Les nuages
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Lizzie
polgara
Kash Prex
Janis
Yoni Wolf
9 participants
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Les nuages
Ça commence par une respiration, hachée mais tranquille,
aérée,
par un doigt posé sur le front, dessinant de lentes arabesques.
Ça commence par le doigt par la paume et par la respiration de sa mère, quelque part entre l'éveil et le sommeil. Quelque part mais tout près de lui, son haleine et l'odeur de sa peau.
Ça commence par lui la tête posée sur les cuisses de sa mère, lui l'enfant d'elle, elle la mère de lui, les deux visages sont tournés l'un vers l'autre.
L'un pour l'autre présents.
Les deux visages entre l'ombre et la lumière.
aérée,
par un doigt posé sur le front, dessinant de lentes arabesques.
Ça commence par le doigt par la paume et par la respiration de sa mère, quelque part entre l'éveil et le sommeil. Quelque part mais tout près de lui, son haleine et l'odeur de sa peau.
Ça commence par lui la tête posée sur les cuisses de sa mère, lui l'enfant d'elle, elle la mère de lui, les deux visages sont tournés l'un vers l'autre.
L'un pour l'autre présents.
Les deux visages entre l'ombre et la lumière.
maman tu m'en veux?
hier il a laissé tomber sa couette du haut du lit
superposé il avait froid il a dû descendre et affronter tout ce noir.
La peur lui nouait les tripes, il ne savait pas dire de quoi
mais il avait peur. Le noir n'a pas de forme. Le noir c'est l'inconnu et
c'est comme si sa couette était tombée dans un autre pays.
Il a pris sa couette et vite vite il est remonté et puis il s'est enveloppé serré fort et n'a laissé dépasser que son nez. Son coeur battait toujours mais il n'aurait su dire
s'il était mort ou vivant.
superposé il avait froid il a dû descendre et affronter tout ce noir.
La peur lui nouait les tripes, il ne savait pas dire de quoi
mais il avait peur. Le noir n'a pas de forme. Le noir c'est l'inconnu et
c'est comme si sa couette était tombée dans un autre pays.
Il a pris sa couette et vite vite il est remonté et puis il s'est enveloppé serré fort et n'a laissé dépasser que son nez. Son coeur battait toujours mais il n'aurait su dire
s'il était mort ou vivant.
de quoi mon chéri?
hier elle a reçu ce coup de fil. Elle a répondu et c'était le Blond. Le Blond qui gueulait. Le Blond bourré. Qui la menaçait de venir pour tout casser.
Elle lui a calmement interdit de venir, l'a laissé postilloner ses menaces
et sa virilité
puis elle a raccroché.
Ensuite, elle a fermé tous les volets de la maison, elle a verrouillé la porte d'entrée, elle est allée s mettre de l'eau à bouillir puis s'est assise sur une chaise du salon, très droite, les mains posées
sur ses jambes resserrées. Et puis elle a fait silence, dans le noir, elle a fermé les yeux en attendant l'orage
Elle lui a calmement interdit de venir, l'a laissé postilloner ses menaces
et sa virilité
puis elle a raccroché.
Ensuite, elle a fermé tous les volets de la maison, elle a verrouillé la porte d'entrée, elle est allée s mettre de l'eau à bouillir puis s'est assise sur une chaise du salon, très droite, les mains posées
sur ses jambes resserrées. Et puis elle a fait silence, dans le noir, elle a fermé les yeux en attendant l'orage
ben je sais pas moi... de tout.
il s'est reveillé tout mouillé. S'est rendu vite compte qu'il avait fait pipi au lit.
Comme à chaque fois. Comme
toutes les nuits et, comme toutes les nuits, il a eu peur d'être engueulé. Il ne comprenait rien à elle, sauf sa peau et son odeur. Ça c'était vrai. Il était sûr de sa peau, de son odeur, de ses cheveux.
Mais le reste, il ne comprenait pas. Parfois quand il pleurait, elle se mettait en colère, d'autres fois il riait et elle se mettait à le consoler. Il avait faim, elle le mettait sur le pot. Soif, elle le couchait.
Et là... maintenant qu'il
avait fait pipi
au lit? Qu'allait-elle dire? Il s'attendait au pire. Le pire c'était quand elle le regardair un peu, puis se détournait sans un mot. Le pire c'est quand il n'existait pas.
Comme à chaque fois. Comme
toutes les nuits et, comme toutes les nuits, il a eu peur d'être engueulé. Il ne comprenait rien à elle, sauf sa peau et son odeur. Ça c'était vrai. Il était sûr de sa peau, de son odeur, de ses cheveux.
Mais le reste, il ne comprenait pas. Parfois quand il pleurait, elle se mettait en colère, d'autres fois il riait et elle se mettait à le consoler. Il avait faim, elle le mettait sur le pot. Soif, elle le couchait.
Et là... maintenant qu'il
avait fait pipi
au lit? Qu'allait-elle dire? Il s'attendait au pire. Le pire c'était quand elle le regardair un peu, puis se détournait sans un mot. Le pire c'est quand il n'existait pas.
non. Non je ne t'en veux pas de tout.
