fois, tu volerais !
Ils rirent ensemble de tout cœur, sur leur banc, agenouillés, face au grand ciel. Des images dans la tête de l’habitant affluèrent :

« Lorsque j’étais enfant, devant le crucifix, avec ma nourrice, nous faisions une prière chaque jour, sur le petit banc. Ca sentait bon le parfum frais des pommes et des tablettes de chocolat enfermées dans le buffet, sur lequel était posé le crucifix. La cloche de l’église sonnait. En ce temps là, mes genoux étaient tendres et mous, la dureté du banc les faisait souffrir. C’est vrai qu’aujourd’hui je volerais, puisque la femme de pierre me traçait un chemin. Mon dieu, comme elle était belle et vivante ! ».

L’habitant de la maison ouvrit les yeux. La pluie recommençait à tomber. Pour un mois de juin, c’était triste. Il ferma la fenêtre. Il débarrassa la table de verre. Il mit une nappe et deux flûtes à Champagne. Une femme allait venir. Une artiste. Elle sculptait et elle aimait boire le Champagne dans le cristal, car le cristal la faisait rêver, comme toutes les pierres que l’art de la femme transcendait.
La sonnette à la porte de la maison retentit :
–   Putain ! C’est elle déjà ! Vite, un siège ! dit l’habitant mâle avançant le fauteuil d’un seul mouvement.

**
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Message  Invité Dim 28 Juil 2013 - 8:30

Un texte qui porte bien son titre, je me suis régalée à lire. J'ai aimé l'écriture si précise, le vocabulaire riche qui a su dessiner, rendre compte du sujet du texte comme une oeuvre d'art ;  j'ai eu l'impression de me glisser dans un tableau de courbes sensuelles, de me faire observatrice d'une sculpture douée de vie, vraiment je suis admirative de cette capacité à évoquer, transmettre et partager.
Sur le fond, je me prononce pas, je repars avec ma contemplation sous la bras, c'est déjà beaucoup.

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Message  Raoulraoul Mar 30 Juil 2013 - 14:15

Easter est la seule à avoir commenté mon texte. Il faut croire que la beauté ne fait plus recette...La beauté c'est "ringard". Le sexe, la violence, le rire, le désespoir, accrochent mieux le chaland. Moi, je ne peux pas me passer de beauté, même dans la noirceur la plus extrême. Chacun bien sûr a "sa beauté". Elle a mille visages. Elle est souvent là où on ne l'attend pas. Peut-on alors partager sa conception (mouvante) de la beauté ? Easter a ressenti ce texte, et je l'en remercie pour ce dialogue autour de l'ineffable beauté.
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Message  seyne Mar 30 Juil 2013 - 14:32

non, ce n'est pas ça je crois. Il y a quelque chose dans la beauté qui commande la contemplation et le silence. Et ce texte est une belle tentative d'en parler, alors ce n'est pas étonnant qu'il amené moins de commentaires qu'un autre rempli de complexités psychologiques, de bruit et de fureur.
J'ai aimé que celui -ci en tout ça rappelle le lien si fort entre beauté et désir, même désir de simplement "voir", et puis peut-être aussi voler et mourir.
Et puis la femme créatrice et statue-double, c'est beau aussi.
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Message  seyne Mar 30 Juil 2013 - 14:34

Il y a des trous dans ma réponse, mais c'est la faute à ma tablette !
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Message  Invité Ven 2 Aoû 2013 - 7:10

Je me suis davantage attachée à imaginer la grâce et la beauté du personnage décrit, comme on contemple une œuvre d'art, qu'à l'intrigue de la scène. Je me propose donc de relire le texte dans une optique plus globale.

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Message  Lucy Ven 2 Aoû 2013 - 21:08

Bémol : ouvrir et fermer le texte sur "putain" n'est pas du plus bel effet quand il est question de "beauté".

Un texte qui se laisse lire avec, toujours en ce qui me concerne, cette étrangeté qui caractérise tes textes.

Sur ton commentaire, je dirais qu'il y a difficilement plus subjectif que la beauté. Nous avons tous nos a priori sur le sujet. Je vais faire une citation terriblement littéraire ^)^ de Dita Von Teese : "Vous pouvez être la plus mûre et la plus juteuse des pêches au monde, il y aura toujours quelqu'un qui n'aimera pas les pêches." Ainsi, va-t-il de la beauté, dépendant des critères de chacun.
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Message  Louis Ven 2 Aoû 2013 - 23:05

