Papa termine son travail

Me croirez-vous ? J’ai trente ans. Je m’appelle Raoul et je suis plein de tristesse. Ainsi je suis né mais, on ne m’a pas encore tout à fait terminé. Quelle détresse ! De la terre, en moi, je porte tous les péchés. Par exemple ; la paresse. Je n’aime pas travailler. Rien ne m’intéresse. Je suis le plus grand fainéant, à l’école, disait déjà la maîtresse. Mais à cela, il doit y avoir une raison qui me blesse. Encore faut-il que dans ma tête, j’essaie de réfléchir avec justesse.
Je suis né. On raconte pourtant d’une façon imprécise que mon père serait décédé dans les bras de ma mère alors très surprise, à l’instant même où il me concevait. Comment voulez-vous ensuite qu’elle me reproduise avec perfection ? Je n’ai que les défauts d’une fécondation mal entreprise. Je suis habité aussi par un péché mignon ; celui de gourmandise. On le comprend. Un besoin permanent de friandise pour combler ce manque à l’origine qu’il faut sans cesse que j’exorcise.
Evidemment à cela s’ajoute en compensation un sentiment d’orgueil. Papa est parti trop tôt, sans m’achever. Je dois faire le deuil. Je me considère le fruit d’un arbre sans feuille. C’est un orgueil qui m’aveugle pour ne pas voir que je suis en trompe l’œil. Père, père ! Quand reviendras-tu de ton cercueil, pour avec mère terminer ton œuvre qui attend sur le seuil que ma vie ressemble enfin à une vraie vie qu’on accueille ?
Né d’un acte inachevé, moi Raoul, je rêve de luxure, et d’actes superflus, de débauche, de démesure. Le coït interrompu, je le veux maintenant plein d’éclaboussures, luxuriant, luxurieux, où se mélangent excès et salissure. Peut-être que c’est la disparition du père, malade, aux microbes de moisissure, qui m’autorise aujourd’hui, de la chair, à vouloir consommer sans mesure. C’est ainsi que du passé, le présent conserve la griffure.
Et à cela étrangement s’adjoint le vice de l’avarice. Avaricieux je suis, comme si de mon être incomplet et triste, je ne voulais pas faire dépense ou communication créatrice. L’avarice du cœur, parce que papa avec maman génitrice n’ont pu ensemble sur moi exercer leur mission éducatrice. Il faut qu’il revienne le père pour réparer son absence dévastatrice. Raoul, avec démence, le réclame ce père disparu en coulisse.
De cette démence, Raoul, hélas, fortifie sa colère à l’extrême, colérique jusqu’au péché, atrabilaire. Son désarroi le fait gronder comme un tonnerre. Raoul en perd son moi, à ne plus pouvoir, c’est extraordinaire, parler de lui à la première personne. Raoul imaginaire n’existe plus à force de colère, de tourment, ou de jeux littéraires. Mais son père, s’il revenait, de quoi aurait-il l’air ?
C’est ici que se glisse le dernier des sept péchés capitaux ; l’envie. Ce mal pourtant cette fois pourrait être source de vie. Papa, l’éternel, revient dans les bras de maman. Il l’aime jusqu’à l’envie. Il a, avec elle, des gestes véritablement assouvis. Il me redresse, leur plénitude à eux me ravit. Après trente années d’éloignement, le revenant restaure sa chronologie. Et de la mienne, ainsi, je dois maintenant peut-être espérer une longue survie.

j'aime beaucoup tout le début
et le style, presque avec des rimes
à la désinvolte-poète

Et à cela étrangement s’adjoint le vice de l’avarice. Avaricieux je suis, comme si de mon être incomplet et triste, je ne voulais pas faire dépense ou communication créatrice..... et je doute de la pertinence dans la phrase de Triste...et de communication créatrice.

