Exo réecriture : Valses et toussotements
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AGANIPPE
Lunatik
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Exo réecriture : Valses et toussotements
6H45 un dimanche de janvier : j'ouvre les yeux au bruit d'une valse, comme tous les matins depuis douze ans. J'ai épousé un mélomane monomaniaque. Matinal et dur de la feuille, de surcroît. Dans un tourbillon douloureux, les violons me lacèrent gaiement le cerveau, ils grincent et virevoltent et reviennent en piqué chaque fois que j'essaie de reprendre mon souffle. C'est du Tchaïkovski, pour le moins. La journée s'annonce rude.
Je le devine assis à la table de la cuisine en caleçon de soie et robe de chambre, la couille droite, rebelle, tentant une vaine échappée, ses cheveux déjà bien peignés, plaqués sur le front, ses joues luisantes de crème hydratante au vétiver. Je l'entends touiller son infusion, mécaniquement, régulièrement, en désaccord total avec le rythme syncopé des violons. Enfin, il tapote sa cuiller sur le bord de sa tasse puis il la pose sur la table où elle laissera une auréole brunâtre que j'effacerai d'un coup d'éponge, plus tard.
Il toussote brièvement, de sa petite Toux hOrripilante Chronique. Les violons couinent et trissent de plus belle. Je l'imagine s'abîmant dans un de ses bouquins sur la conscience cosmique pendant que sa tisane refroidit. Il nous faut être capables d'humilité face au plan de vie global, me dira-t-il si je descends maintenant le rejoindre. Chérie, il nous faut admettre que des champs magnétiques naturels extérieurs conduisent nos fonctions vitales, et ne plus tenter de tout maîtriser.
A plat dos, membres écartés façon étoile de mer, je m'approprie tout l'espace dans le lit. Je balance son oreiller par terre, je vire la couette et je me concentre sur le plafond. Pas la moindre fissure pour accrocher mon regard. Pas la plus petite tache sur l 'étendue laquée. Rien qu'un néant glacé, apaisant.
Il toussote. Foutue TOC. La petite cuiller reprend sa valse lancinante dans la tasse en grès. Les stridulations des violons reviennent se fracasser sur mes tempes. La chambre empeste le vétiver. Je décide de descendre à la cuisine, les yeux fermés, à la recherche de sensations nouvelles. J'aimerais qu'il me surprenne, qu'il soit en train de lire une B.D tout en trempant un croissant dans un café noir, à poil sur le canapé, la tignasse en bataille. Qu'il coupe la chique à cette musique de merde et qu'on s'improvise un câlin, dans le silence confortable de notre maison surchauffée. On assisterait au ballet muet de la neige tourbillonnant sur la terrasse.
Il toussote. Toc toc toc. J'ouvre un œil. Il s'apprête à replonger sa petite cuiller dans sa tisane froide, pour touiller, inlassablement, à contretemps. Les violons continuent à geindre et cracher leur mélopée aigrelette. Ma cervelle ballotte au fond de mon crâne, baignée de mille sons discordants. Je lui arrache sa cuiller et son bouquin des mains. Un peu surpris, il me sourit : Chérie, sais-tu que des études ont clairement établi un lien indéniable entre les variations du champ magnétique terrestre et les états d'humeur et de conscience de l'être humain ? Ainsi, le nombre d'entrées en cliniques psychiatriques ou de...
Je balaye sa tasse, presque gentiment. L'infusion aux fruits rouges éclabousse son caleçon et coule le long de sa jambe. On se fixe sans un mot. Je me revois il y a dix ans, avec mon ventre rebondi qui se vide et se répand sur mes cuisses ensanglantées, avec une foutue valse en fond sonore et mes sanglots couverts par ceux si longs des violons.
Il toussote. Je sursaute.
Les cris des violons résonnent le long de mes os, jusque dans mes dents, et je sens leurs archets frotter sur mes nerfs grésillants jusqu'à les embraser. Chaque nouvelle note explose derrière mes yeux et gicle dans mes orbites qui débordent et se répandent en larmes acides. Aveuglée, je frappe la chaîne jusqu'à ce qu'elle tire sa langue de plastique et régurgite Tchaïkovski, sa valse sentimentale et ses stridences hystériques, pour que le silence enfin retombe sur nous et me recouvre.
6H45 un dimanche de janvier : j'ouvre les yeux aux blatèrements de France Info, comme tous les matins depuis sa mort. Je partage ma cellule avec une accro à la politique et aux faits divers. Matinale et dure de la feuille, de surcroît. Une pouffiasse annonce la météo d'une voix criarde qui me vrille les globes oculaires. La journée s'annonce rude...
Il avait toussoté. La toux de trop qui fit déborder la tasse.
Alors, j'avais arraché du guéridon le lecteur cd enfin muet et, tout en lui martelant le crâne avec, j'avais hurlé : En plus, tu mets jamais de sucre dans ta putain de tisane, alors pourquoi tu touilles ?!
Je le devine assis à la table de la cuisine en caleçon de soie et robe de chambre, la couille droite, rebelle, tentant une vaine échappée, ses cheveux déjà bien peignés, plaqués sur le front, ses joues luisantes de crème hydratante au vétiver. Je l'entends touiller son infusion, mécaniquement, régulièrement, en désaccord total avec le rythme syncopé des violons. Enfin, il tapote sa cuiller sur le bord de sa tasse puis il la pose sur la table où elle laissera une auréole brunâtre que j'effacerai d'un coup d'éponge, plus tard.
