Exo réécriture : Psychose

Ce matin, j’ai encore vu sa tronche dans la glace. Les joues et le menton mal rasés, les sourcils broussailleux les lèvres sèches, le teint cireux. Ce reflet dans mon miroir, c’est une épreuve inimaginable. Les poches sous les yeux, les poils dans les oreilles, l’haleine que j’imagine fétide, les ongles négligés, tout me dégoûte, j’en ai des hauts le cœur et ça empire avec le temps.

Faut dire avec ces miroirs que j’ai installés partout, même si je ne veux pas le regarder, je ne peux échapper à son image. Il me poursuit de la salle de bain au dressing-room, de la chambre au salon, il n’y a guère que dans la cuisine que je ne peux le voir. Je ne sais ce qui se passerait si je voyais l’espace d’une seconde son visage sur la lame d’un couteau.

Je le hais. Ce mec, c’est la face cachée de ma vie. Ma moitié honteuse. Je ne l’ai jamais présenté à aucune de mes copines. Je ne leur en parle jamais. Ni de ses regards mauvais le matin quand il trébuche sur une de mes chaussures à talon aiguille, ni de sa propension à péter dans mes draps de soie, ni de sa façon immonde de loucher sur mes petites culottes, ni de sa façon de se gratter les couilles d’un air perplexe en regardant alternativement ma combi léopard accrochée sur un cintre et ma mini robe cuir rose bonbon gisant au sol. Ce type est un porc, dans chacune de ses attitudes, dans chacun de ses gestes.
J’ai toujours pris sur moi quand pour se raser le matin il fait tomber la moitié de mes fards par terre. Et que je dois les ramasser avant de pouvoir les utiliser. Bon il est vrai que je prends beaucoup de place. De plus en plus de place. Il ne sait pas jusqu’où ça va aller. Moi non plus, mais depuis quelques temps, je sens que ça ne va pas tarder à dégénérer. La cohabitation, ça va un temps. J’atteins le point de non retour.

Déjà longtemps que je ne l’accepte plus à ma table. Moi, j’aime déjeuner en paix. Déguster tranquillement ma mini-cracotte à la margarine allégée en admirant mes ongles fraichement repeints, siroter ma tasse de thé délicatement sans abimer mon rouge à lèvres carmin, écouter mes airs préférés d’Opéra Bouffe, et mes CD de Freddy Mercury, de Chantal Goya et d’Amanda Lear. Un moment raffiné quoi. Qu’il n’est pas question qu’il vienne troubler en ricanant que le café c’est pas sa tasse de thé, en rotant entre deux tartines ou en se curant les crottes de nez sous mon nez.

Il prend son café à six heures du mat et moi je brunche à onze heures, quand je suis prête.
Mais ce con ce matin s’est levé à mon heure. Je le vois s’asseoir à table juste en face de moi et il a l’outrecuidance de se servir dans ma tasse en porcelaine blanche décorée d’un cœur rouge. Je le sentais venir depuis un moment ce coup de Trafalgar… Il déprimait ces derniers temps. Faut vraiment qu’il soit dans les trente sixième dessous pour se risquer à me croiser au moment le plus intime de ma journée. D’habitude, il fait bien la part des choses, il connait nos points de désaccord et nos clivages. Que je ne supporte plus.

Du coup, je vois rouge.

Je me lève et donne un grand coup de latte dans l’immense glace circulaire qui fait le tour de notre salle à manger. Un grand silence. Je reviens m’asseoir.

-« Zut, je l’entends articuler, qu’est ce que j’ai fait ? »
Et il reste là, tout défait. Au lieu de disparaitre de ma vue.
-« Tu comprends pas que tu dois te casser ! T’as rien à glander ici à cette heure !!!! »
J’attrape la bouilloire bouillante et je lui jette à la gueule. Contre toute attente c’est la glace en face de moi qui explose.
-« Qu’est ce qui se passe », il ose gargouiller, et je vois son regard implorant se refléter dans un panneau de miroir resté accroché miraculeusement.
-« Pascale ? »
Il a encore les yeux chassieux du mec mal réveillé.
Furieuse, je ramasse un éclat figé sur le parquet et je lui saigne les poignets. Il tombe à genoux.
-« Pascale, c’est toi qui fais ça ? »
-« C’est qui à ton avis ? Hein Pascal, ya que toi et moi ici, non ? »

Je vois son visage honni, à la fois fracturé et démultiplié dans les multiples morceaux fracassés au sol. L’enfer absolu, je suis au centre d’un kaléïdoscope géant de Pascals sanguinolents et en larmes.
Ma fureur se déchaine. Je le vois se lever et foncer comme un fou sur le pan de mur encore intact. La tête la première. Le silence retombe.

Pourrai-je déjeuner en paix maintenant ? Je relève la tête. La grande horloge murale indique onze heures dix.

