ORIENT-GUINNESS : La 10 000ème de LadyS.

[Gobu]

Désolé sorry, mais faut que j'envoie ma p'tite histoire en trois fois...



Phase 1

UNITED STATES OF AMERICA

PRESIDENCY

Washington DC, Whitehouse
February, thursday 20th

Mr President Nick Sarkozaye
Elysaye Palace Hotel, Paris, France

Mr President

C’est à la demande expresse de notre Président que je me permets de vous contacter sans passer par les canaux diplomatiques habituels. Il aurait volontiers souhaité vous écrire en personne, mais vous n’êtes pas sans savoir qu’en dépit de son immense culture, il ne maîtrise pas tout à fait les subtilités de votre langue si surprenante pour le reste de l’humanité.

L’heure est grave, Mr President, et nous ne pouvons compter que sur nos plus fidèles amis, de moins en moins nombreux hélas. Voici les faits, dans leur cruelle nudité.

Nos services spéciaux, dont l’efficacité et la fiabilité sont proverbiales, nous ont fait part d’un faisceau d’informations concordantes, relatives à un péril mortel qui menace non seulement nos superbes démocraties libérales, mais sans doute l’avenir de l’humanité entière. L’affaire concerne le territoire d’une puissance européenne insulaire de second ordre, avec laquelle nous entretenons d’ailleurs d’excellentes relations, tant diplomatiques que commerciales ou culturelles (j’ai moi-même de la famille à Cork et mon propre grand oncle est vicaire de la paroisse Saint-Patrick de Kilkenny, c’est vous dire !)

Cet état, bien que peu peuplé et plutôt rustique, présente par sa situation privilégiée dans l’Atlantique Nord et sa proximité avec les côtes européennes un intérêt stratégique évident, ce qui a conduit nos experts militaires à y implanter – avec l’accord tacite des autorités locales, naturellement – quelques sites sensibles, dans une perspective uniquement défensive et dissuasive, cela va sans dire. Parmi ces implantations ultra-secrètes, se trouve, entre autres, un dépôt abritant 450 fûts de substances chimiques d’une haute toxicité, à des fins exclusives d’expérimentation scientifique, comme vous vous en doutez bien.

Or, et nos agences de renseignements – fait rarissime – sont unanimes sur ce point, ce site est actuellement menacé d’un coup de main terroriste d’une audace inégalée. Le plan a été mis au point jusque dans ses moindres détails par une terrifiante nébuleuse subversive internationale, connue du monde du renseignement sous le sigle transparent de V-E, comme Violence & Extorsion. Le chef suprême de cette organisation criminelle est un certain Loup de Bleu, aristocrate français dévoyé, plus notoire sous le pseudonyme de Blue Wolf. Il est entouré d’un redoutable état-major exécutif, composé de la célèbre activiste Sahkti O’Sahkti, dite Lady S., chargée de la logistique financière en raison de ses attaches dans plusieurs places bancaires européennes, du terrible agent X22, surnommé Mentor en vertu de son funeste ascendant sur la jeunesse, responsable du recrutement, et de la très inquiétante Madame Krys, dite Nuit de Krystelle, qui a la haute main sur le département Action et Dispersion. Le réseau dispose en outre de nombreuses ramifications internationales. On ne citera que pour mémoire le répugnant agent triple « PW », de Singapour, homme-lige des Triades chinoises et du tout-puissant Cartel des trafiquants d’holothuries malais, ou bien encore la frétillante agitatrice cosmopolite Zouzou, alias la Grande Zouzou, qui dirige d’une main de fer dans un gant de boxe le département Moules & Frites, de sinistre réputation.

Par un coup de chance extraordinaire, et moyennant quelques modestes malles-cabines de menue monnaie US, nos services ont pu recruter au sein même de V-E un informateur aussi courageux que désintéressé, que nous appellerons Mister G. pour d’évidentes raisons de sécurité. Ce brave Mister G., horrifié par les desseins abominables de ses camarades de réseau, nous a averti que V-E a planifié dans les moindres détails une opération destinée à s’emparer manu militari de la totalité du stock. Le commando, déjà en place dans les pubs bordant la rivière L. (discrétion, discrétion) n’attend plus pour intervenir que le feu vert du Directoire Suprême, qui sera donné au 10 000ème message de liaison de Lady S. , promue responsable opérationnelle en raison de sa parfaite connaissance du terrain, sa maîtrise du patois local et surtout son exceptionnelle résistance aux boissons fermentées, qualité indispensable pour passer inaperçu dans ce petit pays.

