Pérégrinations : Prologue et suites
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Pérégrinations : Prologue et suites
Prologue
Je m’appelle Leah Trautmann. Où je vis n’a guère d’importance. Quelque part au milieu de nulle part la plupart du temps. Le temps ! Je le vois qui s’écoule, infini, toujours le même goutte à goutte depuis des millions d’années, comme vous, je ne suis qu’ une de ces secondes arrêtées de mortelle éternité, je regarde la vie déferler sur des paysages figés…et ces larmes gelées sur vos existences pétrifiées…
Oh pas toujours ! Parfois ça remue ça secoue ça se rebelle ça frissonne ça rigole ça court et ça rue !
Qui je suis ? Celle qui vous couchera sur papier glacé avant que le temps ne s’écoule et que la vie ne s’écroule.
Depuis longtemps, vous errez dans ma vie comme des fantômes en larmes (où bien est-ce moi qui hante la votre ?), vous cavalez comme des chevaux fous cravachés par les sentiments qui vous assaillent , vous vous allongez avec volupté au bord de vos émotions, vous m’offrez vos pensées et vos idées toutes faites, et vos envies toutes fêtes et je les accepte.
La seule chose qui m’importe, c’est vous rencontrer. Je n’ai pas besoin de vous parler pour savoir qui vous êtes. Il me suffit de vous croiser, là sur un banc, dans un autobus, dans une salle d’attente, à la sortie d’une école, devant une tombe que vous venez fleurir, allongé sur une plage, au comptoir d’un bar, heureux ou croyant l’être, souffrant ou se l’imaginant, aimant ou haïssant.
Est-ce que je porte un jugement sur vous ? Sans doute, ne cherchez aucune compassion dans mon regard. Simplement, sachez que je m’accuse aussi de tout ce que je juge en vous. Comme je me loue de tout ce que j’admire en vous. J’exècre et j’aime en moi ce que je vois de vous.
Ce qui me fait vivre, vous.
Je vous vois, je ne vous regarde pas tous, mais si je vous regarde, je vous vois. Je fais pire. Je vous vois de l’intérieur. Je rentre en vous. Je deviens vous.
Tenez, vous par exemple !
Vous qui montez dans le bus, ligne 74, celle que je préfère, non, ne me dites rien, je vous ai vue. Je vous ai regardée. Jolie jeune fille, jolie nana, vous avez sauté prestement les trois marches, avez composté votre ticket comme il se doit, jeté un regard circulaire, si tant est que l’on puisse jeter un regard circulaire dans un parallélépipède sur roues. En contrepartie, de nombreux regards, flatteurs, se sont aussi portés sur vous, vous en avez l’habitude. Vous vous êtes assise à côté de moi, j’ai humé votre parfum, et je suis entrée chez vous, Lola . Par effraction.
« Ouf , j’ai réussi à l’attraper ! Putain, quelle galère si je l’avais raté. J’espère qu’il n’y aura pas trop d’embouteillages. Fait chier ce rendez-vous ! Eh, oh, elle est pas gênée cette vieille conne, elle me fout son sac dans la tronche pour s’asseoir en face, eh connasse, ça te ferait mal de t’excuser ! C’est sympa ce soleil ! Il me réchauffe, c’est pas du luxe, je suis glacée. J’ai envie d’un café……
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Je m’appelle Leah Trautmann. Où je vis n’a guère d’importance. Quelque part au milieu de nulle part la plupart du temps. Le temps ! Je le vois qui s’écoule, infini, toujours le même goutte à goutte depuis des millions d’années, comme vous, je ne suis qu’ une de ces secondes arrêtées de mortelle éternité, je regarde la vie déferler sur des paysages figés…et ces larmes gelées sur vos existences pétrifiées…
Oh pas toujours ! Parfois ça remue ça secoue ça se rebelle ça frissonne ça rigole ça court et ça rue !
Qui je suis ? Celle qui vous couchera sur papier glacé avant que le temps ne s’écoule et que la vie ne s’écroule.
Depuis longtemps, vous errez dans ma vie comme des fantômes en larmes (où bien est-ce moi qui hante la votre ?), vous cavalez comme des chevaux fous cravachés par les sentiments qui vous assaillent , vous vous allongez avec volupté au bord de vos émotions, vous m’offrez vos pensées et vos idées toutes faites, et vos envies toutes fêtes et je les accepte.
La seule chose qui m’importe, c’est vous rencontrer. Je n’ai pas besoin de vous parler pour savoir qui vous êtes. Il me suffit de vous croiser, là sur un banc, dans un autobus, dans une salle d’attente, à la sortie d’une école, devant une tombe que vous venez fleurir, allongé sur une plage, au comptoir d’un bar, heureux ou croyant l’être, souffrant ou se l’imaginant, aimant ou haïssant.
Est-ce que je porte un jugement sur vous ? Sans doute, ne cherchez aucune compassion dans mon regard. Simplement, sachez que je m’accuse aussi de tout ce que je juge en vous. Comme je me loue de tout ce que j’admire en vous. J’exècre et j’aime en moi ce que je vois de vous.
Ce qui me fait vivre, vous.
Je vous vois, je ne vous regarde pas tous, mais si je vous regarde, je vous vois. Je fais pire. Je vous vois de l’intérieur. Je rentre en vous. Je deviens vous.
Tenez, vous par exemple !
Vous qui montez dans le bus, ligne 74, celle que je préfère, non, ne me dites rien, je vous ai vue. Je vous ai regardée. Jolie jeune fille, jolie nana, vous avez sauté prestement les trois marches, avez composté votre ticket comme il se doit, jeté un regard circulaire, si tant est que l’on puisse jeter un regard circulaire dans un parallélépipède sur roues. En contrepartie, de nombreux regards, flatteurs, se sont aussi portés sur vous, vous en avez l’habitude. Vous vous êtes assise à côté de moi, j’ai humé votre parfum, et je suis entrée chez vous, Lola . Par effraction.
« Ouf , j’ai réussi à l’attraper ! Putain, quelle galère si je l’avais raté. J’espère qu’il n’y aura pas trop d’embouteillages. Fait chier ce rendez-vous ! Eh, oh, elle est pas gênée cette vieille conne, elle me fout son sac dans la tronche pour s’asseoir en face, eh connasse, ça te ferait mal de t’excuser ! C’est sympa ce soleil ! Il me réchauffe, c’est pas du luxe, je suis glacée. J’ai envie d’un café……
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Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Je reste rétive à votre écriture, Rebecca, je la trouve ici maniérée ; désolée, j'ai très vite décroché. Je me contenterai de quelques remarques sur la forme.
"je ne suis qu'une (et non "qu’ une") de ces secondes"
"des paysages figés…et (typographie, une espace après les points de suspension) ces larmes gelées"
"(ou bien est-ce moi qui hante la vôtre ?)"
"je suis entrée chez vous, Lola . (typographie, pas d'espace avant un point)"
"Ouf , (typographie, pas d'espace avant une virgule)"
"je ne suis qu'une (et non "qu’ une") de ces secondes"
"des paysages figés…et (typographie, une espace après les points de suspension) ces larmes gelées"
"(ou bien est-ce moi qui hante la vôtre ?)"
"je suis entrée chez vous, Lola . (typographie, pas d'espace avant un point)"
"Ouf , (typographie, pas d'espace avant une virgule)"
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Oh, pardon ! Un vieux réflexe qui m'a saisie.
Procuste- Nombre de messages : 482
Age : 62
Localisation : œ Œ ç Ç à À é É è È æ Æ ù Ù â  ê Ê î Î ô Ô û Û ä Ä ë Ë ï Ï ö Ö ü Ü – —
Date d'inscription : 16/10/2010
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Je n'étais même pas surprise ! Cette apparition était pour moi ce qu'il y a de plus naturel! Un vieux réflexe, sans doute.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Qui es-tu Leah Trautmann ? Une journaliste de l'au-delà ?
Je suis !
Je suis !
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
J'ai toujours du mal avec les textes qui interpellent le lecteur, c'est le cas ici. En plus j'ai trouvé le prologue long et ennuyeux, l'écriture plutôt lourde avec sur le fond un air à la Marc Lévy qui ... eh bien qui ne m'emballe pas, en parler euphémisitique ;-) Sur la réserve donc, mais toujours adepte de la seconde chance. J'attends donc que ça remue ça secoue ça se rebelle ça frissonne ça rigole ça court et ça rue !.
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
En général j'aime beaucoup ton style Rebecca, tu as une aisance qui m'impressionne.
Sur ce prologue, effectivement tu forces peut-être un peu trop. Plus de simplicité ne nuirait pas au récit à venir qui m'apparaît assez énigmatique pour l'instant.
Sur ce prologue, effectivement tu forces peut-être un peu trop. Plus de simplicité ne nuirait pas au récit à venir qui m'apparaît assez énigmatique pour l'instant.
Jano- Nombre de messages : 1000
Age : 55
Date d'inscription : 06/01/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
J’adore l’idée, entrer dans la peau des gens qu’on croise, inventer leurs pensées, leur vie, leur caractère. C’est un pouvoir de l’imagination agréable que de saisir l’image fugitive d’une personne dans des lieux quotidiens et de s’emparer de cette image pour la réinventer à notre goût.
J’aime bien faire ça dans le train par exemple pour passer le temps, je m’attarde sur un ou une de mes compagnons de wagon/voiture et je lui raconte une histoire.
L’intérêt étant aussi l’écho que trouve en soi chaque être croisé, inventer les autres c’est un peu se mettre en scène dans une sorte de miroir inversé, confortable puisqu’on est plus tout à fait soi mais pas tout à fait l’autre non plus.
Ce prologue a le mérite de planter le décor et c’est peut-être le défaut, inhérent aux prologues pour moi, il est un peu trop explicatif, une sorte d’entrée obligatoire avant de pouvoir attaquer le plat principal, que j’attends donc avec impatience.
J’aime bien faire ça dans le train par exemple pour passer le temps, je m’attarde sur un ou une de mes compagnons de wagon/voiture et je lui raconte une histoire.
L’intérêt étant aussi l’écho que trouve en soi chaque être croisé, inventer les autres c’est un peu se mettre en scène dans une sorte de miroir inversé, confortable puisqu’on est plus tout à fait soi mais pas tout à fait l’autre non plus.
Ce prologue a le mérite de planter le décor et c’est peut-être le défaut, inhérent aux prologues pour moi, il est un peu trop explicatif, une sorte d’entrée obligatoire avant de pouvoir attaquer le plat principal, que j’attends donc avec impatience.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Assise sur le siège justement en face avec mon sac, j'attends la suite...
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
La mort...
Salut,
Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est la mort qui parle.
Elle parle bien, du reste.
Un bon début, qui promet toute une galerie de portraits. Quelques jeux sur les mots, aussi, mais je ne suis pas sûr qu'ils ajoutent à l'efficacité, ou bien lui en enlèvent.
En tous cas, une amorce intéressante. A suivre !
Ubik.
Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est la mort qui parle.
Elle parle bien, du reste.
Un bon début, qui promet toute une galerie de portraits. Quelques jeux sur les mots, aussi, mais je ne suis pas sûr qu'ils ajoutent à l'efficacité, ou bien lui en enlèvent.
En tous cas, une amorce intéressante. A suivre !
Ubik.
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Tu m'as collé le "bourdon", Rébecca (sourire)
Tout ceci me renvoie à un texte (qui n'a rien à voir du tout, je te rassure tout de suite) écrit il y a quelques années. Juste une atmosphère, cette notion d'être absorbé, de ce "quelque chose" à l'affût de nos vies. Quelque chose de menaçant, mais surtout d'inexorable, de fatal.
Tellement empêtrée dans tout ça (une impression première dont, malgré des relectures, je n'ai pu me défaire) que je suis vraiment curieuse de voir vers quoi tu nous emmènes.
Tout ceci me renvoie à un texte (qui n'a rien à voir du tout, je te rassure tout de suite) écrit il y a quelques années. Juste une atmosphère, cette notion d'être absorbé, de ce "quelque chose" à l'affût de nos vies. Quelque chose de menaçant, mais surtout d'inexorable, de fatal.
Tellement empêtrée dans tout ça (une impression première dont, malgré des relectures, je n'ai pu me défaire) que je suis vraiment curieuse de voir vers quoi tu nous emmènes.
