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Quand tu descendras du ciel

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Jano
Raoulraoul
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Message  Raoulraoul Sam 26 Avr 2014 - 9:02

Quand tu descendras du ciel

Sous le prunus fleuri, à l’heure où le soleil au plein feu de sa course, droite elle se tient orgueilleusement, on aimerait l’écraser, cheveu à peine courbé au bout de sa mèche, au coin de l’immeuble tu la vois, contourner, avec cette fraicheur nouvelle que la nuit encore imbibe, tu n’as guère eu l’attention de l’entendre venir, elle est montée en silence, cespiteuse, naturelle, que cependant la saison pique en elle profusément de taches d’or et de blancheur, qu’une position plus dominante permettrait de reluquer dans son champ éminemment vaste, nonobstant l’angle de l’immeuble qui barre cette scène de printemps, peu malheureuse puisqu’aujourd’hui est congé et que dans l’azur chevaleresque les cloches de Rome opèrent un signe.

Je vous ai nommé : herbe.

Un seul être vous manque et… Pataudes et grasses dans l’écosystème des tiges, qu’elles scrutent de leurs pupilles avides, une concentration supérieure les guidant, leurs cuissettes replètes, d’un pas balourd, aux pieds sanglés de sandales fluorescentes, leurs mains tendues vers l’énigmatique trésor, comme vers un amour dont l’essence fondue aurait été remoulée dans d’inestimables objets semés en la jungle des tiges, on les écoute, on les guette, on les adule secrètement pour ce rêve auquel on ne croit plus, cette candeur qu’on leur jalouse, cette fête qu’on leur prépare annuellement à chaque période liturgique de l’almanach, mais moi, qui ne suis plus concerné que par l’incurable solitude, j’épie de ma fenêtre la scène mouvante de couleurs, d’une grâce à faire pleurer, ces enfants, arpenteurs d’une mer dont les vagues sont des herbes soumises au souffle acidulé des gorges enfantines.

Alors les mères au nombre de deux, l’une souriante, l’autre triste, l’une dans son sweat chamarré, l’autre fringuée d’austères tissus, se laissent cribler de joie. Leur langue salive d’obscures locutions du genre « Un seul être vous manque… » mais la raison aussitôt les réprouve dans le bénaise du soleil pascal, sur le gazon flottant, au cœur des cris des bambins s’exclamant de leurs trouvailles déposées dans les niches d’herbe et de pâquerettes, leurs bras débordant de chocolateries, leurs sacs ventrus de trop d’œufs, tandis que le chiard soudain casse l’ambiance.

C’est le seul homme.

Il braille, se désolidarisant des filles.

Qu’est-ce qu’il fait le tien ? demande l’une à l’autre que la joie maquille.
Il est parti me laissant le chiard, dans son camion il trimballe des agrumes pourrissant comme lui, sur sa couchette il fait danser une poupée répondant à ses désirs. Mon chiard se jette dans l’herbe. Je n’ai jamais vu autant d’herbe se faire piétiner et recevoir autant de coups. Le ciel peut-il absorber tant de colère ?

Qui casse un œuf fait du mal à Dieu.

Alors point de père, je découvre au balcon de ma fenêtre d’où je vois la scène de deux mères esseulées, lâchant dans la luzerne leur progéniture affamée d’œufs, de bonbons, de lapins, de cloches, ils ne sont pas revenus les pères, l’autre n’ose plus demander ; « Et le tien où est-il ? » parce que de là où il est on ne revient pas, les fillettes ont admis que pour un long voyage leur père était parti, et dans les herbes de chaque mois d’avril il fait pleuvoir des cloches, des œufs, dont elles comblent leurs poches, leur bouche, leur ventre de fille, leurs yeux orphelins que des lumières éblouissent et qu’elles cachent dans leurs mains aux doigts bouffis.

Les cloches carillonnent, il ne peut renaître.