Mr President Sarkozaye, c’est un véritable appel au secours que nous vous lançons, au nom de la Démocratie, de la Libre Entreprise et de l’indéfectible amitié entre nos deux peuples, valeurs qui vous sont éminemment chères. En effet, nos propres services de sécurité, comme vous ne l’ignorez certainement pas, sont actuellement fort occupés à rétablir ces valeurs en différents points chauds du globe, et nous ne disposons tout simplement pas, hélas, des ressources logistiques et humaines nécessaires pour intervenir. Quand c’est charrette, c’est charrette. D’autre part, vous pourrez vérifier dans la documentation jointe en annexe que la plupart des instigateurs de cette monstrueuse machination sont vos compatriotes et ne communiquent entre eux qu’au moyen de votre langue si charmante mais assez déroutante pour les non-initiés. C’est à vous, et à vous seul, qu’il appartient désormais d’agir et de faire capoter ce projet machiavélique.

God Bless America
Vive le France

Sean O’Cockingdesort
Conseiller Spécial pour les Affaires de Sécurité

P.S. : Notre Président vous remercie beaucoup pour l’adorable petite chienne labrador que vous lui avez offerte pour ses étrennes. Elle lui fait beaucoup d’usage à la Maison-Blanche. Il a tenu à vous faire parvenir par les canaux habituels un wagon-citerne de ketchup Heinz, délicieux condiment typiquement américain que vous aviez tellement apprécié sur vos hamburgers lors de votre dernière rencontre.

[Gobu]

Phase 2

REPUBLIQUE FRANCAISE

PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE


CONFIDENTIEL DEFENSE-ULTRA SECRET

Palais de l’Elysée, le 20 février 2008



Colonel Jean-Goémond Lacroix d’Hébraves
Chef d’Unité
11ème Bataillon de parachutistes de Choc
Caserne du Maréchal Lavieil-Baderne
75007 Paris

Cher Colonel,

C’est en tant que Chef Suprême des Armées que je fais appel à vous, qui commandez avec le dévouement et la bravoure que votre illustre nom implique l’unité « Action » des Services Spéciaux de la République. Bien entendu, j’aurais pu m’adresser à vous par la voie hiérarchique, mais le vieux briscard que vous êtes n’ignore pas que la voie hiérarchique est un chemin tortueux et semé d’embûches administratives. Or, du temps, cher Colonel, nous n’en avons guère. N’ayons pas peur des mots : la situation est gravissime et les intérêts vitaux, non seulement de la Patrie, mais de l’Humanité entière sont en jeu. Oui nous en sommes là !

Voici les faits, dans leur brutal dénuement. Pas plus tard que ce matin, j’ai reçu par courrier spécial transmis par un émissaire lourdement armé, un message adressé par le Président d’une puissance occidentale de premier plan, alliée mais néanmoins amie, personnalité que je ne nommerai pas pour d’évidentes raisons de sécurité, mais que vous identifierez aisément à sa culture encyclopédique, son jugement infaillible en matière de politique internationale et sa prédilection prononcée pour les chapeaux à large bords relevés. Je n’en dirai pas plus et nous nous serons compris.

Ce grand homme d’Etat, actuellement débordé par ses tâches quotidiennes, m’a lancé personnellement un véritable appel au secours. Ses agences de renseignement, dont vous connaissez le professionnalisme et l’intégrité, m’ont informé d’une conspiration d’ampleur planétaire, qui a pour objectif un site d’une importance stratégique vitale. Ce site est situé dans les faubourgs d’une petite capitale européenne insulaire connue pour son charme rustique, le caractère truculent de sa population et sa densité exceptionnelle en matière de débits de boissons cordiales. Vous m’aurez compris aussi. Sans entrer dans des précisions que vous trouverez en annexe, ce site abrite un dépôt de 450 fûts de produits aussi toxiques qu’indispensables à la sauvegarde du Monde Libre. On frémit en pensant à ce qui pourrait advenir si ce stock tombait entre des mains mal intentionnées…

Nos amis et néanmoins alliés m’ont révélé que cette conspiration était le fait d’une tentaculaire galaxie terroriste, dont le noyau dur, hélas, est composé de compatriotes, des misérables ayant perdu tout sens moral et mettant leur talent – indéniable – au service des desseins les plus vils. L’organisation en question se nomme V-E (Vengeance & Eradication) et se dissimule derrière la façade rassurante d’un innocent réseau de pratiques échangistes. Vous trouverez en annexe la liste détaillée des principaux responsables de cette entreprise criminelle, véritable Who is Who du banditisme, de la subversion internationale et du nihilisme culturel. Heureusement, un compatriote membre du réseau que nous appellerons Mister G., dont la témérité n’a d’égale que le désintéressement, a au péril de sa vie communiqué aux autorités tous les détails de ce funeste complot.

