La nage papillon (Prologue et suites)
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La nage papillon (Prologue et suites)
Je viens du froid, je viens de la nuit déjà.
Dix-neuf heures, deux fois par semaine, je me gare devant la clinique, prends mon sac, claque mon coffre, et descend l’escalier extérieur qui me mène au sous-sol.
Il y a une porte et de la lumière, je m’engouffre en coup de vent glacial. Je traverse la salle des tortures déserte, me change prestement dans une des cabines et me dirige vers la grotte amniotique.
Déserte aussi. Je sais que la kiné viendra me dire bonjour et puis peut être au revoir, ça dépend. Le plus souvent, elle reste dans son cabinet de messages avec un client du soir ou deux, à échanger sur le temps, la vie, ses accidents ses intempéries; il parait qu’elle parle aux muscles avec poigne et douceur, qu’elle décode les douleurs de l’âme sous les articulations souffrantes, elle dit en malaxant les squelettes vieillissant « j’ai les moyens de vous faire parler », il parait que c’est vrai.
Moi c’est le silence qui me trouve ici. Qui me troue.
A dix-neuf heures, deux fois par semaine, le bassin d’aquagym me dérobe à la vie.
Je rentre. La salle est éteinte. L’air est saturé d’humidité et de chaleur. Je me laisse envelopper avec volupté. J’allume une seule petite lumière pour mieux jouir de la nuit qui s’engouffre par la grande baie vitrée qui donne au pied de l’escalier. Une douche brûlante finit de me couper du monde extérieur, et je rentre dans l’eau. Température du ventre maternel, je m’enfonce dans la moiteur, une bulle invisible m’emporte, moi, l’eau, la piscine, la lumière, la nuit, loin très loin du froid, du bruit, du monde qui tourne inlassablement.
Je commence mes exercices. Battements de jambes, ronds dans l’eau, flexions, extensions, porters d’haltères, le silence n’est altéré que par les clapotements de l’eau et les friselis de mes pensées.
Un, deux, trois, quatre, j’ai cinquante ans. Combien il me reste à vivre ? A mourir à petit feu. Cinq, six, sept, huit, j’en ai trente. Je suis en nage, je mets mes bébés au monde. J’ai peur pour eux. Neuf, dix, onze, douze. A quoi me sert d’avoir vingt ans et toutes mes dents ? L’amour je n’y crois plus déjà. Treize, quatorze, quinze, Papa ne veut pas qu’à quinze ans je sorte le soir. Il préfère m’avoir sous la main. Moi, mes petits seins, ma peau d’Anne. Seize, dix sept, dix-huit, j’ai huit ans, ma maitresse est très sévère. Sa grande règle en fer s’abat sur mes doigts. Dix-neuf, vingt je ne sais plus compter au-delà. Au-delà, je tète le sein de ma mère. Tout gercé. Au-delà, je suis dans son ventre. Ai-je rêvé d’une aiguille à tricoter ? Drôle de rêve. Au-delà, je retourne au néant.
Je suis haut déjà, quand la porte claque. La lumière fuse et éclate. La bulle crève.
Bonjour Madame Amecéleste, me fait la kiné. Bien travaillé aujourd’hui ?
Je m’appelle Anne. Anne- Céleste, je lui réponds mentalement en réintégrant malgré moi mon enveloppe charnelle.
J’ai beau ruer dans les étoiles pour me maintenir en apesanteur, je tombe de haut. Un grand splash égaie la piscine un instant. Les coquillages océaniques et phosphorescents des grands fonds sous-marins s’éteignent un à un.
Oui le travail est bien avancé, je pense suffisamment fort pour qu’elle entende.
Je m’expulse du bassin en quelques contractions bien dosées, je n’ai plus que les eaux sur la peau. Mes os, eux, claquent des dents. Sous la douche glacée, mes mots peinent à remonter le courant, je frissonne un « au revoir à mercredi ».
Vingt heures, je dois repartir dans le froid de l’hiver, dans le noir de l’ennui.
Ma kiné elle dit « dans le cocon de la vie ».
C’est parce qu’elle a l’innocence et la poésie chenillée au corps qu’elle dit ça. Mais je l’aime bien. Alors pour lui faire plaisir, je me rhabille, traverse la salle des tortures. Déserte. J’ouvre la porte , le vent s’engouffre et je m’élance en nage papillon dans la grande fosse aux requins.
Dix-neuf heures, deux fois par semaine, je me gare devant la clinique, prends mon sac, claque mon coffre, et descend l’escalier extérieur qui me mène au sous-sol.
Il y a une porte et de la lumière, je m’engouffre en coup de vent glacial. Je traverse la salle des tortures déserte, me change prestement dans une des cabines et me dirige vers la grotte amniotique.
Déserte aussi. Je sais que la kiné viendra me dire bonjour et puis peut être au revoir, ça dépend. Le plus souvent, elle reste dans son cabinet de messages avec un client du soir ou deux, à échanger sur le temps, la vie, ses accidents ses intempéries; il parait qu’elle parle aux muscles avec poigne et douceur, qu’elle décode les douleurs de l’âme sous les articulations souffrantes, elle dit en malaxant les squelettes vieillissant « j’ai les moyens de vous faire parler », il parait que c’est vrai.
Moi c’est le silence qui me trouve ici. Qui me troue.
A dix-neuf heures, deux fois par semaine, le bassin d’aquagym me dérobe à la vie.
Je rentre. La salle est éteinte. L’air est saturé d’humidité et de chaleur. Je me laisse envelopper avec volupté. J’allume une seule petite lumière pour mieux jouir de la nuit qui s’engouffre par la grande baie vitrée qui donne au pied de l’escalier. Une douche brûlante finit de me couper du monde extérieur, et je rentre dans l’eau. Température du ventre maternel, je m’enfonce dans la moiteur, une bulle invisible m’emporte, moi, l’eau, la piscine, la lumière, la nuit, loin très loin du froid, du bruit, du monde qui tourne inlassablement.
Je commence mes exercices. Battements de jambes, ronds dans l’eau, flexions, extensions, porters d’haltères, le silence n’est altéré que par les clapotements de l’eau et les friselis de mes pensées.
Un, deux, trois, quatre, j’ai cinquante ans. Combien il me reste à vivre ? A mourir à petit feu. Cinq, six, sept, huit, j’en ai trente. Je suis en nage, je mets mes bébés au monde. J’ai peur pour eux. Neuf, dix, onze, douze. A quoi me sert d’avoir vingt ans et toutes mes dents ? L’amour je n’y crois plus déjà. Treize, quatorze, quinze, Papa ne veut pas qu’à quinze ans je sorte le soir. Il préfère m’avoir sous la main. Moi, mes petits seins, ma peau d’Anne. Seize, dix sept, dix-huit, j’ai huit ans, ma maitresse est très sévère. Sa grande règle en fer s’abat sur mes doigts. Dix-neuf, vingt je ne sais plus compter au-delà. Au-delà, je tète le sein de ma mère. Tout gercé. Au-delà, je suis dans son ventre. Ai-je rêvé d’une aiguille à tricoter ? Drôle de rêve. Au-delà, je retourne au néant.
Je suis haut déjà, quand la porte claque. La lumière fuse et éclate. La bulle crève.
Bonjour Madame Amecéleste, me fait la kiné. Bien travaillé aujourd’hui ?
Je m’appelle Anne. Anne- Céleste, je lui réponds mentalement en réintégrant malgré moi mon enveloppe charnelle.
J’ai beau ruer dans les étoiles pour me maintenir en apesanteur, je tombe de haut. Un grand splash égaie la piscine un instant. Les coquillages océaniques et phosphorescents des grands fonds sous-marins s’éteignent un à un.
Oui le travail est bien avancé, je pense suffisamment fort pour qu’elle entende.
Je m’expulse du bassin en quelques contractions bien dosées, je n’ai plus que les eaux sur la peau. Mes os, eux, claquent des dents. Sous la douche glacée, mes mots peinent à remonter le courant, je frissonne un « au revoir à mercredi ».
Vingt heures, je dois repartir dans le froid de l’hiver, dans le noir de l’ennui.
Ma kiné elle dit « dans le cocon de la vie ».
C’est parce qu’elle a l’innocence et la poésie chenillée au corps qu’elle dit ça. Mais je l’aime bien. Alors pour lui faire plaisir, je me rhabille, traverse la salle des tortures. Déserte. J’ouvre la porte , le vent s’engouffre et je m’élance en nage papillon dans la grande fosse aux requins.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Tu nous as fait partager un moment de pure régression, où l'immersion dans le liquide amniotique est ressentie comme un refuge. C'est là qu'est le cocon. Dans le ventre maternel, et pas dans la vie extérieure, fosse au requins.
Ambiance qui favorise le retour sur soi, avec des flashes back sur sa vie.
Un petit parfum incestueux avec la peau d'Anne.
Une allusion aux faiseuses d'anges avec l'aiguille à tricoter.
Survenue de la kiné. Il faut s'extraire du cocon humide. Remonter le courant.
Poésie chenillée au corps : ça, c'est la patte de Rebecca.
Merci pour ce texte que j'ai apprécié.
Juste une chose : tu as annoncé un peu trop tôt l'adjectif amniotique : grotte amniotique. J'aurais aimé découvrir l'idée un peu plus tard dans le texte.
Ambiance qui favorise le retour sur soi, avec des flashes back sur sa vie.
Un petit parfum incestueux avec la peau d'Anne.
Une allusion aux faiseuses d'anges avec l'aiguille à tricoter.
Survenue de la kiné. Il faut s'extraire du cocon humide. Remonter le courant.
Poésie chenillée au corps : ça, c'est la patte de Rebecca.
Merci pour ce texte que j'ai apprécié.
Juste une chose : tu as annoncé un peu trop tôt l'adjectif amniotique : grotte amniotique. J'aurais aimé découvrir l'idée un peu plus tard dans le texte.
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Cette jolie écriture, je la reconnais, bien dosée entre poésie et récit (chouette, tu ne te laisses pas déborder, ici). Je ne sais pas si tous les cabinets de kiné se ressemblent, mais celui-ci me parle.
Le seul regret, c’est de ne pas savoir ce qu’elle vient soigner, seule, dans l’eau chaude.
J’ai un peu buté ici : «porters d’haltères », même si je comprends le jeu avec la suite « le silence n’est altéré », je ne trouve pas ton expression très… heureuse ?
Je trouve un peu « chargé » son compte à rebours : la règle en fer est peut-être un peu « trop » ?
Pareil qu’Iris pour la grotte amniotique : inutile.
J’aime beaucoup en particulier :
« Je viens du froid, je viens de la nuit déjà. »
« Je m’appelle Anne. Anne-Céleste » (enfin, le nom de la narratrice)
« je n’ai plus que les eaux sur la peau. » et tout ce paragraphe.