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Oui, moi aussi, j'ai eu l'impression que c'était la mort... J'ai bien aimé ce début, et contrairement à d'autres, ce "vous, oui, vous" qui interpelle. Mais j'attends d'en lire plus pour me prononcer vraiment sur le fond. En tout cas, je trouve que ça accroche, ce qui est essentiel pour un prologue
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Le fond est « pétrifié », figé à jamais.
Fond douloureux ; fond tragique de l’existence humaine.
Fond froid, fond glacial en lequel s’évanouit la chaleur vitale, sur lequel court, « goutte à goutte » la source chaude, bouillonnante de la vie « ça remue ça secoue ça se rebelle ça frissonne ça rigole ça court et ça rue ! » pour ne laisser dans le fond du courant, dans son lit, que des larmes gelées pour toujours. Seules les larmes subsistent, le reste n’est que passion passagère, impétuosité éphémère, enthousiasme vite refroidi.
Comme pour Platon, le temps est ici « image mobile de l’éternité immobile. »
La narratrice éprouve le besoin de préciser son identité. Elle commence par dire son nom ; nom d’emprunt qui ne dit rien de l’identité réelle, sinon qu’elle est un personnage, le personnage d’une narratrice, celle qui raconte, celle qui écrit.
Elle se présente ensuite comme un regard, un regard qui saisit la surface des apparences, ce qui passe, vient et s’en va, mais qui est aussi capacité de percer l’au-delà des apparences, d’atteindre le fond tragique où les larmes ne passent pas, ne s’écoulent plus, gelées à jamais.
La question de l’identité est enfin posée explicitement : « Qui je suis ? ».
C’est donc que la présentation qui a été faite de soi, plus ou moins implicite, ne suffit pas. Je suis un regard, un point de vue, le nom d’un regard « Leah Trautmann », et plus encore, qu’il faudra dire.
Mais pourquoi faut-il le dire ? La narratrice semble devoir se justifier d’avoir l’outrecuidance de prendre la parole et de raconter. Qui est-elle donc pour se permettre cette audace, cette impudence, cette présomption ?
Qui est-on quand on se veut narrateur ? Qu’est-ce qui autorise et justifie la prise de parole ? Interrogation de fond sur la fonction narratrice par quoi commence le texte.
Comment la narratrice répond-elle à son interrogation ? Je suis, annonce-t-elle : « Celle qui vous couchera sur papier glacé avant que le temps ne s’écoule et que la vie ne s’écroule. » La réponse exprime nettement ce dont s’autorise la prise de parole de la narratrice. Il s’agit du regard, de ce regard évoqué plus haut. Regard perçant, pénétrant, qui, à travers l’écoulement de la vie, perçoit le lit du fleuve, où elle « couchera » ceux à qui elle s’adresse sur « papier glacé ». Regard qui ramène en son fond, glacé, tragique, figé, ce qui est en surface. La narratrice s’autorise donc de son regard en profondeur une prise de parole par écrit. Elle sait voir loin, par delà les apparences immédiates. Elle nous met en garde, et se présente comme une Gorgone qui, si l’on porte sur elle un regard, si on suit le sien, si on ose lire ce qu’elle voit, on s’expose alors à se retrouver gelé, pétrifié, médusé.
Sur qui, sur quoi porte-t-elle le regard qui fait son être ? Sur toute personne vivante et lectrice. Sur toute personne qui la croise, et suffit à une rencontre.
« La seule chose qui m’importe, c’est vous rencontrer. ». Le regard ne peut être regard que s’il rencontre ce qui se prête à être vu, ce qui se manifeste, ce qui apparaît. Mais ce regard de la narratrice est un regard aussi porté sur l’être à travers le paraître.
Il découvre toute une vie sous la simple apparence. Pas besoin d’échanges, pas besoin de mots pour raconter son histoire, dire qui l’on est, le regard de la narratrice a ce pouvoir de dévoilement.
Inutile d’essayer de se soustraire à lui, il n’est nulle part et partout, il n’a pas un foyer dans un point de vue fixe et localisé « Quelque part au milieu de nulle part » dit-elle ; un panoptique.
Ce regard se nourrit de ce qu’il voit, - la voix de la narratrice n’a d’autre origine que ce qu’elle voit - il n’est pas objectif, il juge, parce qu’il est un regard subjectif, un reflet, un regard miroir. « Ce qui me fait vivre, vous. Je vous vois, je ne vous regarde pas tous, mais si je vous regarde, je vous vois. Je fais pire. Je vous vois de l’intérieur. Je rentre en vous. Je deviens vous. » A travers la narratrice, chacun peut contempler son image, elle montre qui nous sommes. Le regard ne reste pas extérieur, il est un regard de l’intérieur, il est ce médiateur entre soi et soi. La narratrice n’a pas d’identité fixe, elle prend l’identité de qui elle rencontre, qui elle « voit » pour donner voix à son récit.
La narratrice prétend donc, dans ce prologue, non pas être l’auteur d’une fiction, non pas nous livrer un imaginaire, mais une vision réaliste.
Alors que la littérature de la fin du XXème siècle avait fait la critique du narrateur omniscient, qui surplombe ses personnages et les situations, placé dans une position quasi divine, tu réintroduis avec force, Rebecca, ce narrateur exclu.
Fond douloureux ; fond tragique de l’existence humaine.
Fond froid, fond glacial en lequel s’évanouit la chaleur vitale, sur lequel court, « goutte à goutte » la source chaude, bouillonnante de la vie « ça remue ça secoue ça se rebelle ça frissonne ça rigole ça court et ça rue ! » pour ne laisser dans le fond du courant, dans son lit, que des larmes gelées pour toujours. Seules les larmes subsistent, le reste n’est que passion passagère, impétuosité éphémère, enthousiasme vite refroidi.
Comme pour Platon, le temps est ici « image mobile de l’éternité immobile. »
La narratrice éprouve le besoin de préciser son identité. Elle commence par dire son nom ; nom d’emprunt qui ne dit rien de l’identité réelle, sinon qu’elle est un personnage, le personnage d’une narratrice, celle qui raconte, celle qui écrit.
Elle se présente ensuite comme un regard, un regard qui saisit la surface des apparences, ce qui passe, vient et s’en va, mais qui est aussi capacité de percer l’au-delà des apparences, d’atteindre le fond tragique où les larmes ne passent pas, ne s’écoulent plus, gelées à jamais.
La question de l’identité est enfin posée explicitement : « Qui je suis ? ».
C’est donc que la présentation qui a été faite de soi, plus ou moins implicite, ne suffit pas. Je suis un regard, un point de vue, le nom d’un regard « Leah Trautmann », et plus encore, qu’il faudra dire.
Mais pourquoi faut-il le dire ? La narratrice semble devoir se justifier d’avoir l’outrecuidance de prendre la parole et de raconter. Qui est-elle donc pour se permettre cette audace, cette impudence, cette présomption ?
Qui est-on quand on se veut narrateur ? Qu’est-ce qui autorise et justifie la prise de parole ? Interrogation de fond sur la fonction narratrice par quoi commence le texte.
Comment la narratrice répond-elle à son interrogation ? Je suis, annonce-t-elle : « Celle qui vous couchera sur papier glacé avant que le temps ne s’écoule et que la vie ne s’écroule. » La réponse exprime nettement ce dont s’autorise la prise de parole de la narratrice. Il s’agit du regard, de ce regard évoqué plus haut. Regard perçant, pénétrant, qui, à travers l’écoulement de la vie, perçoit le lit du fleuve, où elle « couchera » ceux à qui elle s’adresse sur « papier glacé ». Regard qui ramène en son fond, glacé, tragique, figé, ce qui est en surface. La narratrice s’autorise donc de son regard en profondeur une prise de parole par écrit. Elle sait voir loin, par delà les apparences immédiates. Elle nous met en garde, et se présente comme une Gorgone qui, si l’on porte sur elle un regard, si on suit le sien, si on ose lire ce qu’elle voit, on s’expose alors à se retrouver gelé, pétrifié, médusé.
Sur qui, sur quoi porte-t-elle le regard qui fait son être ? Sur toute personne vivante et lectrice. Sur toute personne qui la croise, et suffit à une rencontre.
« La seule chose qui m’importe, c’est vous rencontrer. ». Le regard ne peut être regard que s’il rencontre ce qui se prête à être vu, ce qui se manifeste, ce qui apparaît. Mais ce regard de la narratrice est un regard aussi porté sur l’être à travers le paraître.
Il découvre toute une vie sous la simple apparence. Pas besoin d’échanges, pas besoin de mots pour raconter son histoire, dire qui l’on est, le regard de la narratrice a ce pouvoir de dévoilement.
Inutile d’essayer de se soustraire à lui, il n’est nulle part et partout, il n’a pas un foyer dans un point de vue fixe et localisé « Quelque part au milieu de nulle part » dit-elle ; un panoptique.
Ce regard se nourrit de ce qu’il voit, - la voix de la narratrice n’a d’autre origine que ce qu’elle voit - il n’est pas objectif, il juge, parce qu’il est un regard subjectif, un reflet, un regard miroir. « Ce qui me fait vivre, vous. Je vous vois, je ne vous regarde pas tous, mais si je vous regarde, je vous vois. Je fais pire. Je vous vois de l’intérieur. Je rentre en vous. Je deviens vous. » A travers la narratrice, chacun peut contempler son image, elle montre qui nous sommes. Le regard ne reste pas extérieur, il est un regard de l’intérieur, il est ce médiateur entre soi et soi. La narratrice n’a pas d’identité fixe, elle prend l’identité de qui elle rencontre, qui elle « voit » pour donner voix à son récit.
La narratrice prétend donc, dans ce prologue, non pas être l’auteur d’une fiction, non pas nous livrer un imaginaire, mais une vision réaliste.
Alors que la littérature de la fin du XXème siècle avait fait la critique du narrateur omniscient, qui surplombe ses personnages et les situations, placé dans une position quasi divine, tu réintroduis avec force, Rebecca, ce narrateur exclu.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Pérégrinations 2 : Lola
Pérégrinations 2
« Ouf , j’ai réussi à l’attraper ! Putain, quelle galère si je l’avais raté. J’espère qu’il n’y aura pas trop d’embouteillages . Fait chier ce rendez-vous !
Eh oh elle est pas gênée cette vieille conne, elle me fout son sac dans la tronche pour s’asseoir en face, eh connasse ça te ferait mal de t’excuser ! C’est sympa ce soleil ! Il me réchauffe, c’est pas du luxe, je suis glacée. J’ai envie d’un café…Quelle foule dans ce bus…Ah ça me rappelle ce jour où j’avais raté mon train de banlieue pour aller au Lycée. J’en rigole rien que d’y penser.
Eh toi, tu veux ma photo ? Pfff, il a pas l’air con celui-là , le bras en l’air, accroché à sa poignée et faisant mine de tomber sur nous à chaque virage. Il n’arrête pas de me mater…On dirait un chimpanzé accroché à sa liane et revisité par Tex Avery, avec ses yeux qui lui sortent de la tête. »
Je vous regarde, vous, que Lola invective en silence, qu’elle tue d’un regard. Meurtrier et innocent.
Votre solitude, celle de l’homme suspendu à sa liane misérable et attendant en vain de pouvoir dire: « Moi Tarzan! » et de s’entendre répondre « Moi Jane ! » m’envahit. L’inconvénient du métier.
Puis je retourne chez vous, Lola.
« C’était trop cool, j’étais revenue devant chez moi, Boulevard du Général de Gaulle, et prise d’une inspiration subite j’avais levé le pouce. Faire du stop et arriver à l’heure au bahut, je n’y croyais pas trop, mais oucccchhhh ! Un autocar vide s’était arrêté le long du trottoir et à ma grande surprise ses portes s’étaient ouvertes devant moi…Trop inattendu. Génial ! Je n’avais pas vu si c’était un bus de ligne régulière ou quoi, j’étais montée et avait précisé au chauffeur que je n’avais pas de quoi payer mon voyage. Il m’avait répondu que si je faisais du stop, c’était clair que ce n’était pas pour m’acquitter d’un ticket et que de toute façon il n’était pas vraiment en service encore, allant chercher un groupe à Paris…Que sur, son patron ferait la gueule s’il apprenait qu’il prenait des lycéennes en stop mais bon comment le saurait-il ? Cool ...
Putain il le fait exprès ou quoi ? Il freine et il accélère comme un taré ce chauffeur, y s’croit sur un circuit de formule 1 ?
