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A l'ombre des colosses [titre provisoire]

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Message  Alex_41 Mar 7 Juin 2011 - 22:11

Ô mon Seigneur, parce que Tu m’as induit en erreur…

La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes.
Borges in La Bibliothèque de Babel.




L’ombre immense qui me recouvre ne m’empêche pourtant pas de penser ; et tant que je pense, je me sais supérieur à cette chose. Cette chose, elle, ne pense pas : je veux dire, elle ne sait pas quelle est la cause profonde de ses actes. Oui, bien sûr, elle me voit, elle en déduit ma position, elle me vise ; mais cela, ce n’est pas penser : c’est agir en animal. Moi, j’agis en tant qu’homme, et peut-être même plus : ce que je veux, aucun animal ne peut le vouloir ; ce que je veux, c’est revivre ce que j’ai vécu auparavant, avec elle.

Sa pensée m’habite et je ne sais qu’en déduire. Sûrement, il est bon de penser à elle : c’est pour elle que je suis ici, que je fais cela, que j’agis ainsi ; c’est elle qui, étant cause de mes actes, en est par voie logique de conséquence, comme j’aime à le dire, aussi ma motivation. J’agis pour elle, à cause d’elle : et cela, aucun animal ne le peut. Mon père ruminait souvent sur la différence essentielle entre l’animal et l’homme : un jour il disait que l’homme pensait mais non l’animal, un autre il proclamait à qui voulait l’entendre que l’homme ne pouvait vivre qu’en société, puis un troisième, après avoir lu un nouveau livre, il semblait enfin apaisé par l’idée que l’animal, lui, n’a pas l’idée du divin. Mon père, j’avoue ma surprise à le reconnaître, n’était peut-être pas si loin de la réalité : l’animal est animal en ce qu’il désire rester animal ; ou mieux, il ne pense pas à être autre chose qu’un animal, à s’élever.

Le pouvoir de la vie. Le miracle de la vie. Ce sont ces choses qui me hantent et qui envahissent mes pensées. Aujourd’hui, le miracle est perdu. Le pouvoir devenu impotent. Cela est un paradoxe que je ne puis supporter : l’ordre de la nature est de vivre jusqu’à un certain âge, assez avancé, après une vie heureuse et longue, en société, au milieu de ses enfants, de sa famille, de ses amis, parmi les hommes insouciants. Le pouvoir de ce miracle qu’est la vie ne doit souffrir d’aucune contestation. En temps normal, je ne l’aurais pas supporté. Mais quand la subjectivité se joint à l’universalité, il ne faut plus résister : il faut partir, tenter, abattre.









J’étais parti, seul, vers les terres interdites au solstice, au lever. J’attends encore beaucoup de ce voyage. J’en avais déjà parlé à certains. Ils ne voulaient pas me croire quand je disais ce que je voulais, et moi je ne voulais pas les croire quand ils disaient ce que je ne devais pas vouloir. Mais après tout, je considérais comme nulles leurs objections, venant de la part de telles personnes. Je dois reconnaître que l’injonction du prêtre m’avait fait longuement réfléchir. Pour la première fois, j’avais face à moi des arguments non pas strictement moraux, mais, disons, métaphysiques. Le prêtre m’avait amené à considérer mon existence : il me disait « Wanda, regarde, une nuit d’été au ciel dégagé : regarde le ciel, regarde les étoiles, regarde les astres ; et puis baisse les yeux, et regarde tes pieds, et regarde tes ongles, et regarde tes poils. » Je ne sais toujours pas quoi en penser. Mon père aussi m’avait prévenu. Mon père est un idiot dont les paroles insensées deviennent, indépendamment de lui, tout à fait prophétiques des années après : certains disent qu’il est poète, mais j’ai une trop haute idée de la poésie pour conclure une telle chose. Mon père m’avait dit qu’il ne fallait jamais oublier d’où l’on venait. Je sais d’où je viens : je viens de l’autre côté du pont. Aujourd’hui, ce pont est toujours là, mais je ne veux pas le voir : ce pont me rappelle d’où je viens. Ce monde-là m’est devenu trop distant. Il n’y a pas d’ombres chez les hommes. Les hommes aiment que tout soit réglé, que tout soit transparent, comme si une vive lumière rédemptrice devait éclairer tout corps ou toute pensée pour que le monde soit supportable. Par scrupule tout de même j’essaie depuis que je suis arrivé ici ; je ne parviens pas à regretter ce monde-là. Je me rappelle d’où je viens, mais je ne veux plus y penser ; mon père encore me fait du mal. Le prêtre disait aussi, je m’en souviens maintenant, qu’il ne faut pas chercher à tout comprendre, à tout régler, à tout maîtriser. Les prêtres sont-ils les seuls hommes à aimer les ombres ? Les prêtres sont des ponts : ils réunissent les deux mondes, mais ce lien est fragile et, comme tout édifice humain, peut être détruit. Les prêtres aiment les ombres, mais les ombres fixes, enracinées dans le dogme ; mes ombres sont mouvantes.

Je suis devenu familier avec les ombres. Je n’ai plus besoin de regarder les corps : je sais par les ombres. On pourrait trouver que se repérer grâce aux ombres est paradoxal ; mais dans le monde où je suis, tout est inversé. Les hommes ne maîtrisent plus la nature. Partout, dans l’autre monde, il y a des humains et des traces de passages d’humains. Quand je me place au sommet du temple et que j’ouvre puis ferme les yeux, une sensation me traverse : les ruines qui jonchent les plaines infertiles m’excitent. Il reste pourtant ce pont. Je voudrais bien briser ce dernier lien qui subsiste avec mon monde d’avant ; mais je n’ai pas les capacités pour. Je me rappelle de ces histoires que le prêtre me racontait déjà dans mon jeune âge. Ces histoires visaient uniquement à faire peur aux futurs hommes ; mais je n’ai pas peur. Il faudrait être fou pour dire que j’ai peur, après tout ce que j’ai fait. J’ai réussi à apprivoiser les ombres ; elles sont devenues elles aussi mes compagnons. Je ressens leur présence envoûtante en elle. Je sais qu’elles ne me veulent aucun mal. Ce sont mes ombres.

J’ai appris aussi à dompter leurs anciens maîtres. Le monde où je suis, bien que rempli d’ombres, est beaucoup plus rassurant. Dans l’autre monde, on ne fait que se heurter à la complexité de la société ; je n’y comprenais rien, j’y étais perdu. Dans ce monde, au contraire, tout est identique : il suffit de suivre la lumière que l’on m’indique, je la suis, je reviens, puis on m’indique une autre lumière. Je suis un nomade sédentaire, mais mon voyage a une fin. Je sais que j’emprunte une voie que d’autres déjà ont empruntée ; je sais aussi qu’ils ont échoué. Mais si le pont demeure, n’est-ce pas là une preuve que mon succès est possible ?