« J’ouvre la porte, le vent s’engouffre et je m’élance en nage papillon dans la grande fosse aux requins. ». Très joli titre, au passage.
Le seul regret, c’est de ne pas savoir ce qu’elle vient soigner, seule, dans l’eau chaude.
J’ai un peu buté ici : «porters d’haltères », même si je comprends le jeu avec la suite « le silence n’est altéré », je ne trouve pas ton expression très… heureuse ?
Je trouve un peu « chargé » son compte à rebours : la règle en fer est peut-être un peu « trop » ?
Pareil qu’Iris pour la grotte amniotique : inutile.
J’aime beaucoup en particulier :
« Je viens du froid, je viens de la nuit déjà. »
« Je m’appelle Anne. Anne-Céleste » (enfin, le nom de la narratrice)
« je n’ai plus que les eaux sur la peau. » et tout ce paragraphe.
« J’ouvre la porte, le vent s’engouffre et je m’élance en nage papillon dans la grande fosse aux requins. ». Très joli titre, au passage.
Lizzie- Nombre de messages : 1162
Age : 58
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
J'aime beaucoup aussi cette plongée, cette immersion en eaux pas mal troubles.
Ce que j'apprécie, au-delà du récit en soi, des notions évoquées, c'est le décalage entre entre une écriture sobre sinon tout à fait neutre et un contenu surréaliste, teinté d'onirisme, la manière d'amener l'incongru avec naturel, en toute légitimité.
Bravo, c'est très agréable à lire, très bon.
Ce que j'apprécie, au-delà du récit en soi, des notions évoquées, c'est le décalage entre entre une écriture sobre sinon tout à fait neutre et un contenu surréaliste, teinté d'onirisme, la manière d'amener l'incongru avec naturel, en toute légitimité.
Bravo, c'est très agréable à lire, très bon.
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Une sacrément bonne cuvée, ce texte, Reb !
Pour chipoter : la règle de fer, trop vue et sur le plan orthographique : j'aurais dit " un porté d'haltères" comme on dit "un développé"... mais je ne suis pas sûre...
Mais l'ensemble est vraiment très fort, on sent la densité du moment vécu là, la régression ( Lizzie a raison : liquide amniotique est sinon superflu du moins trop hâtif) avec de très jolies trouvailles poétiques. Pour moi, très réussi, dans la lignée de Mortimer !
Pour chipoter : la règle de fer, trop vue et sur le plan orthographique : j'aurais dit " un porté d'haltères" comme on dit "un développé"... mais je ne suis pas sûre...
Mais l'ensemble est vraiment très fort, on sent la densité du moment vécu là, la régression ( Lizzie a raison : liquide amniotique est sinon superflu du moins trop hâtif) avec de très jolies trouvailles poétiques. Pour moi, très réussi, dans la lignée de Mortimer !
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Thérapie régressive pour inceste (Papa ne veut pas qu’à quinze ans je sorte le soir. Il préfère m’avoir sous la main. Moi, mes petits seins, ma peau d’Anne.). Un texte à la violence sous-jacente atténuée par des touches poétiques et humoristiques.
J'aime bcp :
- "le bassin d’aquagym me dérobe à la vie."
- "le silence n’est altéré que par les clapotements de l’eau et les friselis de mes pensées."
- "J’ai beau ruer dans les étoiles pour me maintenir en apesanteur" et le rapprochement avec "Les coquillages océaniques et phosphorescents des grands fonds sous-marins s’éteignent un à un."
- "Sous la douche glacée, mes mots peinent à remonter le courant"
- "C’est parce qu’elle a l’innocence et la poésie chenillée au corps"
qques babioles :
-"elle reste dans son cabinet de messages avec un client du soir ou deux," : massages (ou bien est-ce un jeu de mots ?).
- ses accidents ses intempéries; : ses accidents, ses intempéries ;
J'aime bcp :
- "le bassin d’aquagym me dérobe à la vie."
- "le silence n’est altéré que par les clapotements de l’eau et les friselis de mes pensées."
- "J’ai beau ruer dans les étoiles pour me maintenir en apesanteur" et le rapprochement avec "Les coquillages océaniques et phosphorescents des grands fonds sous-marins s’éteignent un à un."
- "Sous la douche glacée, mes mots peinent à remonter le courant"
- "C’est parce qu’elle a l’innocence et la poésie chenillée au corps"
qques babioles :
-"elle reste dans son cabinet de messages avec un client du soir ou deux," : massages (ou bien est-ce un jeu de mots ?).
- ses accidents ses intempéries; : ses accidents, ses intempéries ;
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Une remontée dans le temps vers le stade fœtal, à l’occasion de la plongée dans l’eau d’une piscine à la « Température du ventre maternel ».
Le temps s’écoule dans l’eau, à rebours ; les étapes de la vie sont franchies jusqu’au moment de la naissance, et même au-delà, jusqu’au « néant » qui la précède.
Mais j’ai surtout apprécié cette kiné qui pratique des massages avec des « messages ».
Elle soigne par le langage, elle dialogue avec les corps, avec les âmes. « Elle parle aux muscles avec poigne et douceur », elle parle avec ses mains, glisse une parole de douce fermeté au corps qui répond avec décontraction, sans raideur. Elle est à l’écoute des « articulations », de ce que le corps articule dans son langage muet, « elle décode les douleurs de l’âme sous les articulations souffrantes » ; elle sait entendre l’âme qui s’exprime dans et par le corps, et sait lui répondre par des gestes apaisants, par des « messages » réconfortants dans un contact de chair, qui ne s’en tient pas à un effleurement superficiel, mais se répand dans les profondeurs de l’être jusqu’ à toucher un mot à l’âme meurtrie.
Le voyage à rebours dans le temps a symboliquement permis une renaissance, une mue.
« En nage », après la piscine, tout en eau, chrysalide plutôt que fœtus, le papillon prend son envol, et, léger, il peut surnager « dans le froid de l’hiver, dans le noir de l’ennui », survoler « la grande fosse aux requins » de la réalité sociale, sans se noyer, sans se perdre, sans se faire bouffer.
Joli texte, Rebecca. Bravo.
Le temps s’écoule dans l’eau, à rebours ; les étapes de la vie sont franchies jusqu’au moment de la naissance, et même au-delà, jusqu’au « néant » qui la précède.
Mais j’ai surtout apprécié cette kiné qui pratique des massages avec des « messages ».
Elle soigne par le langage, elle dialogue avec les corps, avec les âmes. « Elle parle aux muscles avec poigne et douceur », elle parle avec ses mains, glisse une parole de douce fermeté au corps qui répond avec décontraction, sans raideur. Elle est à l’écoute des « articulations », de ce que le corps articule dans son langage muet, « elle décode les douleurs de l’âme sous les articulations souffrantes » ; elle sait entendre l’âme qui s’exprime dans et par le corps, et sait lui répondre par des gestes apaisants, par des « messages » réconfortants dans un contact de chair, qui ne s’en tient pas à un effleurement superficiel, mais se répand dans les profondeurs de l’être jusqu’ à toucher un mot à l’âme meurtrie.
Le voyage à rebours dans le temps a symboliquement permis une renaissance, une mue.
« En nage », après la piscine, tout en eau, chrysalide plutôt que fœtus, le papillon prend son envol, et, léger, il peut surnager « dans le froid de l’hiver, dans le noir de l’ennui », survoler « la grande fosse aux requins » de la réalité sociale, sans se noyer, sans se perdre, sans se faire bouffer.
Joli texte, Rebecca. Bravo.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
"Moi c’est le silence qui me trouve ici. Qui me troue."
tout est là, il me semble.
"Oui le travail est bien avancé, je pense suffisamment fort pour qu’elle entende."
"je n’ai plus que les eaux sur la peau"
"je frissonne un « au revoir à mercredi"
"J’ouvre la porte , le vent s’engouffre et je m’élance en nage papillon dans la grande fosse aux requins."
des lignes qui me plaisent particulièrement.
j'aime beaucoup ce qu'il y a sous ce texte un peu désordonné, fragmenté mais cohérent,
cette parenthèse un peu autistique forcément touchante parce que fragile,
et le contraste entre le cadre un peu froid, technique, banal, chloré, et les dimensions qui s'ouvrent en tiroirs dans les glissements de l'eau très chaude.
on a un peu l'impression d'être sourds comme sous l'eau pour être spectateurs de la scène, et les bribes de souvenirs arrivent un peu comme le chant des baleines qui auraient un écho direct sur les os.
sais pas si je suis claire. bon. c'est mon ressenti!
tout est là, il me semble.
"Oui le travail est bien avancé, je pense suffisamment fort pour qu’elle entende."
"je n’ai plus que les eaux sur la peau"
"je frissonne un « au revoir à mercredi"
"J’ouvre la porte , le vent s’engouffre et je m’élance en nage papillon dans la grande fosse aux requins."
des lignes qui me plaisent particulièrement.
j'aime beaucoup ce qu'il y a sous ce texte un peu désordonné, fragmenté mais cohérent,
cette parenthèse un peu autistique forcément touchante parce que fragile,
et le contraste entre le cadre un peu froid, technique, banal, chloré, et les dimensions qui s'ouvrent en tiroirs dans les glissements de l'eau très chaude.
on a un peu l'impression d'être sourds comme sous l'eau pour être spectateurs de la scène, et les bribes de souvenirs arrivent un peu comme le chant des baleines qui auraient un écho direct sur les os.
sais pas si je suis claire. bon. c'est mon ressenti!
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Très sympa, je me suis laissé embarquer "en apesanteur" et j'ai subi le retour à la réalité comme ta narratrice. J'ai apprécié aussi tes habituelles petites touches d'humour dans les formulations ou le choix de certaines images.
Sur la forme, juste une remarque :
Elle dit en malaxant les squelettes vieillissants (avec "s", je pense, car c'est l'adjectif plutôt que le verbe) qu'elle a "les moyens de vous faire parler", il paraît que c'est vrai.
ou
En malaxant les squelettes vieillissants, elle dit : "j’ai les moyens de vous faire parler". Il paraît que c'est vrai.
Sur la forme, juste une remarque :
La phrase de la kiné me semble insérée de manière un peu lourde. J'aurais mis :il parait qu’elle parle aux muscles avec poigne et douceur, qu’elle décode les douleurs de l’âme sous les articulations souffrantes, elle dit en malaxant les squelettes vieillissant « j’ai les moyens de vous faire parler », il parait que c’est vrai.
Elle dit en malaxant les squelettes vieillissants (avec "s", je pense, car c'est l'adjectif plutôt que le verbe) qu'elle a "les moyens de vous faire parler", il paraît que c'est vrai.
ou
En malaxant les squelettes vieillissants, elle dit : "j’ai les moyens de vous faire parler". Il paraît que c'est vrai.
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Il est sept heures du soir. L’heure de l’aquagym.
J’entre dans la salle remplie de buée, déserte comme d’habitude.
