Exo « Comme une photo mentale » : L’année du cheval
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Exo « Comme une photo mentale » : L’année du cheval
Le dragon de papier vert et noir ondule sous mon nez, agité de soubresauts par six paires de jambes gainées de gris. Les tambours retentissent et s’emballent, semblant mettre en transe la tête du dragon qui tourne et vire. Sous les yeux émerveillés du petit garçon en face de moi, de l’autre côté de la rue, et légèrement effrayés de la petite fille qui lui tient la main. Derrière eux, un homme et une femme s’embrassent tendrement avant de leur caresser les cheveux. Le petit garçon s’ébroue pour chasser la main, comme un cheval sauvage ayant grandi trop vite. Ça fait sourire la femme. La petite fille recule un peu et s’adosse à l’homme, réclamant la caresse comme on se rassure de l’inconnu par le quotidien.
Elle s’accroche à lui comme je me retenais, petite, à mon père pour subir les feux d’artifice, leurs éclats de couleurs traumatisants pour mes yeux, et leurs explosions qui faisaient sursauter mon cœur.
Pas d’explosion surprise aujourd’hui, mais une rythmique lancinante de tambourins, de timbales et les cris guerriers du tableau suivant de la procession. Ils sont une vingtaine, sabre au poing, habillés de rouge et d’or, à marcher en cadence à la suite du dragon.
Toutes ces couleurs m’agressent, je lève les yeux vers le ciel délavé, pour les reposer. Un ballon bleu flotte un instant au-dessus de moi, puis s’envole, plus haut, pour atteindre la lune qui se dessine déjà en plein jour, pâle rond blanc à la cime des immeubles.
Une vague rumeur s’élève de la foule, massée sur les trottoirs pour admirer le spectacle. Je baisse les yeux sur un magnifique cheval brun, son œil, fier et emplit de reflets, me parait vivant. Dans mon crâne résonne l’écho d’un hennissement. Mais l’animal, figé dans son attitude indomptable, me semble prisonnier du char qui le transporte. On l’exhibe et l’humilie, ne puis-je m’empêcher de penser. L’étalon, au galop dans l’herbe haute, épris de vent et de liberté, ne pourrait que renier son image de papier mâché. Toute ressemblante fut-elle. J’imagine les heures de patience, les petites mains caressant l’échine, sculptant la crinière, modelant l’hommage. Je ferme les yeux.
Je les rouvre sur un champ de lampions, suspendus en l’air comme une grappe de groseilles à sa branche. Gourmands. Je me retiens de tendre la main pour en cueillir quelques-uns et croquer dedans. Mais entre deux grains, j’aperçois furtivement le visage de la petite fille effrayée. Perchée sur des épaules, elle traverse la foule, la domine, se déplace comme dans un souffle sur un tapis d’air. Elle s’éloigne du défilé et semble soulagée. Machinalement, je regarde en face de moi. Comme si je pouvais encore saisir l’image de cette enfant en regardant là où elle se trouvait quelques secondes avant.
Le petit garçon est toujours là, l’homme et la femme aussi. Tous trois admirent le ballet de mouchoirs blancs agités par des rangées de jeunes femmes fardées, à la chevelure lisse et d’un noir brillant, minuscules dans leurs robes chatoyantes aux reflets mordorés.
Ma gorge se noue, mes lèvres s’assèchent, la procession s’arrête soudain, comme le temps. Je fouille du regard la foule alentour. L’ombre d’une petite fille perchée sur des épaules, tourne au coin de la rue. En face de moi, un père remarque sa main vide, sa tête paniquée regarde autour de lui, il croise mon regard et le fuit sans le voir. Sa main se crispe sur le bras de la femme qui l’accompagne, l’autre enserre sauvagement le petit garçon qui, étonné, lève le visage vers lui. La bouche de la femme s’ouvre sur un cri, je n’entends que lui au milieu du bruit assourdi des chars qui processionnent. Je traverse en courant un troupeau d’acrobates, j’en déséquilibre un au passage, son masque de cire souriant me lance un reproche. J’attrape le bras du père, je lui désigne le coin de rue et l’entraîne. Il me suit comme un espoir. Tout proche, et si loin à la fois, dans la densité de la foule qui ralentit la course, j’entends les cris d’une fillette. Aussitôt étouffés. Bâillonnés. Je sens la respiration humide du père dans mon cou, ses larmes gouttent une à une sur mon épaule.