Ce que j’attends de vous, cher Colonel, est très simple. Il faut faire capoter dans l’œuf ce projet terrifiant, et mettre fin définitivement – je dis bien définitivement – aux agissements démoniaques de ces monstres. C’est pourquoi je vous donne personnellement carte blanche pour employer les moyens les plus extrêmes, et plus si nécessaire, afin de mener l’opération de prophylaxie désormais indispensable. Vous prendrez contact avec le Lieutenant-colonel de Ganache, responsable du Service Opérationnel de la DGSE, pour mettre à votre disposition la logistique et les fournitures nécessaires.

Mais ce n’est pas tout. J’ai pensé qu’il serait bon, tant pour la sauvegarde de la Liberté que pour les intérêts supérieurs de notre chère Patrie, que ce stock d’un extrême intérêt stratégique soit transféré dans un lieu plus sûr, et de préférence sur notre territoire national. Nos amis et néanmoins alliés de l’Ouest sont assurément des gens charmants et pleins de bonnes intentions, mais il leur arrive parfois de faire preuve d’amateurisme et de distraction en matière de sécurité. C’est pourquoi je souhaiterais que vous montiez, parallèlement à votre tâche de désinfection, une opé coup de poing destinée à rapatrier en France la totalité des fûts en question. Je ne me sentirai pas à l’aise tant que ces armes de destruction massive ne seront pas sous bonne garde dans l’un de nos sites militaires les plus inviolables.

Il va de soi, cher Colonel, que tout cela doit être mené dans la discrétion la plus totale, et que vous détruirez ce message – qui n’aura jamais existé – dès sa lecture.

En l’attente de votre réponse, je vous souhaite pour votre mission la réussite la plus totale, dont je me refuse d’ailleurs à douter.

Bien à vous,
N. Sarkozy
Président de la République Française

P.S. : une fois tout ceci terminé, pensez à me faire présenter ce Mister G. Les hommes de valeur et de fidélité se font rares et j’aimerais assez récompenser celui-ci comme il le mérite.

P.P.S. : Le président de cette grande Nation amie, un homme qui sait vivre, ma foi, m’a fait parvenir un modeste chargement d’un délicieux apprêt culinaire, à la tomate je crois, fierté de la prestigieuse gastronomie de son pays. J’ai chargé le service du protocole de l’Elysée d’en faire livrer quelques containers au mess de votre unité. Ne me remerciez pas c’est tout naturel.

[Gobu]

Phase 3

REPUBLIQUE FRANCAISE

MINISTERE DE LA DEFENSE

CONFIDENTIEL DEFENSE – ULTRA SECRET

Etat-Major du 11ème Régiment de Parachutistes de Choc
Caserne du maréchal Laviel-Baderne
75007 Paris

M. Nicolas Sarkozy
Président de la République


Mon Président,

Je vous reçois 5 sur 5 ! Sacrebleu, votre poignant appel au secours me troue le cul, sauf votre respect, naturellement. Bien entendu, l’existence du sinistre réseau V-E n’est pas inconnue de nos services, et je peux vous dire que nous avons l’œil sur ces clampins depuis longtemps. Ce n’est pas à un vieux babouin que l’on apprend à faire des grimaces, ce n’est pas vous qui me contredirez, mon Président ! Mais ce que vous me révélez dans cet émouvant message a de quoi retourner même le cœur d’un vieux soldat aussi endurci que je le suis. Quoi, se pourrait-il que dans notre cher pays, berceau de Jeanne d’Arc, du Maréchal Pétain et du Saint-Nectaire fermier, il se trouve des individus assez méprisables pour trahir ainsi les valeurs les plus sacrées et se mettre sans vergogne au service de l’étranger apatride ? Il faut voir là, n’en doutons pas, les effets pervers de la chienlit de Mai 68, de l’abolition de la peine de mort et de la disparition du service national. Sans parler du soutien de la France aux métèques kosovars contre nos chers amis serbes, mais bon, là c’est vous qui voyez, hein.

Dès réception de votre courrier, j’ai pris toutes les dispositions nécessaires pour donner le coup de Karcher indispensable à l’assainissement de notre paysage numérique. Tous les responsables de V-E et leurs comparses ont été logés, et mes équipes de dératisation n’attendent plus que le message 10 000 de Lady S. pour entrer en action. J’ai aussi pris contact avec mon homologue bruxellois, une fois, le général Van de Myeer, patron du BROL (Bureau de Répression des Organisations Libertaires) qui a immédiatement fait perquisitionner chez plusieurs complices notoires de l’organisation. Non sans résultats : on a d’ores et déjà saisi un autocuiseur à moules de grande puissance, plusieurs jerrycans d’huile de friture et un jeu complet de photos satellite du Manneken Pis, ce qui prouve bien l’envergure internationale du complot.