Je me dirige vers la douche. Tandis que j’accélère la cadence, le silence devient plus lourd, plus dense. Dos au bassin, je saisis le pommeau de la douche, quelques gouttes s’en échappent, flic floc, sur mes seins, d’autres en suspension dansent, aériennes, dans un imperceptible bruissement d’air. Un inaudible grincement de robinet et l’eau jaillit en cascade, déjà brûlante. Flusssssh.
La chaleur me pénètre, je ferme les yeux. Volupté de l’instant que je suce goulument. Puis j’écoute la cavalcade de l’eau sur ma peau, des gouttes sur le carrelage, mon cœur bat la chamade, mon sang s’écoule en pulsations saccadées, mes pensées déferlent en chute libre, ma raison s’enfuit emportée dans le flux. Quand soudain je les entends.
Une seconde, deux, trois, je doute de moi. Je reste en suspens, j’ouvre les yeux, je cherche dans la faïence perlant d’humidité un miroir qui refléterait ma défaillance. Rien qui justifie la musique lancinante qui s’immisce par tous les pores de ma peau. Un vieux blues rocailleux. Une voix d’outre carrelage. Un murmure d’outre mur. Les murs ont-ils une âme ?
-Mais oui Madame, outre leurs oreilles, me répond le pommeau de douche .
Je l’éteins et le repose en frissonnant. Derrière moi, en fond sonore, un bruit de conversations s’amplifie.
Je n’ose me retourner. Puis décide de faire volte-face.
Ils sont tous là.
Dans le bassin et autour.
Joe, assis au bord, ses santiags battant la mesure dans l’eau et même dans l’au-delà, avec son harmonica rouge qui fait des vagues , Dan, immergé, moustaches flottantes, marchant vers Irène, langoureuse sirène , Frankie érigé sur les flots, posé à la verticale cherchant du regard sa prochaine escale, Flo, son égérie qui rit, accoudée au bar du Barracuda, coude à coude avec Lili la Sardine qui discute en sourdine en sirotant une grenadine avec Jack, son mac.
Ce sont tous gredins et gourgandines, je ne sais plus ce qu’ils m’ont fait, mais ils sont là pour que je les liquide. Et à vrai dire ça tombe bien je me sens dans mon élément.
Bob boit. Il boit la tasse, consciencieusement, méthodiquement, inlassablement, je me demande quoi faire de son regard de noyé. Je le vois qui s’accroche au bord de la piscine.
J’ajuste ma robe lamé argent et vacillant à peine sur mes hauts escarpins, j’ai juste mon talent de femme fatale. Je m’approche de lui et du haut de ma hauteur je lui enfonce mon talon aiguille dans l’œil .
Je connais mes droits d’auteur, et je les revendiquerai tous, assassiner les emmerdeurs en est un des plus élémentaires et pour ça il n’y a pas d’heure.
Tandis que l’eau se teinte de rouge, j’entends des claquettes sur un air de rythm’and blues. Je me demande c’est qui là ? Je plonge incognito dans les bas-fonds et me cache sous la nappe de rubis pour y boire une téquila.
- Bonjour Madame Amecéleste me dit la kiné. Bien travaillé aujourd’hui ?
Vous en pensez quoi de mes nouveaux spots rouges ? Et la sono que j’ai fait installer, ça vous plait ?
Je regarde couler Joe, son harmonica fait des bulles, Dan et ses moustaches sont aspirés par le fond, la blonde Irène se transforme en murène avant d’être pécho en même temps que Lili la Sardine par Frankie , Flo se dilue dans le flot des paroles de Jack et le Barracuda gobe le tout, Bob, bar, jambes et bras et bobards, zinc et zique, tout le bastringue, dans un grand clapotement d’eau, de tequila, de grenadine, un grand craquement d’os, de verre, de bois, puis la houle absorbe la foule de mes pensées refoulées.
Je sors du bassin en laissant choir ma robe de vamp, pire, je me drape dans mon vieux peignoir et réintègre mon corps. Je redeviens Anne Céleste, celle qui se fond dans le décor.
- Oui bien travaillé. Vos spots rouges, ça fait un peu bouge, non ? La musique est bien.
- Mes patients me disaient si souvent : Un peu de musique Johanna ne nuirait pas à l’ambiance. Johanna cette lumière éternellement blafarde et cette eau bleu glaciale, c’est un peu réfrigérant, malgré l’eau à trente-sept degrés.
Mon collègue aussi il m’a dit ton bassin de relaxation, on dirait une chambre froide. Une morgue. Remarque, il a ajouté, question résolution des conflits et relaxation, ya pas mieux pour un corps fourbu, inapte à la vie, que de se retrouver à la morgue. J’adore son humour noir, pas vous ? »
- Moi, je suis d’une humeur noire, pas vous ? je dis à Johanna, ma kiné préférée et la seule que je connaisse, la coupant dans son élan.
Puis je prends le mien pour me rhabiller, j’ouvre la porte, le vent m’emporte et me cingle. Et c’est en vraie cinglée, en vraie battante avec ses jambes en ciseau, que je me barre vers la grande fosse aux requins.
J’entre dans la salle remplie de buée, déserte comme d’habitude.
Je me dirige vers la douche. Tandis que j’accélère la cadence, le silence devient plus lourd, plus dense. Dos au bassin, je saisis le pommeau de la douche, quelques gouttes s’en échappent, flic floc, sur mes seins, d’autres en suspension dansent, aériennes, dans un imperceptible bruissement d’air. Un inaudible grincement de robinet et l’eau jaillit en cascade, déjà brûlante. Flusssssh.
La chaleur me pénètre, je ferme les yeux. Volupté de l’instant que je suce goulument. Puis j’écoute la cavalcade de l’eau sur ma peau, des gouttes sur le carrelage, mon cœur bat la chamade, mon sang s’écoule en pulsations saccadées, mes pensées déferlent en chute libre, ma raison s’enfuit emportée dans le flux. Quand soudain je les entends.
Une seconde, deux, trois, je doute de moi. Je reste en suspens, j’ouvre les yeux, je cherche dans la faïence perlant d’humidité un miroir qui refléterait ma défaillance. Rien qui justifie la musique lancinante qui s’immisce par tous les pores de ma peau. Un vieux blues rocailleux. Une voix d’outre carrelage. Un murmure d’outre mur. Les murs ont-ils une âme ?
-Mais oui Madame, outre leurs oreilles, me répond le pommeau de douche .
Je l’éteins et le repose en frissonnant. Derrière moi, en fond sonore, un bruit de conversations s’amplifie.
Je n’ose me retourner. Puis décide de faire volte-face.
Ils sont tous là.
Dans le bassin et autour.
Joe, assis au bord, ses santiags battant la mesure dans l’eau et même dans l’au-delà, avec son harmonica rouge qui fait des vagues , Dan, immergé, moustaches flottantes, marchant vers Irène, langoureuse sirène , Frankie érigé sur les flots, posé à la verticale cherchant du regard sa prochaine escale, Flo, son égérie qui rit, accoudée au bar du Barracuda, coude à coude avec Lili la Sardine qui discute en sourdine en sirotant une grenadine avec Jack, son mac.
Ce sont tous gredins et gourgandines, je ne sais plus ce qu’ils m’ont fait, mais ils sont là pour que je les liquide. Et à vrai dire ça tombe bien je me sens dans mon élément.
Bob boit. Il boit la tasse, consciencieusement, méthodiquement, inlassablement, je me demande quoi faire de son regard de noyé. Je le vois qui s’accroche au bord de la piscine.
J’ajuste ma robe lamé argent et vacillant à peine sur mes hauts escarpins, j’ai juste mon talent de femme fatale. Je m’approche de lui et du haut de ma hauteur je lui enfonce mon talon aiguille dans l’œil .
Je connais mes droits d’auteur, et je les revendiquerai tous, assassiner les emmerdeurs en est un des plus élémentaires et pour ça il n’y a pas d’heure.
Tandis que l’eau se teinte de rouge, j’entends des claquettes sur un air de rythm’and blues. Je me demande c’est qui là ? Je plonge incognito dans les bas-fonds et me cache sous la nappe de rubis pour y boire une téquila.
- Bonjour Madame Amecéleste me dit la kiné. Bien travaillé aujourd’hui ?
Vous en pensez quoi de mes nouveaux spots rouges ? Et la sono que j’ai fait installer, ça vous plait ?
Je regarde couler Joe, son harmonica fait des bulles, Dan et ses moustaches sont aspirés par le fond, la blonde Irène se transforme en murène avant d’être pécho en même temps que Lili la Sardine par Frankie , Flo se dilue dans le flot des paroles de Jack et le Barracuda gobe le tout, Bob, bar, jambes et bras et bobards, zinc et zique, tout le bastringue, dans un grand clapotement d’eau, de tequila, de grenadine, un grand craquement d’os, de verre, de bois, puis la houle absorbe la foule de mes pensées refoulées.
Je sors du bassin en laissant choir ma robe de vamp, pire, je me drape dans mon vieux peignoir et réintègre mon corps. Je redeviens Anne Céleste, celle qui se fond dans le décor.
- Oui bien travaillé. Vos spots rouges, ça fait un peu bouge, non ? La musique est bien.
- Mes patients me disaient si souvent : Un peu de musique Johanna ne nuirait pas à l’ambiance. Johanna cette lumière éternellement blafarde et cette eau bleu glaciale, c’est un peu réfrigérant, malgré l’eau à trente-sept degrés.
Mon collègue aussi il m’a dit ton bassin de relaxation, on dirait une chambre froide. Une morgue. Remarque, il a ajouté, question résolution des conflits et relaxation, ya pas mieux pour un corps fourbu, inapte à la vie, que de se retrouver à la morgue. J’adore son humour noir, pas vous ? »
- Moi, je suis d’une humeur noire, pas vous ? je dis à Johanna, ma kiné préférée et la seule que je connaisse, la coupant dans son élan.
Puis je prends le mien pour me rhabiller, j’ouvre la porte, le vent m’emporte et me cingle. Et c’est en vraie cinglée, en vraie battante avec ses jambes en ciseau, que je me barre vers la grande fosse aux requins.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
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Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Oh, excellent!
On se laisse entourlouper avec délices par ton talent (talent haut je l'ai déjà faite à Janis, je ne vais quand même pas te la ressortir du frigo), si piquant qu'on se croirait chez l'acupuncteur.
Je te suggère de les poster (parce qu'il y en aura d'autres, j'espère!!!) à dix-neuf heures, pour le fun...vu que deux fois par semaine ça va pas être possible.
Et aussi qu'Anne-Céleste programme une ou deux séances de rebirth ou d'hypnose, ça ne pourrait pas lui faire de mal, et à nous le plus grand bien...
On se laisse entourlouper avec délices par ton talent (talent haut je l'ai déjà faite à Janis, je ne vais quand même pas te la ressortir du frigo), si piquant qu'on se croirait chez l'acupuncteur.