Mon histoire préférée du prêtre était celle de ce vagabond qui errait avec son écuyer à travers son pays, à la recherche d’aventures qu’il ignorait. Le prêtre disait que l’errant agissait en bon fidèle, mais que les dieux ne sauraient se satisfaire d’une machine exécutante. J’ai toujours aimé les machines : elles font ce qu’on leur dit. Elles ne réfléchissent pas, elles font. Les machines sont des animaux crées par l’homme. Le maître de l’ombre qui m’assaille n’est pas une machine : c’est une bête, quoiqu’elle semble s’en rapprocher. L’errant aussi restait fidèle à sa mission, aussi imprécise et incroyable soit-elle. J’aime bien m’y comparer, même si j’agis comme je l’entends et comme je l’ai décidé, alors que lui n’était guidé que par ses pulsions, qu’il ne commandait pas ce qu’il faisait, et qu’il s’en retrouvait au final lésé. Je lui suis supérieur aussi.










Je dois m’élever. M’élever encore, jusqu’au sommet. Lui ne sait pas que quinze autres comme lui sont en moi. Mais comment pourrait-il savoir ? Il ne sait rien. Il ne sait que déduire les informations primitives qu’il reçoit. Il vise, il envoie ; j’en suis déjà à l’étape d’après. Il veut me détruire mais ne fait que me renforcer. Je m’élève. Le prêtre disait qu’il n’était pas bon de vouloir trop s’élever ; selon une autre de ses histoires, certains avaient déjà tenté, et ils avaient reçu un châtiment. Je ne comprends pas. Où voulait-il en venir ? Je sais par quelle voie je dois m’élever ; ma route est claire, le chemin en est tracé par la lumière. La vie est simple, ici : la lumière me dit quoi faire et m’en montre le chemin ; elle m’en favorise même la tâche. Il me suffit de voir où arrive la lumière, d’y arriver en m’accrochant fort, et de lever puis de rabaisser brusquement l’épée. L’épée me guide elle aussi. Le prêtre disait qu’il fallait rester maître de ses actions ; mais je le reste ! La lumière et sa voix sont à mon service, qu’elles le veuillent ou non. J’exécute, mais temporairement. Je ne m’en sers que comme moyens, et elles y consentent. Je suis le maître.

La voix pourtant m’effraie. Je sens bien qu’il y quelque chose d’autre en elle ; elle est intrinsèquement faite d’autre chose que moi. Non. La voix n’est pas ; elle appartient à quelqu’un. Mais pour moi, la voix est ce quelqu’un. Qui est ce quelqu’un ? Quelqu’un que je ne vois pas. Je ne vois que la lumière. Et la voix parle depuis la lumière. Je ne sais s’il s’agit d’une voix masculine ou féminine ; si on m’interrogeait, je ne répondrais rien, si jamais je ne pouvais pas répondre : les deux à la fois. Je pourrais longtemps discuter sur le sexe de la voix. Discuter ? Plutôt, réfléchir. Je ne me parle pas à moi-même ; ce serait être fou, et je ne tiens pas à passer pour un fou auprès de mon meilleur ami. Je ne partis pas, seul, vers les terres interdites. Mon fidèle compagnon vint avec moi. Je ne discute pas souvent avec mon ami ; il n’est pas bavard, et je n’ai pas grand-chose à dire (que rajouter de plus à cela ? Je dois faire ; rien de plus à ajouter, à repenser) de mon côté. Bien sûr, il nous arrive de converser. Ce sont ces moments qui au début me gênaient tout de même : il n’aurait pas été bien vu, sûrement, au village, de parler avec un ami tel que lui ; mais la solitude aidant, je parle avec lui. Je lui raconte mes angoisses, mes peines, mes espérances, mes pleurs. Il semble me comprendre, du moins si je me fie à ce que je peux deviner dans son regard (c’est ce qui trahit sa pensée, je crois) ; le regard de mon ami peut sembler hagard à première vue, peut-être même aussi vide que celui de mon père : mais il est en réalité plus profond ; il suffit de s’y plonger durant des heures, la nuit, pour deviner. La nuit, je préfère regarder le regard de mon compagnon plutôt que les étoiles ; les étoiles m’effraient, immensément plus que la voix : elles me rappellent ces histoires du prêtre, avec ce néant auquel je n’ai jamais compris, si ce n’est que je ne pouvais pas le comprendre. Je demandais au prêtre la raison de mon impotence – ce qui m’insupporte au plus haut point : et le prêtre me répondait ce qu’il me répondait d’habitude. Son sermon sur mes poils et mes pieds. Qu’a-t-il avec les pieds ? A-t-il été dans sa jeunesse affecté par sa pilosité ? Je pense qu’il s’agit, concernant le prêtre et ses poils, et ses pieds, d’un problème tout à fait personnel ; l’immensité du vide et le petit espace que je remplis n’ont rien à voir avec de telles pensées. De toute manière, je ne regarde jamais les étoiles la nuit (je regarde mon ami, ou bien je dors, ou bien je pleure et vois donc trouble) ; le jour, je ne regarde jamais le ciel (je regarde la lumière de mon épée, ou bien je regarde le maître de l’ombre qui cache le ciel, ou bien je pleure et vois donc trouble). Je n’ai donc jamais peur : et cela est fort heureux, de ne jamais souffrir. J’en connais des dizaines, des dizaines qui seraient déjà reparties à vive allure, avec compagnon ou non ; elles auraient franchi le pont, avec compagnon ou non, et auraient abandonné leur mission, et leur compagnon ; mais je suis un chevalier, un chevalier errant, c’est-à-dire un chevalier qui sait où il va, toujours avec son compagnon.











L’ombre qui me recouvre ne m’empêche pas non plus de repenser à tout ce que j’ai fait en à mon arrivée ici. Je n’ai en réalité pas grand mérite : car ce que je fais une fois, je le refais treize fois. Tout est pareil, tout marche en série, tout avance tout seul. C’est un rituel, et à chaque fois je m’améliore, à chaque fois je vais plus vite et j’augmente ma cadence. Le rituel commence par la voix. Je regarde dans le vieux temple l’ouverture au ciel ; la voix dans sa lumière me dit des paroles sibyllines qu’elle croit pour moi déchiffrables ; ce que je sais, c’est qu’elle me demande d’exécuter la tâche suivante. Je sais alors comment dois-je faire : de mon fourreau je tire l’épée, et l’épée, par sa lumière, me dit où aller. Il est donc faux de prétendre que je ne vis que dans l’ombre : partout je suis entouré de lumières qui me guident dans l’obscurité. Ces lumières sont rassurantes, bien que je sache qu’elles sont loin d’assurer succès aisé, comme le pense le vulgaire. Secondée par l’astre, l’épée me guide. J’exhorte mon compagnon à aller plus vite encore : j’ai hâte de voir à quoi ressemble le prochain maître de l’ombre, mais plus hâte encore à repartir par le pont avec ce que je suis venu chercher. Parfois l’épée ne réfléchit pas bien, et je dois alors la corriger en déviant ses projections. Mon compagnon est habile à trouver les bons sentiers, et de surcroît saute assez haut pour lui permettre de franchir des obstacles qui auraient arrêté d’autres que lui : ce qui fait que cette épreuve en est rarement une, et que je garde pur et sain et mon corps et mon esprit pour arriver à la véritable confrontation.

