Exo live vendredi 15 mars à 20 h 30

Exo 150313

Contraintes :

Ivresse
69



On a beau faire le matamore, on est toujours tout seul dans sa peau. Heureusement, d’ailleurs. Je le sens pas bien avec un pote de chambrée dans ma peau. J’en ai qu’une, elle vaut ce qu’elle vaut mais elle est grosso modo à ma taille.

C’était une sainte. On est tous d’accord là-dessus, Monsieur le Missaire. Voyez, ça vous fait toujours ça de moins en vérifications. Une sainte qui refusait jamais un coup de main – et plus si affinités, on se comprend Monsieur le Comi – à un pauvre homme dans le besoin, pour peu qu’il fût un tantinet solvable. C’est la crise, hein, Monsieur le Cossaire…

J’aimerais lever mon verre à la mémoire d’un ange. Et d’une sainte, aussi, mais ça on le sait déjà. Un ange beu avec les bas noirs de résille troués de Marlène. A 69 ans, faut la santé.

J’aimerais noyer le désordre. Et mater le chagrin. Ou inversement. Je suis seul dans ma peau, mais elle se déshydrate. A boire, donc. Encore.

Attention, Monsieur le Coco…a levait aussi le coude, la Marthe…et pas du bras gauche, nan, plutôt des deux. Pour tout vous dire, Monsieur le Saissaire, si je faisais pas gaffe, mon kil de jaja, y disparaissait kif dans le gibus d’un enchanteur. Tel quel, Monsieur la Commère. Je lui en voulais pas, croyez-moi ou pas.

Y a pas de désordre qui résiste à la noyade. C’est triste un canal, la nuit, surtout quand quelqu’un tombe dedans. Ca fait pas désordre, quand on coule : l’eau se referme tout de suite. C’est comme s’il s’était rien passé. Surtout la nuit.

Mande pardon, Monsieur le Commissure, mais je l’ai pas poussée dans le canal. Toute seule, elles est tombée dans l’eau. Elle avait besoin de personne, Marthe, même à 69 piges, pour aller dire bonsoir aux poissecailles, vous pensez bien ! Bon c’est vrai qu’on s’est un peu crêpé le chignon avant…rapport à la quatrième boutanche qu’avait comme qui dirait fait une fugue, mais bon c’est vrai aussi que les trois autres… les trois autres…on se les était enfilées ensemble…sans compter les petites gouttes chez Pierrot…avec la thune de la manche. Et beaucoup de petites gouttes ça finit par faire un fleuve qui emporte tout. Jusqu’au canal.

Y a pas de noyade qui résiste à l’ivresse. Ou inversement. Je sais plus. Le canal sera encore plus triste sans Marthe. Surtout la nuit. Quant à moi, mon destin repose maintenant dans le pouvoir souverain d’appréciation des juges. Vous dire si j’ai confiance.

gobu

Plus que trois fois dormir et puis le découvrir. En chair, en odeur, en bras. Le serrer, fort, ce petit matamore que j’aime déjà plus que tout. Plus que je ne t’ai aimé toi qui m’as laissée parce que mes entrailles étaient stériles.


Entrebâiller encore et encore la porte de la chambre d’enfant qui sent la peinture fraîche et la promesse d’une vie nouvelle, doublée de bulles de savon, de tartes aux fraises, de girafe en peluche et de jeux en pagaille. Refermer l’album de notre mariage et noyer le désordre de notre séparation dans le triste canal de nos amours exsangues.


Et dans le jardin
Un petit rire d’autrefois
Peut-être renaîtra


Choses à faire sans faute demain : Le plein d’essence, acheter un rehausseur, prendre rendez-vous chez le pédiatre, acheter une méthode Assimil pour le chinois, encoder les coordonnées de l’aéroport dans le gps.
Choses à remettre à plus tard : Le trek autour de l’Etna, le cours de salsa du jeudi soir, l’envie qui me prend encore parfois de vouloir t’assassiner. Quoique.
Renseignements à prendre : Jusqu’à quel âge un enfant peut-il rester avec sa mère en prison.


Cette nuit, j’ai rêvé. J’avais une drôle de petite poche rouge sur le sein gauche. Elle s’est mise à grossir, grossir. Par la fenêtre entrouverte, je voyais dans le jardin les voisins piétiner un épouvantail. De mon côté, je pressais, pressais la drôle de poche, essayant de la contenir mais elle n’arrêtait pas d’enfler. Les voisins hurlaient comme des possédés, l’épouvantail lui me regardait, implorant. La poche rouge commençait à me phagocyter. Tout d’un coup, la clameur est retombée, l’épouvantail avait disparu mais son chapeau, son chapeau tournoyait encore dans les airs et puis soudainement a explosé en mille fétus de paille. L’un d’entre eux, telle une flèche, m’a transpercée. Je me suis vidée et dans la fenêtre éclaboussée de carmin, je ne suis vue. Enfin seule dans ma peau.


Aujourd’hui est le premier jour de ta vie ici et de la mienne avec toi, petit Aku venu de si loin. Nos destins se sont enfin croisés. La grande cigogne blanche t’a déposé délicatement dans mes bras et par la lunette arrière de la voiture, j’ai vu s’éloigner les bâtiments de l’aéroport, s’envoler mes années misérables et se lever des jours flamboyants.


Pillow book, je t’ai abandonné lâchement depuis quelques mois déjà. Je te rends visite ce soir pour te donner des nouvelles d’Aku et moi, te remercier d’avoir supporté ma plume parfois grinçante, souvent insignifiante. Merci d’avoir été là. Nous allons bien. Aku a fait ses premiers pas aujourd’hui et tu es le premier à qui je le confie, entre couche-culotte et T-shirt, le petit tatouage en forme de papillon qu’il a à côté du nombril a battu des ailes.