Je te suggère de les poster (parce qu'il y en aura d'autres, j'espère!!!) à dix-neuf heures, pour le fun...vu que deux fois par semaine ça va pas être possible.
Et aussi qu'Anne-Céleste programme une ou deux séances de rebirth ou d'hypnose, ça ne pourrait pas lui faire de mal, et à nous le plus grand bien...
Polixène- Nombre de messages : 3298
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Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Il est presque une heure du matin. Je me suis immergée avec délices dans ton univers liquide et déjanté.
Excellent. Merci !
Excellent. Merci !
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Par moments, ça s'emballe un peu côté jeux de mots en cascade, c'est un peu trop pour moi, mais je continue à apprécier ces deux mondes qui se côtoient ; la façon de glisser, ou plutôt l'immersion de l'un - sensé, terre à terre (eau à eau !), prosaïque, à l'autre - un univers régi par la fantaisie, l'excès, une espèce de sauvagerie ; puis la manière fluide d'en émerger comme si de rien n'était (ou presque, parce qu'elle est quand même bien borderline la sirène de la piscine...).
C'est très habilement construit.
C'est très habilement construit.
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Dix neuf heures quinze. Je suis en retard. Les requins m’ont bien esquintée aujourd’hui. Ils dévorent tout sur leur passage. Y compris mon temps. Ma part de bonheur, cette heure où loin d’eux et de leur mâchoire puissante et vorace, je me requinque.
En courant d’air, je traverse la salle aux tortues, direction les vestiaires. J’accroche au portant mon manteau d’hiver, mon énervement, les boulets qui m’encombrent, mon boulot et mon ombre, et toute emmaillotée, je file me purifier des scories de la journée sous la douche afin de me préparer à n’être. N’être plus que moi, Anne-Céleste, perdue en ses enveloppes successives, venue pour mettre à nu ce qui me pèse. Bien caché sous ma silhouette d’obèse.
Mon bassin de Vénus callipyge entre en collision avec le bassin de Johanna, ma kiné qui n’est pas là, un mini tsunami fait rouler quelques vagues à l’âme par-dessus les bords, mon centre de gravité s’en trouve chaviré.
Dans l’eau je suis légère comme une plume et lourde comme un chagrin. C’est leste que je parcours une longueur en nage papillon, mais au retour ma mémoire d’éléphant me joue un sale tour.
- Salut, maman.
- Salut, Jean !
- Longtemps qu’on ne s’est pas vus...
- Tu me prends toujours par surprise, hein fils .
- Ben, c’est mon anniv aujourd’hui, j’ai vingt-cinq ans.
- Ah vingt-cinq ans ! Quel bel âge ! Bon anniversaire, mon ange. Qu’est-ce qui te ferait plaisir pour ton anniv ?
- Que tu te délestes de certains souvenirs.
- Comme quoi ?
- Comme moi.
A chaque fois que je vois Jean, il me serine la même rengaine. Il m’a dit la même chose quand il a eu trois ans. Quinze ans. Vingt ans.
Bon, moi aussi je lui ressors toujours le coup du bel âge. Je radote.
Accroupie sur mon radeau qui prend l’eau tandis que j’écope. De la peine maximale.
-Bon, m’man, tu sais que je ne peux m’éterniser ici. Pense à ce que je t’ai dit. Je tiens beaucoup à ce présent. J’aimerai que tu me l’offres avant qu’Alzheimer ne s’en empare. Juste parce que je ne voudrai pas être effacé de cette façon. Après que tu aies passé ta vie à t'effacer derrière quoi ? Mon souvenir ?
Tu sais que les enfants, même morts-nés, doivent couper le cordon ombilical pour accomplir leur destin. Alors, Maman, aide-moi.
- Eternité, Destin, Alzheimer, tout de suite les grands maux !
- T’es têtue comme une bourrique, hein, m’man ?
- Normal, je m’appelle Anne.
-Anne, arrête de jouer avec les mots, laisse aller tes sanglots, tu débordes de larmes.
-Tu veux quoi ? Que je me noie dans mon chagrin ?
- Non, je veux juste que tu jettes le bébé et ton chagrin avec l’eau du bain.
-Pourquoi ? Les bébés requins se cachent à l’eau ? tenté-je de plaisanter… Tu veux déchirer mon passé sous couvert de rejouer l’aidant de la mère ?
Je le vois qui se fend d’un rire. Sa tête se détache du reste de son corps, il me balance :
-Tu me la coupes. C’est dur d’être le fils de l’amère. Allez, je coupe les ponts. Jusqu’à ce que tu apprennes la légèreté. Salut m’man !
-Salut, Jean dis-je, et je me demande pourquoi on a le droit de n’être orphelin que de ses parents …
A peine disparait-il, décomposé dans les vapeurs de l’eau, que Johanna, ma kiné, entre et clame :
-Bonsoir, Madame Amecéleste. Le travail est bien avancé ? Sans douleur, hein, faut pas trop forcer.
La musique ça aide, hein, à faire le vide en soi ? Au fait, z’avez vu où j’ai caché mes enceintes ?
- Ben si elles sont cachées vos enceintes, nul ne peut les soupçonner!
- Au fond de la piscine ! Ce soir j’ai mis un disque de berceuses. C’est reposant, non ?
- C’est déroutant. Au fond, je me demande si j’ai besoin de ces séances de "qui nait".
- Toujours le mot pour rire, Madame Amecéleste ! Allez, go! On the road again.
Je sors du bassin, mes ailes de papillon taille XXL toutes flapies, dégoulinantes d’eau. Plus tard, je franchis la porte du cabinet, le vent du large m’appelle. On dit qu’il sèche même les regrets et les remords aussi. Alors je me tire à tire d’aile, et le cœur au bord du vide, en proie au vertige, je tente le saut de l’ange.
En courant d’air, je traverse la salle aux tortues, direction les vestiaires. J’accroche au portant mon manteau d’hiver, mon énervement, les boulets qui m’encombrent, mon boulot et mon ombre, et toute emmaillotée, je file me purifier des scories de la journée sous la douche afin de me préparer à n’être. N’être plus que moi, Anne-Céleste, perdue en ses enveloppes successives, venue pour mettre à nu ce qui me pèse. Bien caché sous ma silhouette d’obèse.
Mon bassin de Vénus callipyge entre en collision avec le bassin de Johanna, ma kiné qui n’est pas là, un mini tsunami fait rouler quelques vagues à l’âme par-dessus les bords, mon centre de gravité s’en trouve chaviré.
Dans l’eau je suis légère comme une plume et lourde comme un chagrin. C’est leste que je parcours une longueur en nage papillon, mais au retour ma mémoire d’éléphant me joue un sale tour.
- Salut, maman.
- Salut, Jean !
- Longtemps qu’on ne s’est pas vus...
- Tu me prends toujours par surprise, hein fils .
- Ben, c’est mon anniv aujourd’hui, j’ai vingt-cinq ans.
- Ah vingt-cinq ans ! Quel bel âge ! Bon anniversaire, mon ange. Qu’est-ce qui te ferait plaisir pour ton anniv ?
- Que tu te délestes de certains souvenirs.
- Comme quoi ?
- Comme moi.
A chaque fois que je vois Jean, il me serine la même rengaine. Il m’a dit la même chose quand il a eu trois ans. Quinze ans. Vingt ans.
Bon, moi aussi je lui ressors toujours le coup du bel âge. Je radote.
Accroupie sur mon radeau qui prend l’eau tandis que j’écope. De la peine maximale.
-Bon, m’man, tu sais que je ne peux m’éterniser ici. Pense à ce que je t’ai dit. Je tiens beaucoup à ce présent. J’aimerai que tu me l’offres avant qu’Alzheimer ne s’en empare. Juste parce que je ne voudrai pas être effacé de cette façon. Après que tu aies passé ta vie à t'effacer derrière quoi ? Mon souvenir ?
Tu sais que les enfants, même morts-nés, doivent couper le cordon ombilical pour accomplir leur destin. Alors, Maman, aide-moi.
- Eternité, Destin, Alzheimer, tout de suite les grands maux !
- T’es têtue comme une bourrique, hein, m’man ?
- Normal, je m’appelle Anne.
-Anne, arrête de jouer avec les mots, laisse aller tes sanglots, tu débordes de larmes.
-Tu veux quoi ? Que je me noie dans mon chagrin ?
- Non, je veux juste que tu jettes le bébé et ton chagrin avec l’eau du bain.
-Pourquoi ? Les bébés requins se cachent à l’eau ? tenté-je de plaisanter… Tu veux déchirer mon passé sous couvert de rejouer l’aidant de la mère ?
Je le vois qui se fend d’un rire. Sa tête se détache du reste de son corps, il me balance :
-Tu me la coupes. C’est dur d’être le fils de l’amère. Allez, je coupe les ponts. Jusqu’à ce que tu apprennes la légèreté. Salut m’man !
-Salut, Jean dis-je, et je me demande pourquoi on a le droit de n’être orphelin que de ses parents …
A peine disparait-il, décomposé dans les vapeurs de l’eau, que Johanna, ma kiné, entre et clame :
-Bonsoir, Madame Amecéleste. Le travail est bien avancé ? Sans douleur, hein, faut pas trop forcer.
La musique ça aide, hein, à faire le vide en soi ? Au fait, z’avez vu où j’ai caché mes enceintes ?
- Ben si elles sont cachées vos enceintes, nul ne peut les soupçonner!
- Au fond de la piscine ! Ce soir j’ai mis un disque de berceuses. C’est reposant, non ?
- C’est déroutant. Au fond, je me demande si j’ai besoin de ces séances de "qui nait".
- Toujours le mot pour rire, Madame Amecéleste ! Allez, go! On the road again.
Je sors du bassin, mes ailes de papillon taille XXL toutes flapies, dégoulinantes d’eau. Plus tard, je franchis la porte du cabinet, le vent du large m’appelle. On dit qu’il sèche même les regrets et les remords aussi. Alors je me tire à tire d’aile, et le cœur au bord du vide, en proie au vertige, je tente le saut de l’ange.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
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Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
me préparer à n'être
Quelle jolie formule, lourde de sens !
Très émouvant le couplet sur la nécessité de couper le cordon ombilical !
Ton texte m'a beaucoup émue.
Et je ne reviens pas sur ce qui fait ton style reconnaissable entre tous, et que j'apprécie.
Quelle jolie formule, lourde de sens !
Très émouvant le couplet sur la nécessité de couper le cordon ombilical !
Ton texte m'a beaucoup émue.
Et je ne reviens pas sur ce qui fait ton style reconnaissable entre tous, et que j'apprécie.
Invité- Invité
La nage papillon
Il me paraît peu utile de disséquer le texte à nouveau, les commentaires précédents l'ont fait abondamment et, dans la plupart des cas, avec justesse.
