Halloween : La nuit nuit.

Il est 21h00, le quartier de la Défense est vraiment calme. Le vent souffle entre les façades de verre et d'acier ; un peu plus loin, un clochard dort sur la dalle enroulé dans ses cartons ; quand on tend l'oreille, on perçoit le ploc d'une goutte tombant dans une flaque ; là-bas, hurle une sirène de police ou d'ambulance. Comme dit Stan Frinkeen, il n'y a vraiment que les contrôleurs fiscaux qui arrivent en silence. Stan est mon patron. Il vaut pas loin de sept millions d'euros. Son humour est impayable. Stan est un gars très brillant que j'admire, même si, j'ignore pourquoi, une nuit sur deux, je rêve que je l'assassine. Il m'a laissé un dossier à boucler, je vais y passer une partie de la nuit, j'ai bu quatre ou cinq cafés cette après-midi, je n'ai pas vraiment sommeil, dès que j'ai fini de fumer, j'y retourne...

Ma cigarette terminée, je l'écrase avec nonchalance, me dit que vraiment, c'est étrangement calme à la Défense, pour une nuit d'Halloween. Même si c'est peu vraisemblable qu'un enfant puisse avoir l'idée de venir quémander des bonbons au building de Berries & Crumble, Financements Anonymes & New Technologies of Marketizing devant lequel je suis sorti fumer. A moins qu'il ne soit redevable de l'impôt sur la fortune ajouterait sans doute Stan Frinkeen avec son habituel sourire appuyé. Il n'est pas là ce soir : à cette heure, il doit être déguisé en Dracula ou en Jack l'éventreur, pour jouer avec ses gosses ; d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle il m'a laissé finir le dossier. Ca ne me gênait pas, moi, ça ne me dit rien, cette fête, à croire qu'on a volé tous les 31 Octobre de ma mémoire d'enfant.

La porte en verre automatique sans reflet de Berries & Crumble F.A.N.T.O.M a mis plusieurs secondes à s'ouvrir, assez pour qu'au creux de l'une d'entre elle, je me prenne à douter de mon existence physique. Tout va bien, je produis de la chaleur, je me dis en me frottant mes mains glacées... Les voyages en ascenseur semblent toujours plus longs de nuit, les bruits de la machinerie plus inquiétants. Je repense au clochard, me dis que je ne peux quand même pas le laisser entrer dormir dans le hall, dieu seul sait ce qu'il pourrait faire ! C’est Halloween, c’est pas Noël. Je vérifie que j'ai encore de la monnaie pour prendre un café et la porte du treizième étage s'ouvre au moment où je tombe miraculeusement sur une pièce de deux euros égarée dans une poche.

L'étage est éteint, il baigne dans la lumière rouge des sorties de secours, au fond, je reconnais le voyant vert de la machine à café. J'ai les mains gelées. Je m'approche et avant que j'ai appuyé sur le bouton, un gobelet tombe et se remplit d'un épais jus sanguinolent. On dirait du "potage tomate". Il n'y a que Suzy qui en boive, de ce truc, Suzy, la nouvelle secrétaire anglaise, une brune squelettique que Stan a embauché, malgré l'étude psychologique approfondie qu’il impose à tous ceux qui postulent, principalement sur le critère de la cambrure de son petit cul. Nourri au potage tomate, exclusivement.

- Suzy ? j'appelle dans le noir

C'est fou : il y a toujours de la lumière ici, du coup, je suis infoutu de trouver l'interrupteur. Je retire avec dégoût l'immonde tasse en plastique dont le liquide déborde. La sensation est glacée, le gobelet m'échappe des mains, le potage se répand sur la moquette qui a l'air de l'absorber aussitôt, y laissant une large tache noire ressemblant à un dragon transpercé par une épée.

- Suzy ? je répète sans conviction, dans le silence, tout en pressant sur le bouton "café serré" de la machine. On dirait qu'il y a du nouveau : une lumière vacillante a l'air de m'appeler au fond du couloir. C'est un fond d'écran d'ordinateur, je n'arrive pas à en décrocher mon regard. On voit une tomate, très, très petite se mettre à grossir au fur et à mesure, jusqu'à remplir l'écran tout entier. A ce moment, elle s'écrase et dégouline. J’en lâche mon café, qui laisse sur la moquette une large tache noire ressemblant à un dragon transpercé par une épée. A part ça, tout est absolument normal, calme. De toutes façons, dans ma vie, il ne s'est jamais rien passé, une nuit de 31 Octobre.

Quand un bruit net et sec se fait entendre dans le bureau de la secrétaire, il me semble y voir des ombres.

- Suzy ! je crie, avec le voix qui s'enraye malgré moi.

Personne ne répond, et comme je commence à baliser, d'une voix abîmée, je demande :

- Stan ?