Elea

J’ai du mal à comprendre qui sont les personnages de l’histoire. J’ai pensé que c’était le père, et puis en arrivant à ce passage : “Petite j’aimais le voir te taquiner en la faisant bouger devant ton nez pincé de dégoût”, à ce “le voir”, j’ai pensé que c’était le père et donc si c’est le père, qui est le personnage dont la narratrice s’occupe ? J’ai donc relu, et relu jusqu’à comprendre que c’était le fils (enfin j’imagine) qui est enterré avec la mère. Le frère ? Mais finalement, ce n’est peut-être pas très important de savoir qui est qui, c’est moi qui ait souvent besoin de savoir l'exactitude des choses (et je ne sais pas si je suis très claire, en plus)

Mise à part cette incompréhension de ma part, il y a une atmosphère pesante très bien rendue, et je m’attendais presque à une fin genre vengeance ou quelque chose de ce style mais non, il y a plutôt de la résignation et beaucoup de peine dans ce récit.

Je retiens une bien belle image avec ces larmes du soleil.


pasdepannik

Je me demandais qui pourrait caser le juge dans son histoire, tant les autres phrases étaient différentes. Je ne sais pas si tu es partie de cette phrase en sachant qu’elle serait la conclusion, j’ai trouvé ça très réussi. C’est un texte qui se lit comme un compte à rebours, et si j’ai ressenti la panique en toute fin, l’angoisse est grandissante au fur et à mesure que l'on prend conscience de l’histoire et de sa réalité dramatique.

coline Dé

Quel joli texte Coline. J’admire le fait que tu puisses nous raconter une histoire de vie en si peu de mots, c’est comme si on était présent depuis “avant”. Cela tient sans doute à la narration, habile, faite d’épisodes qui nous permettent de cerner parfaitement les trois personnages. Et puis c’est tout en douceur, une douceur triste devrais-je dire, tout en émotion contenue, ah que c’est joli !

Quant à l’hésitation, elle est bigrement présente, car je l’ai ressentie aussi bien chez la jeune fille que chez la narratrice.

Iris

J’ai tout d’abord pensé que tu devrais reprendre ce texte parce que je trouvais intéressant le cheminement de la pensée, mais dans le même temps je trouvais que cela manquait de liant, que c’était trop découpé. Et puis, me rappelant la consigne, je l’ai relu différemment. Le côté “note” prend tout son sens.

Il y a non seulement de l’abattement, mais aussi de la tristesse dans ces mots.

En revanche, l’automne à 55 ans m’a fait un drôle d’effet. Je l’attribuais plutôt aux alentours de 70 ans. Une question d’âge, peut-être :-)


Obi

Encore un joli texte. Il y a une certaine détermination de ce père à vouloir laisser une trace de sa présence à cet enfant qui m’a beaucoup touchée (enfin, je dis père mais finalement ce n’est pas écrit, comme quoi on peut interpréter sans savoir).

C’est davantage une correspondance, mais peu importe, la contrainte de la tristesse est fort bien respectée et j’ai aimé la poésie de certains passages notamment dans le dernier paragraphe.

Janis

Des petites notes, de petites choses, pour une grande peur et de grands sentiments. Je me suis perdue avec un grand bonheur (si je peux dire) dans toutes les nuances exprimées sur ce chemin fait de chaos et de douleurs, c’est un puzzle, chaque note invite à continuer pour prendre part entièrement à ce qui se dessine.
Que dire d’autre, Janis, quand ta belle écriture sert le récit avec tant d’émotions.
Et quelle image de fin magnifique.
C’est superbe !

ps : on voit que tu joues au scrabble toi :-)

Polgara

J’ai adoré ton texte Polgara ! Tout est dans le détail, jusqu’aux horaires, c’est précis, vraiment bien rendu, la colère est là, elle déborde, colle à la peau dirait-on, impossible d’y échapper (d'ailleurs elle n'y échappe pas...) et c’est ce qui fait tout le charme de ce texte.

On suit pas à pas la narratrice en se demandant quand va se produire l’explosion ou quel remède elle va pouvoir trouver. Du coup je ne m’attendais pas à cette fin là, mais y en avait-il une autre possible ?

Kilis

Beaucoup de douceur et d’émotion dans tes mots et le déroulement de l’histoire. Chaque note est un petit tableau, j’en ai aimé les descriptions, la mélancolie, et dans cette vie qui s’en va paradoxalement elle demeure vibrante (j’avais écrit vivante) parce que tu as su y mettre de la poésie et un environnement que la nature embellit.


Gobu

Tout l’art de peindre des personnages et des situations en faisant rire, j’adore ! Cette façon de “parler” offre une proximité qui rend le personnage principal attachant, je ne me l’explique pas et d’ailleurs j’ai du mal à l’expliquer, ou inversement...

Il manque la contrainte des notes mais comme dans un autre texte, on s’en fiche un peu quand le plaisir de lire est là.
Et une deuxième histoire avec le juge en conclusion, ça m’a fait sourire.

Zou

J’aime bien ces petites choses du quotidien (et le rêve) qui viennent se mêler au récit. Il y a une belle énergie dans ton écriture Zou, j’y ai fortement ressenti la fragilité du départ emportée par la force du renouveau avec cet enfant venu d’ailleurs, c'est touchant.

J’ai beaucoup aimé, et l’histoire, et l’écriture, et la girafe :-)

Croisic

Quelle fin ! Je ne m’attendais pas ça après cette belle envolée poétique et ce parfum d'enfance qui semble léger. Je ne sais d’ailleurs pas si j’ai bien compris qui était qui, c’est peut-être volontaire. J’ai presque l’impression de sortir d’un rêve, ou d’un cauchemar...