Il est tout aussi facile de repérer le maître de l’ombre (tout du moins dans la majorité des cas : parfois en effet il est curieusement moins élevé, ou démesurément, ce qui pose plus encore de problèmes) : le maître de l’ombre se rapproche plus encore du ciel que le temple. Il ne s’attend jamais à ma venue, et c’est alors à moi d’aller le chercher. Aucun maître de l’ombre ne se ressemble (je sais que cela en a été décidé ainsi délibérément pour compliquer ma tâche), et je dois à chaque fois l’approcher de différentes manières. Le maître de l’ombre marche paisiblement dans les étendues désertiques (ou ravagées ? car ravagées ? Plus précisément je ne sais), et c’est alors à moi de perturber sa quiétude. Souvent je lui décoche une flèche, au niveau de la taille, pour lui signaler que son rédempteur enfin est de retour. Le maître de l’ombre alors se tourne et de son regard azuré, qui parfois n’est pas sans rappeler celui de mon compagnon, hagard, innocent, enfantin, me fixe, interloqué : il semble ne pas avoir compris (mais, de la part d’une bête, ce n’est à vrai pas dire pas réellement étonnant), il lui semble que c’est une méprise, et que nous pouvons tous les deux poursuivre notre quiète vie. Au début, j’avais aussi envie de m’en aller, puisqu’il me l’accordait ; de faire comme s’il n’était rien passé, et de le laisser là, tranquille, ne faisant à personne de mal, du moins volontairement ; mais à chaque fois je repensais à ma tâche et à ce que ce colosse mettait entre elle et moi. Et je lui décoche donc une seconde flèche ; je vise l’œil et souvent j’atteins mon but. Le colosse alors enfin comprend ce pour quoi je suis venu et je sais que la véritable confrontation commence. Mon épée encore me sert de guide salutaire : son rôle est toujours de me signifier où dois-je aller, ce qu’elle fait à coup sûr, puisque je ne pars jamais exécuter la nuit. En revanche, elle ne me dit pas comment dois-je y aller, ce qui est très regrettable, puisque je ne suis pas fait pour escalader des colosses, même en plein jour. Mais là où il n’y pas d’épée, il y a la voix : et la voix alors me vient en aide, et me dit – toujours de manière obscure, mais parfois je sais réfléchir comme elle veut que je le fasse – comment faire. Et je le fais. Et je triomphe. Arrivé où je suis, je plante l’épée et le noir venin jaillit. Il m’atteint mais ne m’éclabousse pourtant pas. Où va-t-il ? Ne devrait-il pas me piquer ? Le prêtre disait que tout ce qui ne nous tue nous rend plus fort ; je dois donc être fort comme cette bête, et c’est peut-être pour cela (je le découvre à l’instant) que je suis de plus en plus véloce, que j’arrive à faire plus de choses en un minimum de temps et de réflexion. Il faut parfois que je recommence plusieurs fois, suivant que j’insère mon épée plus ou moins profondément dans les poils du colosse. Je pense que mon épée est faite pour cela : elle se marie avec la chair du colosse et, comme la bague au doigt, s’y insère naturellement. Quand bien même le colosse pourrait gémir, je répète mon enracinement. Puis, quand le colosse s’effondre, je bondis hors de lui.

C’est alors que ces choses noires, des racines (mais racines de quoi ? de qui, plutôt ?) m’enserrent. Je ne pense pas qu’elles me soient réellement nuisibles (dans le cas inverse, au vu de la quantité que j’en ai déjà absorbée, je serais déjà dans l’autre monde). Dans ce moment-là, je ne souffre pas ; au contraire je jubile, je ressens de la puissance en moi, et alors j’ai envie de pousser de forts et bruyants grognements monosyllabiques. Je pense que ces noires racines expliquent la puissance du colosse, et peut-être autre chose en lui. Si j’avais le choix (et je pense l’avoir), je croquerais avidement une telle puissance, car elle me permettrait de m’élever moi aussi, d’aller vers l’astre.








Voilà ce que j'ai écrit pour le moment.
Les plus avisés 'je pense' auront reconnu de quoi la nouvelle est tirée.
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Message  Invité Mer 8 Juin 2011 - 7:56

Je ne fais pas partie des plus avisés et lis assez peu ce genre de littérature.
Le début, ici m'avait paru intéressant, mais rapidemment, j'ai trouvé ça répétitif et confus. Il semble y avoir d'étranges contradictions dans ce personnage qui réfléchit mais exécute ce qu'une voix lui ordonne, qui parle d'ombres et suit une lumière, bref, je ne suis pas emballée, ça n'avance pas et je n'aurai pas longtemps le courage de continuer à lire quelque chose du même acabit ...

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Message  Invité Mer 8 Juin 2011 - 7:58

En fait, c'est la citation de Borges qui m'avait attirée.

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Message  Alex_41 Mer 8 Juin 2011 - 11:31

Tu as bien compris les contradictions du personnage, mais tu n'as pas compris leur portée, les prenant même pour une faute. Nous parlons ici de la vanité du savoir humain, qui se manifeste ici 'entre les lignes', cette vanité à vouloir et prétendre s'élever là où il ne peut en raison de ses capacités de compréhension ; mais il cherche à le faire et aux yeux du lecteur - de Dieu, donc - cette vanité - hybris - apparaît. Il faut y chercher la manifestation de l'hybris de Babel (entre autres). C'est grossier, mais c'est un peu cela.
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Message  Alex_41 Lun 13 Juin 2011 - 12:57

Je considère la chose comme terminée.


A l’Ombre des colosses








L’ombre immense qui me recouvre ne m’empêche pourtant pas de penser ; et tant que je pense, je me sais supérieur à cette chose. Cette chose, elle, ne pense pas : je veux dire, elle ne sait pas quelle est la cause profonde de ses actes. Oui, bien sûr, elle me voit, elle en déduit ma position, elle me vise ; mais cela, ce n’est pas penser : c’est agir en animal. Moi, j’agis en tant qu’homme, et peut-être même plus : ce que je veux, aucun animal ne peut le vouloir ; ce que je veux, c’est pouvoir revivre ce que j’ai vécu auparavant, avec elle.

Sa pensée m’habite et je ne sais qu’en déduire. Sûrement, il est bon de penser à elle : c’est pour elle que je suis ici, que je fais cela, que j’agis ainsi ; c’est elle qui, étant cause de mes actes, en est par voie logique de conséquence, comme j’aime à le dire, aussi ma motivation. J’agis pour elle, à cause d’elle : et cela, aucun animal ne le peut. Mon père ruminait souvent sur la différence essentielle entre l’animal et l’homme : un jour il disait que l’homme pensait mais non l’animal, un autre il proclamait à qui voulait l’entendre que l’homme ne pouvait vivre qu’en société ; puis un troisième, après avoir lu un nouveau livre, il semblait enfin apaisé par l’idée que l’animal, lui, n’a pas l’idée du divin. Mon père, j’avoue ma surprise à le reconnaître, n’était peut-être pas si loin de la réalité : l’animal est animal en ce qu’il aspire à rester animal ; ou mieux, il ne pense pas à être autre chose qu’un animal, à s’élever.