L’heure passant déplaçant ses acteurs, restaurant la paix à l’encoignure de l’immeuble, proue avancée fendant le flot de pelouse qu’ombrage inégalement un faisceau épars de branches dont il est peu sûr  qu’elles soient propriété de l’ornemental prunus

(la marâtre va balancer son chiard derrière les barreaux écaillés du lit)

il est apaisant de penser, annotation ici du narrateur solitaire, que les tiges d’herbe sont le berceau dernier du soldat qu’elles frôlent jusqu’au fatal sommeil quand le guerrier a été tacitement courageux, la mitraille des canons l’ayant honorablement perforé de toutes parts et que celui-ci chutant sur le tapis délicat des herbes va livrer aux tiges mouillées son ultime souffle, son principal adieu, son religieux baiser à la femme lointaine et un terminal rictus pour des enfants qu’il ne verra pas grandir.

Je vous salue Herbe.

Le camion fonce dans le banc de brume qui s’étend sur la Zuiderzee.

Une jolie poupée ne se lasse pas de faire le grand écart.

Un chiard vomit son bol de lait que la mère lui tend.

Je m’écroule, fatigué de relater le récit d’une humanité impossible.

L’immeuble est ce même bateau où la marâtre pleure, où la jeune veuve sourit à ses petites filles qui vont exploser sous une pléthore de bombes chocolatées, bateau, navire, sarcophage, clapier à lapins, résidence à vie pour clamser les yeux écarquillés, caserne civile, casemate à vue sous des nuages qu’on chasse le matin par de loquaces postillons, bâtiment qu’on nomme aussi « ensemble » pour conjurer l’indifférence, l’immense désert qui nous tasse entre la mâchoire des murs, l’asphyxie volontaire interminable qu’on suspend la nuit quand tout dort, la langue gonflée relâchée à l’aise sur des oreillers blancs parfumés d’essence de violette.

A l’entrée du parking il vient stopper son camion.

Les freins résistent, le siège colle, les pistons branlent, une averse subite brouille la vitre, l’embrayage patine, dans la remorque c’est un mauvais jus à force d’attendre, dans la cabine la poupée est congédiée. Lui revient. Le mari. Un soir poisseux de septembre. Chaque muscle grippé, une vidange de ses artères urgente, le cœur sous pression, valves foutues, son cerveau à transmission cassée, retour à la station, un stater d’amoureux voudrait démarrer, un excédent de crasse dans ses cylindres, un camionneur nettoie sa bougie, allume sa dynamo, change de culasse, demande assistance, pitié, garé de guingois sur la bordure du parking jouxtant  l’immeuble que la nuit tombante dérobe lentement au regard, en dépit des appels de phares qui articulent poussivement un langage que la marâtre et son chiard devraient intercepter au pénultième étage du HLM.

Un camionneur routier s’effondre sur le volant de son Mercedes Benz.

Le moteur tourne, mais insuffisant pour susciter le pardon d’une femme offensée.

Mon chiard n’est pas un chiot ! elle hurle la marâtre du haut de sa tour, à celui qui a décollé à la hâte ses poupées affriolantes scotchées aux cloisons de sa cabine, le chiard dévalant l’escalier s’empressant d’aller embrasser son père tandis que la vitre du hall de l’immeuble plaque l’enfant en pleine envolée d’amour comme ces papillons qu’on regarde s’étouffer sous une cloche de verre que personne ne voudra soulever, la vengeance est la consolation des pauvres derrière leurs fenêtres embuées d’haleine et de larmes sèches.

Ce sera minuit quand plus rien ne bougera, sous le ciel si clair.

« Plus rien ne peut descendre »

se répète une autre femme dont le mari défunt parle encore à ses filles, gavées de chocolat, aux limites de la crise.

Les quinquets noctambules de ma comprenette parcourent les grimoires où des loups chenus glapissent des loufoqueries du fond des temps, Ostara, la première, pondit ses œufs sur terre à l’équinoxe, largua des gorgées de sève aux prairies, les lièvres bandent, les coucous coucoulent, les chaudrons sont calice des messes blanches aux chandelles vertes dans l’encens des jasmins et de roses, Ostara est pulpeuse et la mère païenne de l’œuf chrétien au festival de l’aube de la vie, quoi faire si elle officie à la source de tes pensées, rien pour l’entraver, c’est sa pulsion qui mécanise le monde, je ferme mon livre, je voudrais calancher, jouer de la clarinette, envoyer une perlouze à Satan, l’univers est orageux, j’enfonce la fourche des mes doigts jusqu’aux amygdales qu’on m’a retirées à l’âge de cinq ans.