C’était super ! Un car pour moi toute seule et un chauffeur souriant et sympathique. Il m’avait déposée juste devant le Lycée de Saint Cloud! J’sais même pas si c’était son chemin ou s’il avait fait un détour ! Je m’étais sentie la reine de Saba pendant ce trajet. J’ai peur de pas l’avoir suffisamment remercié. Eh bel inconnu, j’t’envoie sur le champ ma reconnaissance éternelle. La vache, il est interminable ce feu rouge ! »
Dommage Lola, c’était un rendez -vous manqué. Si vous aviez eu trois ou quatre ans de plus, ce chauffeur là vous aurait emmené faire le tour du monde et vous l’auriez aimé. A la folie. Et il vous l’aurait bien rendu. Parfois, on passe à côté de son idéal et on ne le sait pas.
« L’avait même pas essayé de me draguer. J’aime bien mes souvenirs d’auto-stop même les moches …Oh lala cette femme en face de moi qui n’arrête pas de soupirer ! Place Clichy. Je déteste cette place, je sais pas pourquoi. C’est fou ce que le soleil donne à travers cette vitre ! J’aime bien voir Paris à travers des lunettes noires. J’aime pas avoir les cuisses qui collent au skaï.
En tout cas j’ai de la chance d’être assise entourée de deux femmes inoffensives et d’un ado boutonneux. Quand je n’ai pas de place, et que je suis obligée de subir des mains balladeuses et anonymes, pressée dans la foule, j’ai des envies de meurtre, ça me fait peur tellement c’est violent.
Là je suis zen, tant mieux j’sais pas dans quel état je serai après mon rendez-vous Je suis zen…c’est vrai que ça marche la méthode Coué. J’me sens quand même un peu angoissée. J’sais pas pourquoi.
Quand j’y pense, j’avais peur de rien quand même à seize ans. Y’a eu cette fois où il pleuvait, oui parce qu’après j’étais devenue une pro du stop, et où toute dégoulinante, j’avais du ramasser les revues porno tombées du siège avant dans le caniveau, après que j’aie ouvert la portière. Même ça ne m’avait pas fait peur. J’étais sincèrement désolée pour le gars.
Oh ben dis donc elle a pas de complexes celle là boudinée dans sa mini- jupe…
Toutes ces belles nanas à gros seins, toutes détrempées et couvertes de boue ! Gentiment, avec mon cartable dans le dos, je les lui avais rangées sur la banquette arrière, puis était montée devant ! Lola, la reine de Saba peut-être mais surtout la reine des pommes, non ? J’me rappelle qu’on n’avait plus échangé un mot après que je lui ai indiqué ma direction. Mais durant tout le trajet, j’étais comme ses revues. Lol . Gondolée. De rire. A l’intérieur. Folle quand j’y pense. C’était peut-être un sadique, un obsédé. »
Heureusement Lola que vous êtes descendue à temps. Cinq minutes après, ce type s’est encastré sous un camion. S’il avait réussi à vous convaincre d’aller faire un tour avec lui , puisque vous étiez en avance ce matin là, vous ne seriez plus là à vous remémorer vos souvenirs.
P’tite Lola oui vous êtes folle. Gentille et un peu folle. Vous avez trop confiance dans la vie. Et dans les hommes. Et dans votre bonne étoile.
Je vous vois dans quelques années. Vous vous appellerez Madame Lola Dupont, mariée à un con. Une brute qui plus est. Vous feriez mieux de louper ce rendez -vous. Vous ne le savez pas, comment le sauriez-vous ? Vous êtes à la croisée des chemins. A droite vous gardez votre liberté, à gauche vous allez rencontrer Monsieur Dupont. Avec lui vous aurez trois petits Dupont, qui vous enchanteront et vous enchaineront à votre destin. Tragique. A partir de maintenant, tout va se jouer pour vous dans l’heure qui suit.
Lola vous devriez descendre et aller le boire ce café. Il vous suffit de quelques minutes, de trois pas de côté pour sortir du chemin tout tracé , de l’histoire déjà écrite ( ?), pour reprendre votre vie en main. Savez-vous Lola qu’on n’a qu’une seule vie ? Non, à votre âge, une vie c’est l’éternité. Ce qui va vous arriver vous n’en croirez pas vos yeux, Lola, vous n’aurez pas le temps de vous retourner et trente années vont s’écouler et ensevelir votre fantaisie. Votre jeunesse. Votre insouciance.
Un jour, vous prendrez l’autobus, ce sera une autre ligne mais qu’importe, je toquerai chez vous, vous n’aurez plus aucun souvenir marrant à vous remémorer pour passer le temps et me changer les idées. Vous serez celle qui soupire, en face de vous.
« Putain, il va pas tarder à être sourd l’ado à côté de celle qui soupire ! Parce que branler du chef comme il le fait, les écouteurs à plein tubes, on sait où ça mène. Morte de rire ! L’autre vieille à côté de moi bat la cadence sans s’en rendre compte ! J’vois ses petits doigts qui dépassent des mitaines et tapotent en rythme son sac. Une fan de heavy-métal ? Bof pourquoi pas ? J’me demande comment je serai quand je serai vieille. Si je vis assez pour le savoir…il me fout les chocottes ce rendez-vous…allez cocotte pense plutôt à des trucs qui te font rigoler…Tiens le chimpanzé est parti, waouhh, drôlement mignon celui qui l’a remplacé ! Je lui donnerai bien mon zéro-six.»
Je me lève et vous salue Lola après un clin d’œil mental, (non, le heavy metal c’est pas mon truc, je préfère le blues) , j’envoie un sourire à la compagnie,( ça ne coûte rien, croyez vous ? Détrompez-vous) vous, l’ado ne me voyez pas, les yeux fermés, pris dans votre transe frénétique, et vous qui êtes assise à côté de lui m’adressez un ultime soupir. Adieu, Lola, sauvez-vous, vous avez encore quelques minutes de marge de manœuvre, moi je vous laisse à votre destin ; derrière moi, vous, le « mignon » vous ruez sur mon siège ...
Je sème à tout hasard quelques points de suspension puis je descends de l’autobus, l’air frais me cingle le visage.
Qui sait après tout, peut être vous reverrai- je, Lola, tout à l’heure dans trente ans. Si j’ai envie d’avoir de vos nouvelles.
Je souris en me demandant comment je serai quand je serai jeune. Je n’ai que l’embarras du choix. Les personnages se bousculent au portillon. N’être que moi m’ennuie. Me ramène au néant. J’ai l’habitude et je sais quoi faire quand ça me prend. Je fais taire mes pensées mélancoliques et neurasthéniques. Je vais dans la ville, déguisée en vieille à mitaines, pour mieux vous croquer mes enfants.
Je n’ai pas de montre. Je n’ai pas à m’inquiéter d’être à l’heure ou pas à mes rendez-vous. Je peux chercher midi à quatorze heures. N’est-ce pas ce qu’il y a de plus intéressant à faire , quand on a le temps devant, tout le temps devant ? Et qu’on peut se promener comme on veut dans un temps figé de toute éternité ?
Tiens, je vais vous emmener faire un tour dans ce petit square, histoire de me délier les jambes , et de chasser quelque émotion parasite (genre tout ça pourquoi et autres pensées volatiles). Quand même, mon enveloppe charnelle me joue des tours…Je me fatigue vite, vous vous en rendrez compte. Je vais m’asseoir encore un peu. La femme du bus pousse encore son soupir dans ma tête, la tristesse insonorisée de l’ado et le stress que Lola tentait de se cacher concernant son rendez-vous me gagnent. L’inconvénient du métier.
Oh non ne cherchez aucune compassion dans mon regard. Juste la fatigue peut-être parfois. L’implacable fatigue d’être vous et moi à la fois. Mais un miroir se fatigue-t-il de réfléchir ? Non il réfléchit, implacable. Sans se dérober.
Je vous vois . Vous êtes là, réfléchissant la lumière de ce matin de novembre, immobile, inerte , une masse compacte, presque minérale. En apparence. Posée sur le banc de l’autre côté du bac à sable. Une montagne de chair. Liliane. Vous vous appelez Liliane Dupont.
.
« Ouf , j’ai réussi à l’attraper ! Putain, quelle galère si je l’avais raté. J’espère qu’il n’y aura pas trop d’embouteillages . Fait chier ce rendez-vous !
Eh oh elle est pas gênée cette vieille conne, elle me fout son sac dans la tronche pour s’asseoir en face, eh connasse ça te ferait mal de t’excuser ! C’est sympa ce soleil ! Il me réchauffe, c’est pas du luxe, je suis glacée. J’ai envie d’un café…Quelle foule dans ce bus…Ah ça me rappelle ce jour où j’avais raté mon train de banlieue pour aller au Lycée. J’en rigole rien que d’y penser.
Eh toi, tu veux ma photo ? Pfff, il a pas l’air con celui-là , le bras en l’air, accroché à sa poignée et faisant mine de tomber sur nous à chaque virage. Il n’arrête pas de me mater…On dirait un chimpanzé accroché à sa liane et revisité par Tex Avery, avec ses yeux qui lui sortent de la tête. »
Je vous regarde, vous, que Lola invective en silence, qu’elle tue d’un regard. Meurtrier et innocent.
Votre solitude, celle de l’homme suspendu à sa liane misérable et attendant en vain de pouvoir dire: « Moi Tarzan! » et de s’entendre répondre « Moi Jane ! » m’envahit. L’inconvénient du métier.
Puis je retourne chez vous, Lola.
« C’était trop cool, j’étais revenue devant chez moi, Boulevard du Général de Gaulle, et prise d’une inspiration subite j’avais levé le pouce. Faire du stop et arriver à l’heure au bahut, je n’y croyais pas trop, mais oucccchhhh ! Un autocar vide s’était arrêté le long du trottoir et à ma grande surprise ses portes s’étaient ouvertes devant moi…Trop inattendu. Génial ! Je n’avais pas vu si c’était un bus de ligne régulière ou quoi, j’étais montée et avait précisé au chauffeur que je n’avais pas de quoi payer mon voyage. Il m’avait répondu que si je faisais du stop, c’était clair que ce n’était pas pour m’acquitter d’un ticket et que de toute façon il n’était pas vraiment en service encore, allant chercher un groupe à Paris…Que sur, son patron ferait la gueule s’il apprenait qu’il prenait des lycéennes en stop mais bon comment le saurait-il ? Cool ...
Putain il le fait exprès ou quoi ? Il freine et il accélère comme un taré ce chauffeur, y s’croit sur un circuit de formule 1 ?
C’était super ! Un car pour moi toute seule et un chauffeur souriant et sympathique. Il m’avait déposée juste devant le Lycée de Saint Cloud! J’sais même pas si c’était son chemin ou s’il avait fait un détour ! Je m’étais sentie la reine de Saba pendant ce trajet. J’ai peur de pas l’avoir suffisamment remercié. Eh bel inconnu, j’t’envoie sur le champ ma reconnaissance éternelle. La vache, il est interminable ce feu rouge ! »
Dommage Lola, c’était un rendez -vous manqué. Si vous aviez eu trois ou quatre ans de plus, ce chauffeur là vous aurait emmené faire le tour du monde et vous l’auriez aimé. A la folie. Et il vous l’aurait bien rendu. Parfois, on passe à côté de son idéal et on ne le sait pas.
« L’avait même pas essayé de me draguer. J’aime bien mes souvenirs d’auto-stop même les moches …Oh lala cette femme en face de moi qui n’arrête pas de soupirer ! Place Clichy. Je déteste cette place, je sais pas pourquoi. C’est fou ce que le soleil donne à travers cette vitre ! J’aime bien voir Paris à travers des lunettes noires. J’aime pas avoir les cuisses qui collent au skaï.
En tout cas j’ai de la chance d’être assise entourée de deux femmes inoffensives et d’un ado boutonneux. Quand je n’ai pas de place, et que je suis obligée de subir des mains balladeuses et anonymes, pressée dans la foule, j’ai des envies de meurtre, ça me fait peur tellement c’est violent.
Là je suis zen, tant mieux j’sais pas dans quel état je serai après mon rendez-vous Je suis zen…c’est vrai que ça marche la méthode Coué. J’me sens quand même un peu angoissée. J’sais pas pourquoi.
Quand j’y pense, j’avais peur de rien quand même à seize ans. Y’a eu cette fois où il pleuvait, oui parce qu’après j’étais devenue une pro du stop, et où toute dégoulinante, j’avais du ramasser les revues porno tombées du siège avant dans le caniveau, après que j’aie ouvert la portière. Même ça ne m’avait pas fait peur. J’étais sincèrement désolée pour le gars.