Tout ce qui est s'est bonnement fait.
Il ne faut pas avoir peur.
Je te protège comme Dieu nous protège.
Il ne faut pas avoir peur.
Tout ce qui est s'est bonnement fait.
Il ne faut pas avoir peur.
Je te protège comme Dieu nous protège.
Il ne faut pas avoir peur.
l'eau était chaude à présent. Elle a sorti un sachet de thé. Elle a mis le sachet dans le bol l'eau dans le bol a pris le bol dans ses mains et l'a laissé tomber. Du coup secousse. Dans tout le corps.
Du coup secousse et cris a crié si fort
qu'il a sursauté est descendu de son lit trempé et a couru jusqu'au cri. Sa peau
ses bras
ses bras son odeur
son odeur ses cheveux
ses cheveux ses yeux son nez ses bras sa bouche et ses doigts
son ventre et ses jambes et ses pieds et ses
cheveux son nez son rire oh ses yeux noirs tout ça toute cette peau
toutes ces oreilles devant lui, toute cette mère recroquevillée
par terre, devant lui.
Elle a levé la tête et l'a regardé droit dans les yeux. Elle tremblait. Son corps s'est relâché un peu, elle a laché un pet puis a commencé à s'uriner dessus. Tout en marmonant des mots qu'il ne pouvait pas comprendre.
Alors il a ri (pour le pet).
Puis il a pleuré (pour le reste)
Et dans cette petite maison aux volets clos, dans cette cuisine mal éclairée, dans ce monde clos, dans son corps à lui, dans son corps à elle, tout s'est mis à bouillir, monter, crever les plafonds et les torses, monter encore, toujours plus, monter jusqu'au ciel béant, et tout s'est soudainement illuminé, l'ombre de lui de elle de tout cet amour de toute cette
violence de toutes ces colères tout a soudain mué
et s'est changé en lumière.
Du coup secousse et cris a crié si fort
qu'il a sursauté est descendu de son lit trempé et a couru jusqu'au cri. Sa peau
ses bras
ses bras son odeur
son odeur ses cheveux
ses cheveux ses yeux son nez ses bras sa bouche et ses doigts
son ventre et ses jambes et ses pieds et ses
cheveux son nez son rire oh ses yeux noirs tout ça toute cette peau
toutes ces oreilles devant lui, toute cette mère recroquevillée
par terre, devant lui.
Elle a levé la tête et l'a regardé droit dans les yeux. Elle tremblait. Son corps s'est relâché un peu, elle a laché un pet puis a commencé à s'uriner dessus. Tout en marmonant des mots qu'il ne pouvait pas comprendre.
Alors il a ri (pour le pet).
Puis il a pleuré (pour le reste)
Et dans cette petite maison aux volets clos, dans cette cuisine mal éclairée, dans ce monde clos, dans son corps à lui, dans son corps à elle, tout s'est mis à bouillir, monter, crever les plafonds et les torses, monter encore, toujours plus, monter jusqu'au ciel béant, et tout s'est soudainement illuminé, l'ombre de lui de elle de tout cet amour de toute cette
violence de toutes ces colères tout a soudain mué
et s'est changé en lumière.
d'accord maman. Je t'aime.
Dis...
Qui s'occupe de Dieu?
C'est qui qui le protège quand il a peur?
Dis...
Qui s'occupe de Dieu?
C'est qui qui le protège quand il a peur?
les nuages
Re: Les nuages
Vraiment c'est superbe.
Sobre, expressif, tendre et violent, ombres et lumière, pleurs et rires, silence et cris...
J'aime comme le texte monte monte monte jusqu'à la chute du bol, on voit, on entend le point de rupture ; et le maelstrom qui se fait alors dans le texte et dans le narrateur.
Et plus que tout, j'aime ce dialogue en arrière-plan entre l'enfant et sa mère, cet échange esquissé et pourtant tellement révélateur de la relation.
Et cette fin, en suspens, comme une devinette d'enfant.
Tu n'en finis pas de me surprendre, de m'émouvoir, pourtant tu as déjà fait fort dans le passé.
Tu n'en finis pas de t'améliorer, Yoni.
Sobre, expressif, tendre et violent, ombres et lumière, pleurs et rires, silence et cris...
J'aime comme le texte monte monte monte jusqu'à la chute du bol, on voit, on entend le point de rupture ; et le maelstrom qui se fait alors dans le texte et dans le narrateur.
Et plus que tout, j'aime ce dialogue en arrière-plan entre l'enfant et sa mère, cet échange esquissé et pourtant tellement révélateur de la relation.
Et cette fin, en suspens, comme une devinette d'enfant.
Tu n'en finis pas de me surprendre, de m'émouvoir, pourtant tu as déjà fait fort dans le passé.
Tu n'en finis pas de t'améliorer, Yoni.
Invité- Invité
Re: Les nuages
Pardon, il aurait été plus élégant de dire : Tu n'en finis pas de progresser".
Je profite de cette précision pour dire que la disposition du texte me plaît aussi, je pense qu'elle contribue à l'ambiance.