La foule m’emporte, elle m’éloigne, nous sépare. Je lui tends la main, il l’attrape du bout des doigts. Ses doigts glissent sur les miens, je perds le contact. Je tourbillonne, je m’effondre sur moi-même, anéantie. Les yeux grand ouverts sur un soir d’artifice, soulevée par un inconnue, posée à cheval sur ses épaules. Galopant dessus dans les herbes hautes de la masse des spectateurs, mer mouvante complice de ma dérive. Portée par un courant glacé qui me laissera, échouée et désarticulée, au bord d’un chemin vague.
Elle s’accroche à lui comme je me retenais, petite, à mon père pour subir les feux d’artifice, leurs éclats de couleurs traumatisants pour mes yeux, et leurs explosions qui faisaient sursauter mon cœur.
Pas d’explosion surprise aujourd’hui, mais une rythmique lancinante de tambourins, de timbales et les cris guerriers du tableau suivant de la procession. Ils sont une vingtaine, sabre au poing, habillés de rouge et d’or, à marcher en cadence à la suite du dragon.
Toutes ces couleurs m’agressent, je lève les yeux vers le ciel délavé, pour les reposer. Un ballon bleu flotte un instant au-dessus de moi, puis s’envole, plus haut, pour atteindre la lune qui se dessine déjà en plein jour, pâle rond blanc à la cime des immeubles.
Une vague rumeur s’élève de la foule, massée sur les trottoirs pour admirer le spectacle. Je baisse les yeux sur un magnifique cheval brun, son œil, fier et emplit de reflets, me parait vivant. Dans mon crâne résonne l’écho d’un hennissement. Mais l’animal, figé dans son attitude indomptable, me semble prisonnier du char qui le transporte. On l’exhibe et l’humilie, ne puis-je m’empêcher de penser. L’étalon, au galop dans l’herbe haute, épris de vent et de liberté, ne pourrait que renier son image de papier mâché. Toute ressemblante fut-elle. J’imagine les heures de patience, les petites mains caressant l’échine, sculptant la crinière, modelant l’hommage. Je ferme les yeux.
Je les rouvre sur un champ de lampions, suspendus en l’air comme une grappe de groseilles à sa branche. Gourmands. Je me retiens de tendre la main pour en cueillir quelques-uns et croquer dedans. Mais entre deux grains, j’aperçois furtivement le visage de la petite fille effrayée. Perchée sur des épaules, elle traverse la foule, la domine, se déplace comme dans un souffle sur un tapis d’air. Elle s’éloigne du défilé et semble soulagée. Machinalement, je regarde en face de moi. Comme si je pouvais encore saisir l’image de cette enfant en regardant là où elle se trouvait quelques secondes avant.
Le petit garçon est toujours là, l’homme et la femme aussi. Tous trois admirent le ballet de mouchoirs blancs agités par des rangées de jeunes femmes fardées, à la chevelure lisse et d’un noir brillant, minuscules dans leurs robes chatoyantes aux reflets mordorés.
Ma gorge se noue, mes lèvres s’assèchent, la procession s’arrête soudain, comme le temps. Je fouille du regard la foule alentour. L’ombre d’une petite fille perchée sur des épaules, tourne au coin de la rue. En face de moi, un père remarque sa main vide, sa tête paniquée regarde autour de lui, il croise mon regard et le fuit sans le voir. Sa main se crispe sur le bras de la femme qui l’accompagne, l’autre enserre sauvagement le petit garçon qui, étonné, lève le visage vers lui. La bouche de la femme s’ouvre sur un cri, je n’entends que lui au milieu du bruit assourdi des chars qui processionnent. Je traverse en courant un troupeau d’acrobates, j’en déséquilibre un au passage, son masque de cire souriant me lance un reproche. J’attrape le bras du père, je lui désigne le coin de rue et l’entraîne. Il me suit comme un espoir. Tout proche, et si loin à la fois, dans la densité de la foule qui ralentit la course, j’entends les cris d’une fillette. Aussitôt étouffés. Bâillonnés. Je sens la respiration humide du père dans mon cou, ses larmes gouttent une à une sur mon épaule.