à partir de là, j'ai du mal,
je trouve que c'est vouloir rentrer les sept pêchés capitaux avec un chausse-pied
et que cela colle beaucoup moins au personne que j'imaginais lire dans tout le début

je trouve la fin moins claire, moins convaincante, je m'y perds.


sinon, tout le début,
je voyais le résumé d'un bouquin, et j'avais envie de le lire !

déjà un nouveau texte!?
je suis impressionnée par une telle capacité de production...j'en étais encore à attendre un retour éclairant sur la précédente prose...et j'ai déjà du retard, on dirait...!?

pardon Raoulraoul pour ce non-commentaire,
mais j'y viendrai...!

Je rechigne un peu au dernier paragraphe/péché, essentiellement parce que l'orthographe et la déviation/dérivation de sens me paraissent tirées par les cheveux.
"Il l’aime jusqu’à l’envie. "
Je pense qu'il s'agit là de l'expression "à l'envi" qui désigne une certaine émulation.
Et même en admettant que l'auteur ait souhaité passer outre l'orthographe, pour moi ça ne colle pas, ça manque de la fluidité, de la conviction de ce qui précède.

Ce détail mis à part, bravo pour ce nouveau texte, qui remplit (presque, donc) la mission qu'il s'est fixée, avec toujours bien sûr l'autre niveau d'écriture - je suis troublée par "Raoul en perd son moi, à ne plus pouvoir, c’est extraordinaire, parler de lui à la première personne.", loin d'être anodin pour ce Raoul pas abouti, "pas bien fini" ... ; et puis tout le travail de rimes aussi, bel ouvrage global.

je comprends l'intention, mais je ressors de cette lecture avec un sentiment de frustration, une impression de trop vite fait, d'inabouti. comme cela colle avec le thème, je me demande donc si c'était là le but...?
mais même...je ne suis pas entrée dedans cette fois. je trouve ça un peu convenu, ou facile, dans la réalisation s'entend.

Merci Easter et Igloo pour vos commentaires. Toutefois je maintiens "il l'aime jusqu'à l'envie". Phrase curieuse mais tellement vraie dans ce texte. Combien de pères n'assument pas leur acte d'amour et leur mission éducative pour des raisons diverses. Adultère, maladie, accident... qui aboutissent toujours à la séparation, l'absence, le manque, et la fracture, voire la démolition des êtres qu'ils laissent derrière eux sur le carreau. Mais vous avez raison ce thème mériterait d'être traité autrement, plus profondément, intérieurement. La contrainte des rimes m'a conduit vers une mise à distance probablement trop formelle. En somme, je remarque que la plupart de mes écrits se situent sur notre vie coincée entre l'amour et la mort. Ce texte est ancien, pour répondre à Igloo. Je remercie VE de me permettre parfois de réanimer de vieilles lunes. Faut-il encore qu'elles éclairent ma nuit !

de rien.

pas mal: j'aime assez le ton de cet exercice d'autocritique, qui réussis à n'être pas trop lourd par le biais d'une simplicité un peu naive. Je pense par contre qu'il faudrait quelque chose pour "justifier" le thème des 7 péchés comme point d'encrage, parce que oui, ça fait un peu plaqué, truc d'auteur. On voudrait que ça vienne "naturellement" de la psychologie du personnage, si on veut. Voire d'un événement déclencheur, qui peut être tout banal et peut-être même fournir un cadre à cet examen (je ne sais.. mettons tiens la visite de témoins de jéhova, ou bien une pub pour La vie de Jésus en technicolor, ahah!).

Bref, j'aimerais bien lire une version un peu retravaillée!

Le narrateur se présente comme un prématuré, « Ainsi je suis né mais, on ne m’a pas encore tout à fait terminé. ». Un prématuré de trente ans !
Cette pré-maturation se caractérise par des « péchés », donc des défauts, des manques, des imperfections ; donc une incomplétude.
Cette imperfection serait un héritage du père.