Il me reste donc à dire que, ,si j'apprécie généralement ta prose, je suis, cette fois, enthousiasmé. C'est du grand, du très grand Rébecca, tant par la forme que par le thème exploité.
J’arrête là : je manque de superlatifs
Il me reste donc à dire que, ,si j'apprécie généralement ta prose, je suis, cette fois, enthousiasmé. C'est du grand, du très grand Rébecca, tant par la forme que par le thème exploité.
J’arrête là : je manque de superlatifs
Albert-Robert- Nombre de messages : 492
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Date d'inscription : 21/04/2012
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Eh bien, il s'en passe des choses dans cette piscine, entre rencontres-surprises et folles tentatives de mener le "travail" à bien...
Une très bonne chose c'est que si l'on continue à évoluer dans le même environnement, l'effet est toujours novateur, le contexte réinventé, sans redite, avec toutefois toujours la présence d'éléments constants et récurrents (le personnage de la kiné et la menace des requins à l'extérieur de la bulle) ainsi que le fil directeur sur le thème du travail, de l'enfantement, de la libération.
"J’aimerais que tu me l’offres avant qu’Alzheimer ne s’en empare. Juste parce que je ne voudrais pas être effacé de cette façon. Après que tu aies passé ta vie..."
Une très bonne chose c'est que si l'on continue à évoluer dans le même environnement, l'effet est toujours novateur, le contexte réinventé, sans redite, avec toutefois toujours la présence d'éléments constants et récurrents (le personnage de la kiné et la menace des requins à l'extérieur de la bulle) ainsi que le fil directeur sur le thème du travail, de l'enfantement, de la libération.
"J’aimerais que tu me l’offres avant qu’Alzheimer ne s’en empare. Juste parce que je ne voudrais pas être effacé de cette façon. Après que tu a
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Que dire, j'ai envie de le dire, d'ajouter ma petite pierre, mais je suis au fond de la piscine et je n'arrive pas à refaire surface... touchée coulée... la flotte, c'est pas mon élément (et pourtant, et pourtant...) mais là je flotte, je dérive, je me laisse aller, je coule, touchée coulée par tes perles, tes bulles, tes jeux de mots qui ondulent, éclatent au moindre mouvement, au plus petit regard, au jet d'oeil lancé... respirer, je veux juste respirer... reprendre mon souffle... mais je ne peux pas... touchée coulée.
Pussicat- Nombre de messages : 4846
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Date d'inscription : 17/02/2012
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
mon commentaire n'est pas très clair, en résumé : je suis touchée coulée !
Pussicat- Nombre de messages : 4846
Age : 57
Localisation : France
Date d'inscription : 17/02/2012
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Aïe! ça fait mal mais c'est bon. Il a bon dos, l'humour, -il a le dos fin- et on se cache à l'eau pour l'alarme de crocodile...
Polixène- Nombre de messages : 3298
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Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Dix-neuf heures. Pffffff. Je n’ai pas vu le temps passer. Du travail et des emmerdes comme s’il en pleuvait.
J’suis dans mon aquarium. Cinquième étage de l’immeuble en verre qui domine la mer, boulevard des Cétacés. C’est peu de le dire que j’en ai assez. Travailler dans une compagnie d’assurance et en manquer à ce point ! Pourquoi faut-il que je m’échine à peaufiner tous les dossiers jusqu’à pas d’heure ?
Zéro blablas zéro tracas, c’est notre dernière campagne publicitaire. Rien que d’y penser ça me fait rire comme une baleine !
Enfin c’est ce qu’ils disent ici, que je ris comme une baleine. Pasquale, le premier. C’est mon boss. Ca le fait rire comme un bossu. Un squale de bas-étage, bien qu’il sévisse au dernier. Faut dire qu’ici c’est un repaire de requins. Regards carnassiers et dents qui rayent le plancher. Quand à nos clients, ce sont des proies rêvées .Consentantes. Comment planque-t-on sa peur, ses craintes, ses angoisses quand on est menu fretin ou gros poisson ? On s’offre une assurance-vie. Une assurance tous risques.
Moi j’inventerai bien une assurance tous prédateurs. C’est ce qu’ils sont à la CAP, Compagnie Assurance-Prévoyance, la compagnie des amis du pognon. Pré-dateurs aussi quand il s’agit d’encaisser les échéances.
Mais du bal de la haine, je ne veux être la reine. Quand j’y pense….Comment ai-je pu échouer ici ?
Au départ, je voulais chanter. A l’arrivée, je pratique le chantage, en quelque sorte. Joli parcours. A croire qu’échouer est mon destin.
Dehors aussi, il pleut des couteaux. Je n’irai pas à l’aquagym ce soir. Je n’irai pas me baigner d’illusions, noyer mon chagrin dans le chlore, clore mon naufrage en ressuscitant de vieilles connaissances, ni me bercer de souvenirs mouvants. Parfois je suis lasse de ramer en eaux troubles. Mais Johanna va me manquer. Qui me prend pour une âme céleste. Non, je n’irai pas faire de l’aqua-planning sur mes souvenirs, surfer sur mes espérances. Faut que je boucle mon planning et que je planche dur.
Dehors, face à l’océan, battus par le vent, le long de la grève, les arbres semblent se tordre de douleur. Comme le crayon de couleur que je mâchonne machinalement.
Comme à son habitude, vif et sournois, Pasquale fait irruption :
- Alors le travail est bien avancé, Anne pas si leste ? On surnage ?
La goutte d’eau qui fait déborder l’aquarium. Je plonge mon regard dans le sien et harpie, je lui balance deux ou trois harpons bien pénétrants. Puis je jette tous mes dossiers par terre, renverse le téléphone, ma chaise, l’ordinateur, enfin pour finir je prends une grande respiration, mes nageoires à mon cou, mon imper, mon parapluie et la poudre d’escampette.
Arrivée au rez-de-chaussée, j’ouvre la lourde porte cernée de métal et en même temps que l’écho de la tempête qui s’annonce, tandis que mon parapluie se retourne et m’emporte, me parvient comme une étrange mélopée, le chant des baleines.
J’suis dans mon aquarium. Cinquième étage de l’immeuble en verre qui domine la mer, boulevard des Cétacés. C’est peu de le dire que j’en ai assez. Travailler dans une compagnie d’assurance et en manquer à ce point ! Pourquoi faut-il que je m’échine à peaufiner tous les dossiers jusqu’à pas d’heure ?
Zéro blablas zéro tracas, c’est notre dernière campagne publicitaire. Rien que d’y penser ça me fait rire comme une baleine !
Enfin c’est ce qu’ils disent ici, que je ris comme une baleine. Pasquale, le premier. C’est mon boss. Ca le fait rire comme un bossu. Un squale de bas-étage, bien qu’il sévisse au dernier. Faut dire qu’ici c’est un repaire de requins. Regards carnassiers et dents qui rayent le plancher. Quand à nos clients, ce sont des proies rêvées .Consentantes. Comment planque-t-on sa peur, ses craintes, ses angoisses quand on est menu fretin ou gros poisson ? On s’offre une assurance-vie. Une assurance tous risques.
Moi j’inventerai bien une assurance tous prédateurs. C’est ce qu’ils sont à la CAP, Compagnie Assurance-Prévoyance, la compagnie des amis du pognon. Pré-dateurs aussi quand il s’agit d’encaisser les échéances.
Mais du bal de la haine, je ne veux être la reine. Quand j’y pense….Comment ai-je pu échouer ici ?
Au départ, je voulais chanter. A l’arrivée, je pratique le chantage, en quelque sorte. Joli parcours. A croire qu’échouer est mon destin.
Dehors aussi, il pleut des couteaux. Je n’irai pas à l’aquagym ce soir. Je n’irai pas me baigner d’illusions, noyer mon chagrin dans le chlore, clore mon naufrage en ressuscitant de vieilles connaissances, ni me bercer de souvenirs mouvants. Parfois je suis lasse de ramer en eaux troubles. Mais Johanna va me manquer. Qui me prend pour une âme céleste. Non, je n’irai pas faire de l’aqua-planning sur mes souvenirs, surfer sur mes espérances. Faut que je boucle mon planning et que je planche dur.
Dehors, face à l’océan, battus par le vent, le long de la grève, les arbres semblent se tordre de douleur. Comme le crayon de couleur que je mâchonne machinalement.
Comme à son habitude, vif et sournois, Pasquale fait irruption :
- Alors le travail est bien avancé, Anne pas si leste ? On surnage ?
La goutte d’eau qui fait déborder l’aquarium. Je plonge mon regard dans le sien et harpie, je lui balance deux ou trois harpons bien pénétrants. Puis je jette tous mes dossiers par terre, renverse le téléphone, ma chaise, l’ordinateur, enfin pour finir je prends une grande respiration, mes nageoires à mon cou, mon imper, mon parapluie et la poudre d’escampette.
Arrivée au rez-de-chaussée, j’ouvre la lourde porte cernée de métal et en même temps que l’écho de la tempête qui s’annonce, tandis que mon parapluie se retourne et m’emporte, me parvient comme une étrange mélopée, le chant des baleines.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
J'avoue avoir de la peine à commenter ce raz-de-marée de trouvailles... et à retrouver ma respiration après ce flot ravageur...
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Th, c'est chouette, parce que de scènes fugaces en scènes fugaces, tu nous tricotes une histoire, et moi, les histoires, j'aime !
J'attends la suite, du coup.
J'attends la suite, du coup.
Lizzie- Nombre de messages : 1162
Age : 58
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Avec les premiers extraits que j'ai lu je trouve que c'est super bien rodé tout ça. Un cocktail détonnant qui fait plaisir aux yeux
Nicolah- Nombre de messages : 120
Age : 32
Date d'inscription : 26/09/2012
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Je viens de repiquer une tête dans ta piscine - trop tentant - mais je suis déçue par cette suite - la fin ?
Je la trouve plus faible, tu cherches une chute à tout prix quitte à lever le voile sur la vie pro de Anne-Céleste que je trouve pour ma part hors-sujet. Je pensais que le saut de l'ange terminait en beauté cette nouvelle et offrait des possibles au lecteur.
A la limite, le boulot de Anne-Céleste on s'en fiche : la fosse aux requins est assez explicite.
J'ai c/c ton texte, les trois premiers, je l'ai imprimé sur papier (recyclé) pour le lire à mes heures perdues dans le train, dans le bus, combien de fois je ne sais pas, mais ton écriture mérite qu'on s'y attarde un minimum ; il y a tant de plis, de replis, de jeux de langue, jeux de mots. Un plaisir renouvelé.
Je la trouve plus faible, tu cherches une chute à tout prix quitte à lever le voile sur la vie pro de Anne-Céleste que je trouve pour ma part hors-sujet. Je pensais que le saut de l'ange terminait en beauté cette nouvelle et offrait des possibles au lecteur.
A la limite, le boulot de Anne-Céleste on s'en fiche : la fosse aux requins est assez explicite.