Oh ben dis donc elle a pas de complexes celle là boudinée dans sa mini- jupe…
Toutes ces belles nanas à gros seins, toutes détrempées et couvertes de boue ! Gentiment, avec mon cartable dans le dos, je les lui avais rangées sur la banquette arrière, puis était montée devant ! Lola, la reine de Saba peut-être mais surtout la reine des pommes, non ? J’me rappelle qu’on n’avait plus échangé un mot après que je lui ai indiqué ma direction. Mais durant tout le trajet, j’étais comme ses revues. Lol . Gondolée. De rire. A l’intérieur. Folle quand j’y pense. C’était peut-être un sadique, un obsédé. »
Heureusement Lola que vous êtes descendue à temps. Cinq minutes après, ce type s’est encastré sous un camion. S’il avait réussi à vous convaincre d’aller faire un tour avec lui , puisque vous étiez en avance ce matin là, vous ne seriez plus là à vous remémorer vos souvenirs.
P’tite Lola oui vous êtes folle. Gentille et un peu folle. Vous avez trop confiance dans la vie. Et dans les hommes. Et dans votre bonne étoile.
Je vous vois dans quelques années. Vous vous appellerez Madame Lola Dupont, mariée à un con. Une brute qui plus est. Vous feriez mieux de louper ce rendez -vous. Vous ne le savez pas, comment le sauriez-vous ? Vous êtes à la croisée des chemins. A droite vous gardez votre liberté, à gauche vous allez rencontrer Monsieur Dupont. Avec lui vous aurez trois petits Dupont, qui vous enchanteront et vous enchaineront à votre destin. Tragique. A partir de maintenant, tout va se jouer pour vous dans l’heure qui suit.
Lola vous devriez descendre et aller le boire ce café. Il vous suffit de quelques minutes, de trois pas de côté pour sortir du chemin tout tracé , de l’histoire déjà écrite ( ?), pour reprendre votre vie en main. Savez-vous Lola qu’on n’a qu’une seule vie ? Non, à votre âge, une vie c’est l’éternité. Ce qui va vous arriver vous n’en croirez pas vos yeux, Lola, vous n’aurez pas le temps de vous retourner et trente années vont s’écouler et ensevelir votre fantaisie. Votre jeunesse. Votre insouciance.
Un jour, vous prendrez l’autobus, ce sera une autre ligne mais qu’importe, je toquerai chez vous, vous n’aurez plus aucun souvenir marrant à vous remémorer pour passer le temps et me changer les idées. Vous serez celle qui soupire, en face de vous.
« Putain, il va pas tarder à être sourd l’ado à côté de celle qui soupire ! Parce que branler du chef comme il le fait, les écouteurs à plein tubes, on sait où ça mène. Morte de rire ! L’autre vieille à côté de moi bat la cadence sans s’en rendre compte ! J’vois ses petits doigts qui dépassent des mitaines et tapotent en rythme son sac. Une fan de heavy-métal ? Bof pourquoi pas ? J’me demande comment je serai quand je serai vieille. Si je vis assez pour le savoir…il me fout les chocottes ce rendez-vous…allez cocotte pense plutôt à des trucs qui te font rigoler…Tiens le chimpanzé est parti, waouhh, drôlement mignon celui qui l’a remplacé ! Je lui donnerai bien mon zéro-six.»
Je me lève et vous salue Lola après un clin d’œil mental, (non, le heavy metal c’est pas mon truc, je préfère le blues) , j’envoie un sourire à la compagnie,( ça ne coûte rien, croyez vous ? Détrompez-vous) vous, l’ado ne me voyez pas, les yeux fermés, pris dans votre transe frénétique, et vous qui êtes assise à côté de lui m’adressez un ultime soupir. Adieu, Lola, sauvez-vous, vous avez encore quelques minutes de marge de manœuvre, moi je vous laisse à votre destin ; derrière moi, vous, le « mignon » vous ruez sur mon siège ...
Je sème à tout hasard quelques points de suspension puis je descends de l’autobus, l’air frais me cingle le visage.
Qui sait après tout, peut être vous reverrai- je, Lola, tout à l’heure dans trente ans. Si j’ai envie d’avoir de vos nouvelles.
Je souris en me demandant comment je serai quand je serai jeune. Je n’ai que l’embarras du choix. Les personnages se bousculent au portillon. N’être que moi m’ennuie. Me ramène au néant. J’ai l’habitude et je sais quoi faire quand ça me prend. Je fais taire mes pensées mélancoliques et neurasthéniques. Je vais dans la ville, déguisée en vieille à mitaines, pour mieux vous croquer mes enfants.
Je n’ai pas de montre. Je n’ai pas à m’inquiéter d’être à l’heure ou pas à mes rendez-vous. Je peux chercher midi à quatorze heures. N’est-ce pas ce qu’il y a de plus intéressant à faire , quand on a le temps devant, tout le temps devant ? Et qu’on peut se promener comme on veut dans un temps figé de toute éternité ?
Tiens, je vais vous emmener faire un tour dans ce petit square, histoire de me délier les jambes , et de chasser quelque émotion parasite (genre tout ça pourquoi et autres pensées volatiles). Quand même, mon enveloppe charnelle me joue des tours…Je me fatigue vite, vous vous en rendrez compte. Je vais m’asseoir encore un peu. La femme du bus pousse encore son soupir dans ma tête, la tristesse insonorisée de l’ado et le stress que Lola tentait de se cacher concernant son rendez-vous me gagnent. L’inconvénient du métier.
Oh non ne cherchez aucune compassion dans mon regard. Juste la fatigue peut-être parfois. L’implacable fatigue d’être vous et moi à la fois. Mais un miroir se fatigue-t-il de réfléchir ? Non il réfléchit, implacable. Sans se dérober.
Je vous vois . Vous êtes là, réfléchissant la lumière de ce matin de novembre, immobile, inerte , une masse compacte, presque minérale. En apparence. Posée sur le banc de l’autre côté du bac à sable. Une montagne de chair. Liliane. Vous vous appelez Liliane Dupont.
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Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
J’aime beaucoup ce portrait et cette alternance des pensées de Lola et des interventions de la narratrice sur son avenir.
J’aime aussi avoir leurs deux regards sur une même scène et les mêmes personnes croisées, comme deux angles de vue différents, une mise en perspective intéressante.
Bien écrit en plus, vivant, rythmé et très agréable à lire.
Il me tarde de faire connaissance avec Liliane.
J’aime aussi avoir leurs deux regards sur une même scène et les mêmes personnes croisées, comme deux angles de vue différents, une mise en perspective intéressante.
Bien écrit en plus, vivant, rythmé et très agréable à lire.
Il me tarde de faire connaissance avec Liliane.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
je suis et j'accroche bien. Toujours ce trouble. Et ça me plait !
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Très enthousiasmée par ce texte profond et original à l'écriture fluide. A mon avis, réside un grand potentiel dans cette idée et cette narration. A très vite la suite !
eva1609- Nombre de messages : 89
Age : 54
Date d'inscription : 23/10/2010
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
J'avoue que j'ai un problème avec cette lecture.
Je vais tacher d'expliquer ça simplement : au début (cf ma première intervention) j'avais cru qu'il s'agissait de la mort qui connaissait chaque être croisé dans la rue. Et vous nous avez expliqué, en commentaire qu'il s'agissait en réalité d'une écrivain. Du coup, évidemment, mon optique a changé en lisant le deuxième envoi, alors que si je na'vais pas eu ton commentaire, j'aurais eu une vision totalement différente. En sachant qui est la narratrice, je suis entré très facilement dans ce deuxième texte, et j'ai apprécié ce jeu de va et vient entre personnage et narratrice. Je ne sais pas du tout si, ignorant ton commentaire, j'aurais accroché de la même manière, j'aurais peut-être été perdu par tant de flou. Je n'en sais rien, honnêtement.
A part ça, je trouve l'idée très bonne, et j'attends la suite avec impatience.
Je vais tacher d'expliquer ça simplement : au début (cf ma première intervention) j'avais cru qu'il s'agissait de la mort qui connaissait chaque être croisé dans la rue. Et vous nous avez expliqué, en commentaire qu'il s'agissait en réalité d'une écrivain. Du coup, évidemment, mon optique a changé en lisant le deuxième envoi, alors que si je na'vais pas eu ton commentaire, j'aurais eu une vision totalement différente. En sachant qui est la narratrice, je suis entré très facilement dans ce deuxième texte, et j'ai apprécié ce jeu de va et vient entre personnage et narratrice. Je ne sais pas du tout si, ignorant ton commentaire, j'aurais accroché de la même manière, j'aurais peut-être été perdu par tant de flou. Je n'en sais rien, honnêtement.
A part ça, je trouve l'idée très bonne, et j'attends la suite avec impatience.
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Je comprends vincent M tes interrogations...j'ai fait retirer ma réponse à Louis (que je voulais remercier de sa brillante analyse) parce que j'ai réalisé qu'on n'a pas à s'expliquer sur un texte et que si les lecteurs interprètent differemment de ce qu'avait pensé l'auteur eh bien c'est leur droit le plus absolu ...c'était rigolo cette ambiguité...et j'ai voulu maintenir au cas où de nouveaux lecteurs arrivaient (raté merci vincent M ! non t'inquiète ça n'a pas d'importance)
maintenant évidemment tu me fais quand même me demander si je n'aurais pas du être moins nébuleuse dés le début afin d'orienter précisément le lecteur...je n'en sais rien....je n'ai pas de réponse à cette question...laisser le mystère planer le plus possible ou le réduire à néant de suite ? je ne sais dans quel cas la lecture serait la moins ennuyeuse...je ne sais ...
Bon merci de vos retours ( moi qui voulait pas commenter mes comm ! je m'enferre) ça me fait cogiter et c'est pas mal ...mais je sais que si je cogite trop je n'écris plus rien :-)))
maintenant évidemment tu me fais quand même me demander si je n'aurais pas du être moins nébuleuse dés le début afin d'orienter précisément le lecteur...je n'en sais rien....je n'ai pas de réponse à cette question...laisser le mystère planer le plus possible ou le réduire à néant de suite ? je ne sais dans quel cas la lecture serait la moins ennuyeuse...je ne sais ...
Bon merci de vos retours ( moi qui voulait pas commenter mes comm ! je m'enferre) ça me fait cogiter et c'est pas mal ...mais je sais que si je cogite trop je n'écris plus rien :-)))
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
J'ai adoré cette promenade à travers des êtres ( fictifs, alors ?)
Je crois que je préfèrerais la version mort plutôt qu'écrivain, parce que l'écrivain a toute possibilité d'infléchir le sort des personnages alors que la mort se l'interdit ( ça c'est ma vision de l'éthique de la mort !). Mais je préfèrerais encore une sorte d'ange à la Wim Wenders...
J'apprécie que tu ne truffes pas cette histoire de jeux de mots, elle a une sorte de cours naturel très agréable. La suite est attendue avec impatience...
Je crois que je préfèrerais la version mort plutôt qu'écrivain, parce que l'écrivain a toute possibilité d'infléchir le sort des personnages alors que la mort se l'interdit ( ça c'est ma vision de l'éthique de la mort !). Mais je préfèrerais encore une sorte d'ange à la Wim Wenders...
J'apprécie que tu ne truffes pas cette histoire de jeux de mots, elle a une sorte de cours naturel très agréable. La suite est attendue avec impatience...
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Rebecca a écrit:ça me fait cogiter et c'est pas mal ...mais je sais que si je cogite trop je n'écris plus rien :-)))
Pour info : j'ai lu également ta réponse à Louis, avec les indications etc. etc. etc.
et... et... et... Zou... oubliée ! j'ai pris la suite sans même y penser, en me laissant simplement porter par le trouble que dégage ce texte.
De plus, et je trouve ça intéressant, ce... mystère ? qui entoure ce personnage te laisse aussi pas mal de liberté, du moins pour l'instant. Quant à qui est exactement ce personnage.
DONC :
Ne cogite plus, STP => ECRIS !
(sourire)
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Je préférais aussi la version Mort que écrivain. Je serais en tous cas pour le fait d'entretenir ce doute ou ce mystère le plus longtemps possible, car c'est assez fascinant et entretient l'envie d'aller plus loin.
En tous les cas, un texte envoûtant, à mon avis.