Le pouvoir de la vie. Le miracle de la vie. Ce sont ces choses qui me hantent et qui envahissent mes pensées. Aujourd’hui, le miracle est perdu. Le pouvoir devenu impotent. Cela est un paradoxe que je ne puis supporter : l’ordre de la nature est de vivre jusqu’à un certain âge, assez avancé, après une vie heureuse et longue, en société, au milieu de ses enfants, de sa famille, de ses amis, parmi les hommes insouciants. Le pouvoir de ce miracle qu’est la vie ne doit souffrir d’aucune contestation. En temps normal, je ne l’aurais pas supporté. Mais quand la subjectivité se joint à l’universalité, il ne faut plus résister : il faut partir, tenter, abattre.





Le plus intéressant dans un récit, ce sont les ombres.

Jean Giono.






J’étais parti, seul, vers les terres interdites au solstice, au lever. J’attends encore beaucoup de ce voyage. J’en avais déjà parlé à certains. Ils ne voulaient pas me croire quand je disais ce que je voulais, et moi je ne voulais pas les croire quand ils disaient ce que je ne devais pas vouloir. Mais après tout, je considérais comme nulles leurs objections, venant de la part de telles personnes. Je dois reconnaître que l’injonction du prêtre m’avait fait longuement réfléchir. Pour la première fois, j’avais face à moi des arguments non pas strictement moraux, mais, disons, métaphysiques. Le prêtre m’avait amené à considérer mon existence : il me disait « Wanda, regarde, une nuit d’été au ciel dégagé : regarde le ciel, regarde les étoiles, regarde les astres ; et puis baisse les yeux, et regarde tes pieds, et regarde tes ongles, et regarde tes poils. » Je ne sais toujours pas quoi en penser. Mon père aussi m’avait prévenu. Mon père est un idiot dont les paroles insensées deviennent, indépendamment de lui, tout à fait prophétiques des années après : certains disent qu’il est poète, mais j’ai une trop haute idée de la poésie pour conclure une telle chose. Mon père m’avait dit qu’il ne fallait jamais oublier d’où l’on venait. Je sais d’où je viens : je viens de l’autre côté du pont. Aujourd’hui, ce pont est toujours là, mais je ne veux pas le voir : ce pont me rappelle d’où je viens. Ce monde-là m’est devenu trop distant. Il n’y a pas d’ombres chez les hommes. Les hommes aiment que tout soit réglé, que tout soit transparent, comme si une vive lumière rédemptrice devait éclairer tout corps ou toute pensée pour que le monde soit supportable. Par scrupule tout de même j’essaie depuis que je suis arrivé ici ; je ne parviens pas à regretter ce monde-là. Je me rappelle d’où je viens, mais je ne veux plus y penser ; mon père encore me fait du mal. Le prêtre disait aussi, je m’en souviens maintenant, qu’il ne faut pas chercher à tout comprendre, à tout régler, à tout maîtriser. Les prêtres sont-ils les seuls hommes à aimer les ombres ? Les prêtres sont des ponts : ils réunissent les deux mondes, mais ce lien est fragile et, comme tout édifice humain, peut être détruit. Les prêtres aiment les ombres, mais les ombres fixes, enracinées dans le dogme ; mes ombres sont mouvantes.

Je suis devenu familier avec les ombres. Je n’ai plus besoin de regarder les corps : je sais par les ombres. On pourrait trouver que se repérer grâce aux ombres est paradoxal ; mais dans le monde où je suis, tout est inversé. Les hommes ne maîtrisent plus la nature. Partout, dans l’autre monde, il y a des humains et des traces de passages d’humains. Quand je me place au sommet du temple et que j’ouvre puis ferme les yeux, une sensation me traverse : les ruines qui jonchent les plaines infertiles m’excitent. Il reste pourtant ce pont. Je voudrais bien briser ce dernier lien qui subsiste avec mon ancien monde ; mais je n’ai pas les capacités pour. Je me rappelle de ces histoires que le prêtre me racontait déjà dans mon jeune âge. Ces histoires visaient uniquement à faire peur aux futurs hommes ; mais je n’ai pas peur. Il faudrait être fou pour dire que j’ai peur, après tout ce que j’ai fait. J’ai réussi à apprivoiser les ombres ; elles sont devenues elles aussi mes compagnons. Je ressens leur présence envoûtante en elle. Je sais qu’elles ne me veulent aucun mal. Ce sont mes ombres.

J’ai appris aussi à dompter leurs anciens maîtres. Le monde où je suis, bien que rempli d’ombres, est beaucoup plus rassurant. Dans l’autre monde, on ne fait que se heurter à la complexité de la société ; je n’y comprenais rien, j’y étais perdu. Dans ce monde, au contraire, tout est identique : il suffit de suivre la lumière que l’on m’indique, je la suis, je reviens, puis on m’indique une autre lumière. Je suis un nomade sédentaire, mais mon voyage a une fin. Je sais que j’emprunte une voie que d’autres déjà ont empruntée ; je sais aussi qu’ils ont échoué. Mais si le pont demeure, n’est-ce pas là une preuve que mon succès est possible ?

Mon histoire préférée du prêtre était celle de ce vagabond qui errait avec son écuyer à travers son pays, à la recherche d’aventures qu’il ignorait. Le prêtre disait que l’errant agissait en bon fidèle, mais que les dieux ne sauraient se satisfaire d’une machine exécutante. J’ai toujours aimé les machines : elles font ce qu’on leur dit. Elles ne réfléchissent pas, elles font. Les machines sont des animaux crées par l’homme. Le maître de l’ombre qui m’assaille n’est pas une machine : c’est une bête, quoiqu’elle semble s’en rapprocher. L’errant aussi restait fidèle à sa mission, aussi imprécise et incroyable soit-elle. J’aime bien m’y comparer, même si j’agis comme je l’entends et comme je l’ai décidé, alors que lui n’était guidé que par ses pulsions, qu’il ne commandait pas ce qu’il faisait, et qu’il s’en retrouvait au final lésé. Je lui suis supérieur aussi.





Ô mon Seigneur, parce que Tu m’as induit en erreur…

Al-Hijr - 15.39





Je dois m’élever. M’élever encore, jusqu’au sommet. Lui ne sait pas que quinze autres comme lui sont en moi. Mais comment pourrait-il savoir ? Il ne sait rien. Il ne sait que déduire les informations primitives qu’il reçoit. Il vise, il envoie ; j’en suis déjà à l’étape d’après. Il veut me détruire mais ne fait que me renforcer. Je m’élève. Le prêtre disait qu’il n’était pas bon de vouloir trop s’élever ; selon une autre de ses histoires, certains avaient déjà tenté, et ils avaient reçu un châtiment. Je ne comprends pas. Où voulait-il en venir ? Je sais par quelle voie je dois m’élever ; ma route est claire, le chemin en est tracé par la lumière. La vie est simple, ici : la lumière me dit quoi faire et m’en montre le chemin ; elle m’en favorise même la tâche. Il me suffit de voir où arrive la lumière, d’y arriver en m’accrochant fort, et de lever puis de rabaisser brusquement l’épée. L’épée me guide elle aussi. Le prêtre disait qu’il fallait rester maître de ses actions ; mais je le reste ! La lumière et sa voix sont à mon service, qu’elles le veuillent ou non. Je les manipule. J’exécute, mais temporairement. Je ne m’en sers que comme moyens, et elles y consentent. Je suis le maître.