La foule m’emporte, elle m’éloigne, nous sépare. Je lui tends la main, il l’attrape du bout des doigts. Ses doigts glissent sur les miens, je perds le contact. Je tourbillonne, je m’effondre sur moi-même, anéantie. Les yeux grand ouverts sur un soir d’artifice, soulevée par un inconnue, posée à cheval sur ses épaules. Galopant dessus dans les herbes hautes de la masse des spectateurs, mer mouvante complice de ma dérive. Portée par un courant glacé qui me laissera, échouée et désarticulée, au bord d’un chemin vague.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Exo « Comme une photo mentale » : L’année du cheval
C'est comme un film. Je verrais bien cela au cinéma. Le regard de la narratrice est particulièrement bien exploité. La seconde partie s'accélère, rien ne va plus, le spectateur-lecteur manque de souffle. Le final est impeccable.
Mention spéciale : "Il me suit comme un espoir".
Beau boulot !
Mention spéciale : "Il me suit comme un espoir".
Beau boulot !
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Exo « Comme une photo mentale » : L’année du cheval
Que dire, sinon bravo? ben...encore!!!
Superbe texte trépidant, où ton talent nous mène par le bout du nez!
Superbe texte trépidant, où ton talent nous mène par le bout du nez!
Polixène- Nombre de messages : 3298
Age : 62
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: Exo « Comme une photo mentale » : L’année du cheval
La scène se déorule impeccablement sous nos yeux mais peut-être justement un peu trop impeccablement. Le sens du détail et ce besoin de préciser font qu'il est par moment délicat de se faufiler à travers tout cela, de trouver une place, même petite. Dommage.
Sinon, c'est bien écrit, comme très souvent avec toi et tu arrives à distiller la dose poétique qui convient au récit, ni trop ni trop peu, avec un beau/bon sens de l'observation.
Sinon, c'est bien écrit, comme très souvent avec toi et tu arrives à distiller la dose poétique qui convient au récit, ni trop ni trop peu, avec un beau/bon sens de l'observation.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Exo « Comme une photo mentale » : L’année du cheval
Un thriller qui commence par une fête que l'on visualise et sonorise trés bien grâce à tes descriptions précises hautes en sons et en couleurs.Puis on focalise sur le couple et les enfants. Travelling sur la fuite d'un enfant enlevé apparemment. C'est efficace, bien écrit, cinématographique.
Mais ce n'est pas pour moi une photo mentale. C'est un extérieur jour qui décrit une réalité extérieure.
La photo mentale est sans doute à la fin , on a une succession de phrases qui nous font basculer vers un certain onirisme. En tout cas il y a utilisation d'une imagerie mentale pour nous décrire ce qui suit.
Mais j'ai un problème avec la fin précisément.
"Je tourbillonne, je m’effondre sur moi-même, anéantie. Les yeux grand ouverts sur un soir d’artifice, soulevée par un inconnue, posée à cheval sur ses épaules. Galopant dessus dans les herbes hautes de la masse des spectateurs, mer mouvante complice de ma dérive. Portée par un courant glacé qui me laissera, échouée et désarticulée, au bord d’un chemin vague."
Un inconnue ? Le e est une erreur ? Dans "un" ou "inconnue"
Mais même en essayant les deux solutions je ne comprends pas.Que l'inconnu soit le kidnappeur ou la kidnappée.
Donc "je" est soulevée par cet(te) inconnu(e) posée à cheval ?
ou "je" est soulevée par cet(tte) inconnu(e) et posée à cheval sur ses épaules
elle pense à la fillette sur les épaules du kidnappeur ou à elle même qui s'imagine posé sur les épaules du kidnappeur?
ou l'inconnu (e) est posé(e) sur les épaules de "je" ?
Ce n'est pas clair du tout pour moi et je n'arrive plus à visualiser la scène
Qui galope dessus et dessus quoi ou qui ? Je, la fillette? Le kidnappeur ?
dessus les épaules ? Je suis perdue.