En tous les cas, un texte envoûtant, à mon avis.
eva1609- Nombre de messages : 89
Age : 54
Date d'inscription : 23/10/2010
Liliane
Pérégrinations 3 : Liliane
Je vous vois. Vous êtes là, réfléchissant la lumière de ce matin de novembre, immobile, inerte, une masse compacte, presque minérale. En apparence. Posée sur le banc de l’autre côté du bac à sable. Une montagne de chair. Liliane. Vous vous appelez Liliane Dupont.
« Pffffff, c’est pas du jeu ce temps de printemps en novembre ! Le soleil me réveille, me retourne dans ma tombe, me caresse, depuis combien de temps un homme ne m’a-t-il caressée ainsi, mon vieux squelette en tremble. Noyé au fond de sables mouvants, affleurant une peau douce encore jeune, mon vieux squelette se souvient et s’émeut. Il se souvient d’avant. Avant l’envahissement, avant la bastonnade, l’écrasement, l’asphyxie. Il se souvient avoir été facile et gracile, il se souvient m’avoir portée, emportée. »
Si je voulais Liliane, le soleil découperait comme au laser de larges pans dans votre chair, il modèlerait, sculpterait, creuserait ça et là , et vous pourriez laisser tomber votre triste corps comme on laisse glisser au sol une vieille couverture , un pauvre refuge, vous pourriez vous montrer telle que vous étiez encore ce jour quand vous vous êtes enfuie et êtes venue vous réconforter ici.
« J’avais quinze ans , j’étais fine et jolie, je venais ici retrouver mon amoureux en secret. C’était un secret doux et léger.»
Allons, Liliane, je les connais vos quinze ans. La main du père qui s’égare. Le poids du silence, Liliane.
« Je ne savais pas combien certains secrets peuvent peser lourds. »
Et le dégoût Liliane, le dégoût. Le poids du dégoût.
Et voilà un ciel bleu en automne, Liliane, le dégoût vous prend bien sur mais l’espoir aussi. Un sale espoir, écœurant d’insistance n’est-ce pas, qui vous lèche les bottes jusque sous le fouet, qui n’a aucun amour-propre, répugnant de bonne volonté, dégoulinant de conformité, révoltant d’inefficacité ?
« Oui j’ai beau lui cracher à la gueule, l’espoir revient toujours, le regard torve et sirupeux, faire miroiter d’insensées illusions, d’inespérés avenirs. J’ai beau lui briser les reins à coups de chaine, il se cabre et frétille dés qu’un ciel bleu en hiver apparait, défiant toute prévision, entre jours gris et pluies tristes, entre nausée et ennui. »
Un peu de lumière vous traverse sans sommations, Liliane, et vous vous retrouvez cernée par la vie , votre vie, vous ne voulez pas crever, malgré les apparences.
« J’ai les yeux qui cillent, ma peau frémit, la chose tressaille dans ma poitrine »
Vous ne voulez pas dire « mon cœur » Liliane.
« Je ressens les minuscules révolutions du soleil dans mes cellules, j’entends la chose qui bat, mes lèvres se tendent »
Vos seins fleurissent vos reins se cabrent.
« Ce mic- mac soudain, cette ébullition cette irruption de lave au cœur de glaciers millénaires , ce chavirement des sens , ces sensations s’entrechoquant affolées, non, non, ça devient presque douloureux »
Votre graisse Liliane est l’arme d’un crime largement prémédité. Vous avez été blessée, Liliane, vous n’êtes pas obligée de vous achever. Je ne suis pas obligée de vous assassiner. Même sous anesthésie, étouffer un cri est un crime, savez-vous? Allez-vous fermer les paupières, vite, annihiler l’odeur de la peau, l’odeur de la peau qui jouit au soleil ?
« Je pense au printemps, je pense à une rencontre, puis je pense à moi, engluée, marmelade, posée comme un gros œuf en gelée sur le banc du square, condamnée à l’immobilité , à l’impassibilité, à regarder les autres corps animés se déployer et vibrer tandis que moi, emmurée, suffoquer, pleurer, grotesque, rédhibitoire, éprouvée, éprouvante, dégoûtante, une insulte même pas vivante. Je pense à moi gros tas extravagant. Je panse mes plaies. »
Toute une vie mal vécue, mal digérée, malmenée, Liliane. Mais vous êtes jeune. Et si vous le vouliez un tout petit peu, vous pourriez vous donner le droit d’exister. Je pourrais vous donner le droit d’exister.
« Les larmes fluent et refluent, me cisaillent, me brûlent, me consument, me tordent, m’essorent. »
Oui on dit ça , c’est un cliché, Liliane, on dit « ma vie, une vallée de larmes »
« Oh mais un nuage passe. Le calme revient. Le calme revient toujours. Avec les nuages. Avec l’hiver qui approche. »
Pourquoi je ne lui donne pas la moindre chance ? Ne puis-je pas être plus qu’un miroir ? Et si c’était elle mon miroir ? Elle ? Lola ? Les autres ?
J’emporte cette vision d’une statue de chair figée pour l’éternité sur un banc ancestral. A l’intérieur, un corps se cabre rue et vomit se vomit se répand…Une larme de pluie dans un océan de souffrance. Quelle importance ?
Il se met à pluvioter.
Je quitte le petit square, la foule des grands boulevards, et passant devant une laverie, sous mon parapluie couleur crachin, je médite quelques minutes, fascinée par la vitrine d’où je vois tourner les machines, fascinée comme un gosse devant un magasin de jouets. …
Nettoyer, nettoyer la salissure du temps , détacher les traces de sang, amidonner vos révoltes ? Je me demande si les mots sont mes amis ou vos ennemis, quand ils se contentent de pavaner, propres sur eux , rasés de près et fleurant bon, se contentant de vous tailler un costard sur mesure, à la mesure de vos apparences. Mais à quoi bon dégorger le jus sale des mots qui transpire de vos vies ! Lola, Liliane et les autres, seriez-vous la famille dont je dois laver le linge sale?
Quel est le cycle des machines à essorer le temps ? Prégavage, rage, décervelage, recyclage ?
Dois- je tenir compte de l’état des tissus à traiter, de leur état de décomposition plus ou moins avancée avant d’opérer le lessivage ?
Déchirage, filochage, boulochage…
Dépucelage, mariage, grand âge...
Maman! Amant! Accouchement! Emmerdement! Testament!
Les mots tournent dans ma tête, s’amplifiant, s’entrechoquant, j’ai l’habitude, c’est le début de ma dépression du soir. Quand je n’arrive plus à tricoter la moindre phrase. Quand tout s’emberlificote, quand le sens s’échappe, que mes personnages s’enfuient et que la réalité surgit.
Quand je ne sais plus si c’est la réalité qui dépasse la fiction ou le contraire. Quand le désespoir l’emporte sur vous ou le contraire et que je ne sais si c’est un bien ou un mal… Quand j’ai l’impression moi-même de n’être qu’un jouet entre les mains d’une volonté qui me dépasse.
Quand je me perds dans les dédales de son labyrinthe et de vos existences, effarée d’y côtoyer tant de noirceur et de tristesse, alors même que le destin prétend se rire de vous, et que vous-mêmes riez. Parfois.
Il pleut vraiment maintenant, le soir tombe, j’ai envie d’oublier jusqu’à mon nom, Léah Trautmann. C’est l’heure où j’ai besoin de mon premier whisky et de mon deuxième paquet de cigarettes…Je sais ça aurait été moins risqué pour ma santé de m’imaginer en écrivain buvant de la tisane et suçotant des pastilles mentholées. Mais je n’ai aucune imagination en dehors de ma vie professionnelle. Sinon, je me serais imaginée un autre destin. Ecrivain raté, j’aurai pu rêver mieux.
Je vais au café. Je m’installe en face de vous, vous riez Lise. J’ai envie de rire avec vous. Vous êtes au milieu de vos trois amies et vous vous racontez vos dernières aventures amoureuses. Vous riez à gorge déployée, vous racontez votre rencontre, le premier regard, les mains qui se rejoignent, les nuits voluptueuses et puis les premières scènes, les premiers malentendus et vos amies s’esclaffent.
Non Lise, je recommence. On rira une autre fois.
Vous êtes seule, vous venez d’entrer, il pleut toujours et vous êtes venue vous réfugier ici. La pluie finit de s’égoutter sur vos cils et vous commandez un café. L’homme assis à la table à côté vous regarde fixement, et son regard vous cloue sur votre chaise et vous délivre. Et vos pensées noyées de mascara s’envolent vers lui, je les regarde passer, et puis j’écris dans mon carnet.
« J’ai la souffrance facile. Ce n’est pas compliqué de me faire mal. Si tu veux voir… »
Je vous vois. Vous êtes là, réfléchissant la lumière de ce matin de novembre, immobile, inerte, une masse compacte, presque minérale. En apparence. Posée sur le banc de l’autre côté du bac à sable. Une montagne de chair. Liliane. Vous vous appelez Liliane Dupont.
« Pffffff, c’est pas du jeu ce temps de printemps en novembre ! Le soleil me réveille, me retourne dans ma tombe, me caresse, depuis combien de temps un homme ne m’a-t-il caressée ainsi, mon vieux squelette en tremble. Noyé au fond de sables mouvants, affleurant une peau douce encore jeune, mon vieux squelette se souvient et s’émeut. Il se souvient d’avant. Avant l’envahissement, avant la bastonnade, l’écrasement, l’asphyxie. Il se souvient avoir été facile et gracile, il se souvient m’avoir portée, emportée. »
Si je voulais Liliane, le soleil découperait comme au laser de larges pans dans votre chair, il modèlerait, sculpterait, creuserait ça et là , et vous pourriez laisser tomber votre triste corps comme on laisse glisser au sol une vieille couverture , un pauvre refuge, vous pourriez vous montrer telle que vous étiez encore ce jour quand vous vous êtes enfuie et êtes venue vous réconforter ici.
« J’avais quinze ans , j’étais fine et jolie, je venais ici retrouver mon amoureux en secret. C’était un secret doux et léger.»
Allons, Liliane, je les connais vos quinze ans. La main du père qui s’égare. Le poids du silence, Liliane.
« Je ne savais pas combien certains secrets peuvent peser lourds. »
Et le dégoût Liliane, le dégoût. Le poids du dégoût.
Et voilà un ciel bleu en automne, Liliane, le dégoût vous prend bien sur mais l’espoir aussi. Un sale espoir, écœurant d’insistance n’est-ce pas, qui vous lèche les bottes jusque sous le fouet, qui n’a aucun amour-propre, répugnant de bonne volonté, dégoulinant de conformité, révoltant d’inefficacité ?
« Oui j’ai beau lui cracher à la gueule, l’espoir revient toujours, le regard torve et sirupeux, faire miroiter d’insensées illusions, d’inespérés avenirs. J’ai beau lui briser les reins à coups de chaine, il se cabre et frétille dés qu’un ciel bleu en hiver apparait, défiant toute prévision, entre jours gris et pluies tristes, entre nausée et ennui. »
Un peu de lumière vous traverse sans sommations, Liliane, et vous vous retrouvez cernée par la vie , votre vie, vous ne voulez pas crever, malgré les apparences.
« J’ai les yeux qui cillent, ma peau frémit, la chose tressaille dans ma poitrine »
Vous ne voulez pas dire « mon cœur » Liliane.
« Je ressens les minuscules révolutions du soleil dans mes cellules, j’entends la chose qui bat, mes lèvres se tendent »
Vos seins fleurissent vos reins se cabrent.
« Ce mic- mac soudain, cette ébullition cette irruption de lave au cœur de glaciers millénaires , ce chavirement des sens , ces sensations s’entrechoquant affolées, non, non, ça devient presque douloureux »
Votre graisse Liliane est l’arme d’un crime largement prémédité. Vous avez été blessée, Liliane, vous n’êtes pas obligée de vous achever. Je ne suis pas obligée de vous assassiner. Même sous anesthésie, étouffer un cri est un crime, savez-vous? Allez-vous fermer les paupières, vite, annihiler l’odeur de la peau, l’odeur de la peau qui jouit au soleil ?