Je profite de cette précision pour dire que la disposition du texte me plaît aussi, je pense qu'elle contribue à l'ambiance.
Invité- Invité
Re: Les nuages
Je ne saurais mieux dire et je trouve aussi que ça progresse dans le sens que tu veux- j'aimais déjà ce que tu écris, mais était parfois dérangée par une impression d'impossibilité d'y entrer, tant c'était compact et surtout personnel, et parfois à mon goût trop uniquement dans le sentiment, je veux parler de l'absence d'objets, de choses concrètes, comme un oignon ou un bol qui se casse.
Là, il y a toute la place pour lire et se fondre.
Et la présence du monde matériel - la petite maison, les volets clos, le bol, le téléphone, les jambes serrées - tout ça, non seulement ça fait tenir l'ensemble, mais ça forge des images et c'est important.
Bon je ne suis pas sûre d'être claire mais je me comprends.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Les nuages
Très joli texte du début à la fin, de l'émotion, de l'inattendu, j'ai été pris. Bravo !
Re: Les nuages
oh punaise que c'est beau ... Plus je te lis, plus je t'aime. Je reviendrai commenter plus tard, mais ....
c'est bon.....
c'est bon.....
polgara- Nombre de messages : 1440
Age : 49
Localisation : Tournefeuille, et virevolte aussi
Date d'inscription : 27/02/2012
Re: Les nuages
C'est très fort, et je me suis sentie de trop. Comme voyeuse de quelque chose qui n'était pas pour moi.
Poignant et dérangeant, donc, même si ce n'est pas ton intention.
Mais surtout, retiens que c'est très fort, submergeant (je ne pense pas que ça se dise, mais c'est l'idée).
Poignant et dérangeant, donc, même si ce n'est pas ton intention.
Mais surtout, retiens que c'est très fort, submergeant (je ne pense pas que ça se dise, mais c'est l'idée).
Lizzie- Nombre de messages : 1162
Age : 58
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011
Re: Les nuages
Putain, que c'est beau de sublimer les drames, la vie cassée, les merdes et d'en faire de la pure lumière !
Invité- Invité
Re: Les nuages
un texte sobre et puissant. Beaucoup de choses passent à travers ces mots malgré (ou grâce à ?) la sobriété. C'est vraiment un très beau texte. (Et la disposition est aussi très bien agencée). Bravo. (Décidément j'aime beaucoup tous tes textes)
demi-lune- Nombre de messages : 795
Age : 64
Localisation : Tarn
Date d'inscription : 07/11/2009
Re : Les nuages
Primauté au corps, physique, physiologique, psychologique, métaphorique, existentiel... Une pulsion de style que j'aime beaucoup chez toi, Yoni. Dans ces corps, (ici mère/enfant) il y a souvent une quête de mieux-être étouffée par de la souffrance, de la solitude, de l'incommunicabilité... Une urgence à vivre que ton style met bien en valeur. Des phrases comme des appels, des cris, des mains tendues. La prégnance du quotidien habite tes textes sans qu'ils soient réalistes. Une poésie du dépassement les sauve. C'est souvent salutaire de te lire.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Les nuages
Un texte à fleur de peau, touchant, comme vous savez si bien les écrire. Vous excellez dans le registre sentimental, c'est incontestable. Peut-être devriez-vous maintenant explorer d'autres horizons, sortir de la sphère affective pour quelque chose de plus impersonnel, plus objectif. Quand on voit du Yoni Wolf on sait qu'on va avoir droit à des cris, des larmes et de l'émotion à revendre. C'est bien écrit, bien fait, mais ça ne surprend plus.
Chacun son style vous me direz ...
Deux petites remarques pour ce texte. Il manque les tirets des dialogues, ce qui les auraient rendus plus visibles.
Je n'explique pas l'alignement à droite qui me semble relever du pur artifice, sans véritable signification.
Chacun son style vous me direz ...
Deux petites remarques pour ce texte. Il manque les tirets des dialogues, ce qui les auraient rendus plus visibles.
Je n'explique pas l'alignement à droite qui me semble relever du pur artifice, sans véritable signification.
Jano- Nombre de messages : 1000
Age : 55
Date d'inscription : 06/01/2009
Maternité
Bonjour,
Je vous découvre et celà me plait énormément.
Pourquoi ?
J'ai lu sans m'arrêter, puis j'ai relu, pour tout mettre en place dans ma pov' p'tite tête.
J'aime cette façon que vous avez de raconter, en alternance. Du coup, la disposition du texte prend toute son ampleur.
Personne ne parle de naissance, c'est mon interprétation...
Juste bravo, et merci.
Je vous découvre et celà me plait énormément.
Pourquoi ?
J'ai lu sans m'arrêter, puis j'ai relu, pour tout mettre en place dans ma pov' p'tite tête.
J'aime cette façon que vous avez de raconter, en alternance. Du coup, la disposition du texte prend toute son ampleur.
Personne ne parle de naissance, c'est mon interprétation...
Juste bravo, et merci.
Marchevêque- Nombre de messages : 199
Age : 64
Date d'inscription : 08/09/2011
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