La voix pourtant m’effraie. Je sens bien qu’il y quelque chose d’autre en elle ; elle est intrinsèquement faite d’autre chose que moi. Non. La voix n’est pas à elle seule ; elle appartient à quelqu’un. Mais pour moi, la voix est ce quelqu’un. Qui est ce quelqu’un ? Quelqu’un que je ne vois pas. Je ne vois que la lumière. Et la voix parle depuis la lumière. Je ne sais s’il s’agit d’une voix masculine ou féminine ; si on m’interrogeait, je ne répondrais rien, si jamais je ne pouvais pas répondre : les deux à la fois. Je pourrais longtemps discuter sur le sexe de la voix. Discuter ? Plutôt, réfléchir. Je ne me parle pas à moi-même ; ce serait être fou, et je ne tiens pas à passer pour un fou auprès de mon meilleur ami. Je ne partis pas, seul, vers les terres interdites. Mon fidèle compagnon vint avec moi. Je ne discute pas souvent avec mon ami ; il n’est pas bavard, et je n’ai pas grand-chose à dire (que rajouter de plus à cela ? Je dois faire ; rien de plus à ajouter, à repenser) de mon côté. Bien sûr, il nous arrive de converser. Ce sont ces moments qui au début me gênaient tout de même : il n’aurait pas été bien vu, sûrement, de l’autre côté du pont, de parler avec un ami tel que lui ; mais la solitude aidant, je parle avec lui. Je lui raconte mes angoisses, mes peines, mes espérances, mes pleurs. Il semble me comprendre, du moins si je me fie à ce que je peux deviner dans son regard (c’est ce qui trahit sa pensée, je crois) ; le regard de mon ami peut sembler hagard à première vue, peut-être même aussi vide que celui de mon père : mais il est en réalité plus profond ; il suffit de s’y plonger durant des heures, la nuit, pour le deviner. La nuit, je préfère regarder le regard de mon compagnon plutôt que les étoiles ; les étoiles m’effraient, immensément plus que la voix : elles me rappellent ces histoires du prêtre, avec ce néant auquel je n’ai jamais rien compris, si ce n’est que je ne pouvais pas le comprendre. Je demandais au prêtre la raison de mon impotence – ce qui m’insupporte au plus haut point : et le prêtre me répondait ce qu’il me répondait d’habitude. Son sermon sur mes poils et mes pieds. Qu’a-t-il avec les pieds ? A-t-il été dans sa jeunesse affecté par sa pilosité ? Je pense qu’il s’agit, concernant le prêtre et ses poils, et ses pieds, d’un problème tout à fait personnel ; l’immensité du vide et le petit espace que je remplis n’ont rien à voir avec de telles pensées. De toute manière, je ne regarde jamais les étoiles la nuit (je regarde mon ami, ou bien je dors, ou bien je pleure et vois donc trouble) ; le jour, je ne regarde jamais le ciel (je regarde la lumière de mon épée, ou bien je regarde le maître de l’ombre qui cache le ciel, ou bien je pleure et vois donc trouble). Je n’ai donc jamais peur : et cela est fort heureux, de ne jamais souffrir. J’en connais des dizaines, des dizaines qui seraient déjà reparties à vive allure, avec compagnon ou non ; elles auraient franchi le pont, avec compagnon ou non, et auraient abandonné leur mission, et leur compagnon ; mais je suis un chevalier, un chevalier errant, c’est-à-dire un chevalier qui sait où il va, toujours avec son compagnon.





L'Église dit que la terre est plate, mais j'ai vu l'ombre sur la lune et j'ai plus foi en l'ombre qu'en l'Église.

Fernand de Magellan






L’ombre qui me recouvre ne m’empêche pas non plus de repenser à tout ce que j’ai fait depuis mon arrivée ici. Je n’ai en réalité pas grand mérite : car ce que je fais une fois, je le refais treize fois. Tout est pareil, tout marche en série, tout avance tout seul. C’est un rituel, et à chaque fois je m’améliore, à chaque fois je vais plus vite et j’augmente ma cadence. Le rituel commence par la voix. Je regarde dans le vieux temple l’ouverture au ciel ; la voix dans sa lumière me dit des paroles sibyllines qu’elle croit pour moi déchiffrables ; ce que je sais, c’est qu’elle me demande d’exécuter la tâche suivante. Je sais alors comment dois-je faire : de mon fourreau je tire l’épée, et l’épée, par sa lumière, me dit où aller. Il est donc faux de prétendre que je ne vis que dans l’ombre : partout je suis entouré de lumières qui me guident dans l’obscurité. Ces lumières sont rassurantes, bien que je sache qu’elles sont loin d’assurer succès aisé, comme le pense le vulgaire. Secondée par l’astre, l’épée me guide. J’exhorte mon compagnon à aller plus vite encore : j’ai hâte de voir à quoi ressemble le prochain maître de l’ombre, mais plus hâte encore à repartir par le pont avec ce que je suis venu chercher. Parfois l’épée ne réfléchit pas bien, et je dois alors la corriger en déviant ses projections. Mon compagnon est habile à trouver les bons sentiers, et de surcroît saute assez haut pour lui permettre de franchir des obstacles qui auraient arrêté d’autres que lui : ce qui fait que cette épreuve en est rarement une, et que je garde pur et sain mon corps et mon esprit pour arriver à la véritable confrontation.

Il est tout aussi facile de repérer le maître de l’ombre (tout du moins dans la majorité des cas : parfois en effet il est curieusement moins élevé, ou démesurément, ce qui pose plus encore de problèmes) : le maître de l’ombre se rapproche plus encore du ciel que le temple. Il ne s’attend jamais à ma venue, et c’est alors à moi d’aller le chercher. Aucun maître de l’ombre ne se ressemble (je sais que cela en a été décidé ainsi délibérément pour compliquer ma tâche), et je dois à chaque fois l’approcher de différentes manières. Le maître de l’ombre marche paisiblement dans les étendues désertiques (ou ravagées ? car ravagées ? Plus précisément je ne sais), et c’est alors à moi de perturber sa quiétude. Souvent je lui décoche une flèche, au niveau de la taille, pour lui signaler que son rédempteur enfin est de retour. Le maître de l’ombre alors se tourne et de son regard azuré, qui parfois n’est pas sans rappeler celui de mon compagnon, hagard, innocent, enfantin, me fixe, vaguement interloqué : il semble ne pas avoir compris (mais, de la part d’une bête, ce n’est à vrai pas dire pas réellement étonnant), il lui semble que c’est une méprise, et que nous pouvons tous les deux poursuivre notre quiète vie. Au début, j’ai envie de m’en aller, puisqu’il me l’accorde ; de faire comme s’il ne s’était rien passé, et de le laisser là, tranquille, ne faisant à personne de mal, du moins volontairement ; mais à chaque fois je repense à ma tâche et à ce que ce colosse place entre elle et moi. Et je lui décoche donc une seconde flèche ; je vise l’œil et souvent j’atteins mon but. Le colosse alors enfin comprend ce pour quoi je suis venu et je sais que commence la véritable confrontation. Mon épée encore me sert de guide salutaire : son rôle est toujours de me signifier où dois-je aller, ce qu’elle fait à coup sûr, puisque je ne pars jamais exécuter la nuit. En revanche, elle ne me dit pas comment dois-je y aller, ce qui est très regrettable, puisque je ne suis pas fait pour escalader des colosses, même en plein jour. Mais là où il n’y pas d’épée, il y a la voix : et la voix alors me vient en aide, et me dit – toujours de manière obscure, mais parfois je sais réfléchir comme elle veut que je le fasse – comment faire. Et je le fais. Et je triomphe. Arrivé où je suis, je plante l’épée et le noir venin jaillit. Il m’atteint mais ne m’éclabousse pourtant pas. Où va-t-il ? Ne devrait-il pas me piquer ? Le prêtre disait que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ; je dois donc être fort comme cette bête, et c’est peut-être pour cela (je le découvre à l’instant) que je suis de plus en plus véloce, que j’arrive à faire plus de choses en un minimum de temps et de réflexion. Il faut parfois que je recommence plusieurs fois, suivant que j’insère mon épée plus ou moins profondément dans les poils du colosse. Je pense que mon épée est faite pour cela : elle se marie avec la chair du colosse et, comme la bague au doigt, s’y insère naturellement. Quand bien même le colosse pourrait gémir, je répète mon enracinement. Puis, quand le colosse s’effondre, je bondis hors de lui.