« Je pense au printemps, je pense à une rencontre, puis je pense à moi, engluée, marmelade, posée comme un gros œuf en gelée sur le banc du square, condamnée à l’immobilité , à l’impassibilité, à regarder les autres corps animés se déployer et vibrer tandis que moi, emmurée, suffoquer, pleurer, grotesque, rédhibitoire, éprouvée, éprouvante, dégoûtante, une insulte même pas vivante. Je pense à moi gros tas extravagant. Je panse mes plaies. »
Toute une vie mal vécue, mal digérée, malmenée, Liliane. Mais vous êtes jeune. Et si vous le vouliez un tout petit peu, vous pourriez vous donner le droit d’exister. Je pourrais vous donner le droit d’exister.
« Les larmes fluent et refluent, me cisaillent, me brûlent, me consument, me tordent, m’essorent. »
Oui on dit ça , c’est un cliché, Liliane, on dit « ma vie, une vallée de larmes »
« Oh mais un nuage passe. Le calme revient. Le calme revient toujours. Avec les nuages. Avec l’hiver qui approche. »
Pourquoi je ne lui donne pas la moindre chance ? Ne puis-je pas être plus qu’un miroir ? Et si c’était elle mon miroir ? Elle ? Lola ? Les autres ?
J’emporte cette vision d’une statue de chair figée pour l’éternité sur un banc ancestral. A l’intérieur, un corps se cabre rue et vomit se vomit se répand…Une larme de pluie dans un océan de souffrance. Quelle importance ?
Il se met à pluvioter.
Je quitte le petit square, la foule des grands boulevards, et passant devant une laverie, sous mon parapluie couleur crachin, je médite quelques minutes, fascinée par la vitrine d’où je vois tourner les machines, fascinée comme un gosse devant un magasin de jouets. …
Nettoyer, nettoyer la salissure du temps , détacher les traces de sang, amidonner vos révoltes ? Je me demande si les mots sont mes amis ou vos ennemis, quand ils se contentent de pavaner, propres sur eux , rasés de près et fleurant bon, se contentant de vous tailler un costard sur mesure, à la mesure de vos apparences. Mais à quoi bon dégorger le jus sale des mots qui transpire de vos vies ! Lola, Liliane et les autres, seriez-vous la famille dont je dois laver le linge sale?
Quel est le cycle des machines à essorer le temps ? Prégavage, rage, décervelage, recyclage ?
Dois- je tenir compte de l’état des tissus à traiter, de leur état de décomposition plus ou moins avancée avant d’opérer le lessivage ?
Déchirage, filochage, boulochage…
Dépucelage, mariage, grand âge...
Maman! Amant! Accouchement! Emmerdement! Testament!
Les mots tournent dans ma tête, s’amplifiant, s’entrechoquant, j’ai l’habitude, c’est le début de ma dépression du soir. Quand je n’arrive plus à tricoter la moindre phrase. Quand tout s’emberlificote, quand le sens s’échappe, que mes personnages s’enfuient et que la réalité surgit.
Quand je ne sais plus si c’est la réalité qui dépasse la fiction ou le contraire. Quand le désespoir l’emporte sur vous ou le contraire et que je ne sais si c’est un bien ou un mal… Quand j’ai l’impression moi-même de n’être qu’un jouet entre les mains d’une volonté qui me dépasse.
Quand je me perds dans les dédales de son labyrinthe et de vos existences, effarée d’y côtoyer tant de noirceur et de tristesse, alors même que le destin prétend se rire de vous, et que vous-mêmes riez. Parfois.
Il pleut vraiment maintenant, le soir tombe, j’ai envie d’oublier jusqu’à mon nom, Léah Trautmann. C’est l’heure où j’ai besoin de mon premier whisky et de mon deuxième paquet de cigarettes…Je sais ça aurait été moins risqué pour ma santé de m’imaginer en écrivain buvant de la tisane et suçotant des pastilles mentholées. Mais je n’ai aucune imagination en dehors de ma vie professionnelle. Sinon, je me serais imaginée un autre destin. Ecrivain raté, j’aurai pu rêver mieux.
Je vais au café. Je m’installe en face de vous, vous riez Lise. J’ai envie de rire avec vous. Vous êtes au milieu de vos trois amies et vous vous racontez vos dernières aventures amoureuses. Vous riez à gorge déployée, vous racontez votre rencontre, le premier regard, les mains qui se rejoignent, les nuits voluptueuses et puis les premières scènes, les premiers malentendus et vos amies s’esclaffent.
Non Lise, je recommence. On rira une autre fois.
Vous êtes seule, vous venez d’entrer, il pleut toujours et vous êtes venue vous réfugier ici. La pluie finit de s’égoutter sur vos cils et vous commandez un café. L’homme assis à la table à côté vous regarde fixement, et son regard vous cloue sur votre chaise et vous délivre. Et vos pensées noyées de mascara s’envolent vers lui, je les regarde passer, et puis j’écris dans mon carnet.
« J’ai la souffrance facile. Ce n’est pas compliqué de me faire mal. Si tu veux voir… »
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Putain ! Rebecca, il fallait que j'écrive un gros mot. Tu viens de me tordre quelque chose à l'intérieur ; c'est fichtrement violent. Je peux pas t'en dire plus.
je crois qu'on dit : pleuviote... pas sûre.
je crois qu'on dit : pleuviote... pas sûre.
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
ffffffffffff... scotchée
ça va au fond, ça touche aux tréfonds, au plus intime, Rebecca
ça va au fond, ça touche aux tréfonds, au plus intime, Rebecca
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
ce passage est très, mais vraiment très très fort. Décrit avec une telle profondeur et originalité à la fois. On en a la chair de poule. Chapeau bas.
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
J'ai bien ma petite idée, mais après ce texte c'est difficile de revenir aux devinettes .
Quelle intensité !
(si Rebecca est d'accord, je la mets en spoiler)
Quelle intensité !
(si Rebecca est d'accord, je la mets en spoiler)
Polixène- Nombre de messages : 3298
Age : 62
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Il ne faut refuser aucune occasion de s'poiler dans la vie !
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Au poil !
- Spoiler:
- Je pense que la "narratrice" n'est autre que la dépression elle-même .C'est la maladie qui prend la parole .
"Simplement, sachez que je m’accuse aussi de tout ce que je juge en vous. Comme je me loue de tout ce que j’admire en vous. J’exècre et j’aime en moi ce que je vois de vous.
Ce qui me fait vivre, vous.
Je vous vois, je ne vous regarde pas tous, mais si je vous regarde, je vous vois. Je fais pire. Je vous vois de l’intérieur. Je rentre en vous. Je deviens vous. "
Polixène- Nombre de messages : 3298
Age : 62
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Au vu des commentaires qui précèdent, j'ai longtemps hésité mais je me lance finalement.
Tout d'abord, je passe sur le fond de l'histoire non sans émettre cependant une réserve sur ce qui pour le moment m'apparaît surtout comme une galerie de portraits. Toutefois, je ne me prononce pas plus, tellement je suis sûre que tu as une idée bien définie en tête et que tout ceci va se décanter.
Je préfère donc m'attacher à la forme. Pour moi les mots masquent le récit, l'enrobent, l'étouffent. Les idées sont diluées, elles se perdent dans cette pléthore ou du moins perdent de leur impact.
J'en veux pour preuve - subjective, évidemment :-), le passage le plus fort de ce dernier extrait, qui est aussi le plus sobre : « J’avais quinze ans , j’étais fine et jolie, je venais ici retrouver mon amoureux en secret. C’était un secret doux et léger.»
Allons, Liliane, je les connais vos quinze ans. La main du père qui s’égare. Le poids du silence, Liliane.
« Je ne savais pas combien certains secrets peuvent peser lourds. »
Et le dégoût Liliane, le dégoût. Le poids du dégoût.
J'aurais souhaité que le reste soit (fût !) de la même teneur. De mon point de vue, un élagage en règle est souhaitable pour donner plus de force à l'ensemble.
Pour finir, j'ai un gros doute sur les monologues qui ne sonnent pas crédibles à mes oreilles, tant ils sont fluides, construits, élaborés, étoffés. Je ne connais personne qui pense, qui se parle ainsi.
Voilà, ce n'est sûrement qu'une question de goût mais il m'a semblé honnête de te faire part de ces remarques.
Pour la suite, je pense que si je continue à lire ce sera en silence.
Tout d'abord, je passe sur le fond de l'histoire non sans émettre cependant une réserve sur ce qui pour le moment m'apparaît surtout comme une galerie de portraits. Toutefois, je ne me prononce pas plus, tellement je suis sûre que tu as une idée bien définie en tête et que tout ceci va se décanter.
Je préfère donc m'attacher à la forme. Pour moi les mots masquent le récit, l'enrobent, l'étouffent. Les idées sont diluées, elles se perdent dans cette pléthore ou du moins perdent de leur impact.
J'en veux pour preuve - subjective, évidemment :-), le passage le plus fort de ce dernier extrait, qui est aussi le plus sobre : « J’avais quinze ans , j’étais fine et jolie, je venais ici retrouver mon amoureux en secret. C’était un secret doux et léger.»
Allons, Liliane, je les connais vos quinze ans. La main du père qui s’égare. Le poids du silence, Liliane.
« Je ne savais pas combien certains secrets peuvent peser lourds. »
Et le dégoût Liliane, le dégoût. Le poids du dégoût.
J'aurais souhaité que le reste soit (fût !) de la même teneur. De mon point de vue, un élagage en règle est souhaitable pour donner plus de force à l'ensemble.
Pour finir, j'ai un gros doute sur les monologues qui ne sonnent pas crédibles à mes oreilles, tant ils sont fluides, construits, élaborés, étoffés. Je ne connais personne qui pense, qui se parle ainsi.
Voilà, ce n'est sûrement qu'une question de goût mais il m'a semblé honnête de te faire part de ces remarques.
Pour la suite, je pense que si je continue à lire ce sera en silence.
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Une histoire originale servie par un style toujours impeccable. Je crains cependant que l'intérêt ne s'étiole si les personnages s'accumulent. Un évènement, un imprévu relancerait la curiosité du lecteur.
Jano- Nombre de messages : 1000
Age : 55
Date d'inscription : 06/01/2009
Lise
Vous êtes seule, vous venez d’entrer, il pleut toujours et vous êtes venue vous réfugier ici. La pluie finit de s’égoutter sur vos cils et vous commandez un café. L’homme assis à la table à côté vous regarde fixement, et son regard vous cloue sur votre chaise et vous délivre. Et vos pensées noyées de mascara s’envolent vers lui, je les regarde passer, et puis j’écris dans mon carnet.
« J’ai la souffrance facile. Ce n’est pas compliqué de me faire mal. Si tu veux voir, je ne me défendrai pas, ce sera facile, j’aurai mal, je ne crierai pas, je ne dirai rien, c'est-à-dire rien de plus. Oui, je sais souffrir, on ne m’a pas appris, j’ai appris. Et malgré tout, je ne pense qu’à lui. Lui, tu vois je l’ai aimé à en mourir. Mais je ne meurs pas, alors je vis, y compris mes petites morts successives pour lui, y compris mon amour pour lui. Lui ne mourra jamais de chagrin même si moi de mort subite, c’est comme ça, c’est un amour à sens unique, c’est un amour qui ne veut pas mourir , il faut bien le dire, il faut bien souffrir, il faut bien apprendre à vivre enfin, pourvu que ça ne dure pas toute la vie cette leçon de vie, j’aurai bien appris, j’aurai bien pris toute la souffrance qui était à prendre et même si je comprends de moins en moins la leçon, je deviens solide, tu vois, affreusement solide. Alors, comme j’ai le temps devant et derrière du vent, comme j’ai la souffrance facile et la mort lente, je me demande… si tu veux voir, je ne me défendrai pas, pas plus demain qu’hier, ce sera facile, bien sur je m’étonnerai encore quand tu voudras voir, je m’étonnerai encore de ce même, innocent et naïf étonnement, je ne peux pas me refaire, et je ne peux pas m’y faire à ce savoir faire qu’ont certains quand il s’agit de faire mal, je serai encore étonnée, oui, stupéfaite stupéfiée pétrifiée et ce sera encore une nouvelle mort suivie d’une nouvelle vie de statue, cœur brisé menu, poussière devenue et je n’en reviendrai pas de mon obstination à vivre une vie de statue au cœur brisé menu, en fines poussières devenue, et toi , toi que feras-tu ? Seras-tu étonné ? »
John vous sourit, il est intrigué, votre mine de chaton échaudé l’émeut, il ne sait comment vous aborder. Il repasse dans sa tête toutes ses tactiques éprouvées, il ne peut pas venir vous demander du feu, sa cigarette est déjà allumée ! Et puis si, il se lève, et vous demande si vous avez du feu. Vous le regardez perplexe, Lise, et éclatez de rire.