Le personnage principal est désigné : « habitant mâle de la maison ».
Son identité se résume là : il est homme, et réside en ce lieu qui a son importance : la maison.
Rien d'autre ne détermine son identité sociale, il n'a pas d'état civil : pas de nom, pas de profession, pas de situation familiale.
Qui est-il, ainsi dégagé de ses repères sociaux, « L'habitant mâle de la maison. » ? Pas d'une maison, mais de « la » maison En quoi cette situation d' « habitant » suffit-elle à le caractériser ?
Cette maison, « la » maison, est donc connue, par tous connue, celle où crèche le personnage,  un lieu sacré, une crèche justement.
Une créature y est présente, une créature y prend vie, une créature à « l'air de madone ». Pas un santon, mais une statue de pierre, une statue vivante.
Une femme de pierre est assise dans la maison, une femme est apparue à l'aspect monumental, massif, «  à voir la masse de ses cuisses assise là, elle ne pouvait certes pas s’envoler », et pourtant une légèreté, une grâce émanent d'elle. « Dans sa partie supérieure elle semblait résolument aérienne », si bien qu'à chaque instant elle semble pouvoir « s'envoler ».
La créature est belle, mieux elle est sublime. Plus exactement, elle est sublimation, au plus proche de son sens originel, physico-chimique, celui du passage de l'état solide à l'état gazeux. En elle se produit, en effet, un processus qui la délivre, la libère de la matière solide, de la pierre massive, pour lui donner une grâce aérienne, une élévation, un être subtil, éthéré, « cette volonté qu’elle avait à se libérer de son corps. » Ses formes subliment la matière, elles la spiritualisent, elles dessinent les lignes d'une transcendance.
Le contraste est grand entre elle et lui, et quand ils sautent imaginairement par la fenêtre, « lui se fracassa sur le trottoir, alors que l’intruse resta dans les airs. ». Lui s'écrase comme une pierre ; elle, dans sa grâce, reste suspendue dans les airs, subissant une force d'attraction inverse de celle de la matière, attirée par le ciel plutôt que par le sol, comme si elle y trouvait son lieu naturel. Son lieu naturel ou sa résidence : « elle était dans la maison du ciel dont l’inaccessible me narguait. ». Lui et elle, la pesanteur et la grâce.
Tout mouvement en elle est ainsi d'envol ou d'élévation, un mouvement l'anime de sorte qu'elle semble toujours, aux yeux de « l'habitant mâle de la maison », sur le point de partir, de s'envoler, « Pourquoi tu veux partir ? invariablement je lui répétai. »
Il finit par discerner la réponse dans les formes de la femme de pierre : « Je lui trouvai une réponse. Dans la torsion légère de son buste. Une torsion latérale et aussi dans le concave du prolongement de ses reins. Cette courbe, malgré la barrière de ses seins, permettait l’élancement... ». Formes élancées vers un Ciel. Sublime beauté.
Le beau n'est pas harmonie figée des formes, mais leur mouvement, leur élan, leur courbure vers une transcendance. En elle, un « essor », une « trajectoire » vers une autre maison, une maison céleste.  
L'habitant «mâle » habite une maison de pierre, maison où se manifeste la beauté qui prend figure féminine, mais la femme de pierre, dans sa sublimité, est signe d'une autre maison, séjour céleste. Signe d'un autre monde, d'une autre demeure, d'une transcendance, sans «  la lourdeur des jours et l’immanence qui était notre lot ». La femme de pierre aux formes apolliniennes est beauté radieuse, solaire, en stricte opposition avec la tristesse de la pluie et le poids du quotidien. Elle est sourire, sourire radieux.
« Présente mais ailleurs. », sa présence en toute beauté est signe d'un ailleurs. Un ailleurs resplendissant, celui d'un beau tempsperpétuel.
La femme de pierre est l'épiphanie du beau.

On en sait maintenant plus sur l'identité de l'homme : l'habitant mâle est un esthète, amoureux du beau, ou plutôt de la beauté - le beau est féminin ; mais il se désole de ne pouvoir posséder cette beauté qui est échappement toujours, envol permanent ; il se désole de ne pouvoir la retenir, de ne pouvoir la faire sienne, en sorte  que cette femme-beauté demeure en sa maison, devienne l'habitant solaire et féminin auprès de lui, le résidant masculin.