C’est alors que ces choses noires, ces racines (mais racines de quoi ? de qui, plutôt ?) m’enserrent. Je ne pense pas qu’elles me soient réellement nuisibles (dans le cas inverse, au vu de la quantité que j’en ai déjà absorbée, je serais dans l’autre monde). Dans ce moment-là, je ne souffre pas ; au contraire je jubile, je ressens de la puissance en moi, et alors j’ai envie de pousser de forts et bruyants grognements monosyllabiques. Je pense que ces noires racines expliquent la puissance du colosse, et peut-être autre chose en lui. Si j’avais le choix (et je pense l’avoir), je croquerais avidement une telle puissance, car elle me permettrait de m’élever moi aussi, d’aller vers l’astre.

On dit qu’il y a un Jardin, quelque part dans ces terres. A en croire le prêtre, c’est un lieu préservé de tous les péchés des hommes, un lieu où la nature abonde et où tout vient spontanément à l’homme, végétaux comme animaux, brebis comme pommes. Si je devais rester dans les terres, avec elle, même une fois ma tâche ici accomplie, si elle le désire, bien entendu, je pense que j’irais vivre au Jardin. Le Jardin est un endroit merveilleux, pur et vierge. Le prêtre disait que personne ne l’a jamais trouvé : c’est ainsi que s’il est abandonné des hommes, ce n’est pas parce que ces hommes ont fui, mais parce qu’ils n’y sont jamais allés ; je pense que c’est encore préférable. Le Jardin serait situé en hauteur, très haut, plus proche du ciel encore que le plus grand des maîtres de l’ombre. Je ne sais pas comment je pourrai peut-être plus tard l’atteindre ; mais je sais que le prêtre disait : « aide-toi, et le ciel t’aidera ». Je vise le ciel : il est encore plus normal qu’il m’aide à l’atteindre ; de toute manière, le prêtre était formel : nous sommes destinés à une vie meilleure, très haut dans le ciel. Je pense qu’il faisait référence au Jardin de ce monde-là. Mais je pense aussi qu’il faut savoir saisir son destin ; être destiné à quelque chose, selon moi, ne veut pas nécessairement dire que cette chose se produira. Je pense que je peux résister au destin qui m’aurait été assigné, comme tout être, par les dieux, et décider moi-même du cours de ma vie (c’est-à-dire que c’est par moi seul que je compte m’élever). Dans le Jardin, le prêtre assurait que l’on peut vivre en paix une fois que la justesse de nos actions aura été pesée ; mais selon quelles lois, il ne le disait pas. Le prêtre remplit ses paroles de mystères ; ainsi il peut souvent prétendre avoir visé juste, car il interprète ses chants après que les faits se sont produits. Il est facile d’être prêtre ; si je n’étais pas destiné au Jardin et à l’élévation, je pense que je retournerais au village pour devenir prêtre. Si les gens croient à ce que raconte le prêtre, je pense aussi pouvoir aisément les tromper. Le rôle du prêtre en somme est simple : il joue sur la crainte et l’espoir. Certains au village diraient que je porte atteinte ici à la dignité des dieux ; je pense qu’il vaut mieux qu’ils ne comprennent pas en quoi le prêtre les induit en erreur. Je crois à l’existence des dieux, mais je crois aussi qu’ils ne se soucient pas de nous ; ils restent là où ils sont, très haut. Parfois cependant ils peuvent s’intéresser au sort des hommes, mais toujours dans un intérêt personnel. Je ne pense pas que la voix soit un dieu. La voix est sûrement une puissante entité, peut-être un dieu déchu, ou un agrégat de je ne sais quoi (comment pourrais-je savoir ?), mais un agrégat incomplet, auquel il faudrait adjoindre encore de la matière qui lui manquerait réellement pour redevenir divin ; si c’était un véritable dieu, la voix déjà se montrerait, et surtout elle pourrait elle-même abattre ces colosses, au lieu que je sois le prolongement corporel de sa volonté. Mais comment se fait-il alors que la voix puisse prétendre avoir le pouvoir de ramener à la vie ? J’ai placé ma confiance dans la parole de la lumière ; comment une pure lumière pourrait-elle mentir ? Quelque chose peut-être m’échappe dans ses paroles. Je ne me rappelle plus de ce que la voix avait dit, sauf peut-être au premier jour, quand j’étais arrivé avec mon compagnon et elle sur son dos. Elle m’avait dit : « Le prix à payer sera élevé ». Je savais très bien que je devrai accomplir des épreuves ; mais j’aurais voulu que la lumière laissât moins d’obscurités dans ses paroles.










Je ne sais en quels temps c'était, je confonds toujours l'enfance et l'Eden. Comme je mêle la Mort et la Vie - un pont de douceur les relie.

Léopold Sédar Senghor





Le précédent colosse fut chose aisée. J’ai même éprouvé pour la première fois un grand plaisir avant même de plonger mon dernier coup d’épée : en effet, ce colosse dans sa fureur détruisait des ponts. Il est heureux qu’enfin je perçoive des signes qui m’indiquent que je suis sur le bon chemin ; mais le pont qui relie les deux mondes doit tout de même rester : je devrai la ramener comme je me le suis promis (quitte à revenir, si elle le désire ; vivre, seuls, ici, loin, à l’écart...). Le colosse était semblable à un singe ; être simiesque par excellence, il incarnait la force brute : jamais un colosse n’avait autant mérité le titre de « bête ». Je n’ai pas envie de m’étendre sur la technique que j’avais employée pour le vaincre (à vrai dire, je ne m’en souviens même plus ; je pense que je perds la mémoire, à force de ne plus vouloir l’exercer). Ce que j’en retiens, ce sont les ponts brisés par la bête. Faut-il garder les ponts ? Une fois parvenu du bon côté, et pour toujours, il me semble nécessaire de les abattre ; or pour le moment, j’en ai besoin encore.