J'ai c/c ton texte, les trois premiers, je l'ai imprimé sur papier (recyclé) pour le lire à mes heures perdues dans le train, dans le bus, combien de fois je ne sais pas, mais ton écriture mérite qu'on s'y attarde un minimum ; il y a tant de plis, de replis, de jeux de langue, jeux de mots. Un plaisir renouvelé.
Pussicat- Nombre de messages : 4846
Age : 57
Localisation : France
Date d'inscription : 17/02/2012
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
J’hésite entre décider si le récit s’essouffle ou s’il fait une parenthèse.
De même je suis partagée sur mon sentiment envers cet ajout : d'une part, les jeux de mots et d’esprit m'amusent ; d'autre part, je trouve dommage que Anne soit devenue triviale, prosaïque, presque réelle ; je l'aimais bien différente, insaisissable, évoluant dans un univers autre, surréaliste.
Pour résumer : ce nouveau passage est sympa en soi, pas sûr qu’il apporte quoi que ce soit à l’histoire, qu’il lui soit indispensable.
De même je suis partagée sur mon sentiment envers cet ajout : d'une part, les jeux de mots et d’esprit m'amusent ; d'autre part, je trouve dommage que Anne soit devenue triviale, prosaïque, presque réelle ; je l'aimais bien différente, insaisissable, évoluant dans un univers autre, surréaliste.
Pour résumer : ce nouveau passage est sympa en soi, pas sûr qu’il apporte quoi que ce soit à l’histoire, qu’il lui soit indispensable.
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Ce passage est certes agréable à lire, mais je n'ai pas retrouvé l'ambiance et le style des précédents.
S'il y a une suite, je suivrai avec intérêt.
S'il y a une suite, je suivrai avec intérêt.
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Dix -neuf heures trente.
Une demi-heure que je croupis dans le bassin verdâtre de Johanna. Depuis qu’elle a installé ses spots multicolores, c’est à chaque fois une nouvelle ambiance. Ce soir c’est ambiance fête à la grenouille avec Radio Nostalgie en fond sonore. Je l’ai un peu saumâtre. Ecouter Piaf coasser «Non je ne regrette rien » m’agace légèrement, j’avoue. Rester zen. Même si je regrette tout.
Les baleines de mon soutien gorge me rentrent dans la chair, tandis que je me balance mollement, allongée sur l’eau, les yeux au plafond, guettant quelque hallucination plaisante mais depuis trente minutes qu’il ne se passe rien, je m’ennuie ferme. Si je puis dire.
A croire que depuis que j’ai démissionné, je n’ai plus que le temps à tuer. Et ça me tue.
Faut croire que Radio Nostalgie capte mes mauvaises ondes car soudain j’entends Cabrel et je me cabre :
« Tous ces fantômes qui te touchent
Ces mains qui te secouent
Cette bouffée d´air froid dans ta bouche
C´est la vie tout à coup
La vie tout à coup.
Pleure pas petite sirène
La ville dort encore
Ton histoire commence à peine
Pleure pas petite sirène
Le jour attend dehors
Dans les brumes des fontaines »
Non je ne pleure pas. Je me mets à fredonner. J’aimerai bien me sentir si reine en mon royaume au milieu des fantômes qui me touchent et croire encore que le jour attend dehors. Mais aucun marin en vue, aucun équipage à la dérive à charmer de ma voix ensorceleuse.
Jean est reparti vivre sa vie d’ange, et ces derniers temps, je ne vais plus au cimetière, quartier des bébés morts-nés, la pluie qui tombe en continu remplace avantageusement les larmes dont j’arrose habituellement son souvenir.
Bob, qui m’avait tapé dans l’œil, quand je l’avais rencontré, et accessoirement sur la tronche par la suite, ne revient plus me hanter, ni ses amis du Baraccuda, et c’est toute honte bue que je l’ai laissé se noyer au fond de la piscine. Jeune alcoolo ou vieil alcool-eau, le genre de mec qui ne peut se bonifier avec le temps. Dire que j’y ai « cru ». Mauvais millésime.
Tapi entre deux eaux, deux zoos, l’ennui revient, m’épie et me nargue. Il me tend un narguilé, que je ne sais refuser. Le plafond se couvre de reflets mouvants. Mais rien de stupéfiant.
Tiens, Isabelle Adjani est là au fond de la piscine, elle aussi, dans son p’tit pull bleu marine. Ah c’est qu’elle passe déjà elle aussi sur Radio Nostalgie ? Je ne vois pas le temps passer, finalement. Je flotte sur sa beauté, sur la folie des femmes, la mélancolie me guette. Un court instant. Le froid me saisit, fin du show.
Pourtant, un pur fantasme fait son apparition.
Blonde, blouse blanche et claquettes Scholl. En fait, posée sur mon rocher, toute auréolée de buée, je ne distingue d’elle que sa bouche rose et veloutée, dont s’évadent quelques bulles irisées.
Qui claquent dans l’air immobile et retombent en pluie sur moi comme une douche bienfaisante :
-Bonjour Madame Amcéleste, zêtes pas franchement en train de travailler, là ? C’est farniente et dolce vita, on dirait. Vous qui prétendez être une droguée du travail, limite burn out !
-Bah j’suis plutôt limite chair de poule, Johanna. Trés jolie, votre mare à crapauds. On ne s’y marre pas vraiment, mais vos nénuphars sont d’un effet charmant.
- Ce ne sont pas des nénuphars, ce sont des fleurs de lotus ! C’est joli non, cette nouvelle bande de carrelage que j’ai fait poser autour du bain ? Je trouve que ça va bien avec la sérénité de l’endroit. C’est zen je trouve. C’était soirée chanson française ce soir. Z’avez aimé ?
Zenial, je dis, et je file aux vestiaires. Où l’extase me guette tandis que je retire mon soutien-gorge de maillot de bain. J’ai la marque des baleines incrustées sous mes seins et les bretelles ont marqué mon dos fin.
Quand je pars j’entends encore Léo qui chante : Le bonheur ça n'est pas grand-chose Madame
C'est du chagrin qui se repose
Alors Il ne faut pas le réveiller
Sans faire de bruit pour ne pas réveiller mon chagrin qui se repose, là-bas, au fond du bassin, j’ouvre la porte doucement et aïe me coince la queue dedans.
C’est toute sirène hurlante que ce soir je me fonds dans la nuit, vers le jour qui m’attend dehors. Tandis que le vent tout en turbulence s’engouffre dans ma chevelure et que je me les caille sous mes écailles, et sous mon p’tit pull bleu marine, je me propulse dans l’océan, vers les grands fonds sous marin, là où dit-on, les chimères croisent les requins, où non, rien de rien, finalement elles ne regrettent rien.
Une demi-heure que je croupis dans le bassin verdâtre de Johanna. Depuis qu’elle a installé ses spots multicolores, c’est à chaque fois une nouvelle ambiance. Ce soir c’est ambiance fête à la grenouille avec Radio Nostalgie en fond sonore. Je l’ai un peu saumâtre. Ecouter Piaf coasser «Non je ne regrette rien » m’agace légèrement, j’avoue. Rester zen. Même si je regrette tout.
Les baleines de mon soutien gorge me rentrent dans la chair, tandis que je me balance mollement, allongée sur l’eau, les yeux au plafond, guettant quelque hallucination plaisante mais depuis trente minutes qu’il ne se passe rien, je m’ennuie ferme. Si je puis dire.
A croire que depuis que j’ai démissionné, je n’ai plus que le temps à tuer. Et ça me tue.
Faut croire que Radio Nostalgie capte mes mauvaises ondes car soudain j’entends Cabrel et je me cabre :
« Tous ces fantômes qui te touchent
Ces mains qui te secouent
Cette bouffée d´air froid dans ta bouche
C´est la vie tout à coup
La vie tout à coup.
Pleure pas petite sirène
La ville dort encore
Ton histoire commence à peine
Pleure pas petite sirène
Le jour attend dehors
Dans les brumes des fontaines »
Non je ne pleure pas. Je me mets à fredonner. J’aimerai bien me sentir si reine en mon royaume au milieu des fantômes qui me touchent et croire encore que le jour attend dehors. Mais aucun marin en vue, aucun équipage à la dérive à charmer de ma voix ensorceleuse.
Jean est reparti vivre sa vie d’ange, et ces derniers temps, je ne vais plus au cimetière, quartier des bébés morts-nés, la pluie qui tombe en continu remplace avantageusement les larmes dont j’arrose habituellement son souvenir.
Bob, qui m’avait tapé dans l’œil, quand je l’avais rencontré, et accessoirement sur la tronche par la suite, ne revient plus me hanter, ni ses amis du Baraccuda, et c’est toute honte bue que je l’ai laissé se noyer au fond de la piscine. Jeune alcoolo ou vieil alcool-eau, le genre de mec qui ne peut se bonifier avec le temps. Dire que j’y ai « cru ». Mauvais millésime.
Tapi entre deux eaux, deux zoos, l’ennui revient, m’épie et me nargue. Il me tend un narguilé, que je ne sais refuser. Le plafond se couvre de reflets mouvants. Mais rien de stupéfiant.
Tiens, Isabelle Adjani est là au fond de la piscine, elle aussi, dans son p’tit pull bleu marine. Ah c’est qu’elle passe déjà elle aussi sur Radio Nostalgie ? Je ne vois pas le temps passer, finalement. Je flotte sur sa beauté, sur la folie des femmes, la mélancolie me guette. Un court instant. Le froid me saisit, fin du show.
Pourtant, un pur fantasme fait son apparition.
Blonde, blouse blanche et claquettes Scholl. En fait, posée sur mon rocher, toute auréolée de buée, je ne distingue d’elle que sa bouche rose et veloutée, dont s’évadent quelques bulles irisées.
Qui claquent dans l’air immobile et retombent en pluie sur moi comme une douche bienfaisante :
-Bonjour Madame Amcéleste, zêtes pas franchement en train de travailler, là ? C’est farniente et dolce vita, on dirait. Vous qui prétendez être une droguée du travail, limite burn out !
-Bah j’suis plutôt limite chair de poule, Johanna. Trés jolie, votre mare à crapauds. On ne s’y marre pas vraiment, mais vos nénuphars sont d’un effet charmant.
- Ce ne sont pas des nénuphars, ce sont des fleurs de lotus ! C’est joli non, cette nouvelle bande de carrelage que j’ai fait poser autour du bain ? Je trouve que ça va bien avec la sérénité de l’endroit. C’est zen je trouve. C’était soirée chanson française ce soir. Z’avez aimé ?
Zenial, je dis, et je file aux vestiaires. Où l’extase me guette tandis que je retire mon soutien-gorge de maillot de bain. J’ai la marque des baleines incrustées sous mes seins et les bretelles ont marqué mon dos fin.