Je me lève et chancelle. Maintenant je vois rouge pour de vrai. Dans mes yeux, le sang se fraie un passage comme il peut, j’ai du m’exploser un vaisseau en fonçant comme une folle sur le mur. Ma tête est un champ de mines. Je réussis à me trainer jusqu’à la table où je me sers un thé. J’en renverse partout. Puis je suspends mon geste. De mes poignets tailladés, des gouttes carmin dégringolent sur le ramequin rempli de sucres qui changent rapidement de couleur. C’est en prenant un sucre que je vois ce qui me remplit d’horreur et de dégoût. Mes mains. Mes mains pas encore rasées, ni manucurées, mes mains velues, aux doigts carrés sur lesquelles je n’ai pas encore posé mes faux ongles, mes mains bestiales.

La femme fatale en moi n’a jamais aimé mes mains bestiales.

J’ai toujours su qu’il fallait que je dégage avant que je ne fasse mon apparition, car me voir après onze heures, c’est comme voir un vampire en plein jour. Insupportable pour une vamp.

-« T’inquiète pas Pascale, je vais trouver une solution »
-« Définitive, Pascal, car je vais t’achever »

Trouver un pieu. Il nous fallait trouver un pieu. Laisser le soleil entrer, et nous pénétrer, masculin, féminin entremêlés.
Sous la fenêtre de la chambre, le grillage mitoyen avec le voisin ! Ses piques dressées vers le ciel.

Ouvrir la fenêtre. Entendre les oiseaux. Se pencher. Le ciel comme un nuage de lait. Et puis basculer. Enfin, déjeuner en paix.

Ah j'ai adoré ce dévoiement Reb! Tu as bouclé la boucle de façon magistrale, en prenant tes marques assez loin du texte initial sans cependant le trahir, bravo !

"élargir le champ des possibles", expression qui me fait rigoler mais qui convient bien à ce délire vampiresque inattendu. Heureusement qu'il arrive ce délire car ça commençait à être un peu longuet comme lecture ;-)
Pas assez de jeux de mots où tu excelles, mais c'est pas grave.
tu utilises bien ton imagination

J’adore ton idée, géniale. Et je me suis bien faite avoir tout le début du texte. Je me disais que tu dressais un sacré portrait de la narratrice, pas mieux lotie que son compagnon. Et à la relecture je trouve très bien mené tous les petits détails disséminés, les indices, vraiment bien construit.
Rien à dire sur la fin, impeccable.

Deux choses me chiffonnent un peu :
Ici : écouter mes airs préférés d’Opéra Bouffe, et mes CD de Freddy Mercury, de Chantal Goya et d’Amanda Lear. Un moment raffiné quoi Ça jure avec le reste et frôle la caricature je trouve, même si je comprends l’idée de peut-être donner un indice.
Et là : j’ai du m’exploser un vaisseau en fonçant comme une folle sur le mur
De mes poignets tailladés
Mes mains pas encore rasées, ni manucurées, mes mains velues, aux doigts carrés sur lesquelles je n’ai pas encore posé mes faux ongles , mes mains bestiales.
C’est trop explicatif pour moi, on a déjà compris, et ça ne fait qu’enfoncer un clou.

En dehors de ces détails j’ai beaucoup aimé.

épatant, rondement mené, et la chute excellente
(il va me falloir un dictionnaire des synonymes pour continuer ces lectures)

Pas fana, en fait, désolé. C'est sans doute moi, mais dès le départ, j'ai pensé à un trans et du coup, j'ai attendu la confirmation. Après, le délire psychotique qui vire un peu au grand barnum, j'avoue que j'aurais préféré qqchose de plus nuancé, de moins caricatural mais c'est vraiment une question de goût. Et là, c'est sûr, question imagination, c'est au top !

c'est malin, maintenant je vais avoir peur de mon côté féminin

bonne idée, et même si le trait est parfois un peu forcé, c'est un texte pêchu qui se laisse lire avec grand plaisir

Comme Anotherday, j'ai tout de suite compris l'idée, du coup la suite m'a paru bien longue.
Je pense que le second paragraphe est de trop, il vend la mèche de la double personnalité sans aucun doute possible, alors que sans lui et avec un ou deux aménagements, tu pourrais faire durer assez longtemps l'illusion de deux personnes distinctes. Un peu à la Fight Club. Le suspense et le texte y gagneraient.

Je n'ai pas non plus accroché aux dialogues, trop lourds.

Sinon, j'ai bien aimé l'idée et contrairement à Elea, j'ai trouvé le passage sur les mains excellent. Il m'a marqué. La répétition du mot main et l'emploi du terme bestial font un effet boeuf.

Ah oui, et le parallèle avec le vampire, ça aussi ça m'a plu.