D’abord la « paresse », « Je n’aime pas travailler ». Le fils reproduit l’événement survenu au père, qui « serait décédé dans les bras de ma mère alors très surprise, à l’instant même où il me concevait ». La mort du père est interprétée comme un « travail » inachevé. La mort du père serait dans une paresse de vivre, un manque de force et d’énergie vitale pour aller au bout de l’acte de procréation, comme au bout de la vie.

La « gourmandise » est le deuxième héritage. Elle est interprétée comme une sorte de boulimie, un désir insatiable de combler un manque que rien ne peut combler. « Un besoin permanent de friandise », besoin de douceurs sucrées pour atténuer l’amertume du manque.

Vient ensuite « l’orgueil », suffisance qui masque une insuffisance.

Puis la « luxure », comme excès et démesure, pour compenser une carence, un déficit.

Aussi « l’avarice » qui répète les dons si peu généreux dont le narrateur a été pourvu.

La « colère » encore. Raoul fou de colère contre son sort ; colère qui le met hors de soi, si bien que « Raoul en perd son moi ».

Enfin « l’envie », celle du retour du père absent, désir d’une envie du père pour la mère, comme si ce manque d’envie était responsable de ne plus être en vie, comme si ne pas avoir suffisamment envie, c’est ne pas être suffisamment en vie.
Ce « péché », loin d’être mortel, serait un péché vital, un péché capital pour la vie.

Les péchés mortels riment avec toutes choses, mais seule l’envie rime avec vie, avec survie.
Attente donc du retour du père salvateur.

Le père prend figure divine, il est le père « éternel » et le texte prend alors allure sacrilège, le plus grand des « péchés », en faisant de Dieu-le-père la source du mal, le responsable des péchés humains. Pire, il est rendu responsable des « péchés » que lui-même érige en interdits moraux. Péché d’orgueil à nouveau puisque la créature voudrait être aussi parfaite que son créateur.

Une autre figure du père transparaît dans le texte : le père de Raoul, « personnage imaginaire » et narrateur, c’est l’auteur du texte, le dieu sujet du texte, « Raoul imaginaire n’existe plus à force de colère, de tourment, ou de jeux littéraires ».
Le personnage Raoul se plaint de son auteur, et craint que son père ne puisse plus se reconnaître en lui, perdu dans les « jeux littéraires » où se noie le « Je ».

Raoul, le personnage, parce qu’il n’est pas tout à fait fini, abouti, risque d’être fini, achevé, au sens de prendre fin. Il lui faut encore un peu d’envie pour se poursuivre…

Bon texte, même si les rimes ne sont pas toujours du plus bel effet.
Je souhaite une longue survie à Raoul… et une bonne et parfaite naissance !

En tant que père j'ai beaucoup de mal a me retrouver dans ce texte a la fois trop travaillé (rimes, péchés, ...) et pas assez approfondi

Je pense que l'on retrouve cela dans le style entre des passages plein d'énergie et d'autres plus technique

Globalement bien même si trop auto-analyse a mon gout

Un mot bref de retour pour vous qui avez pris la peine de me lire. D'abord pour Frédéric Prunier, le premier qui a eu l'œil critique et juste sur ce texte. Puis Jfmah : tes propositions concrètes de réécriture me plaisent. A Louis : pour ton éclairage généreux et passionnant. Et Antoine : père concerné et dont la réaction me touche. Merci à vous. En ce moment le temps me manque pour écrire et lire attentivement VE. Cela m'attriste. Alors affleurent dans ce manque les moroses questions ; pourquoi et quoi écrire, et comment écrire ?... "Ecrire, c'est vivre deux fois" dit Kafka. Hélas, vis-je déjà une fois ??...

Je suis bluffée par ce texte que je trouve puissant et intrigant.
Il n'y a que le péché d'avarice auquel je n'ai pas cru. Pourquoi ? Peut-être parce qu'un avare ne peut pas écrire ? L'écriture est une chose généreuse. Quelqu'un qui veut tout garder pour lui ne peut pas écrire.