Une secousse sismique dans votre souffrance bien orchestrée. Vous vous ébrouez, vous ressemblez à un jeune chiot maintenant, et toute la douleur du monde finit de s’égoutter à vos pieds.
Pourvu que cette satanée pluie s’arrête ! John en tout cas a un parapluie. Accepterez-vous qu’il vous abrite s’il pleut encore quand vous repartirez d’ici, vers seize heures quarante-trois ?
Je saisis le mien encore détrempé. Je n’ai plus rien à faire ici, je rentre chez moi.
Je vous ai dit que j’habitais quelque part au milieu de nulle part ? La plupart du temps. Accessoirement, je vis près de la place des Abbesses, rue de Trétaigne, une petite chambre sous les toits parisiens.
Je rentre quand je suis fatiguée de vivre chez vous. Et pourtant, tôt ou tard, et sans sortir à nouveau, j’y retournerai. Mon carnet, rangé au fond de mon grand sac, finit toujours par se rappeler à moi. Toutes vos vies y sont jetées pêle-mêle, et ça fait un grand charivari auquel il faut que je mette bon ordre. Car vos désirs sont désordres.
Alors je l’ouvre à nouveau, je vous contemple à loisir, j’empêche vos émotions de m’envahir à nouveau, je les épingle comme de jolis papillons morts, en tachant de ne pas les froisser et je compose mon tableau.
Voilà comment vous vous retrouvez couchés sur papier glacé. Avec la complicité de mon ordinateur archéologique et de mon imprimante dernier cri. Puis je laisse reposer.
Je dors enfin et me réchauffe à mes rêves.
Au matin, ils ont chassé ma dépression du soir. Alors parfois je réécris votre histoire. Parfois, je vous imagine en train de la lire, et de sourire, dans le matin noir.
Voilà ce matin, Léo, dans votre lit d’hôpital, que vous me lisez, tandis que je vous lisse la moustache. Lola entre dans votre chambre.
« J’ai la souffrance facile. Ce n’est pas compliqué de me faire mal. Si tu veux voir, je ne me défendrai pas, ce sera facile, j’aurai mal, je ne crierai pas, je ne dirai rien, c'est-à-dire rien de plus. Oui, je sais souffrir, on ne m’a pas appris, j’ai appris. Et malgré tout, je ne pense qu’à lui. Lui, tu vois je l’ai aimé à en mourir. Mais je ne meurs pas, alors je vis, y compris mes petites morts successives pour lui, y compris mon amour pour lui. Lui ne mourra jamais de chagrin même si moi de mort subite, c’est comme ça, c’est un amour à sens unique, c’est un amour qui ne veut pas mourir , il faut bien le dire, il faut bien souffrir, il faut bien apprendre à vivre enfin, pourvu que ça ne dure pas toute la vie cette leçon de vie, j’aurai bien appris, j’aurai bien pris toute la souffrance qui était à prendre et même si je comprends de moins en moins la leçon, je deviens solide, tu vois, affreusement solide. Alors, comme j’ai le temps devant et derrière du vent, comme j’ai la souffrance facile et la mort lente, je me demande… si tu veux voir, je ne me défendrai pas, pas plus demain qu’hier, ce sera facile, bien sur je m’étonnerai encore quand tu voudras voir, je m’étonnerai encore de ce même, innocent et naïf étonnement, je ne peux pas me refaire, et je ne peux pas m’y faire à ce savoir faire qu’ont certains quand il s’agit de faire mal, je serai encore étonnée, oui, stupéfaite stupéfiée pétrifiée et ce sera encore une nouvelle mort suivie d’une nouvelle vie de statue, cœur brisé menu, poussière devenue et je n’en reviendrai pas de mon obstination à vivre une vie de statue au cœur brisé menu, en fines poussières devenue, et toi , toi que feras-tu ? Seras-tu étonné ? »
John vous sourit, il est intrigué, votre mine de chaton échaudé l’émeut, il ne sait comment vous aborder. Il repasse dans sa tête toutes ses tactiques éprouvées, il ne peut pas venir vous demander du feu, sa cigarette est déjà allumée ! Et puis si, il se lève, et vous demande si vous avez du feu. Vous le regardez perplexe, Lise, et éclatez de rire.
Une secousse sismique dans votre souffrance bien orchestrée. Vous vous ébrouez, vous ressemblez à un jeune chiot maintenant, et toute la douleur du monde finit de s’égoutter à vos pieds.
Pourvu que cette satanée pluie s’arrête ! John en tout cas a un parapluie. Accepterez-vous qu’il vous abrite s’il pleut encore quand vous repartirez d’ici, vers seize heures quarante-trois ?
Je saisis le mien encore détrempé. Je n’ai plus rien à faire ici, je rentre chez moi.
Je vous ai dit que j’habitais quelque part au milieu de nulle part ? La plupart du temps. Accessoirement, je vis près de la place des Abbesses, rue de Trétaigne, une petite chambre sous les toits parisiens.
Je rentre quand je suis fatiguée de vivre chez vous. Et pourtant, tôt ou tard, et sans sortir à nouveau, j’y retournerai. Mon carnet, rangé au fond de mon grand sac, finit toujours par se rappeler à moi. Toutes vos vies y sont jetées pêle-mêle, et ça fait un grand charivari auquel il faut que je mette bon ordre. Car vos désirs sont désordres.
Alors je l’ouvre à nouveau, je vous contemple à loisir, j’empêche vos émotions de m’envahir à nouveau, je les épingle comme de jolis papillons morts, en tachant de ne pas les froisser et je compose mon tableau.
Voilà comment vous vous retrouvez couchés sur papier glacé. Avec la complicité de mon ordinateur archéologique et de mon imprimante dernier cri. Puis je laisse reposer.
Je dors enfin et me réchauffe à mes rêves.
Au matin, ils ont chassé ma dépression du soir. Alors parfois je réécris votre histoire. Parfois, je vous imagine en train de la lire, et de sourire, dans le matin noir.
Voilà ce matin, Léo, dans votre lit d’hôpital, que vous me lisez, tandis que je vous lisse la moustache. Lola entre dans votre chambre.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
J'avais dit que je lirais sans commenter, mais bon, c'est la fin, j'ai un mot à dire, un mot positif, à savoir que cette fin est habilement troussée avec l'entrecroisement des vies de Léah et ses personnages. Elle est émouvante aussi parce qu'elle sonne tellement sincère. Je pense à ce qu'elle note dans son carnet et à ceci : j’empêche vos émotions de m’envahir à nouveau, je les épingle comme de jolis papillons morts, en tachant de ne pas les froisser et je compose mon tableau. et : Je dors enfin et me réchauffe à mes rêves.
Au matin, ils ont chassé ma dépression du soir. Alors parfois je réécris votre histoire. Parfois, je vous imagine en train de la lire, et de sourire, dans le matin noir.
Au matin, ils ont chassé ma dépression du soir. Alors parfois je réécris votre histoire. Parfois, je vous imagine en train de la lire, et de sourire, dans le matin noir.
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
J’aime beaucoup cette empathie avec les personnages, se glisser dans leur peau et se laisser envahir par leurs émotions, à moins que ce ne soit l’inverse : leur insuffler ses propres émotions, s’en libérer en eux. C’est un partage autant qu’une création, parfaitement rendu dans ce passage.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Sans Internet depuis 3 jours... souffrance. (relative !!!) Ceci pour expliquer mon absence de réaction sur la suite et fin ?
de ce texte magnifique Rebecca !
Tu as été très habile depuis le début, tu m'as embarquée dans ton histoire avec tes personnages et je ne suis pas déçue du tout par la fin... que je trouve même remarquable puisque l'histoire redémarre, si tu veux, si l'on veut...
Merci Rebecca.
de ce texte magnifique Rebecca !
Tu as été très habile depuis le début, tu m'as embarquée dans ton histoire avec tes personnages et je ne suis pas déçue du tout par la fin... que je trouve même remarquable puisque l'histoire redémarre, si tu veux, si l'on veut...
Merci Rebecca.
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Tiens, Rebecca, si tu passes sur le dernier texte que j'ai posté ("le bar du cul-de-sac" -> association tableau + textes) tu y verras deux personnages : une femme au comptoir, triste et seule, et un homme qui fume. Et bien je crois qu'il ne faudrait que très très peu de modifications pour coller tout à fait à cette illustration.
Pour ce qui est de ton texte : c'est le mot fin que tu mets ou il reste encore du texte ? Si c'est la fin, je trouve que ça colle parfaitement. Une galerie de portraits, avec un fil conducteur, c'est du très bon. Je trouve que le moment fort était le second personnage, le troisième, même si la scène est très bien décrite, je pense que tu aurais pu "ouvrir" ton récit, nous préparer un peu plus à la fin de ton histoire. Ici, cela donne juste l'impression d'un troisième personnage, qui aurait parfaitement pu être le premier de la série, ou le second. Je ne sais pas si je me suis bien expliqué, si tu vois ce que je veux dire par là.
Mais malgré cela, ce texte, c'est une réussite, à mon avis.
Pour ce qui est de ton texte : c'est le mot fin que tu mets ou il reste encore du texte ? Si c'est la fin, je trouve que ça colle parfaitement. Une galerie de portraits, avec un fil conducteur, c'est du très bon. Je trouve que le moment fort était le second personnage, le troisième, même si la scène est très bien décrite, je pense que tu aurais pu "ouvrir" ton récit, nous préparer un peu plus à la fin de ton histoire. Ici, cela donne juste l'impression d'un troisième personnage, qui aurait parfaitement pu être le premier de la série, ou le second. Je ne sais pas si je me suis bien expliqué, si tu vois ce que je veux dire par là.
Mais malgré cela, ce texte, c'est une réussite, à mon avis.
Invité- Invité
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Voilà ce matin, Léo, dans votre lit d’hôpital, que vous me lisez, tandis que je vous lisse la moustache. Lola entre dans votre chambre.
Vous lisez dans mes pensées comme je lis dans les vôtres. Drôle d’endroit pour une rencontre. Cet hôpital. Ce livre que j’ai commis, le seul qui a été édité depuis trente ans que j’écris et que vous êtes en train de lire après votre tentative ratée de suicide. Ce livre où je parle déjà de vous bien avant de vous avoir connu, puisque je vous connais de toute éternité, ce livre qui vous permet enfin de me trouver. Savez-vous que j’en écris un nouveau aujourd’hui, dans lequel je reviens prendre de vos nouvelles.
Bonnes les nouvelles, Léo ? Oui ça je sais, j’ai appris, vous avez avez un peu joué avec vos veines, mais vous savez quand on veut en finir sans possibilité de changer son ticket à la dernière minute, on se tire une balle dans la tête. Pas de revolver ? Laissez moi rire, si je voulais faire le grand voyage, je n’aurai pas de peine à en trouver un.
Lola donc rentre dans votre chambre puisque je l’ai décidé. Elle n’est pas allée à son rendez-vous finalement. Elle a changé de destin, ne rencontrera pas Monsieur Dupont, mais restera infirmière.
Vous avez posé votre livre, mon travail repose sur vos draps, je me repose un peu sur votre épaule, puis pénètre votre esprit et accompagne vos pérégrinations mentales.
Vous regardez Lola et vous rêvez.
« Cette fille. L’infirmière. Jolie, efficace, papillonnante, là et ailleurs à la fois. Certainement consciencieuse, certainement amoureuse ».
Non Léo, heureusement qu’elle n’est pas amoureuse.
« Le reflet paradoxal, narquois, souriant, définitivement futile, essentiel de ce que j’aimerai être, un moi idéal qui aimerait et saurait vivre. Elle virevolte, silencieuse, s’immobilise au chevet de ma voisine de lit, bavarde un peu avec elle. Une spécialiste des éclopés de la vie ? Elle arrive à faire rire ma compagne de chambre, une certaine Liliane qui, parait-il, a avalé avant-hier tout ce qu’elle a pu trouver de somnifères et de calmants. Devant cette infirmière, j’me sens comme un enfant devant un magasin de louets . »
Non ça tu ne peux pas penser ça et je ne peux pas l’ écrire .C’était moi devant la vitrine de la laverie l’autre jour, la laverie à recycler le temps. Oui Léo toi je te tutoie en fin de compte. Pourquoi ? Je demanderai à mon psy. Peut-être parce que tu ne me fais plus peur.