Quand je pars j’entends encore Léo qui chante : Le bonheur ça n'est pas grand-chose Madame
C'est du chagrin qui se repose
Alors Il ne faut pas le réveiller
Sans faire de bruit pour ne pas réveiller mon chagrin qui se repose, là-bas, au fond du bassin, j’ouvre la porte doucement et aïe me coince la queue dedans.
C’est toute sirène hurlante que ce soir je me fonds dans la nuit, vers le jour qui m’attend dehors. Tandis que le vent tout en turbulence s’engouffre dans ma chevelure et que je me les caille sous mes écailles, et sous mon p’tit pull bleu marine, je me propulse dans l’océan, vers les grands fonds sous marin, là où dit-on, les chimères croisent les requins, où non, rien de rien, finalement elles ne regrettent rien.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Je décroche Rebecca, je décroche... je coule au fond de la piscine, je ne comprends pas où tu veux m'emmener avec ses facilités :
je n’ai plus que le temps à tuer. Et ça me tue.
Les baleines de mon soutien gorge me rentrent dans la chair, tandis que je me balance mollement, allongée sur l’eau
Faut croire que Radio Nostalgie capte mes mauvaises ondes car soudain j’entends Cabrel et je me cabre
jeune alcoolo ou vieil alcool-eau
ou encore :
Tapi entre deux eaux, deux zoos, l’ennui revient, m’épie et me nargue. Il me tend un narguilé, que je ne sais refuser. Le plafond se couvre de reflets mouvants. Mais rien de stupéfiant.
Et pis Isabelle Adjani au fond de la piscine dans son p’tit pull bleu marine, et pis les requins...
je n’ai plus que le temps à tuer. Et ça me tue.
Les baleines de mon soutien gorge me rentrent dans la chair, tandis que je me balance mollement, allongée sur l’eau
Faut croire que Radio Nostalgie capte mes mauvaises ondes car soudain j’entends Cabrel et je me cabre
jeune alcoolo ou vieil alcool-eau
ou encore :
Tapi entre deux eaux, deux zoos, l’ennui revient, m’épie et me nargue. Il me tend un narguilé, que je ne sais refuser. Le plafond se couvre de reflets mouvants. Mais rien de stupéfiant.
Et pis Isabelle Adjani au fond de la piscine dans son p’tit pull bleu marine, et pis les requins...
Pussicat- Nombre de messages : 4846
Age : 57
Localisation : France
Date d'inscription : 17/02/2012
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
oup's : ces facilités
Pussicat- Nombre de messages : 4846
Age : 57
Localisation : France
Date d'inscription : 17/02/2012
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Ah bien moi j'aime beaucoup ce passage qui renoue avec la verve et la drôlerie du début.
J'ai ri honteusement ici : "Bob, qui m’avait tapé dans l’œil, quand je l’avais rencontré, et accessoirement sur la tronche par la suite,"
et ici : "j’ouvre la porte doucement et aïe me coince la queue dedans.
C’est toute sirène hurlante que ce soir je me fonds dans la nuit,"
Là, tu m'as enlevé les mots de la bouche : "-Bah j’suis plutôt limite chair de poule, Johanna. Trés jolie, votre mare à crapauds. On ne s’y marre pas vraiment, mais vos nénuphars sont d’un effet charmant.
- Ce ne sont pas des nénuphars, ce sont des fleurs de lotus ! "
j'allais le dire parce que m'enfin ça coule de source ! Tu (elle) m'as devancée.
Mais surtout, j'aime comme tu te glisses dans le personnage de Mme Amcéleste, comme tu l'épouses (!), cette fusion (= absence de distance), cette unité apportent une sorte de crédibilité à l'ensemble, d'équilibre aussi...
J'ai ri honteusement ici : "Bob, qui m’avait tapé dans l’œil, quand je l’avais rencontré, et accessoirement sur la tronche par la suite,"
et ici : "j’ouvre la porte doucement et aïe me coince la queue dedans.
C’est toute sirène hurlante que ce soir je me fonds dans la nuit,"
Là, tu m'as enlevé les mots de la bouche : "-Bah j’suis plutôt limite chair de poule, Johanna. Trés jolie, votre mare à crapauds. On ne s’y marre pas vraiment, mais vos nénuphars sont d’un effet charmant.
- Ce ne sont pas des nénuphars, ce sont des fleurs de lotus ! "
j'allais le dire parce que m'enfin ça coule de source ! Tu (elle) m'as devancée.
Mais surtout, j'aime comme tu te glisses dans le personnage de Mme Amcéleste, comme tu l'épouses (!), cette fusion (= absence de distance), cette unité apportent une sorte de crédibilité à l'ensemble, d'équilibre aussi...
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Que j'ai aimé cette suite, Rebecca ! On y retrouve cette unité de ton (pas de thon !) qu'on avait un peu perdue dans l'avant-dernier épisode.
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
ouh je pensais le lire ce soir mais y en a beaucoup du texte !
je remets à plus tard, quand j'aurai digéré mon repas
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Quand je déboule à la piscine en trainant ma hotte sur le dos, remplie de paquets cadeaux, de présents caducs, de futurs enrubannés, de passés déchiquetés, j’en ai , c’est vrai, plein le dos.
J’avance à petits pas, petis pas de Noël, car je descends du fiel sous le joug humilié, je suis saoule et déliée et mes souliers à la main, je marche au débotté.
Je titube légèrement en toisant les six rennes qui me précèdent.
« Petit papa Noël » résonne dés la salle des tortures. C’est le pompon.
Un bel inconnu en blouse blanche, surgi de nulle part, comme un cadeau du ciel, chemine jusqu’à moi.
- Bonjour je suis Paul. Johanna est en congé. Je la remplace. (Un massage au passage ?)
- Bonsoir rétorqué-je, je m’appelle Anne Céleste.(Je ne suis pas si leste)
- Bonsoir Anne c’est l’Est. (Mon Eve reste ?)
- Paul Nord ou Sud ? je rétorque, malicieuse comme un orque, je marche au radar ce soir et mon sonar est pas mal déboussolé (Qu’est ce qui me prend à dire de telles conneries ?)
Il me regarde interloqué. Un froid polaire nous saisit. Moi qui voulais briser la glace.
- Je suis un glaçon très poli. Je vous laisse l’embarras du choix, il répond. Champagne ou champagne ?
J’éclate de rire. Lui aussi. L’ambiance se réchauffe brutalement. Quelque chose me dit que ce type est aussi givré que moi.
Il me dit : Enfilez votre combinaison isotherme et retrouvons nous sur la banquise.
Cinq minutes plus tard, nous trainons deux chaises en plastique blanche près du sapin en plastique recouvert de neige artificielle, au bord du bassin de faïence blanche, et, faute de flutes adéquates, nous buvons la tasse de concert. Tino Rossi s’est tu, Paul s’évertue à soigner ma gueule de bois de la meilleure façon qu’il soit, le temps s’écoule, rempli de bulles enivrantes, de ouate, de blancheur adéquate.
A un moment, je lui montre l’ours blanc qui s’ébroue de l’autre côté du bassin.
- Vous voyez Paul, c’est mon premier nounours. On me l’avait offert pour le Noël de mes quatre ans. Mon doudou tout doux. (Un peu comme vous)
- Moi mon premier doudou, c’était un dauphin ; ça m’avait fait flipper, à l’époque; j’voulais un Teddy Bear. Maintenant, je dormirai bien avec un gentil animal aquatique, j’ai demandé pour ce Noël une jolie sirène. (Un peu comme vous)
Je l’écoute parler, je suis toute oui. (Mais moi, je suis sirène ascendant baleine je précise en pensée). Je me demande si je n’ai pas pensé trop fort car après un silence pesant, Paul se tourne vers moi et tandis que je plonge dans ses yeux océan, il me harponne d’un :
- J’aime le champ des baleines. Le champ d’attraction des baleines.
A ce moment là, son mobile sonne. Il s’en saisit tandis que j’écoute, immobile, et perplexe.
- Ah salut Johanna !
- Comment tu dis ? Madame Amecéleste ? Tu veux dire Anne Céleste ?
- Oui elle est là ! Oui d’accord je lui dirai.
- Hum ! Le sapin est bancal mais la banquise est exquise. Oui tout va bien Madame la Marquise ( je suis en compagnie d’une sirène, mais c’est en baleine qu’elle se déguise)
- Oui je m’occupe de la fermeture.
Paul m’annonce solennel :
- Johanna vous souhaite un joyeux Noël.
- Je n’aime pas Noël. (j’ai conçu un soir de Noël un fils que je n’ai jamais connu de son vivant)
- Je sais (je l’ai vu dés que tu es arrivée, avec ton air chaviré)
Puis il se lève, va fermer à double tour toutes les issues. Ordre de Johanna, clame-t-il !
Je serai bien étonnée que Johanna ne lui ai pas précisé : « après le départ de ma cliente ».
Il revient avec une panoplie de médecin et prétend examiner ma blessure.
- Ma blessure ? Mais quelle blessure ? (Ton harpon m’a à peine effleuré. Quand à Jean il préfère que je l’oublie)
- Je vais vous poser un onguent (il ne faut pas croire, le cuir des baleines n’est pas si étanche, tu sais)
- C’est de la médecine préventive ?
- Faites moi confiance, quand j’étais petit je voulais être vétérinaire.
Nous éclatons de rire.
- Mais j’aime trop surfer. Pas compatible avec des études aussi voraces. Je me suis orienté vers la kinésithérapie. Je ne regrette pas. Et vous ?
- Moi je voulais chanter. (Devant un public médusé. Tu veux que je chante pour toi ?)
Il me tend la bouteille de champagne vide, pour que je m’en empare comme d’un micro, je grimpe sur ma chaise, un peu vacillante, et je commence à fredonner un vieux blues. En variant la fréquence du son, entre 20 Hz et 10 kHz, pour qu’il lui soit audible et agréable.
Tout devient bleu, l’eau de ses yeux, l’eau du bassin, même mes bleus à l’âme bleuissent.
Si quelqu’un avait pu nous épier, il aurait vu une grande baleine bleue échappée de la grande bleue chantant dans la nuit bleue, et dans son sillage, Paul surfant sur ses mots bleus.
Quelques heures plus tard, Paul et moi nous endormons, au pied du sapin, en compagnie de l’ours blanc. Jean dépose un sourire et des peluches aquatiques dans nos souliers, Bob est resté coincé dans la cheminée.
Dans mon rêve, demain est rempli de requins soyeux aux dents de coton. .
J’avance à petits pas, petis pas de Noël, car je descends du fiel sous le joug humilié, je suis saoule et déliée et mes souliers à la main, je marche au débotté.
Je titube légèrement en toisant les six rennes qui me précèdent.
« Petit papa Noël » résonne dés la salle des tortures. C’est le pompon.
Un bel inconnu en blouse blanche, surgi de nulle part, comme un cadeau du ciel, chemine jusqu’à moi.