Les ponts. Toujours les ponts. Je retournais au temple délabré réentendre la voix. La lumière alors m’a dit que le colosse que je venais d’abattre était l’avant-dernier, et qu’une dernière épreuve restait avant l’accomplissement de ce que je suis venu chercher et ce que je désire toujours posséder depuis le premier jour. Alors je suis parti, impatient d’en finir. En moi je sentais quelque chose qui me poussait encore à aller plus vite. J’entendais presque la voix venir de moi : « Vite, Wanda : ils arrivent ». Parmi les attributs divins qui lui restent encore, il semble que la voix ait gardé des reliquats d’omniscience (mais pourquoi gâche-t-elle son pouvoir en ne révélant pas tout pour me faciliter ma tâche ?). Je pense toutefois parfaitement savoir qu’ils sont effectivement en route. Les terres sont interdites à cause de la voix. Il est heureux que les autres ne m’aient pas vu partir ; ils m’auraient sans doute attaché ; ils savaient pourtant ma peine et ma détermination à la dépasser. Cela ne les avait pas empêché de me laisser mon compagnon et son corps sans vie. S’ils croient le prêtre, ils ont pu aussi me croire, et cela est heureux. Bien sûr, dérober l’épée n’avait pas été aussi chose aisée. Je ne me rappelle plus exactement comment je l’ai dérobée, mais cela importe peu. Mes pensées divaguent depuis que le pont s’est effondré. Je veux dire, non pas le pont par lequel je suis arrivé ; je ne dois pas tout confondre ; je ne dois pas me tromper de chemin, de voie, pour arriver à ce que je veux atteindre.

Le dernier colosse se trouvait donc à l’extrême nord-est des terres interdites. Il fallait franchir une foule d’abîmes. Des ponts reliaient les gouffres sans fond. Mon compagnon et moi avec lui galopaient à vive allure. La fin approchait, hélas. La voix pourtant n’avait pas semblé signifier qu’un autre que moi devait payer le prix. Le dernier pont était le plus long. La voix pourtant n’avait pas semblé signifier l’équilibre nécessaire entre une vie redonnée et une mort apportée. Il était aussi instable. La voix pourtant n’avait pas semblé signifier la double peine qui me frapperait. Nous étions presque arrivés au bout, quand je sentis le sol s’effondrer. La voix pourtant n’avait pas semblé signifier qu’il ne pourrait y avoir de retour en arrière. Dans un dernier sacrifice, mon compagnon me propulsait de l’autre côté du pont, sans que je puisse résister. La voix pourtant n’avait pas semblé signifier que je devrais perdre mon dernier compagnon. Je criais le nom de mon compagnon, effondré par la distance de plus en grande qui le séparait de moi. La voix pourtant n’avait pas semblé signifier que mon seul compagnon, mon cheval, Agro, viendrait à trouver la mort à l’orée de la vie redonnée.





La clarté est une juste répartition d'ombres et de lumières.


Johann Wolfgang von Goethe



De ma position actuelle, l’ombre du dernier colosse me recouvre. Il est si immense que je ne peux arriver à voir ses yeux de ma position. Cela fait au moins trois heures que je pense à ce qui m’attend, n’oubliant cependant pas d’éviter les projectiles qu’il me lance à intervalles irréguliers ; mais je pense aussi aux ponts, au pont, et c’est ce qui est cause de ma paralysie. Je n’avance pas, je tourne en rond, je réfléchis ; je pense à une chose et en dis une autre. Je sais qu’il me faudra affronter ce colosse, puisque cela est mon destin, et puisque j’ai fait tant d’efforts pour enfin arriver à cette ultime confrontation ; je sais que je vaincrai, mais je sais aussi que la partie est déjà perdue. La vie nouvelle de Mono sans doute pourra me faire oublier la mort certaine d’Agro ; mais toujours il y aura un côté de la balance qui en moi pèsera trop lourd. Je ne pense pas que je referais ce que la voix me demanderait ensuite pour redonner la vie à Agro ; le prix à payer est cher : je l’avais accepté ; mais, qu’il soit inattendu, je ne peux que le refuser. Il faut que tout soit clair : peu à peu les ombres se dissipent et j’entrevois la lumière de l’astre. Mais pour éclairer plus encore mon chemin, il faut cependant en finir avec cette dernière épreuve.

Ce colosse est-il une bête ? Au bout du compte, une bête n’est-elle pas une machine ? Ce colosse semble de création humaine ; il n’est pas comme les autres ; il se trouve qu’il est plus grand, plus impressionnant, plus maîtrisé, plus perfectionné, plus humain, en somme. Je sais que je ne peux que triompher, et pourtant, pour la première fois, je crois que j’ai peur de la mort qu’il peut me donner. Ce colosse est trop élevé pour moi ; douterais-je de l’accomplissement, qui me semblait pourtant être écrit, de ce que j’attends ? Je dois pourtant m’élever.

Enfin je vois la marque bleue sur la tête du colosse. Je sais que la fin à présent est toute proche. Je plante par trois fois l’épée. Un grand vide. Puis le colosse s’effondre, et moi avec. Les racines sont plus nombreuses que d’habitude. Elles m’enserrent. Je me sens démoniaque. Je suis de retour au temple. Je m’écroule.





La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes.

Jose Luis Borges in La Bibliothèque de Babel.





Les ombres sont choses trop sérieuses pour être laissées à la seule appréhension des hommes. La place des hommes est dans la lumière que leur offre le dogme ; les hommes doivent suivre le chemin qui leur est prescrit : restant dans la droite lignée de leur condition misérable, ils ne doivent en aucun cas chercher à faire des détours, qui plus est lorsque ces détours mènent au plus grand péché qui existe, celui de vouloir s’approprier le pouvoir des dieux en les trompant. Je puis comprendre que Wanda ait été peiné par la perte de Mono ; mais Wanda aurait dû, lui, comprendre que Mono ne faisait que rester dans le chemin qui lui avait été tracé d’en haut. Wanda voulait aller contre le destin, contre l’humanité même ; il voulait défier la vie en personne. Sa démesure l’a conduit jusqu’aux terres interdites et à la mort.

Chacun sait pourquoi nous avons abandonné ces territoires. Autrefois, l’ancien dieu avait failli atteindre les terres humaines les plus peuplées pour, comme sa soif de destruction lui imposait, détruire le plus de matière possible. Nos ancêtres avaient su contenir ce péril mortel en isolant le Monstre dans ces terres et, surtout, en scindant son âme en quinze parties, placées chacune d’entre elles dans un colosse – destiné à demeurer invincible, sauf par l’épée sacrée, dérobée par Wanda (nous ne pouvons qu’en prendre à nous-mêmes sur ce point). Wanda n’écoutait pas assez mes récits : il ne savait pas que l’effritement de son libre-arbitre serait décidé quoi qu’il arrive par Dormin, qui a coutume – je le disais pourtant dans mes récits – de promettre l’incroyable pour mieux nuire. Dormin était certes tenu de respecter sa parole s’il voulait conserver quelque matière de divin en lui ; mais a-t-il eu le temps de respecter sa parole ? Nous n’avons pas vu Mono ; nous sommes repartis sans elle. Et, si elle se trouve toujours dans les terres interdites, j’ai bien peur qu’elle le sera pour toujours : en partant, nous avons bien pris soin de réaliser le rituel de purification avec l’épée. Le pont qui reliait les deux mondes n’est plus, et ainsi, même si Dormin, bien qu’une nouvelle fois vaincu, venait à se recomposer dans le futur, il ne pourra atteindre notre monde. Nous nous sommes montrés dignes de nos ancêtres.