« Devant cette fille, j’me sens comme un mioche devant une vitrine de confiseur sauf que la gourmandise m’a quitté. Cette fille qui veut me soigner, comment pourrait-elle imaginer qu’elle est précisément ce qu’il faudrait que je sois pour n’avoir pas besoin d’elle aujourd’hui. Elle est le remède vivant ambulant déambulant. Elle est tout ce que j’aimerai être. Elle est vivante, palpitante, vibrante, émouvante chaude douce attirante souriante. Elle connait les indications, les posologies, les dosages, elle sait où ça fait mal et pourquoi, elle sait comment adoucir la douleur, panser les plaies, stopper l’hémorragie. Elle connait par cœur la géographie du désir, de la peine, de la douleur, elle sait la peau qui frissonne, les pores qui suent, la main qui tremble, le regard qui chavire, la chair qui implore, le muscle qui se crispe, le cœur qui vacille, la plainte de l’âme, elle sait le regard qui rassure, le sourire qui réchauffe, la caresse qui flatte.
Elle a l'air de savoir tant de choses dont on n’a pas idée quand on la voit si jeune si fraiche si innocente et malgré ce fardeau, parce que savoir est un fardeau, elle semble si légère »
Tu sais Léo, Lola est très professionnelle, mais dans la vie c’est une gosse. Ce qu’elle ne sait pas c’ est qu’aujourd’hui elle est légère parce que sans le savoir elle vient de se délivrer d’un poids. Le poids du futur. Qui ne sera jamais pour elle le poids du passé. (D’ailleurs Léo, je trouve qu’elle ne te regarde pas d’un œil uniquement professionnel ! Elle ne rougirait pas comme ça en d’autres circonstances.)
Du reste, toi aussi Léo et vous de même Liliane, d’une certaine façon, vous vous êtes libérés du poids du passé. Si si, croyez-moi. Tu verras Léo, ton talent de peintre finira par être reconnu. Pas la peine de recouvrir tes toiles de ton sang.
Et tiens, moi aussi, en voyant entrer John, le chef du service des éclopés, j’me sens légère. Il a encore dans les yeux le sourire de Lise après qu’il l’ait ramenée chez elle, sous son parapluie. Et qu’il ait passé la nuit dans ses bras. Il est avec nous autant qu’il est avec elle en ce moment.
J’aime l’insoutenable légèreté des êtres quand ils vont au bout de leur fragilité, au bout de leurs forces, au bout de leurs désirs, et qu’ils se rencontrent. Dans la vie, et dans mes livres. Dans cet entre deux, entre vie et mort, espoir et désespoir, solitude et amour, fiction et réalité...
Dis donc, Leah Trautmann, c’est quoi cet happy-end ? Voilà que tu deviens sentimentale ? Pas bon pour toi, ça. C'est pourquoi je me permets d'intervenir. Vite, quitte ces lieux trop hospitaliers . Rentre chez toi, tu n’as plus rien à faire ici, retourne dans l’entre deux, là où est le dérisoire et le tragique de la vie, où tu peux m’écrire, et parler de moi.
Tu t’en doutes, tu n’es toi aussi qu’un de mes personnages, une aimable marionnette. Tu ne vas pas m’échapper toi aussi.
Vous lisez dans mes pensées comme je lis dans les vôtres. Drôle d’endroit pour une rencontre. Cet hôpital. Ce livre que j’ai commis, le seul qui a été édité depuis trente ans que j’écris et que vous êtes en train de lire après votre tentative ratée de suicide. Ce livre où je parle déjà de vous bien avant de vous avoir connu, puisque je vous connais de toute éternité, ce livre qui vous permet enfin de me trouver. Savez-vous que j’en écris un nouveau aujourd’hui, dans lequel je reviens prendre de vos nouvelles.
Bonnes les nouvelles, Léo ? Oui ça je sais, j’ai appris, vous avez avez un peu joué avec vos veines, mais vous savez quand on veut en finir sans possibilité de changer son ticket à la dernière minute, on se tire une balle dans la tête. Pas de revolver ? Laissez moi rire, si je voulais faire le grand voyage, je n’aurai pas de peine à en trouver un.
Lola donc rentre dans votre chambre puisque je l’ai décidé. Elle n’est pas allée à son rendez-vous finalement. Elle a changé de destin, ne rencontrera pas Monsieur Dupont, mais restera infirmière.
Vous avez posé votre livre, mon travail repose sur vos draps, je me repose un peu sur votre épaule, puis pénètre votre esprit et accompagne vos pérégrinations mentales.
Vous regardez Lola et vous rêvez.
« Cette fille. L’infirmière. Jolie, efficace, papillonnante, là et ailleurs à la fois. Certainement consciencieuse, certainement amoureuse ».
Non Léo, heureusement qu’elle n’est pas amoureuse.
« Le reflet paradoxal, narquois, souriant, définitivement futile, essentiel de ce que j’aimerai être, un moi idéal qui aimerait et saurait vivre. Elle virevolte, silencieuse, s’immobilise au chevet de ma voisine de lit, bavarde un peu avec elle. Une spécialiste des éclopés de la vie ? Elle arrive à faire rire ma compagne de chambre, une certaine Liliane qui, parait-il, a avalé avant-hier tout ce qu’elle a pu trouver de somnifères et de calmants. Devant cette infirmière, j’me sens comme un enfant devant un magasin de louets . »
Non ça tu ne peux pas penser ça et je ne peux pas l’ écrire .C’était moi devant la vitrine de la laverie l’autre jour, la laverie à recycler le temps. Oui Léo toi je te tutoie en fin de compte. Pourquoi ? Je demanderai à mon psy. Peut-être parce que tu ne me fais plus peur.
« Devant cette fille, j’me sens comme un mioche devant une vitrine de confiseur sauf que la gourmandise m’a quitté. Cette fille qui veut me soigner, comment pourrait-elle imaginer qu’elle est précisément ce qu’il faudrait que je sois pour n’avoir pas besoin d’elle aujourd’hui. Elle est le remède vivant ambulant déambulant. Elle est tout ce que j’aimerai être. Elle est vivante, palpitante, vibrante, émouvante chaude douce attirante souriante. Elle connait les indications, les posologies, les dosages, elle sait où ça fait mal et pourquoi, elle sait comment adoucir la douleur, panser les plaies, stopper l’hémorragie. Elle connait par cœur la géographie du désir, de la peine, de la douleur, elle sait la peau qui frissonne, les pores qui suent, la main qui tremble, le regard qui chavire, la chair qui implore, le muscle qui se crispe, le cœur qui vacille, la plainte de l’âme, elle sait le regard qui rassure, le sourire qui réchauffe, la caresse qui flatte.
Elle a l'air de savoir tant de choses dont on n’a pas idée quand on la voit si jeune si fraiche si innocente et malgré ce fardeau, parce que savoir est un fardeau, elle semble si légère »
Tu sais Léo, Lola est très professionnelle, mais dans la vie c’est une gosse. Ce qu’elle ne sait pas c’ est qu’aujourd’hui elle est légère parce que sans le savoir elle vient de se délivrer d’un poids. Le poids du futur. Qui ne sera jamais pour elle le poids du passé. (D’ailleurs Léo, je trouve qu’elle ne te regarde pas d’un œil uniquement professionnel ! Elle ne rougirait pas comme ça en d’autres circonstances.)
Du reste, toi aussi Léo et vous de même Liliane, d’une certaine façon, vous vous êtes libérés du poids du passé. Si si, croyez-moi. Tu verras Léo, ton talent de peintre finira par être reconnu. Pas la peine de recouvrir tes toiles de ton sang.
Et tiens, moi aussi, en voyant entrer John, le chef du service des éclopés, j’me sens légère. Il a encore dans les yeux le sourire de Lise après qu’il l’ait ramenée chez elle, sous son parapluie. Et qu’il ait passé la nuit dans ses bras. Il est avec nous autant qu’il est avec elle en ce moment.
J’aime l’insoutenable légèreté des êtres quand ils vont au bout de leur fragilité, au bout de leurs forces, au bout de leurs désirs, et qu’ils se rencontrent. Dans la vie, et dans mes livres. Dans cet entre deux, entre vie et mort, espoir et désespoir, solitude et amour, fiction et réalité...
Dis donc, Leah Trautmann, c’est quoi cet happy-end ? Voilà que tu deviens sentimentale ? Pas bon pour toi, ça. C'est pourquoi je me permets d'intervenir. Vite, quitte ces lieux trop hospitaliers . Rentre chez toi, tu n’as plus rien à faire ici, retourne dans l’entre deux, là où est le dérisoire et le tragique de la vie, où tu peux m’écrire, et parler de moi.
Tu t’en doutes, tu n’es toi aussi qu’un de mes personnages, une aimable marionnette. Tu ne vas pas m’échapper toi aussi.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
Très étonnant.
Le point de vue est vraiment ... original.
Le narrateur, qui est aussi l'écrivain, qui parle de ce qu'il écrit, qui communique avec ses personnages... n'est on pas dans le genre qu'on appelle "nouveau roman" ?
Techniquement, en tout cas, ça me parait très maitrisé. Un peu caricatural, dans la première suite, si je peux me permettre cette remarque.
Malgré tout, (et puisque je suis lancé à faire des remarques sur la forme) je me demande si la multiplication des effets de style n'est pas nuisible à la clarté de l'intrigue.
Une autre question à laquelle je n'arrive pas à donner de réponse (mais il faudrait peut être que je réfléchisse) le narrateur s'adresse-t-il a ses personnages et sommes nous témoins de ces dialogues, ou bien le narrateur s'adresse-t-il à ses lecteurs, et devons-nous assurer le rôle de ses personnages ?
Tout ça pour dire que je suis un peu perdu.
Mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose : c'est même souvent agréable d'être perdu par un récit
Le point de vue est vraiment ... original.
Le narrateur, qui est aussi l'écrivain, qui parle de ce qu'il écrit, qui communique avec ses personnages... n'est on pas dans le genre qu'on appelle "nouveau roman" ?
Techniquement, en tout cas, ça me parait très maitrisé. Un peu caricatural, dans la première suite, si je peux me permettre cette remarque.
Malgré tout, (et puisque je suis lancé à faire des remarques sur la forme) je me demande si la multiplication des effets de style n'est pas nuisible à la clarté de l'intrigue.
Une autre question à laquelle je n'arrive pas à donner de réponse (mais il faudrait peut être que je réfléchisse) le narrateur s'adresse-t-il a ses personnages et sommes nous témoins de ces dialogues, ou bien le narrateur s'adresse-t-il à ses lecteurs, et devons-nous assurer le rôle de ses personnages ?
Tout ça pour dire que je suis un peu perdu.
Mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose : c'est même souvent agréable d'être perdu par un récit
Igor23- Nombre de messages : 35
Age : 61
Date d'inscription : 19/11/2010
Re: Pérégrinations : Prologue et suites
bon comme je suis en haut et comme c'est la fin cette fois ci:
Leah Trautmann parle mentalement aux gens dont elle s'inspire quand elle les croise au quotidien . Ils sont à la fois des vrais gens et les futurs personnages de ses romans. Et ces vrais gens, c'est toi moi le voisin n'importe qui, donc aussi bien ses lecteurs.Puisqu'elle est écrivain. Mais p'tet qu'elle ne parle que d'elle qu'elle ne sort jamais de chez elle et qu'elle les imagine ces rencontres.
Pour elle ce que je peux dire c'est que tout se mélange pas de barrière entre fiction et réalité , et le lecteur potentiel qu'elle garde dans un coin de sa tête elle le prend à partie comme un personnage qu'elle a rencontré ou qu'elle rencontrera...ou qu'elle imagine.
Ensuite une fois épinglés, elle parle à la fois à ses personnages et au lecteur placé quand même à un degré au dessus. ...Ainsi à la fin échappées de différentes réalités ils se retrouvent dans cet hosto avec elle en "ange gardien".
Puis on recule encore l'objectif : elle même n'est que personnage. Fictif.Dont vous lisez l'histoire
Fictif...Quoique...Qui sait...Je ne vous raconterai pas ma vie ni mes rapports avec Leah :-)))
T'inquiète moi aussi je suis perdue dans ce que j'écris. Donc j'attends de savoir comment ça peut être reçu en extérieur d'une façon tout à fait honnête. Ne pas hésiter à dezinguer si c trop fouillis incompréhensible etc...
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
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