8 Mars

Je m’assieds dans ce bus que je connais pour le prendre 2 fois par jour, 6 jours sur 7 depuis des années. Je suis fatiguée et pour la première fois, refuse. Refuse de céder. Refuse de n’être qu’une race. Qu’une nègresse. Je ne suis pas, ne souhaite pas être dans la revendication ou dans l’exaspération. Je suis juste lasse. Je refuse de payer le fait d’être noire dans le pays que mon sang a construit. Je ne suis pas une icône ou un prétexte, je suis un peuple entier qui se soulève. Le Père Luther King me sert contre lui. 13 novembre 1956, nous avons érigé la première pierre de l’égalité. Je suis Rosa Parks.

Je suis debout dans un hémicycle hostile. On hurle mon nom, on m’insulte. Tout glisse pourtant sur mon austère apparence derrière laquelle saigne ma dignité. Une assemblée masculine ne me fera pas plier. Le 17 janvier 1975, on adopte ma loi, elle portera mon nom. J’ai mis à mes pieds 284 hommes, je me suis enivrée de la liberté et du choix alors offerts aux miennes. Essuyant quelques larmes légitimes, mon regard se porte sur le numéro 78651 me rappelant ce que les hommes m’ont pris, me faisant par la même réaliser l’indépendance que je nous avais apportée. Je suis Simone Veil.

Je passe d’une pièce à l’autre dans la moiteur d’une maison qui part en ruine. Je pleure mes enfants chéris que j’ai sacrifié à mes idéaux mais que je sais pouvoir serrer bientôt dans mes bras. Je pleure mon mari que je ne retrouverai pas dans ce monde, ayant offert mon amour à mon pays. Je pense à mon père, à sa vie volée pour un semblant de démocratie. Je souris à ce prix Nobel de la paix qui n’aura servi qu’à me maintenir prisonnière durant près de 15 ans. Je sors de ma maison. Une foule immense est présente, une fleur m’est jetée que je m’empresse de mêler à mes cheveux. Je suis libre. Je suis Aung San Suu Kyi.

Je suis violée, excisée, battue, bafouée, torturée, détestée, rabaissée. Je suis afghane, Iranienne, syrienne. Je n’ai d’autres torts que de n’être moi-même, sans même avoir eu le choix de ne pas l’être.

Je suis passionnée, râleuse, rêveuse, aimante, amante, je suis ta mère dont la vie ne dépend que de la tienne, celle qui se lève pour toi, t’aimer, te consoler., je suis ta maitresse dont la flamme éclaire tes nuits, Je suis Moi.

… FEMMES…

Et dans la sincérité qui nous caractérise, par la bonne foi dont nous faisons toujours preuve, j’ai oublié de dire que je pouvais également être sur la muraille de Chine armée de l’exaspération pour épée et de la bravitude pour bouclier. J’ai oublié de mentionner que je pouvais également n’être que futile imbécilité voire futilité imbécile faisant de ma non-vie un mode d’existence, n’ayant pour unique CV que mon célèbre nom hérité des hôtels de feu grand-papa. Et je n’oserais pas imaginer que je pourrais être debout, à une tribune, les poings dressés vers un ciel que j’implore, à reprendre le flambeau haineux d’un père dont je suis le fils rêvé, à ne fantasmer que de second tour et de frontières hermétiques.


… ET TOUT L’INVERSE …

Bonsoir,

C'était le 8 mars effectivement ...

Amicalement,
midnightrambler

... Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça envoie !
Bien, un peu de hargne, de colère, d'ampleur, ça réveille !
Rien à redire si ce n'est des détails, sans doute dus à l'étourderie ou la fatigue ( ça m'arrive aussi ) :
"Le Père Luther King me sert contre lui". Rien qui ne puisse se corriger facilement.

Bonne continuation...

Ubik.

Ça a beaucoup de gueule, au niveau du ton et de la structure choisie... Très bonne idée, ce "je suis... Rosa Parks, Aung suu Kyi, etc", une belle manière de souligner l'anonymat des autres femmes, en fin de texte.