Quand nous arrivâmes au temple, après avoir été alertés au sujet du vol de l’épée – nous avions tout de suite compris quand nous nous aperçûmes que Wanda et le cadavre de Mono manquaient aussi -, je ne crus pas reconnaître Wanda. Mon ancien élève était couvert d’une sorte de matière noire, semblable, je crois, à celle qui composait par suite la réincarnation de Dormin à travers le corps de Wanda. Wanda s’est fourvoyé : il a fait confiance à un être par essence malfaisant ; il lui a vendu son âme, c’est-à-dire ses qualités qui faisaient de lui un humain. Les lecteurs de ce récit doivent bien comprendre qu’il n’y absolument rien de beau à vouloir forcer le destin, à vouloir s’écarter du sentier que les dieux nous ont tracé. Il faut rester dans la lumière du sentier. Je dévoile tout ici : les ombres n’ont pas leur place dans le monde des humains ; tout doit être clair, pur et balisé. Les dieux des terres interdites sont du domaine de l’ombre : ils manipulent, ils manigancent, ils révèlent par très succinctes touches ; et pour nous, humains, et en premier lieu moi-même, indigne pont entre immortels et mortels, la place est humblement à trouver dans les révélations rassurantes de la doctrine, guidée par les dieux de la lumière. La lumière des dieux doit nous traverser. Je le dis à tous : ne tentez pas l’inconnu, ne tentez pas les ombres ; les ombres sont malfaisantes par nature ; il n’y a absolument rien d’enviable en elles. Wanda a causé sa mort en errant dans les ombres : Dormin s’était emparé de son corps en l’ayant par seize fois pénétré. Wanda n’étant plus humain mais le colosse Dormin, il était devenu nécessaire d’abattre le colosse en pratiquant le rituel. Bien sûr, je regrette la destruction du temple, un de nos trésors architecturaux ; mais il était écrit que Wanda devait mourir : le monde est simple, vu de la lumière. Le monde est univoque, et donc rassurant, une fois tout paisiblement révélé, une fois les ombres dissipées.






Savoir qu'on n'a plus rien à espérer n'empêche pas de continuer à attendre.

Marcel Proust in A l’ombre des jeunes filles en fleurs







Quel est ce monde ? Ce monde semble à part des autres mondes ; il est luxuriant et accueillant. Serait-ce ce que le prêtre appelait le « Jardin » ? Je ne sais pas ; ce qui me pousse à croire que ce n’est pas le cas, c’est que je suis presque seule : les autres élus devraient aussi s’y trouver. Je ne peux pas être la seule élue ; je veux bien croire à l’impossible, mais pas à l’impensable. Ce qui se trouve dans ce Jardin est pourtant indescriptible : peut-on penser une chose sans pouvoir se la représenter ? La faune et la flore abondent et viennent à l’humain spontanément : cette brebis-là m’offre ses mamelles pour que je puisse boire son lait ; cette biche se frotte à moi (les biches dans l’autre monde me fuyaient toujours, bien que je ne leur voulusse aucun mal.) Je ne manque ici de rien ; je veux dire, il ne me manque aucun besoin humain vital : je mange à ma faim, je bois comme je l’entends, et, surtout, je respire de l’air qui n’a pas été vicié.

Je ne suis pas venue seule au Jardin. Quand je me suis réveillée, j’étais sur un lit de pierres, dans un vieux temple délabré. Puis, je ne sais pas ce qu’il s’est passé ; il y a eu des cris, des tirs de flèches, des morts, peut-être. J’ai fermé les yeux en attendant que tout finisse ; et, quand tout fut fini, j’ai rouvert les yeux : j’étais alors tout en bas d’un long escalier, circulaire, de pierre aussi. Je me retournai, et je reçus un second choc en voyant un cheval que jamais je n’aurais pensé trouver ici, avec moi, en ce lieu si mystérieux : que fait ici Agro ? Agro ne se séparait jamais de Wanda. Où est Wanda ? Agro portait un tout jeune enfant sur son dos : j’observais avec tendresse la pureté de l’enfant ; puis, levant les yeux, je fus saisi d’effroi en voyant deux cornes sur la tête de l’enfant. Par quel prodige cet enfant s’est-il retrouvé avec deux petites cornes juchant sur son crâne ? Qu’a-t-il de fait de mal ? Il n’a commis aucun péché : comment aurait-il pu, alors qu’il vient à peine de commencer sa première vie ? Un troisième choc me fut apporté quand Agro recommença à marcher : il avait une jambe cassée, et se traînait péniblement, mais sans jamais manifester sa douleur. Nous arrivâmes tous les trois au Jardin ; une porte épaisse de pierre se referma derrière nous.

Je croyais pourtant être morte. Mais je suis ici. Je ne saurai jamais comment je suis revenue à la vie ; je ne saurai jamais non plus comment Agro se tient ici avec moi, et surtout qui est cet enfant, et pour quelle raison porte-t-il des cornes. Je pense que cela est mieux ainsi : il y a, je pense, une certaine poésie à ne pas tout savoir ; il faut, je pense, accepter cette poésie des ombres qui entre tant en contradiction avec la ferme moraline que voudrait fixer le dogme. L’homme ne doit pas rester dans son sentier : ce serait mener une vie plate, sans saveur ; mais il n’y pas de saveur sans sagesse, et il faut contenir la démesure naturelle dans la mesure instituée. La voie que je me propose en attendant (qui ou quoi ? Je ne le sais pas ; j’attends ici, dans cet espace clos, dans ma prison ; je ne sais pas ce que je dois attendre, mais je sais ce que j’ai reçu) n’est pas un juste milieu.

Ces réflexions que j’écris ici me paraissent au bout du compte plates, impérieuses, sottes et pourraient tout à fait constituer, hélas, une nouvelle morale. Je veux dire une chose, faire signifier une puissante idée que je sais avoir en moi, mais j’échoue ; comme le philosophe, je pense que l’art de l’écriture ne peut rien communiquer. Je regarde les arbres du Jardin, et la vie qu’ils contiennent ; je sais que c’est merveilleux, mais je ne sais pas le dire. J’accepte mon impotence et je me prosterne devant le miracle de la vie. Je regarde l’enfant et ne comprends pas ce paradoxe qui habite en lui : je n’arrive pas à regarder séparément les cornes et la blancheur de l’enfant ; pire encore, je n’arrive pas à penser l’enfant sans les cornes. Je maudis le créateur et bénis la création.

Alex_41
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