Il va de soi que je prendrai personnellement soin de la neutralisation des principaux responsables, et en particulier de ce fameux M. Loup de Bleu, avec qui je ne serai pas fâché d’avoir une longue conversation à bâtons rompus, de préférence entre chien et loup, et lui au milieu, cela va sans dire. J’ai d’ailleurs contacté à cet effet le Lieutenant-Colonel de Ganache, qui n’a pas fait de difficulté pour mettre à ma disposition – en toute discrétion naturellement – l’outillage et le petit matériel électrique nécessaires à ce genre d’entretien. Ca nous rappellera le bon temps, m’a-t-il confié en se frottant les mains. Ce cher vieux Hubert a toujours été un fier boute-en-train. Je ne vous cache pas que ça me fait bougrement plaisir que vous m’ayez choisi pour cette mission délicate. Entre nous, mon Président, je commençais sérieusement à avoir les poils du cul scotchés à la moleskine, et un peu d’action de terrain ne saurait me faire du mal. Faut d’ailleurs reconnaître que depuis que ces abrutis de yankees – je veux dire nos alliés et néanmoins amis – se sont arrogés le monopole du bordel chez nos chers amis arabes, mon régiment n’a pas grand-chose à se mettre sous les crocs question baroud. Plusieurs de nos unités, pour ne pas perdre la main, en sont réduites à faire de la simulation de tir à projectiles réels dans les banlieues à risque ou à prêter main forte – en toute discrétion aussi, naturellement – à certaines organisations patriotiques œuvrant inlassablement pour le redressement national et l’homogénéité du peuple français. C’est vous dire si ce petit job arrive à point ! C’est comme si c’était fait, mon Président, et vos lascars sont pour ainsi dire éparpillés.

Vous avez frappé du bon doigt à la bonne porte, mon Président, et vous savez que vous n’aurez pas fait appel en vain au sens du devoir et à la compétence du Général Lacroix d’Hébraves. Comme le proclame la fière quoique un peu sibylline devise de notre vénérable lignée de soldats et de patriotes : « Lacroix, c’est le tic » ! Pour récupérer les fûts de substance toxique, j’ai d’ores et déjà confié à l’adjudant-chef Podvach, un vieux briscard plein de ressources qui m’a fidèlement secondé en Afrique, la mission de réunir une fine équipe de spécialistes des interventions délicates. Après un tri aussi sévère que méthodique, son choix s’est porté sur les caporaux N’Dumbaba et Bamoulayade, deux petits gars pleins de jus qui n’ont pas volé leurs bananes du temps où ils servaient en Centrafrique sous le regretté Empereur Jean-Bedel Bokassa, un grand ami de la France, du genre humain et des animaux exotiques à écailles. Dès qu’ils auront le feu vert, la bibine sera à nous. Vive la France, sacrebleu !

Avec tout mon respect patriotique, sinon républicain,

Jean-Goémond Lacroix d’Hébraves

Croix de guerre avec palmes et tuba
Grand officier de l’Ordre du Rahat-Loukoum
Médaillé de la Résistance aux Intempéries

P.S. : Je vous remercie infiniment, au nom de toute mon unité, pour les containers de ce délicat condiment yankee que vous m’avez si gentiment envoyé. Ils ont agréablement amélioré l’ordinaire de notre mess. Y a en effet de la tomate dedans.

P.P.S. : Il va de soi que dès réception des fûts, je ferais livrer au caviste de l’Elysée un échantillonnage substantiel de la came, aux fins d’analyse, cela va sans dire.

Phase 4 : Bonne fête, Lady S. !
Mister G.

[à tchaoum]

17054 caractères, question respect des contraintes, fallait l'faire !
Mais bon, on a pas l'temps d's'ennuyer, et on sait enfin ce qui c'est véritablement passé.
Merci Gobu de nous avoir donné le fin mot de l'histoire.

[apoutsiak]

Non, P'tit gars, juste 9953 à c'theure !

[apoutsiak]

Un petit peu trop père tranquille, à mon goût, fûtsrent ces documents taupes-secrets-défonce des intérêts de la planète, mais néanmoins très plaisants, surtout le dernier.

[Sahkti]

Hahaha Gobu! Quelques jolis portraits de VE :-)
Peut-être moins grinçant que d'habitude mais toujours aussi bien écrit et agréable à lire!

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