Désolée si ma lecture ne m'a pas permis de comprendre ce que d'autres ont bien compris , des fois je suis bourrin
Mais pour la toute grande première partie je réitère mes félicitations pour la verve, l'habileté, la façon de planter le décor et le basculement vers l'effroi.
Mais ce n'est pas pour moi une photo mentale. C'est un extérieur jour qui décrit une réalité extérieure.
La photo mentale est sans doute à la fin , on a une succession de phrases qui nous font basculer vers un certain onirisme. En tout cas il y a utilisation d'une imagerie mentale pour nous décrire ce qui suit.
Mais j'ai un problème avec la fin précisément.
"Je tourbillonne, je m’effondre sur moi-même, anéantie. Les yeux grand ouverts sur un soir d’artifice, soulevée par un inconnue, posée à cheval sur ses épaules. Galopant dessus dans les herbes hautes de la masse des spectateurs, mer mouvante complice de ma dérive. Portée par un courant glacé qui me laissera, échouée et désarticulée, au bord d’un chemin vague."
Un inconnue ? Le e est une erreur ? Dans "un" ou "inconnue"
Mais même en essayant les deux solutions je ne comprends pas.Que l'inconnu soit le kidnappeur ou la kidnappée.
Donc "je" est soulevée par cet(te) inconnu(e) posée à cheval ?
ou "je" est soulevée par cet(tte) inconnu(e) et posée à cheval sur ses épaules
elle pense à la fillette sur les épaules du kidnappeur ou à elle même qui s'imagine posé sur les épaules du kidnappeur?
ou l'inconnu (e) est posé(e) sur les épaules de "je" ?
Ce n'est pas clair du tout pour moi et je n'arrive plus à visualiser la scène
Qui galope dessus et dessus quoi ou qui ? Je, la fillette? Le kidnappeur ?
dessus les épaules ? Je suis perdue.
Désolée si ma lecture ne m'a pas permis de comprendre ce que d'autres ont bien compris , des fois je suis bourrin
Mais pour la toute grande première partie je réitère mes félicitations pour la verve, l'habileté, la façon de planter le décor et le basculement vers l'effroi.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Exo « Comme une photo mentale » : L’année du cheval
Il y a quelque chose qui m'empêche d'être dedans, d'y croire, peut-être parce qu'on bascule trop vite dans une issue "tragique", et que la narratrice le vit elle aussi comme un "anéantissement" et du coup je ne sais pas, j'ai du mal à ressentir cette panique, cet anéantissement, parce que trop énoncé, pas assez diffus.
Par contre ça, c'est superbe superbe :
Derrière eux, un homme et une femme s’embrassent tendrement avant de leur caresser les cheveux. Le petit garçon s’ébroue pour chasser la main, comme un cheval sauvage ayant grandi trop vite. Ça fait sourire la femme. La petite fille recule un peu et s’adosse à l’homme, réclamant la caresse comme on se rassure de l’inconnu par le quotidien.
Par contre ça, c'est superbe superbe :
Derrière eux, un homme et une femme s’embrassent tendrement avant de leur caresser les cheveux. Le petit garçon s’ébroue pour chasser la main, comme un cheval sauvage ayant grandi trop vite. Ça fait sourire la femme. La petite fille recule un peu et s’adosse à l’homme, réclamant la caresse comme on se rassure de l’inconnu par le quotidien.
top !
Très bonne immersion, je suis rentré directement dans le récit, j'ai été particulièrement sensible à "comme on se rassure de l’inconnu par le quotidien" du premier paragraphe.
shebaleking- Nombre de messages : 9
Age : 36
Localisation : 48°24N, 04°31W
Date d'inscription : 18/03/2011
Re: Exo « Comme une photo mentale » : L’année du cheval
Beaucoup aimé! L'attention aux petits détails, le texte qui démarre tout doucement avec une description marquée par la sérénité avant de basculer dans l'affolement, le respect des contraintes de l'exercice... que du bon pour moi, merci!
isa- Nombre de messages : 559
Age : 33
Localisation : Elbonerg
Date d'inscription : 08/04/2009
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