Il toussote brièvement, de sa petite Toux hOrripilante Chronique. Les violons couinent et trissent de plus belle. Je l'imagine s'abîmant dans un de ses bouquins sur la conscience cosmique pendant que sa tisane refroidit. Il nous faut être capables d'humilité face au plan de vie global, me dira-t-il si je descends maintenant le rejoindre. Chérie, il nous faut admettre que des champs magnétiques naturels extérieurs conduisent nos fonctions vitales, et ne plus tenter de tout maîtriser.
A plat dos, membres écartés façon étoile de mer, je m'approprie tout l'espace dans le lit. Je balance son oreiller par terre, je vire la couette et je me concentre sur le plafond. Pas la moindre fissure pour accrocher mon regard. Pas la plus petite tache sur l 'étendue laquée. Rien qu'un néant glacé, apaisant.
Il toussote. Foutue TOC. La petite cuiller reprend sa valse lancinante dans la tasse en grès. Les stridulations des violons reviennent se fracasser sur mes tempes. La chambre empeste le vétiver. Je décide de descendre à la cuisine, les yeux fermés, à la recherche de sensations nouvelles. J'aimerais qu'il me surprenne, qu'il soit en train de lire une B.D tout en trempant un croissant dans un café noir, à poil sur le canapé, la tignasse en bataille. Qu'il coupe la chique à cette musique de merde et qu'on s'improvise un câlin, dans le silence confortable de notre maison surchauffée. On assisterait au ballet muet de la neige tourbillonnant sur la terrasse.
Il toussote. Toc toc toc. J'ouvre un œil. Il s'apprête à replonger sa petite cuiller dans sa tisane froide, pour touiller, inlassablement, à contretemps. Les violons continuent à geindre et cracher leur mélopée aigrelette. Ma cervelle ballotte au fond de mon crâne, baignée de mille sons discordants. Je lui arrache sa cuiller et son bouquin des mains. Un peu surpris, il me sourit : Chérie, sais-tu que des études ont clairement établi un lien indéniable entre les variations du champ magnétique terrestre et les états d'humeur et de conscience de l'être humain ? Ainsi, le nombre d'entrées en cliniques psychiatriques ou de...
Je balaye sa tasse, presque gentiment. L'infusion aux fruits rouges éclabousse son caleçon et coule le long de sa jambe. On se fixe sans un mot. Je me revois il y a dix ans, avec mon ventre rebondi qui se vide et se répand sur mes cuisses ensanglantées, avec une foutue valse en fond sonore et mes sanglots couverts par ceux si longs des violons.
Il toussote. Je sursaute.
Les cris des violons résonnent le long de mes os, jusque dans mes dents, et je sens leurs archets frotter sur mes nerfs grésillants jusqu'à les embraser. Chaque nouvelle note explose derrière mes yeux et gicle dans mes orbites qui débordent et se répandent en larmes acides. Aveuglée, je frappe la chaîne jusqu'à ce qu'elle tire sa langue de plastique et régurgite Tchaïkovski, sa valse sentimentale et ses stridences hystériques, pour que le silence enfin retombe sur nous et me recouvre.
6H45 un dimanche de janvier : j'ouvre les yeux aux blatèrements de France Info, comme tous les matins depuis sa mort. Je partage ma cellule avec une accro à la politique et aux faits divers. Matinale et dure de la feuille, de surcroît. Une pouffiasse annonce la météo d'une voix criarde qui me vrille les globes oculaires. La journée s'annonce rude...
Il avait toussoté. La toux de trop qui fit déborder la tasse.
Alors, j'avais arraché du guéridon le lecteur cd enfin muet et, tout en lui martelant le crâne avec, j'avais hurlé : En plus, tu mets jamais de sucre dans ta putain de tisane, alors pourquoi tu touilles ?!
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
Ah oui! Moi, je l'acquitte tout de suite !
Belle réinterprétation, musicale, et j'adore la rébellion de la couille droite !
Belle réinterprétation, musicale, et j'adore la rébellion de la couille droite !
Invité- Invité
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
J'adore la montée en puissance de l'exaspération !
AGANIPPE- Nombre de messages : 39
Age : 65
Date d'inscription : 10/03/2012
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
Beau portrait, tellement crédible et peaufiné qu’il m’énerve moi aussi cet homme, sans compter la musique. Beaucoup aimé, le sentiment d’oppression est bien rendu, communicatif.
Juste pas bien compris le souvenir d’il y a dix ans.
Juste pas bien compris le souvenir d’il y a dix ans.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
Ah j'adore la couille rebelle et surtout la dernière phrase !
Bravo !
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
j'ai beaucoup aimé ! ça n'est pas très constructif comme commentaire, mais c'est vrai ! :-)
anotherday- Nombre de messages : 69
Age : 57
Date d'inscription : 27/01/2012
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
pareil, hyper efficace et marrant, la couille rebelle et la dernière phrase en prime !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
un savant dosage de monologue intérieur, récit (une hypotypose humide et glaçante, sorte de genèse du ressentiment), et de minuscules détails et images qui rend le tout vivant et bon.
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
C'est extrêmement bien écrit.
Bien vu cette Toux hOrripilante Chronique, le genre de toc qui peuvent rendre les autres toqués.
Sans compter tous ces détails horripilants que tu agences dans un quotidien qui pourrait être anodin, comme une petite musique discordante mais banale de l'enfer conjugal, et qui au final s'avère mortelle après un crescendo orchestré de main de maitre.
Bien vu cette Toux hOrripilante Chronique, le genre de toc qui peuvent rendre les autres toqués.
Sans compter tous ces détails horripilants que tu agences dans un quotidien qui pourrait être anodin, comme une petite musique discordante mais banale de l'enfer conjugal, et qui au final s'avère mortelle après un crescendo orchestré de main de maitre.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Exo réecriture : Valses et toussotements
n'importe quoi !grieg a écrit:une hypotypose
faut que j'arrête les médocs
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
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