- Bonjour je suis Paul. Johanna est en congé. Je la remplace. (Un massage au passage ?)
- Bonsoir rétorqué-je, je m’appelle Anne Céleste.(Je ne suis pas si leste)
- Bonsoir Anne c’est l’Est. (Mon Eve reste ?)
- Paul Nord ou Sud ? je rétorque, malicieuse comme un orque, je marche au radar ce soir et mon sonar est pas mal déboussolé (Qu’est ce qui me prend à dire de telles conneries ?)
Il me regarde interloqué. Un froid polaire nous saisit. Moi qui voulais briser la glace.
- Je suis un glaçon très poli. Je vous laisse l’embarras du choix, il répond. Champagne ou champagne ?
J’éclate de rire. Lui aussi. L’ambiance se réchauffe brutalement. Quelque chose me dit que ce type est aussi givré que moi.
Il me dit : Enfilez votre combinaison isotherme et retrouvons nous sur la banquise.
Cinq minutes plus tard, nous trainons deux chaises en plastique blanche près du sapin en plastique recouvert de neige artificielle, au bord du bassin de faïence blanche, et, faute de flutes adéquates, nous buvons la tasse de concert. Tino Rossi s’est tu, Paul s’évertue à soigner ma gueule de bois de la meilleure façon qu’il soit, le temps s’écoule, rempli de bulles enivrantes, de ouate, de blancheur adéquate.
A un moment, je lui montre l’ours blanc qui s’ébroue de l’autre côté du bassin.
- Vous voyez Paul, c’est mon premier nounours. On me l’avait offert pour le Noël de mes quatre ans. Mon doudou tout doux. (Un peu comme vous)
- Moi mon premier doudou, c’était un dauphin ; ça m’avait fait flipper, à l’époque; j’voulais un Teddy Bear. Maintenant, je dormirai bien avec un gentil animal aquatique, j’ai demandé pour ce Noël une jolie sirène. (Un peu comme vous)
Je l’écoute parler, je suis toute oui. (Mais moi, je suis sirène ascendant baleine je précise en pensée). Je me demande si je n’ai pas pensé trop fort car après un silence pesant, Paul se tourne vers moi et tandis que je plonge dans ses yeux océan, il me harponne d’un :
- J’aime le champ des baleines. Le champ d’attraction des baleines.
A ce moment là, son mobile sonne. Il s’en saisit tandis que j’écoute, immobile, et perplexe.
- Ah salut Johanna !
- Comment tu dis ? Madame Amecéleste ? Tu veux dire Anne Céleste ?
- Oui elle est là ! Oui d’accord je lui dirai.
- Hum ! Le sapin est bancal mais la banquise est exquise. Oui tout va bien Madame la Marquise ( je suis en compagnie d’une sirène, mais c’est en baleine qu’elle se déguise)
- Oui je m’occupe de la fermeture.
Paul m’annonce solennel :
- Johanna vous souhaite un joyeux Noël.
- Je n’aime pas Noël. (j’ai conçu un soir de Noël un fils que je n’ai jamais connu de son vivant)
- Je sais (je l’ai vu dés que tu es arrivée, avec ton air chaviré)
Puis il se lève, va fermer à double tour toutes les issues. Ordre de Johanna, clame-t-il !
Je serai bien étonnée que Johanna ne lui ai pas précisé : « après le départ de ma cliente ».
Il revient avec une panoplie de médecin et prétend examiner ma blessure.
- Ma blessure ? Mais quelle blessure ? (Ton harpon m’a à peine effleuré. Quand à Jean il préfère que je l’oublie)
- Je vais vous poser un onguent (il ne faut pas croire, le cuir des baleines n’est pas si étanche, tu sais)
- C’est de la médecine préventive ?
- Faites moi confiance, quand j’étais petit je voulais être vétérinaire.
Nous éclatons de rire.
- Mais j’aime trop surfer. Pas compatible avec des études aussi voraces. Je me suis orienté vers la kinésithérapie. Je ne regrette pas. Et vous ?
- Moi je voulais chanter. (Devant un public médusé. Tu veux que je chante pour toi ?)
Il me tend la bouteille de champagne vide, pour que je m’en empare comme d’un micro, je grimpe sur ma chaise, un peu vacillante, et je commence à fredonner un vieux blues. En variant la fréquence du son, entre 20 Hz et 10 kHz, pour qu’il lui soit audible et agréable.
Tout devient bleu, l’eau de ses yeux, l’eau du bassin, même mes bleus à l’âme bleuissent.
Si quelqu’un avait pu nous épier, il aurait vu une grande baleine bleue échappée de la grande bleue chantant dans la nuit bleue, et dans son sillage, Paul surfant sur ses mots bleus.
Quelques heures plus tard, Paul et moi nous endormons, au pied du sapin, en compagnie de l’ours blanc. Jean dépose un sourire et des peluches aquatiques dans nos souliers, Bob est resté coincé dans la cheminée.
Dans mon rêve, demain est rempli de requins soyeux aux dents de coton. .
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Ah, tu t'es amusée avec ce passage !
Moi aussi d'ailleurs...
Tiens, je te dédie cette chanson, tu ne peux pas ne pas y avoir pensé :
Sinon, sérieusement, tout ça commence à prendre tournure, je verrais bien un petit recueil qui compile chaque nouvelle visite à la piscine en autant de courts chapitres.
Une phrase à revoir peut-être : "Cinq minutes plus tard, nous trainons deux chaises en plastique blanches près du sapin en plastique recouvert de neige artificielle, ", je ne suis pas sûre que la répétition soit voulue.
Moi aussi d'ailleurs...
Tiens, je te dédie cette chanson, tu ne peux pas ne pas y avoir pensé :
Sinon, sérieusement, tout ça commence à prendre tournure, je verrais bien un petit recueil qui compile chaque nouvelle visite à la piscine en autant de courts chapitres.
Une phrase à revoir peut-être : "Cinq minutes plus tard, nous trainons deux chaises en plastique blanches près du sapin en plastique recouvert de neige artificielle, ", je ne suis pas sûre que la répétition soit voulue.
Invité- Invité
La nage papillon
Merci à tous mes lecteurs, vos remarques m'intéressent... il semblerait que vous ne souhaitiez pas voir d'épisodes hors piscine :-)))
au départ c'était l'idée, et puis j'ai été tentée de faire apparaitre mon personnage dans des situations beaucoup plus prosaïques précisément pour faire contraste avec l'atmosphère onirique de la piscine...et maintenant je me tâte...faire voir toutes les facettes d'une seule et même personne selon son environnement, la réalité étant plus proche de ce kaléidoscope, ou bien maintenir cette unité de lieu et d'ambiance en ne révélant que la vie fantasmatique de mon personnage, je ne sais plus, vos réflexions me font m'interroger, vu que j'écris au jour le jour sans savoir où je vais :-)))
Easter merci pour la chanson et non...je n'y avais pas pensé :-))) ou alors inconsciemment peut-être. Tu as raison la répétition n'était pas volontaire, merci de l'avoir relevée. Un recueil des épisodes aquatiques why not mais je me réserve d'écrire parfois des épisodes d'extérieur . De toute façon même si il y a une progression dans mon histoire ceux ci pourront être lus en off, comme un épisode independant.
au départ c'était l'idée, et puis j'ai été tentée de faire apparaitre mon personnage dans des situations beaucoup plus prosaïques précisément pour faire contraste avec l'atmosphère onirique de la piscine...et maintenant je me tâte...faire voir toutes les facettes d'une seule et même personne selon son environnement, la réalité étant plus proche de ce kaléidoscope, ou bien maintenir cette unité de lieu et d'ambiance en ne révélant que la vie fantasmatique de mon personnage, je ne sais plus, vos réflexions me font m'interroger, vu que j'écris au jour le jour sans savoir où je vais :-)))
Easter merci pour la chanson et non...je n'y avais pas pensé :-))) ou alors inconsciemment peut-être. Tu as raison la répétition n'était pas volontaire, merci de l'avoir relevée. Un recueil des épisodes aquatiques why not mais je me réserve d'écrire parfois des épisodes d'extérieur . De toute façon même si il y a une progression dans mon histoire ceux ci pourront être lus en off, comme un épisode independant.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Oui, Anne Céleste est mieux dans son environnement aqueux, je trouve qu'il lui réussit pour le moment
Et oui encore, je pensais aussi à des chapitres qui puissent se lire indépendamment les uns des autres même si l'ensemble forme un tout, une unité. En fait ce serait sacrément bien comme résultat, comme format.
Et oui encore, je pensais aussi à des chapitres qui puissent se lire indépendamment les uns des autres même si l'ensemble forme un tout, une unité. En fait ce serait sacrément bien comme résultat, comme format.
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
J'ai attendu pour avoir une vision moins fragmentée : alors je suis POUR ( tu lances un sondage ? ;-)) rester résolument dans la piscine et dans les fantasmes : le meilleur critère appuyant cette opinion, c'est que quand tu en sors, tu redoubles les jeux de mots, comme si tu n'étais pas sûre de l'intérêt du texte sans eux !
Mais c'est bien plus fascinant quand tu les distilles au compte-gouttes, juste comme assaisonnement de trucs autrement corsés !
Mais c'est bien plus fascinant quand tu les distilles au compte-gouttes, juste comme assaisonnement de trucs autrement corsés !
Invité- Invité
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Rebecca je réitère ma proposition de cession de ta partie de cerveau qui jongle aussi bien avec les mots.
Pour l'avoir lu d'un bloc, je me suis laissée submerger par ce texte : j'ai ri, souri, adoré, jalousé etc etc. et même ces parties non aquatiques qui ne font pas l'unanimité, justement pour contrebalancer l'ambiance onirique, pour te reprendre, de la piscine. Et puis ce jonglement de mots... certains sont peut être convenus mais cela ne gâche absolument mon plaisir.
Donc je suis pour les deux univers (et puis si je suis toute seule qui les veux, y a que moi qui les lirai, na !)
Pour l'avoir lu d'un bloc, je me suis laissée submerger par ce texte : j'ai ri, souri, adoré, jalousé etc etc. et même ces parties non aquatiques qui ne font pas l'unanimité, justement pour contrebalancer l'ambiance onirique, pour te reprendre, de la piscine. Et puis ce jonglement de mots... certains sont peut être convenus mais cela ne gâche absolument mon plaisir.
Donc je suis pour les deux univers (et puis si je suis toute seule qui les veux, y a que moi qui les lirai, na !)
polgara- Nombre de messages : 1440
Age : 49
Localisation : Tournefeuille, et virevolte aussi
Date d'inscription : 27/02/2012
Re: La nage papillon (Prologue et suites)
Nagé dans le " petit bassin " hop, saut de grenouille en compagnie des vertébrées en fin d'espèce.
Jolie métaphore chlorée.+++
Jolie métaphore chlorée.+++
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
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