La madone de pierre n'a pas les mains jointes de la prière, mais les mains figées en forme de V.
Comme un vase prêt à recueillir ce qui vient d'en haut. Lettre-vase par où commence et se recueille tout ce qui est essentiel :  « Voler. Victoire. Ventre. Vulve. Vie… » 
« Elle me vouvoyait en silence ». Femme envoûtante.
De ce sublime personnifié, il est amoureux.  
Esthète, il est aussi un Pygmalion, amoureux d'une nouvelle Galatée.
Pygmalion donne vie à une statue par amour de la beauté qu'il trouve en elle.
Mais Pygmalion est créateur de son œuvre, il est artiste, il est sculpteur, alors que l' « habitant » est un regard observateur, plein de désir et d'amour.
L'artiste aussi est spectateur de son œuvre ; n'est-ce pas en tant que spectateur que Pygmalion s'éprend de Galatée ?
Toutefois, le mythe de Pygmalion subit ici plusieurs transformations.
Un autre mythe y est associé, celui de la Méduse, celle qui pétrifie.
L'habitant est médusé, pétrifié par la femme-statue, «  s'ébaubit l'habitant mâle », «  l’élan de son échine me clouait sur place ».
De chair, il est un devenir pierre ; la femme-statue, à l'inverse, sous le regard plein de désir et d'amour de l'habitant, est en devenir chair.
L'effet du spectateur sur l’œuvre, et de l’œuvre sur le spectateur s'intervertissent et s'inversent. Chair et vie, pierre et inertie s'échangent et passent de l'un à l'autre. Là aussi se situe le mouvement du beau, de l'effet du beau :  un va et vient entre le figé et l'animé, l'inerte et le vivant, le temporel et l'éternel. Entre la grâce et la pesanteur,  « C’est vrai qu’aujourd’hui je volerais, puisque la femme de pierre me traçait un chemin. »  Chacun semble donner une part de son être à l'autre, la vie donnée par le spectateur à l’œuvre contemplée ; un fragment d'éternité et une grâce, donnés au spectateur par l’œuvre.

La dimension religieuse n'est pas absente, et se mêle au mythe gréco-latin. 
L'interrogation est insistante : de qui est-elle la femme ?
Femme tout court ne suffirait pas à son identité. Nécessairement, elle serait femme de...
Mais femme de qui, de quel personnage biblique ?
L'interrogation confirme que l'habitant voit en elle du sacré.

Ne serait-elle pas la femme d'Adam ? Ne serait-elle pas Eve ?
Sa beauté sublime doit faire d'elle la première femme. Première en ce qu'elle serait l'archétype de la beauté féminine, l'idéal réalisé du beau, la beauté dans sa perfection originelle.
Le détail du manque de nombril est significatif. Eve-Galatée n'a pas de nombril, donc n'a pas une origine humaine, n'est pas une créature engendrée par des humains. Elle ne peut avoir qu'une origine divine, ou alors le sculpteur qui l'a réalisée ne peut l'avoir créée que sous une inspiration divine.
Avec son air de madone, ne serait-elle pas la femme de Joseph ?
Non pas alors un enfant divin, mais la mère du divin ? N'est-elle pas celle qui, par sa beauté, suscite le désir  d'engendrer, et de créer artistiquement ?
Mais Galatée-Eve-Marie se dit femme de pierre. Une ambiguïté est introduite. Elle ne se dit pas femme de Pierre, mais femme de pierre. L'apôtre Pierre, il est vrai, est aussi pierre, première pierre de l'église, première pierre d'un royaume spirituel. Mais la statue vivante évoque plutôt la pierre dont elle est faite, et non son statut d'épouse.
Elle est faite de pierre, elle a son origine dans la matière dure et inerte de la pierre ; si elle est mariée, c'est en tant que femme qui épouse les formes de la pierre sculptée.

Quoi qu'il en soit, elle est une beauté divine.
La fin du texte introduit le créateur de la statue. Le sculpteur est une femme. On ne doute pas que l' « habitant » soit amoureux de cette femme artiste. Galatée est son œuvre et son double. Un glissement s'effectue : ce n'est pas la statue qui doit vivre, mais la femme qui doit se transformer en œuvre d'art.

Un texte intéressant, une œuvre littéraire bien sculptée...

Louis

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Message  Raoulraoul Mer 7 Aoû 2013 - 9:30

A Lucy ; le mot "putain" pour moi en effet de contraste avec le beauté raffinée et féminine. L'habitant mâle peut-il accéder à la beauté ? "Putain" est utilisé 3 fois à des moments clés. Mais tu as peut-être raison le procédé est sûrement racoleur et facile. Merci à toi et à Iris de m'avoir lu. A Louis ; tu as développé avec détails et élucidation les fils secrets qui sous-tendent ce texte : le bas/le haut, matière/esprit... et d'autres connotations plus subtiles involontaires en écrivant mais exactes après coup. La balance des opposés, contraires, que ton commentaire équilibre sans jamais figer ou fermer le sens. Louis, tu fais advenir une évidence par ton décryptage, qui donne beaucoup de joie à l'écrivant souvent empêtré dans son affect et la technique. Tes commentaires bien sûr appellerait une réécriture, une révision, pour peut-être développer, explorer des pistes que tu suggères. Ecriture/analyse/réécriture/ré-analyse... Merci pour ta stimulation, Louis, dans le désert de l'écriture qui avec toi trouve un écho, une résonnance, un dialogue qui transmet sens et vie.
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