Et puis je ne demande plus rien du tout : Il y a deux ombres dans le bureau, je les reconnais, il y a celle de Stan, déguisé en Satan, qui lutine un squelette nommé Suzy, et en même temps, la photocopieuse qui crache des feuillets ROUGES, qui en dévide des ramettes, de plus en plus vite, de plus en plus vite et…

Plus rien, calme parfait. Je m’approche du téléphone sur le bureau. Il y a 13 messages en attente. La touche de lecture complètement glacée me fait sursauter, je m’écroule d’un coup, on jurerais qu’on m’a tiré par les pieds, une boite entière de crayons bic se déverse sur moi, il y en a un qui se plante dans ma main. Je vous laisse deviner la couleur…

Ca ne va pas se passer comme ça. Je retourne du côté de l’ascenseur. Je casse la petite vitre, et me saisit de la hache de secours, destinée aux pompiers. Je fais bien. Stan, le patron du Berries & Crumble F.A.N.T.O.M. fonce sur moi. Cette fois je le reconnais : Stan Frinkeen : Frankenstein. Je lève la hache en hurlant, je lui fend le crane, un sang glacé m’éclabousse, tandis que Suzy me regarde, provocante, en dandinant ses petites fesses cambrées et en buvant son potage tomate, qu’elle se sert à la louche directement dans le crane ouvert du boss, comme une sangria…



- Me dîtes-pas que vous avez passé la nuit ici ?
- Eh ?
- Attention, travailler toute la nuit nuit !

Stan est très en forme ce matin. Son sourire qui suit ses blagues a toujours quelque chose d’effrayant. Dans le couloir, Suzy passe avec son gobelet de potage fumant. Je me force à sourire, avec probablement le clavier encore incrusté dans la joue, qui y a laissé des signes cabalistiques qui ressemblent peut-être à un dragon transpercé par une épée...

- Vous passez me voir ? Le dossier Zeihn… Vous savez, le roi du Ketchup ! Quand vous voulez, disons… dans dix minutes ?

Et à ce moment, face à mon écran plein de « zzzzzzzzz », j’ai une véritable décharge d’adrénaline : j’ai très peur de ne jamais pouvoir finir à temps.

beaucoup de "codes" du genre "horreur" (le building désert, les lumières, l'interrupteur introuvable ... ), très bien présentés, Très réussi !

Et avec une petite touche d'humour qui ressort toujours sans pour autant défaire la tension instaurée ...

ça valait la peine d'attendre ;-)

Je suis client de ce genre de texte. L'ambiance est là sans en faire trop. La nuit, le noir, le 13, "le rouge sang" et l'horreur, sont des signes classiques dans ce type d'histoire, mais ici elles sont habillement introduites. Le tout est parsemé d'humour ce qui nous donne un texte captivant. Par contre, je n'aime pas trop la chute, les "happy end" dans ce genre d'histoire font perdre en sensation l'intensité du texte. (enfin ce n'est que mon avis) :-)

The Woolfy touch" ;-)
Toujours cet univers qui te colle de plus en plus à la plume et qui te va si bien ;-)
Super clin d'oeil que le coup de la tâche ;-)

Suis pas trop fan de ce texte de toi, Loup, une impression de "vite écrit" qui lui nuit un peu.
Trois fois le mot "glacé", quelques fautes énormes (on écrit boîte et dites, pas l'inverse, par exemple, je te le dis vu comme on astique tout le monde avec l'ortho :-).
Le coup du rêve, je l'ai senti venir assez vite. Pas gênant en soi mais du coup, j'étais en attente d'autre chose, un truc plus percutant. Et bof pour la lourdeur de la fin avec le dossier Ketchup, tout aussi prévisible.
Bref, je n'ai pas retrouvé cette fois la qualité de ton écriture telle que tu as pu la déployer ailleurs. Pourtant, ça commence bien, il y a ce ton sombre qui me plaît bien chez toi.

Sahkti a écrit:Suis pas trop fan de ce texte de toi, Loup, une impression de "vite écrit" qui lui nuit un peu.
Trois fois le mot "glacé", quelques fautes énormes (on écrit boîte et dites, pas l'inverse, par exemple, je te le dis vu comme on astique tout le monde avec l'ortho :-).

Pas de problème que tu n'aimes pas.

Mais "vite écrit", je t'assure que ce n'est pas le cas. J'y ai passé plus de dix heures cumulées, dont au moins deux de correction (je n'ai jamais prétendu être doué, ni rapide, mais je t'assure que c'est pas un truc torché en une demi-heure !...). La répétition de glacé est peut-être malhabile, mais voulue.

Je te laisse juger de l'énormité des fautes en question, je l'ai déjà dit, je ne suis pas un as de l'ortho, et ces fautes, le correcteur ne me les signale pas...

Tout ça pour dire que j'accepte bien évidemment ton commentaire, mais je n'aimerais pas laisser croire que je n'applique pas moi-même les "critères qualité" du site !

Je ne dis pas qu'il a été vite écrit, je dis qu'il m'a fait cette impression, nuance.
Quant aux fautes, je les ai soulignées avec un smiley d'usage plus par taquinerie qu'autre chose car ce dÎtes revient souvent chez toi, dans d'autres messages et puis ça m'a frappée cette fois qu'il y ait des fautes, c'est tout.

Un très bon texte, très bien imaginé et très bien construit.
Un peu trouillant au passage, et plein d'invention (ces machines à jus de tomates et à café serré...).
La pointe d'humour aussi, en finesse, sans trop charger ton Frankestein de patron ni la squelettique anglaise...
Je pense qu'au point où tu en es, tu pourrais te lancer dans une nouvelle, ou même un roman, pourquoi pas ?

Pour ma part j'ai adoré, tu as bien fait d'y passer 10h. L'ambiance de l'horreur qui vire au "guignol", moi, j'aime. (Et les tâches en forme de dragon, sont bien la réponse à une blaque de la tache VE, non.)
Ah, oui... Super.
J'ai bien peur que mon commentaire ne te fasse pas avancé.
La structure aussi. Même si a force de lire, le lecteur, se doute du lieu où l'auteur veut l'emmener, c'est un plaisir de découvrir la façon dont il le fait. Et avec toi, j'aime me promener.