Aïe !

Une étrange marmelade suinte du camion dans le pire matinal des brouillards. Le chauffeur s’est fait la malle.
Entre les bras d’une autre poupée.
Elles seules trouvent les gestes qu’on leur donne, il confesse au lupanar spumescent.  

**
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Message  Jano Sam 26 Avr 2014 - 10:24

Dur dur de commenter un texte pareil, une telle orgie de mots. Je désespère ne jamais en comprendre le sens, me contentant juste d'attraper au passage quelques images pittoresques. Les références aux fêtes pascales en font un texte qui respire le présent, pourtant les apparitions des mères et du père camionneur l'entrainent vers le passé. Comme un balancement des choses, un pendulier temporel.

Je ne saurai dire si j'apprécie car le propos reste obscur, complexe, à mille lieux de mon univers. Disons qu'il me surprend, je ne sais pas écrire ainsi, je n'ose pas égarer le lecteur dans ce genre de labyrinthe.
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Message  jfmoods Sam 26 Avr 2014 - 12:35

Voici un texte particulièrement addictif. Avec le temps, je perçois de mieux en mieux à quel point la poésie à contrainte peut être totalement étrangère à ton univers. Non, chez toi, c'est la prose qui s'ornemente des fleurs bariolées de la poésie.

Il semble se structurer, encore ici, un jeu d'oppositions, une dualité, les passages entre guillemets situant les lignes de force de ton propos.
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Message  seyne Lun 28 Avr 2014 - 6:55

Que dire ?....rien. le silence du lecteur comblé, qui lentement rumine :-)
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http://www.angle-vivant.net/claireceira/

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Message  jfmoods Lun 28 Avr 2014 - 18:51

"fraîcheur"
"leurs bouches, leurs ventres de filles"

----------------------------------------------

Pâques n'apparaît ici que comme un prétexte d'ordre analogique. En effet, dans le sillage du titre...

"Quand tu descendras du ciel"

…, l'image d'une résurrection du Christ en prend un sacré coup.

"Les cloches carillonnent, il ne peut renaître."
"Plus rien ne peut descendre"

Non, l'idée de résurrection ne se situe évidemment pas à un niveau spirituel. La référence à Lamartine...

"Un seul être vous manque…"

… signale que l'impossible résurrection se constate à échelle humaine, à l'aune de la vie du couple.

Sous l'oeil d'un observateur narrateur ("j'épie de ma fenêtre") très renfermé ("l'incurable solitude", "solitaire"), et complètement blasé ("fatigué de relater le récit d’une humanité impossible", "c'est la pulsion qui mécanise le monde") évoluent quelques créatures en contre-bas.

Deux femmes, présentées dans un jeu d'oppositions ("l’une dans son sweat chamarré, l’autre fringuée d’austères tissus") font la chasse aux oeufs avec leur progéniture respective.

L'une, veuve et "souriante", a des filles. Sa vie se passe dans le souvenir.  

L'autre, désignée aussi sous le terme peu amène de "marâtre", est "triste", a un fils (le "chiard"). Elle est mariée au camionneur.

Le contraste entre les attitudes des enfants, entre les pôles féminin...

"elles comblent leurs poches, leur bouche, leur ventre de fille, leurs yeux orphelins que des lumières éblouissent et qu’elles cachent"

… et masculin...

"Mon chiard se jette dans l’herbe. Je n’ai jamais vu autant d’herbe se faire piétiner et recevoir autant de coups. Le ciel peut-il absorber tant de colère ?"

… est flagrant.

Le féminin est accueillant, bienveillant aux choses, la nourriture faisant en quelque sorte figure d'exutoire à l'absence de présence paternelle ("replètes", "balourd", "doigts bouffis").

Le masculin, lui, est teigneux, agressif. Il veut éprouver sa force, il est en mouvement, happé, de gré ou de force, vers d'autres cieux, comme le suggère un vague signe d'intertextualité avec "Le dormeur du val" mis en avant par le narrateur...

"… que celui-ci chutant sur le tapis délicat des herbes va livrer aux tiges mouillées son ultime souffle..."