Quelques petits reproches, çà et là : j'ai trouvé la première phrase un peu lourde. Dommage pour un incipit.
Quand tu dis "femme incisée", juste après tu donnes les exemple de la Syrie, de l'Afghanistan, de l'Irak. Je ne suis pas sûr (mais je me trompe peut-être) que l'incision soit une pratique de ces pays-là.

Enfin, mais c'est un avis tout personnel, Simone Veil n'est pas au même niveau que les autres femmes citées... Je sais bien qu'elle est à l'origine de la loi sur l'IVG en 74, mais ce n'est pas du tout une pionnière en la matière, les pays du bloc soviétique l'avaient légalisé dans les années 30, l'Islande dans les années 50, les Etats-Unis en 73... Bref, Simone Veil n'a fait qu'appliquer en France ce qui se faisait ailleurs.

vincent M. a écrit:les exemples de la Syrie, de l'Afghanistan, de l'Irak Iran. Je ne suis pas sûr (mais je me trompe peut-être) que l'excision soit une pratique de ces pays-là.

Pardon (p... de dyslexie ! ^^)

merci de vos avis :))
Concernant l'excision et les 3 pays que j'ai mentionnés, en fait il n'y a pas de lien. L'idée était juste de parler de ce que certaines femmes pouvaient subir ainsi que de la conditions d'autres femmes dans certains pays. cela n'était effectivement pas forcément très clair. Tu as en outre tout à fait raison Vincent, c'est une pratique très sporadique dans les pays que j'ai cités (mais sans lien je le répète avec ma phrase ^^), elle est par contre bien implantée dans beaucoup de pays d'Afrique subsaharienne.
Pour Simone Veil, ce n'est pas tant la loi qui m'a intéressée, nous n'étions pas très en avance tu as raison... mais plus l'investissement de cette femme dans l'univers politique. C'est un choix très personnel de la juriste que je suis et donc de l'étudiante en droit que j'étais, et donc totalement orienté ^^.
allez, pour le coup je me "serre" un thé pour me réveiller (merci Ubik, jolie coquille)

Tout d'abord, j'aime bien les textes militants, enfin pour les causes qui me sont chères :-) Premier bon point.
Ensuite, je trouve réussie la façon dont le texte glisse d'un (une !) personnage à l'autre, je dois avouer m'être laissée surprendre en première lecture.
Pour finir, le passage en italiques est une bonne idée, ajoute à la crédibilité, à l'intelligence de la démarche.

moi, je n'aime guère les textes militants (le lisant au début je me suis dit ouh la la), même si j'ai des convictions tranchées, mais là c'est avant tout un texte, d'une belle grande écriture, et qui sert (ou serre ?) un sujet cher à nos cœurs
donc, c'est oui
enlevé, sans chichi, pas explicatif : bravo

Bien aimé la progression, quelque chose de piquant fait sortir le texte du pamphlet pur. On se prend à être d'accord, à trouver Simone jolie. Loin d'être castrateur, c'est un féminisme rarement intelligent et pourtant ici, il l'est !

Un texte qui touche par ce JE utilisé par l'auteur qui devient JE du lecteur , et qui permet l'espace d'un instant de ressentir le vertige qu'a du ressentir celle qui a du se lever et s'opposer, dans un contexte défavorable.

"Je suis violée, excisée, battue, bafouée, torturée, détestée, rabaissée. Je suis afghane, Iranienne, syrienne."

Je n'ai pas été choquée car outre l'excision, plutôt pratiquée en Afrique Noire, on parle des divers et variés moyens de rétorsion utilisés entre autre dans ces pays à l'encontre des femmes . La torture résume bien quand même l'ensemble des situations.
Pour mémoire en Afghanistan, un des jeux de société pratiqué allègrement en famille c'est de vitrioler les femmes. Souvent, elles n'attendent pas que cela arrive , celles qui sont menacées préfèrent se faire bruler elles mêmes , elles s'immolent devant leur "foyer"
en Iran la lapidation est trés en vogue parait il, en Syrie le massacre est un sport prisé

Pour Simone, faut savoir ce qu'elle s'est pris dans la gueule quand même à l'époque, on n'imagine pas aujourd'hui. Bon pipi de chat à côté de ce qu'elle a vécu dans les camps...certes