Fatigue du jour

Fatigue du jour
 
 
    Lentement la parole se boit
 
    Aux comptoirs de formica
 
    Quand après le travail les hommes fument le repos de la journée
 
    Lourde, la femme du cafetier
 
    Regarde un gamin étonné qui tête pensif un goulot
 
    L'ouvrier aux gitanes bâille, le cou raide, écornant d'un ongle dur
 
    L'air qui se poisse aux pages d'un journal ouvert
 
    Et des mouches s'affolent de petit blanc en panaché
 
    Dehors le soir descend du clocher des églises
 
    La soupe s'impatiente aux fourneaux des cuisines
 
    Alors, les pas traînent à sortir dans le tintement des pièces monotones
 
    Et doucement les torchons gris peluchent les bords ébréchés des verres

Bien aimé ce poème très imagé.

moi aussi,

c'est un tas de photo sans grammaire
ça fonctionne

Le titre est bien choisi
on ressent de la lassitude en feuilletant cet album d'instantanés
très visuels
Je suis un peu frustré (mais c'est personnel) par le manque de "grammaire" (sic)
mais connaissant par ailleurs la qualité de ta plume
j'imagine que c'est intentionnel o:)

Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par "manque de grammaire"
Le texte est exactement le même (et il me paraît correct grammaticalement) mais avec une autre disposition et le retour de la ponctuation il me semble moins évocateur mais comme dit Frédéric : c'est peut-être une impression de moije...
 
 
 
Fatigue du jour
 
 
 
 
Lentement, la parole se boit aux comptoirs de formica quand, après le travail, les hommes fument le repos de la journée. Lourde, la femme du cafetier regarde un gamin étonné qui tête, pensif, un goulot...L'ouvrier aux gitanes bâille, le cou raide, écornant d'un ongle dur l'air qui se poisse aux pages du journal ouvert...Et des mouches s'affolent de petit blanc en panaché. Dehors, le soir descend du clocher des églises , la soupe s'impatiente aux fourneaux des cuisines. Alors, les pas traînent à sortir dans le tintement des pièces monotones et doucement, les torchons gris peluchent les bords ébréchés des verres...

J'ai employé "grammaire" dans ce que je suppose être le sens qu'on lui donne au quai Favières, c'est à dire un poil péjoratif :o))

Je préfère nettement ton texte ponctué et sous forme de prose poétique.
J'ai du mal avec les retours à la ligne et l'absence de ponctuation qui me semblent trahir un besoin refoulé de prosodie (que par ailleurs on rejette)

Mais c'est une question de moije et j'ai des circonstances atténuantes : j'ai fait des études scientifiques.

Le charme particulier de ce poème tient, je crois, en partie, à la palette des verbes employés (verbes pronominaux, de perception, de mouvement) et au tissage subtil de correspondances qui se développe entre eux. La description semble à la fois unique, individualisée ("la femme du cafetier", "un gamin étonné", "l'ouvrier aux gitanes") et à visée généralisante ("aux comptoirs", "les hommes", "des églises", "des cuisines") ce qui ne manque pas de rendre ton approche fascinante par cette double lecture. Bien que présents, les personnages sont tous saisis dans une activité minimaliste ("regarde", "tête", "bâille", la forme impersonnelle "se boit", "fument"), puis ils sont évoqués par la simple trace qu'ils laissent derrière eux (métonymie  "les pas"). Ce travail d'effacement progressif, de gommage, se fait au profit des éléments environnants, actifs eux  ("les mouches", "le soir", "la soupe", "les torchons"). Ce choix de mise en scène de ta part traduit magnifiquement l'impression forte d'hébétude qui porte ce moment.

Merci pour ce voyage !

Bonjour obi,

J'ai fouiné assez longtemps pour trouver un poème de vous (je ne vais pas trop du côté prose, pas facile de lire un long texte sur mon écran et guère d'inspiration à commenter)

Je n'ai pas été déçue de ma trouvaille.

Ce poème n'est pas daté, mais je le situe avant les années 1970. cf, le formica, les fourneaux, les gitanes.
Très bien réalisé, très visuel.
Je regrette juste le saut de ligne à chaque vers.
Le poème est court, tous les mots sont indispensables, il n'en manque pas.
Merci !

Il y a bien une impression de fatigue, de lassitude. Dans la succession des -sujet-verbe-complément, comme un tic-tac d'horloge.
Je vois bien : l'homme, la femme, le gamin, le soir, les paroles, la soupe, les mouches ... Et ton travail de : qu'Est-ce que je vais bien pouvoir leur faire faire, comment les animer autrement. Et c'est réussi. Je suis un peu plus gêné par les conjonctions entre les images (et, alors, ou les adverbes), mais je ne sais pas comment j'aurais fait - et j'aurais aimé écrire ça...