L'image de l'héroïsme guerrier le plus kitsch est prégnante...

"… son principal adieu, son religieux baiser à la femme lointaine et un terminal rictus pour des enfants qu’il ne verra pas grandir."

Il y a aussi cette métaphore filée qui greffe, qui rivette inéluctablement le camionneur à l'habitacle de son véhicule. Le glissement de "servo" à "cerveau" est particulièrement habile.

"Chaque muscle grippé, une vidange de ses artères urgente, le cœur sous pression, valves foutues, son cerveau à transmission cassée, retour à la station, un stater d’amoureux voudrait démarrer, un excédent de crasse dans ses cylindres, un camionneur nettoie sa bougie, allume sa dynamo, change de culasse, demande assistance, pitié, garé de guingois sur la bordure du parking jouxtant  l’immeuble que la nuit tombante dérobe lentement au regard, en dépit des appels de phares qui articulent poussivement un langage que la marâtre et son chiard devraient intercepter au pénultième étage du HLM."

Ce qui  joue à plein donc, ici, est le mouvement de fuite propre à la nature de l'homme, sa nécessité d'être toujours ailleurs pour séduire, fantasmer sa vie, multiplier les éclats, fuir d'une manière ou d'une autre le joug asservissant du foyer. Le femme, au contraire, se trouve inexorablement cimentée au lieu ("sarcophage, clapier à lapins, résidence à vie pour clamser les yeux écarquillés"), condamnée à attendre en vain une introuvable stabilité ("Et le tien où est-il ?") physique et affective.

Ce cri...

"Mon chiard n’est pas un chiot !"

…, qui pèse de tout le poids de l'allitération, brandit la revendication vigoureuse du père absent. Cependant, le lecteur y entend aussi, en filigrane, par un effet d'écho, le trop prévisible...

"Les chiens ne font pas des chats."

Ce qui se dessine là est donc une mise en perspective des fantasmatiques généralement associées aux pôles masculin et féminin. Entre éternité du désir ("ses poupées affriolantes scotchées aux cloisons de sa cabine", "Une jolie poupée ne se lasse pas de faire le grand écart", "les lièvres bandent") et désir de l'éternité ("les coucous coucoulent").

Merci pour ce partage !
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Message  hi wen Mer 7 Mai 2014 - 7:07

je comprends pas donc je commente pas.
la respiration du texte pour moi est incompréhensible.

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Message  Raoulraoul Jeu 8 Mai 2014 - 14:50

Merci à vous pour vos commentaires qui m'interrogent prodigieusement.
Jano : lorsque tu parles "d'orgie de mots" que veut tu dire ? Ce mot est tellement connoté.
jfmoods : je trouve ton analyse d'une excellente justesse. Tu as tout dit. Mais étrangement, après ton décryptage implacable, je découvre mon texte très pauvre. Mon écriture ne serait-t-elle que l'habillage de propos si secs... Après ton commentaire, je me sens dépouillé comme un arbre en hiver. Mais ce n'est pas un reproche, c'est une observation pour moi utile.
hi wen : je suis toujours surpris par ceux qui me disent ne rien comprendre. Et alors pourquoi il y en a qui comprennent ? Ce clivage serait trop facile. Disons qu'on peut parfois refuser de comprendre. Alors ce qui est passionnant, c'est "pourquoi" ce refus ? Les réponses sont-t-elles dans le style comme certains le laissent entendre ?... Le style cependant est-il si dissocié de l'idée ? Autre style, autres idées. Comment nos manières de langage (et d'écrire) nous empêchent-elles de penser, percevoir, ressentir autrement ? Voilà les enjeux d'écriture que vous m'ouvrez. Merci encore à vous.
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Message  Ba Sam 10 Mai 2014 - 4:52

"Je m’écroule, fatigué de relater le récit d’une humanité impossible."

Il n'est pas évident de lire à la verticale ces " chutes " humaines ou pas, c'est pourquoi, très souvent, je retiens dans les filets une phrase, quelques mots essentiels qui font écho.
Au-delà du travail de celui ou celle qui déroule ses mondes, l'attention de celui ou celle qui commente dans le détail vaut salutations.
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